Foulard islamique et laïcité



Ce glissement sémantique et politique que l'on nous promet en passant, dans la loi que l'on nous prépare, de l'expression "signe ostentatoire" à celle de "signe visible" est extrêmement dangereux pour la démocratie et à mon avis nul en droit européen (de l'homme). Tout peut devenir signe idéologique pour les autres sinon pour soi , y compris l'uniforme que l'absence de signe distinctif imposerait nécessairement; et que dire alors des marques commerciales et des styles vestimentaires? Il suffit de déclarer que tel signe est politique (au sens communautaire du terme), religieux ou philosophique, voire le refus apparent de tout signe, ce qui est impossible car il faudrait refuser de s'habiller et cela ferait automatiquement signe, pour tomber sous la loi de l'interdit et de la censure et cela en serait fait de la liberté d'expression de la personne qu'il ne faut pas nécessairement confondre avec une pratique prosélyte organisée. Il convient de distinguer l'institution qu'est l'école de ses usagers

Si certaines significations de certains symboles, alors même que tout symbole est polysémique voire ambivalent, sont considérées comme politiquement dangereuses alors il convient de les démystifier en faisant jouer leur pluralité significative voire leur ambivalence (ex: le foulard islamique comme stimulant érotique , ce qu'il est d'une manière particulièrement efficace dès qu'il se prétend anti-érotique) et non pas de les fétichiser et de les cristalliser en les tabouisant. Pour ce faire il convient d'en faire l'objet d'une critique rationnelle par le dialogue sans concession avec ceux qui les revendiquent et non pas d'exclure ces derniers ; c'est le sens même de l'école de ne pas refuser les comportements communautaristes en mettant à la porte les individus qui y sont soumis et victimes et donc, par là, d'en entretenir chez eux la désirabilité, mais de les déconstruire sans souci d'une neutralité idéologique qui ferait fi du rôle critique de la raison. Faire une loi contre quelques dizaines de voiles à l'école (du reste en voie de diminution) ou autres signes religieux et politiques , c'est refuser a priori, par impuissance présupposée, le rôle de l'école démocratique et d'éducateur que se doit d'être tout enseignant. La laïcité n'est pas neutre dès lors qu'elle se veut éducatrice de la raison en vue de l'autonomie des individus, laquelle passe par un travail critique rigoureux de leurs asservissantes croyances et comportements communautaristes spontanés.

Ainsi la laïcité de l'école comme service public ne peut et ne doit  pas être neutre dès lors qu'elle a pour mission d'éduquer la raison critique vis-à-vis des croyances et de leurs effets obscurantistes et/ou anti-démocratiques en particulier sur la question de l'égalité entre les femmes et les hommes, mais il ne faut pas confondre ce qui concerne l'expression personnelle des idées religieuses et politiques des personnes en tant qu'usagers de celle des fonctionnaires en tant que responsables du fonctionnement de l'institution. Si un fonctionnaire en mission se doit à l'obligation de réserve vis-à-vis de ses options religieuses et politiques personnelles, les élèves en tant que personnes ont le droit de les exprimer pour, à l'école, avoir la chance de les soumettre à l'examen rationnel et par là devenir plus autonomes vis-à-vis d'elles; chacun qui s'exprime s'expose à la critique argumentée, mais, du même coup, dans ces conditions,  cette expression n'implique aucun prosélytisme dès lors qu'elle reste personnelle et ne devient pas l'occasion d'une action collective dans l'établissement. Seuls les responsables de l'école, à la base, peuvent juger ce qu'il en est sur ce point et rien ne peut ni ne doit juger sans savoir au nom d'une loi aveugle qui du coup mettrait en cause le droit à la libre  expression des personnes. Ces responsables, du reste, ont bien fait leur travail. C'est pourquoi, me semble-t-il, les avis de prudence du conseil d'état me semble devoir être réhabilités: la loi contre le foulard et autres signes religieux et politiques, plus ou moins ostantatoire (comment en juger?), risque fort d'être anté sinon anti-laïque.
 Il serait alors, au nom de la démocratie et par facilité,  absurde de s'attaquer à un principe de la démocratie. Mais qui peut prétendre que la vie démocratique est chose simple? 

S. Reboul, 02/11/03

La loi contre les signes religieux, comme symptôme pathologique d’un échec politique.

