Sylvain Reboul
j'ai déjà répondu que je ne crois pas
à une crise salutaire par plus que je ne crois à une
prétendue volonté générale, pure fiction
rhétorique et rousseauiste qui me paraît assez totalitaire
(voir sa critique par B. Constant), et en cela je reste aussi
fidèle à Marx , mais surtout à l'idée
démocratique de pluralisme à la fois irréductible
et souhaitable; pour qu'il y ait crise salutaire possible il faudrait
un accord et une cohérence possible entre les partisans du non
d'une part et entre les populations et pays partenaires d'autre part.
Ce qui n'est pas, et cela est un fait et les faits sont tétus;
je reponds par contre à la phrase suivante, car elle est, selon moi, le
noyau dur de toute ton argumention
J.B: "De façon bien peu libérale d'ailleurs :
les libéraux devrient être les premiers à se
méfier de cette passion de légiférer en
matière économique, passion à laquelle le texte
s'abandonne totalement, prétendant écraser par avance
toute alternance politique future en imposant
une fois pour toutes des
règles du jeu "libérales"
SR: C'est là où, me semble-t-il,
nous divergeons sur le fond: l'économie libérale n'est
pas
"le laisser faire n'importe quoi"; elle
exige un droit commercial
et le respect de
règles précises ne seraient-ce que celles de la
concurrence qui implique
entre
autre l'interdiction du dumping, des ententes sur les prix,
de la mise sous
tutelle de la clientèle sous prétexte de
fidélisation, de
la
contrefaçon et des positions de monopole etc. etc, sinon nous
avons l'économie
mafieuse et/ou
monopolistique; pour ce faire l'économie doit être
encadrée
par la politique
et le droit. Tu sembles confondre économie
libérale et capitalisme dictatorial sauvage...
L'économie
est une dimension essentielle du fonctionnement de nos
sociétés
modernes et
particulièrement de l'unité européenne qui s'est
construit à
partir du
marché unique (le commerce contre la guerre); je ne vois pas
pourquoi
la politique
refuserait d'admettre un certain nombre de règles
économiques
dès lors
qu'elles mettent en jeu les relations des hommes dans le
cité ou
alors elle
renonce à son exigence de justice.
Que pourrait
être une économie qui ne serait pas de marché ? Une
économie
du don à
l’échelon d’une société et des
sociétés ouvertes aux échanges est-elle
pensable,
si l’on écarte l’économie d’état ? Sinon que
serait une économie
de marché
sans concurrence ? Et que seraient une concurrence non-libre et
faussée?
Tant que tu n’auras pas répondu à ces questions, ton
rêve d’une
société
sans règles politiques du jeu de l’économie est absurde
: ce serait
vouloir
soit une société sans échange
économiques et marchands, soit non
libérale
qui soumet l’économie au vouloir totalitaire de ceux qui dirigent
l’état,
soit une société dans laquelle l’économie
s’imposerait, sans régulation
politique, comme
économie prédatrice et prévaricatrice. Le droit de
la concurrence
fait donc
partie de la liberté d’entreprendre dans le domaine des
échanges économiques.
Elle est la
condition d’un droit fondamental de l’homme.
Il n'y a pas
d'autre modèle de l'économie privée que le
modèle de l’économie libérale
en dehors
de celui qui organiserait centralement la production et la distribution
dans le cadre
non du marché concurrentiel, mais de l'état ; or nous
savons
que ce
modèle n'est ni juste, ni efficace: le monopole d'état
tend à
réduire
les
libertés au profit d'une bourgeoisie d'état qui s'arroge
le monopole
de la
répartition des richesses à son avantage. Ce risque
existe partout,
car toute
économie ou entreprise sont dirigées par des hommes qui
tentent
de profiter de
leur situation pour échapper autant qu'ils le peuvent à la
concurrence et
aux règles qu'elle impose (que la politique et le droit se
doivent
d'imposer) ; une entreprise capitaliste ne fait pas exception (c'est
humain; mais le
monopole capitaliste d'état est pire encore et à celui-ci,
je
préfère le capitalisme fragmenté et
régulé par le droit
de la concurrence
libre et non
faussée. L’Europe s’est construite à partir du
marché unique;
il aurait
été paradoxal que sa constitution ne s’occupe pas
d’économie.
Je
considère en outre que la politique doit réguler
l’économie, compte tenu
de son importance
dans la vie sociale. On n’a pas d’autre choix qu’entre une
régulation autoritaire etune régulation
libérale et sociale (deux termes pour moi
indissociable surle
fond). Tu as, me semble-t-il, une conception de la liberté comme
expression sauvage
des désirs et des rapports de forces, ce n'est pas celle de
la
totalité des philosophes libéraux et des lumières,
Kant compris:
l'autonomie
et le droit libéral ne valent comme tels, pour eux comme pour moi, que s'ils
concourent à l'universel. Et cet universel passe aussi par les règles de la
concurrence
dans le domaine de l’économie marchande.