La débat qui fait rage à propos du voile dit islamique pose trois questions au regard du principe de la laïcité:
1° la question de l’expression des convictions religieuses par des usagers du service public
2° La question de le relation entre la religion et l’organisation et le fonctionnement du service public
3° La question du sens politique du voile dès lors qu’il signifierait la domination des hommes sur les femmes

Or si ces trois questions sont liées,  pour être bien liées, elles ne doivent pas être confondues et c’est ce risque de confusion qui est au cœur du débat sur la justesse de la loi contre tout signe « ostensible » religieux ou politique à l’école et autres services publics.

1) Soit un signe religieux, quand il concerne les usagers du service public et non pas des fonctionnaires,  qui ont , de par leur fonction, une obligation de réserve, ne recoupe aucune action prosélyte d’embrigadement organisée et n’est qu’un symbole d’expression d’une croyance personnelle qui ne compromet en rien le principe de laïcité mais en est au contraire un de ses éléments constituants et seuls les responsables du service public à la base peuvent en juger et non pas une loi nécessairement abstraite car aveugle à ce qui fait le différence entre une expression personnelle et une action organisée collective. Soit il est la manifestation d’une telle action prosélyte et alors ce signe relève de la deuxième, voire de la  troisième question et non de celle-ci.

2) Si un tel signe est l’expression d’une volonté collective organisée visant à changer ou à empêcher la mission du service public en un sens idéologique incompatible avec les principes d’égalité et d’accès à la culture, au savoir et à l’esprit critique par tous ; alors un tel signe est et doit être interdit non pas parce qu’il serait religieux ou politique en général mais parce qu’il est l’expression d’une volonté politique anti-démocratique.

3) Cela vaut d’autant plus lorsque ce signe est l’expression d’un désir de réduire les droits des femmes pour les soumettre à la domination des hommes. Mais il faut distinguer deux cas : le cas où les porteurs (euses) du signe se soumettent « volontairement » tout en déniant le sens que nous lui prêtons et cela oblige à un dialogue sur le sens et le valeur de ce signe et c’est alors dans le mission éducative de l’école d’aider la personne concernée à se mettre à distance critique vis-à-vis des symboles qu’elles revendiquent. Le cas où la personne est victime d’une pression extérieure qu’elle subit sous peine de représailles violentes et c’est alors à la loi de la protéger et de la défendre, non en l’excluant de l’école ou de tout autre service public, mais en l’encourageant à mettre en œuvre tout moyen juridique de réduire cette pression et cette menace par l’application des lois existantes qui visent à garantir des libertés individuelles fondamentales. Exclure les victimes serait les punir au lieu et place de ceux dont elles sont victimes.
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De plus peut-on imaginer que l’interdiction du signe religieux suffirait à libérer les victimes de la violence de ceux qui les oppriment ? Cela ne changerait rien par exemple à la pratique du mariage forcé et encore moins aux pratiques ou institutions communautaristes ou religieuses violentes qui visent à soumettre les victimes exclues du service public à des formes de conditionnement irrationnelles et anti-démocratiques d’écoles privées qui feraient du dressage obtus leur raison d'être.

On peut alors se rendre compte en quoi le projet actuel de loi est confus en mêlant les trois questions et pourquoi il ne résout rien sur le fond car on pourra toujours se demander si un signe relève de la première ou deuxième question (c’est quoi le différence entre ostentatoire, ostensible ou visible et qui peut l’apprécier?). Par contre il menace le principe laïc de la liberté d’expression et la mission même de l’éducation qui est de « convertir » chaque personne à l’exigence citoyenne de la critique rationnelle de ses fausses (irrationnelles et anti-démocratiques) croyances premières, qu’elles soient religieuses, sexuelles ou politiques.

Une loi est générale ou n’est pas une loi ; or la généralité de cette loi est soit problématique dans son contenu dès lors qu’elle introduit, si on précise quels sont les signes ostensibles, des distinctions particulières arbitraires soit sans effet général en l’absence de précision, car son application relèverait de l’appréciation personnalisées et contextualisées des chefs d'établissements