Ceci dit il n’y
a pas que les exigences de l’économie marchande dans
vie
sociale, car
tout échange ne doit pas être marchand, et la
question de la
nécessité,
y compris économique, mais pas seulement, de services publics
(santé
éducation et peut-être biens vitaux) s’impose ; mais
là encore il ne
faut pas
confondre service public et entreprise monopoliste d’état… Le
service public
peut du point de vue de l’intérêt général
utiliser la concurrence…
Tout le
problème est de savoir distinguer intérêt
privé et
intérêt général et dans quels domaines doit
opérer cette distinction;
problème
éminemment politique là encore…
Je te soumets le raisonnement suivant:
Pour que le non l'emporte il convient d'ajouter aux non de gauche (plus
d'Europe sociale), au moins (hypothèse
généreuse pour le non de
gauche) 10% de non de droite (souverainistes) . Que veut dire cela?
À
moins de supposer que le non l'emporte avec plus de 54% des voix, cela
veut dire que les non de gauche, même en cas de victoire du non,
restent minoritaires à 44% (54% - 10% = 44%) alors que les
oui restent
majoritaires avec 46%.
Conclusion: la minorité relative du non de gauche prétend
l'emporter
sur la majorité relative du oui grace à son alliance
objective avec les
non de droite et d'extrème droite.
Il est possible de réfuter cet argument en avançant deux
conditions hypothétiques:
1) le "non souverainiste" et le "non de gauche", au fond,
ne font qu'un;
2) Les partisans du oui sont eux-même aussi divisés que
ceux du non sur le texte de la constitution.
Or la première hypothèse est violemment contestée
par les partisans de
non de gauche (mais pas par ceux du non souverainiste) et la seconde
est contredite par les partisans du oui de droite comme par ceux du oui
de gauche, car, sur le texte même de la constitution, les leurs
positions sont compossibles (Lionel Jospin). Ce qui signifie
qu'une
alliance sur un texte constitutionnel, comme cela a souvent
été la cas
dans l'histoire, est possible entre la gauche et la droite
démocratique
et républicaine et qu'une alliance entre extrème droite
et extrème
gauche nest possible que si l'on suppose qu'elles sont deux variantes
d'un même social-nationalisme.
Cela signifie qu'il n'y aura de projet socialiste crédible si ne
sont pas dénoncés
1) la confusion entre libre concurrence et politique monopolistique des
soi-disant ultra-libéraux.
2) Le modèle d'une économie non-concurrentielle
administrée par l'état
qui a partout échoué et dont on sait qu'il a
favorisé le totalitarisme
politique
3) le refus d'un point de vue internationaliste sous couvert de
refus de la mondialisation au profit d'un social-chauvinisme
nationaliste et/ou corporatiste.
Il en est de même tant que l'articulation nécessaire entre
la
flexibilité, la formation et la sécurité des
salariés ne sera pas
précisée par des mesures et garanties sociales
concrètes à l'échelon de
l'EUROPE. ce qui implique un parti social-démocrate et des
syndicats
européanisés
(ex: la CES)
Le PS doit avoir le courage de mettre en question les vieilles
lunes et les tabous d'un autre age, à savoir l'age mythique de
l'état-nation absolument souverain chez lui.
Jacques Bonniot, le 24/05/05
Si le non
l'emporte au référendum en France, aux Pays-Bas et/ou en
Grande-Bretagne - mais surtout en France - il s'agira pour l'Europe
d'un événement politique de tout premier plan.
Face à cet événement, la classe politique peut se
braquer, se vexer, bouder, dire qu'on a mis l'Europe en panne pour 10
ou 15 ans, voire déclarer que la France a sabordé
l'Europe.
Néanmoins dans un régime démocratique c'est
à la classe politique d'écouter les peuples - le suffrage
universel - et non pas l'inverse.
On peut donc faire l'hypothèse d'une classe politique
européenne qui fasse son
travail et qui tente de faire une analyse politique de cet
événement politique. Qu'elle aime la politique et soit
prête à en faire (et non à se comporter comme de
simples gestionnaires).
Or qu'apparaît-il ? Que les intentions de vote en France sont les
suivantes :
P.C. : 89 % pour le non
PS : 54 % pour le non
Verts : 49 % pour le non
UDF : 25 % pour le non (seul cas où le pourcentage est
inférieur aux
chiffres que j'indiquais...)
UMP : 28 % pour le non
FN : 87 % pour le non.
Un bon
texte, un texte fédérateur pourrait-il avoir cet
effet ? Je fais le pari que non.
Un "non" français au référendum serait-il
interprétable ?
Si l'on supprimait la 3ème partie du texte, on recentrerait la
constitution - loin de la vider de sa substance et de la transformer en
coquille vide - sur ce qui a, en elle, une réelle
portée constitutionnelle.
On éviterait d'inscrire dans une constitution - fait sans
précédent dans l'histoire humaine - ce que devra
être la politique économique future de l'entité
politique concernée - ce qui est bien évidemment absurde
: si l'on avait voulu l'inscrire dans nos constitutions nationales, on
se serait invariablement trompé.
On porterait à la place que la politique économique
future de l'Union serait déterminée par les citoyens de
l'Union tels que représentés au Parlement
Européen.
Voilà
ce que serait une vraie Europe démocratique que j'appelle de mes
voeux.
On ne placerait pas sous tutelle la souveraineté des futurs
citoyens de l'Union. On n'écraserait pas d'avance les
alternances à venir, probables et souhaitables, sauf esprit de
chapelle ou de clocher.
Les traités de Rome, de Nice, etc., resteraient en vigueur et
resteraient révisables comme tout traité, par un autre
sommet européen et un autre traité qui pourrait
défaire, parfaire ou réviser ce qui a été
fait auparavant.
Où sont l'apocalypse et le chaos qu'on nous prédit
à l'envi pour nous intimider au moment de procéder
à notre choix ?
Au passage, on n'oublierait pas de préciser devant qui est
responsable la Banque centrale européenne, qui, fait sans
équivalent dans le monde, n'est en l'état actuel des
choses responsable devant PERSONNE. (alors que la Banque
fédérale américaine est bien entendu responsable
devant le pouvoir politique : voilà l'ultra-libéralisme
de ce texte constitutionnel qui donne des leçons de
libéralisme même aux Etats-Unis...)
A mon sens, le président de la Banque centrale devrait
être responsable devant le Parlement européen qui pourrait
en cas de crise le destituer (quitte à mettre la barre
très haut, 70 ou 80 % des voix). Il faut se doter des moyens de
réagir si la politique monétaire menée par la
banque centrale est catastrophique ou contraire à la
volonté des citoyens européens.
Avec ces aménagements, avec une constitution recentrée
sur ses vraies attributions, le "oui" passe bien évidemment dans
un fauteuil, haut la main. (Chacun le sait bien). On se retrouverait
dans un cas de figure comparable au 2è tour de la
présidentielle de 2002 : seuls de Villiers, Pasqua et Le Pen (et
peut-être le PC ?) appelleraient à voter non, tout le PS,
l'UDF, l'UMP, les Verts voteraient oui, on aurait un score de 70 ou de
80 % des voix.
Or, à mon avis, un texte constitutionnel a
vocation à fédérer et à rassembler au
delà des clivages partisans traditionnels pour définir
ensemble la maison commune.
Le texte
actuel, tel qui nous est soumis pour approbation, est en revanche
un texte de combat qui porte le conflit et la division partout, nous en
sommes tous témoins.
Dans tous les autres pays d'Europe, un tel texte passerait bien
évidemment beaucoup mieux et beaucoup plus nettement, ralliant
plus franchement la fraction de la gauche et des verts qui ont des
états d'âme.
A part la Grande Bretagne peut-être, mais la Grande
Bretagne votera sans doute non dans tous les cas de figure,
étant fondamentalement hostile à l'idée même
d'une constitution européenne, idée que j'approuve sans
réserve pour ma part - à condition qu'il s'agisse
réellement d'une Constitution...
Où
est l'impossibilité d'interpréter politiquement un non
français, pour peu que l'on veuille bien se donner la peine de
procéder à une analyse politique de la situation et
d'examiner dans quel cas de figure, très simple, le "oui"
l'emporterait ?
Voici pourquoi je voterai "NON" dimanche au référendum
sur le traité constitutionnel européen.
Jacques Bonniot
Sylvain Reboul
Le seul défaut de ton argumentation , mais il est
décisif, c'est que tu oublies que les non éventuels des
différents pays ne sont pas plus compossibles que les non
des souverainistes de droite et d'extrème droite et des
crypto-communistes en France (quoique..). Qui veut en Europe une
économie qui ne soit pas concurrentielle? qui ne soit pas
libre et qui soit faussée? Une économie
dirigée politiquement par l'état ou par Bruxelle?
Quant à la banque européenne, il est bon pour la
démocratie et les libertés qu'une certaine confusion des
pouvoirs (politique, économique et monétaires) soient
levée; mais, dans ce cadre, l'indépendance de la banque
ne peut être totale par rapport aux décisions prises par
l'Europe (comité économique et financier et eurogroupe) ;
elle ne peut être qu'une autonomie fonctionnelle (comme l'est
l'autonomie du pouvoir judiciaire par exemple par rapport à
l'executif); la Banque Européenne ne pourra fonctionner que sur
la base d'un accord avec les différents comités
economiques et financiers prévus par le TCE (articles III 185,
186..;et 194). Ma position est libérale en cela qu'elle refuse
de tout soumettre au pouvoir politique (séparation claire
des pouvoirs et des responsabilités) .