Devant le coté inutile et dangereux pour la liberté d’expression de cette loi, on peut même se demander si elle n’a pas pour fonction de faire diversion vis-à-vis de deux échecs politiques majeurs et si elle n’est pas un alibi « ostentatoire » pour ne pas se donner les moyens de les surmonter sur le fond, à savoir : celui de l’intégration par l’école et celui de le lutte contre le machisme ordinaire ou religieux : en sanctionnant les victimes, même consentantes, (femmes) au lieu et place des auteurs masculins de la violence qu’elles subissent, elle risque fort d’entretenir ce qu’elle prétend réduire : le communautarisme intégriste qui aura beau jeu ensuite de présenter l’école publique comme l’école du diable comme ce fut le cas de l’église catholique, il n’y a pas si longtemps. Mais cette dernière , il est vrai, a aujourd’hui évolué au point de sembler prête à accueillir les jeunes filles voilées, comme le future loi lui en donne l’autorisation, malgré le financement public dont elle bénéficie. Mais, dira-t-on, si un tel projet de loi est confirmé, les jeunes filles en question auront encore le choix entre abandonner leur voile et continuer à se rendre à l’école publique ou garder le voile pour poursuivre leurs études dans l’enseignement catholique financé par l’état ou, pour éviter d’être convertie au catholicisme, dans un établissement islamique financé par les frères musulmans. L’intention prétendument laïque de cette loi aura alors atteint son objectif : développer l’enseignement confessionnel pour éviter que l’enseignement public ne soit par trop pollué par le fait religieux. Un tel résultat absurde est imparable pour qui prétend faire d’un principe idéologique souhaitable (la laïcité) une loi qui refuserait de traiter la réalité du fait religieux en en refoulant les manifestations, ce qui transformerait nécessairement une telle éthique de conviction en pratique bien pensante aveugle à ses conséquences politiques réelles et donc précisément irresponsable.
S. Reboul, le 14/12/03

L'obscur foulard du désir

Que la femme se voile ou se dévoile, aux yeux du désir pas seulement masculin, elle ne peut se voiler qu'en se dévoilant et se dévoiler qu'en se voilant. L'érotisme joue nécessairement avec l'interdit et la pudeur est dans toutes les cultures l'excitant majeur du désir car elle favorise, voire enflamme irrestiblement l'imagination dans le sens de la transgression de la frontière entre le visible et l'invisible. C'est pourquoi d'ailleurs l'interdiction du voile, comprise comme la condition de la libération des femmes, est d'une niaiseraie érotique obtuse, pour qui connait le jeu du désir et la capacité des femmes voilées de s'en emparer, pour consciemment ou inconsciemment, accroître leur pouvoir de séduire. Il n'est que de les voir, à la télé en France ou dans la rue en Iran, exhiber ostentatoirement leur voile et jouer de la fluidité chatoyante et voluptueuse des ses courbes pour s'en convaincre. Désir et interdit sont les deux faces du mirage érotique. Le voile noir privilégie le visage laiteux et le regard noirci comme objet/sujet du désir comme nous le révèle la littérature arabo-musulmane et les hommes qui croient se protéger de leur propre désir et du désir des femmes de les séduire en voilant/dévoilant leurs attributs érotiques (leurs appâts comme on disait au XVIIème et XVIIIème) sont des imbéciles infiniment et délicieusement manipulables.

S. Reboul, Le 21/12/03



PS:

La France a toujours était pluraliste sur tous les plan religieux, politique et philosophique et prétendre le contraire c'est ethnisiser les populations françaises pour un motif politique d'"Union sacrée" du genre "nous sommes les seuls français et nous avons donc raison de penser la laïcité comme uniformisation, contrairement aux étranges étrangers" etc.. on connaît la chançon. Le racisme ordinaire se nourrit de propos de ce genre. Le nationalisme uniformisant et fusionnel de gauche ou républicain a toujours fait le jeu de la droite extrème.

Je suis pour le liberté d'expression religieuse "dans sa diversité" y compris dans l'espace public mais contre l'intervention d'arguments religieux dans le vie politique et le fonctionnement de l'état; c'est pourquoi je suis aussi tout autant pour l'expression des idées anti-religieuses quand les croyances religieuses prétendent fonder la politique. je considère que, lorsque des idées qui se donnent comme religieuses prétendent régenter la vie politique en opposition avec les principes de la démocratie, il est nécessaire de les déconstruire dans l'esprit de ceux ou celles qui s'en réclament, d'autant qu'ils sont jeunes et sont susceptibles d'évoluer. C'est aussi le rôle de l'école publique de former le citoyen contre leurs croyances spontanées religieuses ou non anti-libérales (au sens philosophique). Refouler un problème d'éducation n'est pas le réduire, mais l'aggraver.

S. Reboul, le 25/12/03 




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