Enfin il est fallacieux, voire mystificateur pour la démocratie,
de vouloir faire silence (ou l'impasse) sur les règles du jeu
économique et du marché commun dans ce
traité international (TCE) en supprimant la partie3;
règles qui ont déjà font l'objet d'accords
internationaux que le non, du reste, n'invalideraient en aucun cas, car
elles seraient pérénisées par les traités
antérieurs, mais sans la contrepartie des conditions sociales de
la section2 de la partie3. Il vaut mieux que chacun sache sur quoi
s'est construit le marché commun; à moins de faire voler
en éclat l'Europe telle qu'elle existe au nom d'une europe
idéale dont les autres pays et populations ne veulent pas,
ces règles du jeu économique font partie des accords
politiques depuis l'origine de la construction européenne; elles
font aussi partie de la constitution française que tu ne sembles
pas bien connaître; le TCE , de plus, va plus loin que
celle-ci dans le domaine social ..
Bref les rapports de forces politiques en Europe ne sont pas favorables
à une révolution anti-libérale mais à un
réforme anti-ultralibérale (ce qui n'est pas du tout la
même chose); l'éventuelle renégociation que
tu préconises n'aboutirait qu'à masquer, mais non
à changer les règles libérales du jeu
économique pour obtenir les 90% dont tu rèves, or comment
sais-tu et qui te dit que les autres pays et populations en Europe
accepteraient une telle entourloupe?. Bonjour la transparence en tout
cas...Le libéralisme économique est dans toutes les
constitutions des pays européens et si la France veut faire sa
révolution bolchevique dans son coin, elle pourra le faire seule
sans ou hors de l'Europe, comme si le oui l'emporte, le TCE lui en
donne le droit (au contraire des traités antérieurs).
Vote non et si le non l'emporte tu verras
1) Les règles du jeu économique continuer comme avant,
sans contrepartie sociale
2) les décisions faire l'objet d'accords internationaux
qui ne seront politiquement et démocratiquement
contrôlées car soumis au suffrage d'aucun
représentant (plus de pouvoir de codécision du parlement
eurpéen et de consultation et de contestation des parlements
nationaux
3) La fin de la procédure du référendum en
France (et ailleurs)
Selon moi, ce ne sera pas un progrès de la démocratie;
à moins d'une révolution social-nationaliste très
improbable et que nous ne souhaitons pas pour la démocratie; le
progrès de la démocratie en Europe passe aujourd'hui par
le TCE.
La crise salutaire brutale est une illusion dès lors qu'un
mouvement politique européen suffisament organisé pour
tout changer, sans même savoir ce que l'on veut changer,
n'existe pas et que la seule force syndicale européenne la CES
est pour le TCE car il reconnaît les droits sociaux fondamentaux,
les droits syndicaux, y compris le droit de grêve dans un
cadre plus démocatique que les traités
antérieurs; il n' y donc pas d'autres alternatives
crédibles au TCE que le traité de Nice plus ou moins
rebricolé ou le retour au souverainisme étatique de
droite et d'extrème droite..
Amicalement, Sylvain.
Commentaires
de Jacques Bonniot et réponses de Sylvain Reboul
Le 22 mai 05, à 00:03, Sylvain Reboul a
écrit :
Le seul
défaut de ton argumentation , mais il est décisif, c'est
que tu oublies que les non éventuels des différents pays
ne sont pas plus compossibles que les non des souverainistes de
droite et d'extrème droite et des crypto-communistes en
France (quoique..). Qui veut en Europe une économie qui ne soit
pas concurrentielle? qui ne soit pas libre et faussée? Une
économie dirigée politiquement par l'état ou par
Bruxelle?
J. Bonniot: Je ne dis pas le
contraire ; je dis que cela n'a rien à faire dans une
constitution, que cela affaiblit sa portée et l'adhésion
des peuples, et je reste convaincu en dépit des arguments
contraires que cette constitution sera extrêmement difficile
à amender... si elle est ratifiée.
Réponse de SR: il n'y a
aucune raison de ne pas inscrire dans un traité international,
les règles des échanges économiques entre les
états concernés d'autant que le marché commun est
la source et le nerf de la construction européenne; il ne faut
pas confondre un constitution politique nationale avec une constituion
qui règle les rapports entre des états sur la base de
règles acceptées par tous et qui sont la condition
même de l'accord entre ces états . Le libéralisme
économique et politique pour l'Angleterre (et pour moi) vont
ensemble et il ne faut pas le confondre avec
l'ultra-libéralisme qui récuse l'idée même
d'une économie sociale de marché et n'hésite pas
à imposer la dictature du capital financier socialement
irresponsable. Le débat est donc par le TCE ouvert entre deux
visions du libéralisme; Par contre toute dérive
anti-libérale est et doit être interdite et pour cause:
elle remettrait radicalement en cause l'idée même d'un
marché commun avec des pays qui ne sont d'accord que si ce
marché est libéral. En effet, tout autre
modèle est soit étatiste ou super-étatiste, soit
inimaginable. Si un autre modèle que l'économie de
marché - modèle jusqu'à présent le plus
démocratique (les consommateurs décident de ce
qu'ils achètent entre divers produits concurrents)-
apparaît un jour on pourra en reparler; en tout cas ce
n'est pas demain la veille. Une constitution ne peut pas anticiper ce
qui est inimaginable?
Quant à la banque, il est bon pour la
démocratie et les libertés qu'une certaine confusion des
pouvoirs (politique, économique et monétaires) soient
levée et dans ce cadre l'indépendance et la banque ne
peut être totale par rapport aux décisions prises par
l'Europe (comité économique et financier et eurogroupe) ;
elle ne peut être qu'une autonomie fonctionnelle (comme l'est
l'autonomie du pouvoir judiciaire par exemple par rapport à
l'executif); la Banque Européenne ne pourra fonctionner que sur
la base d'un accord avec les différents comités
economiques et financiers prévus par le TCE.
Ma
position est libérale en cela qu'elle refuse de tout soumettre
au pouvoir politique (séparation des pouvoirs et des
responsabilités) .
Jacques Bonniot: Pour moi, le
dernier mot doit revenir en dernière instance au peuple
souverain (ici, en l'occurrence, le Parlement européen.) Entre
la souveraineté populaire et l'orthodoxie libérale
imposée d'en haut, le choix est clair pour moi.
Si l'Union Européenne
doit rester une zone de liberté et de démocratie, la
parole doit être donnée en dernière instance au
peuple. Je ne parle pas de renverser tous les 6 mois le directeur de la
Banque centrale. Je dis qu'en cas de crise grave et majeure, le pouvoir
doit revenir en dernier ressort au Parlement européen, qui doit
pouvoir, en ultime recours, destituer le président de la Banque
centrale s'il mène une politique désastreuse ou contraire
à la volonté des peuples souverains d'Europe. Le principe
de souveraineté populaire doit l'emporter sur les dogmes de
l'orthodoxie libérale. Ne rien prévoir en cas de crise
majeure de ce type, est proprement irresponsable. C'est le cas de ce
texte qui nous est soumis, qui a manqué, parmi d'autres
occasions, celle de remédier à cette lacune actuelle dans
le fonctionnement de l'Union. Si le vote d'une constitution n'est pas
l'occasion de remédier à pareille lacune, qu'est-ce qui
le sera ?
SR: Le dessus nous ne
sommes pas du tout d'accord: de même que je n'admets pas la
justice populaire expéditive, je n'admets pas que les finances
publiques soient l'enjeu de mouvements d'opinion contradictoires par
lesquels chacun désire le beurre et l'argent du beurre au prix
de déficits publics et financiers illimités et une
création monétaires inflationiste
incontrôlée, voire incontrôlable dans le cas
où il y aurait confusion des pouvoirs. Il faut donc un
équilibre et une séparation des pouvoirs entre la
souveraineté populaire et les magistrats chargés des
finances, comme du reste Rousseau le savait déjà (voir
son texte intitulé "économie et politique" sur le site de
Genève, non publié en France (!)) qui condamne la
démocratie directe dans la gestion des affaires publiques
(despotisme dit-il); Comme le dira plus tard Kant, disciple de Rousseau
sur ce point.
Le TCE rend possible un
dialogue des pouvoirs et je ne vois pas la banque européenne
faire longtemps la sourde oreille lorsque la situation l'exige (ex:
baisser les taux d'intérêt lorsque la stagnation menace
l'ensemble de l'économiue et la monnaie elle-même à
terme) . Encore faut-il une volonté politique et des
institutions qui permetten ce dialogue; ce que le TCE rend possible.
Enfin il est fallacieux, voire mystificateur pour la
démocratie, de vouloir faire silence sur les règles du
jeu économique et du marché commun dans ce
traité international (TCE) en supprimant la partie3;
Jacques Bonniot: Il ne s'agit
pas de faire silence mais de ne pas leur conférer valeur
constitutionnelle.
Ces traités existent et
c'est très bien. L'Europe fonctionne. Personne n'a réussi
à expliquer pourquoi il était nécessaire de les
inclure dans la constitution, alors que ces traités se suffisent
fort bien par eux-mêmes, et ne pourront être
modifiés que par d'autres traités ultérieurs.
Jacques Delors lui-même a reconnu qu'il était inutile - et
probablement maladroit - de les insérer dans une constitution
où ils n'ont que faire.
SR: je ne suis pas d'accord
avec Jacques Delors sur ce point (mais je ne l'ai pas lu) , voir
plus haut; Il veut peut-être pacifier le conflit interne au PS en
vue des élections française de 2007 au prix de la rigueur
et de la transparence; mais ce n'est pas le problème: de
nombreux pays ont exigé cette partie3 et je ne les vois pas y
rennoncer. cette constitution est sociale et libérale et son
interprétation est l'enjeu du conflit politique et social
ordinaire; ce qu'a très bien compris la CES
(confédération européenne des syndicats) qui
approuve par 97 voix sur 99 le TCE
règles
qui ont déjà font l'objet d'accords internationaux que le
non, du reste, n'invalideraient en aucun cas, car elles seraient
pérénisées par les traités
antérieurs,
JB: Il n'y aurait donc aucun
chaos, aucun vide juridique, aucune apocalypse
politico-économique en cas de victoire du "non" dans un, 2 ou 3
pays, et toute cette affaire n'est que tempête dans une verre
d'eau et tentative pour faire que des citoyens votent "oui" à un
texte qu'ils désapprouvent.
SR: pas de chaos en effet, mais le traité de Nice qui offre
moins de pouvoir au parlement européens et aux parlements
nartionaux; lequel sera rebricolé sans débat public dans
le cadre de traité internationaux entre gouvernements, comme
cela a été le cas jusqu'ici.
mais
sans la contrepartie des conditions sociales de la section 2 de la
partie3.
JB:Tout cela relève de
traités et peut fort bien être traité par cette
voie. Il est absurde de graver dans le marbre ce qui est par nature
évolutif. Par ailleurs, la 3è partie consacre, il suffit
de la lire, la totale subordination du social à
l'économique (oui à une politique sociale à
condition que...) alors que c'est précisément à ce
déséquilibre qu'il aurait fallu s'attaquer... mais cela
aurait supposé un certain courage politique bien entendu.
SR: Gravé dans le
marbre ni plus, ni moins que les traité internationaux qui
exige l'unanimité, et en ce qui concerne Nice du reste
cette exigence, comme tu le sais, est plus forte que dans le TCE
Il
vaut mieux que chacun sache sur quoi s'est construit le marché
commun;
J
B: Il ne faut pas confondre
l'information et la demande de se prononcer sur un texte. Si demain le
"oui" l'emporte dans tous les pays, on nous dira pendant les 20 ans
à venir : en 2005, les européens ont voté pour une
Europe libérale, alors qu'il est bien évident que le
libéralisme n'est pas un courant majoritaire en Europe, et qu'il
y aura donc eu tromperie. Ne mettons dans la constitution que ce sur
quoi s'accordent tous les citoyens européens de bonne foi,
raisonnables et de bonne volonté, laissant les extrêmes
à leurs lubies - ou leurs démons.
SR: Exact, les
européens ont voté pour une Europe
sociale-libérale car il n'y en a aucune autre plus
démocratique , comme ils ont voté pour les valeurs de la
démocratie en général. Il n'y a pas
d'économie de marché qui ne soit libérale et il n'
a pas d'économie politiquement administée
démocratique possible...Tu en connais la raison: "Tout pouvoir
absolu corrompt absolument" (Hamlet); y compris si le peuple l'exerce
("Le peuple peut devenir tyranique" (Tocqueville)
à
moins de faire voler en éclat l'Europe telle qu'elle existe au
nom d'une europe idéale dont les autres pays et
populations ne veulent pas,
JB: Rien ne volerait en
éclat puisque tous les traités en vigueur
continueraient de s'appliquer, ainsi que tu l'as toi-même
fort opportunément souligné. Ce dont les populations ne
veulent pas... eh bien laissons les urnes s'exprimer pour le
découvrir. On ne peut pas dire que ce texte
déchaîne l'enthousiasme des foules, alors qu'un bon texte
constitutionnel, c'est ma position, devrait entraîner
l'adhésion de tout citoyen raisonnable et responsable.
On est très loin du
compte.
SR: Mais ce sont certains
partisans du non qui désirent faire voler l'Europe dite
""libérale" (tu les connais comme moi) en éclat
c'est à dire tout ce qui a été fait depuis
le Traité de Rome; mais ça marchera moins bien et
moins démocratiquement.
ces
règles du jeu économique font partie des accords
politiques depuis l'origine de la construction européenne; elles
font aussi partie de la constitution française que tu ne sembles
pas bien connaître;
JB: Cette constitution n'est
pas ma Bible, elle est datée, ne refaisons pas les mêmes
erreurs (mais sur le fond je suis en désaccord avec toi : la
constitution de la Vè République a rendu possible des
politiques fort différentes, y compris celle de François
Mitterrand en 1981-83 ; ce ne sont pas des raisons constitutionnelles
qui ont contraint à abandonner cette politique).
SR: ce sera aussi le cas avec
le TCE, si un réel mouvement social européen se
développe ; ce que le TCE rendra tout fait indispensable,
l'interprétation d'une constitution comme de tout texte
dépend du rapport des forces politique et social. Ce sont les
homes qui font l'histoire et pas un texte aussi social soit-il et le
TCE donne des armes et des droits pour développer ces luttes.
le
TCE , de plus, va plus loin que celle-ci dans le domaine social ..
Bref les rapports de forces politiques en Europe ne sont pas favorables
à une révolution anti-libérale mais à une
réforme anti-ultralibérale (ce qui n'est pas du tout la
même chose);
J.B: Peut-être as-tu
raison mais cela n'a aucune espèce de rapport avec une
constitution, je n'aborde donc pas la question.
SR: Si ça a un rapport:
une constitution peut plus ou moins favoriser la lutte politque contre
l'ultra-libéralisme
l'éventuelle
renégociation que tu préconises n'aboutirait qu'à
masquer,
J.B: J. Delors lui-même
a indiqué ce qu'il faudrait faire - ce qu'il suffirait de faire
: supprimer le contenu des traités de Rome, Maastricht; Nice,
etc. qui n'auraient jamais dû être insérés
dans une constitution, et seraient ainsi restés
révisables, comme ils doivent l'être, par un simple accord
unanime des GOUVERNEMENTS de l'Union.
SR: Voir plus haut; de
nombreux pays veulent cette partie3 et à mon sens ils ont
raison; c'st l'histoire meme de l'Europe et sa lutte contre
l'économie totalitaire étatique qui l'exige; voir
l'attitude des nouveaux entrants.
mais
non à changer les règles libérales du jeu
économique pour obtenir les 90% dont tu rêves, or comment
sais-tu et qui te dit que les autres pays et populations en Europe
accepteraient une telle entourloupe?.
J.B: Où est
l'entourloupe ?? Sinon à vouloir inscrire ad vitam aeternam les
dogmes du libéralisme, à la mode en ce moment, dans le
marbre d'une constitution ??
Laissons les traités
existant s'appliquer (où est le mystification ??), et on les
renégociera quand le vent aura tourné, ou quand les
limites des orientations actuelles se seront fait cruellement sentir.
SR: dans le fait que l'on
refuse a peuple de décider des règles du jeu
économique et social , en se contentant de grands principes
politiques et juridiques sans substance et qui ne mangent pas de pain...
Bonjour
la transparence en tout cas...
J.B: Eh bien oui, la
transparence, ce serait ça : ne mettre dans une constitution que
ce qui a une portée constitutionnelle, non la cuisine interne et
les recettes provisoires du fonctionnement d'une Union en plein
devenir, en pleine évolution. Pourquoi Delors a-t-il dit,
à ton avis, que l'on aurait mieux fait de s'abstenir ? Parce
qu'il veut "entourlouper", ou bien parce qu'il a compris que cela
n'allait pas passer - après tout...
SR: ce qui a une portée
constitutionnelle dans un accord entre les états du
marché commun c'est aussi les règles du jeu de ce
marché; pour moi cela va de soi.
Le
libéralisme économique est dans toutes les constitutions
des pays européens et si la France veut faire sa
révolution bolchevique dans son coin,
J.B: Tu as lu ça dans ce que
j'écris ?? Simplement, je ne crois pas à la fin de
l'histoire, ni au
fait que le système libéral soit l'unique, seul
système possible pour
les siècles des siècles.
S. R. elle pourra le faire
seule sans ou hors de l'Europe, comme si le
oui l'emporte, le TCE lui en donne le droit (au contraire des
traités
antérieurs).
J.B. : Tu es mieux place que quiconque pour savoir comment j'ai
combattu - avec mes modestes moyens - le bolchévisme alors qu'il
existait encore. Je refuse simplement de donner dans le panneau d'un
nouveau dogmatisme et d'un nouveau "sens de l'histoire". Je reste un
athée en politique.
SR:
Tu n'es pas maître de ceux qui
vont essayer d'utliser ton non. On ne peut être athée sur
la question
de savoir si on est libéral et démocrate ou totalitaire.
Le débat et
la lutte sont entre l'ultra-libéralisme dictatorial et le
libéralisme
social; il n'y a pas d'autre alternative démocratique possible.
elle
pourra le faire seule
sans ou hors de l'Europe, comme si le oui l'emporte, le TCE lui en
donne le droit (au contraire des traités antérieurs).
J.B: Mais que vient faire la
France là dedans ? La question est de savoir quelle Union
Européenne nous voulons, si c'est celle qui est définie
dans la troisième partie du traité qui nous est soumis ou
pas. Il n'est pas question d'en sortir mais de savoir et de faire
savoir de quelle Europe nous voulons. Je veux pour ma part d'une Europe
démocratique, où la souveraineté populaire ait son
mot à dire en dernier ressort, et qui ne choisisse pas une fois
pour toutes sa politique économique, mais garde les mains libres
pour s'adapter aux défis de demain que nous ne concevons sans
doute pas encore.
SR: Si un pays (ex: La
France) veut faire une révolution anti-libérale, il
sort nécessairement de l'Union européenne; c'est
constitutionnel...
Vote non et si le non l'emporte tu verras
1) Les règles du jeu économique continuer comme avant,
sans contrepartie sociale
2) les décisions faire l'objet d'accords internationaux
qui ne seront politiquement et démocratiquement
contrôlées catr soumis au suffrage d'aucun
représentant (plus de pouvoir de codécision du parlement
eurpéen et de consultation et de contestation des parlements
nationaux
3) La fin de la procédure du référendum en
France (et ailleurs)
J.B: C'est inexact. Tout pays
sera obligé de repasser par le mode de scrutin pour lequel il a
opté. Autrement dit, les pays qui ont eu le courage - ou
l'inconscience - de recourir à la voie
référendaire devront à nouveau emprunter cette
voie.
SR: non, selon la constitution
française, le président de la république en France
reste maître de la procédure; il s'agira d'une autre
ratification éventuelle et il peut très bien passer par
le congrès seul.
Selon moi, ce ne sera pas un progrès de la
démocratie; à moins d'une révolution
social-nationaliste très improbable et que nous ne souhaitons
pas pour la démocratie, le progrès de la
démocratie en Europe passe par le TCE.
J.B: Laissons les peuples en
décider. Pour moi il y aura progrès pour la
démocratie si
- un ou plusieurs peuples
s'étant exprimés, les rédacteurs du texte sont
contraints de revoir leur copie.
- le président de la
Banque centrale est responsable, en dernier ressort, devant la
représentation des peuples de l'Union dans le Parlement
européen.
- si la souveraineté
des peuples de l'Union de demain n'est pas hypothéquée
par des décisions prises une fois pour toutes alors qu'elles ne
relèvent ni des grands principes et des grands objectifs que je
partage totalement (partie I : je vois mal comment nous pourrions, dans
10 ou 20 ans, nous dire que nous avons eu tort d'approuver ces
principes : interdiction de la torture et de la peine de mort,
égalité complète de l'homme et de la femme, etc.)
; ni de l'architecture des institutions de l'Union Européenne
telles qu'elles sont décrites dans la 2è partie.
SR: Voir plus haut. Le
parlement européen n'est pas dans le TCE le seul pouvoir
législatif; il y aussi le conseil européen et c'est
logique : il s'agit d'un traité international (ce que tu minores
sans cesse me semble-t-il) ...
La crise salutaire brutale est une illusion
J.B: Je n e souhaite pas
spécialement de crise. Je souhaite qu'on dise non à une
tentative de coup de force. Il n'y aura de crise que si les classes
politiques européennes ne se montrent pas à la hauteur et
ne tirent pas les conséquences d'un éventuel "non" au
texte constitutionnel dans les conditions qu'ils ont eux-mêmes
définies, pour reproposer rapidement un texte
épuré qui pourrait très facilement entraîner
l'adhésion d'une très large majorité des citoyens
européens (ceux qui souhaitent plus et ceux qui souhaitent moins
de social, ce conflit, qui ne disparaîtra pas, ne se jouant
désormais plus sur le terrain constitutionnel mais sur celui de
l'action politique, qui aurait toujours dû rester le sien.)
H. Arendt oppose le moment
où l'on ouvre l'espace politique, où l'on crée
l'espace où des actions politiques pourront être
posées, et le moment où, à l'intérieur de
cet espace, les combats et les actions politiques se déroulent
normalement.
Ce sont ces 2 niveaux que le
texte qui nous est soumis pour approbation confond allègrement -
et de manière inquiétante à mon sens.
SR: non car les deux
interprétations, sociale-libérale et
ultra-libérale, sont possibles; la preuce le débat
aujourd'hui entre les NON de gauche et les OUI de gauche. La
constitution ne tranche pas et n'a pas à le faire.
dès
lors qu'un mouvement politique européen suffisament
organisé pour tout changer, sans même savoir ce que l'on
veut changer, n'existe ;
J.B: Cela relève de
l'activité et du combat politiques, non de l'acte d'institution,
d'inauguration que constitue la "constitutio libertatis", la
constitution de la liberté
SR: justement tout
dépend ensuite de la politique et de l'interprétation de
la constitution qu'elle imposera.
Une constitution n'est qu'un cadre régulateur
nécessairement ouvert, l'essentiel est ce qu'on en fait ensuite.
Le TCE est ouvert entre le social-libéralisme (dont il s'inspire
explicitement) et l'ultra-libéralisme que cetains
voudraient voir s'élargir. On a tort de vouloir une constitution
idéologiquement monocolore (la charte des Nations Unies
l'est encore moins); ce que n'est pas le TCE et c'est tant mieux pour
la vie politique.
il
n' y donc pas d'autres alternatives crédibles au TCE que le
traité de Nice plus ou moins rebricolé ou que le retour
au souverainisme étatique de droite et d'extrème droite..
J.B: Le combat politique
continuera après le 29 mai, Rome ne s'est pas faite en un jour,
ne mettons pas dans un même texte tout et n'importe quoi, ce qui
est la condition même d'une vie commune au sein d'un même
espace politique et les objectifs partisans d'une fraction de la
population et de la classe politique européenne.
SR: je ne dis par autre chose
et j'ajoute que ce combat est déjà inscrit dans la TCE
pour qui le lit dans ses "contrariétés"(qui ne sont pas
des incohérences logiques) . En cela il donne de nouvelles armes
politiques pour faire bouger les choses, si l'on veut penser qu'aucune
constitution ne peut garantir une politique sociale, car seule la lutte
paie.
Amicalement,
Jacques Bonniot.
Amicalement,
Sylvain Reboul
Bilan du non au
référendum
Jacques Bonniot
Le peuple
français a rejeté hier par 54 % des suffrages
exprimés le
Traité Constitutionnel Européen qui lui était
soumis pour ratification.
Je voudrais dire que j'ai eu
honte hier soir de voir tant de ministres
ou d'anciens ministres afficher aussi clairement leur morgue et leur
dédain, leur dépit, leur incapacité à
comprendre que le peuple s'est
exprimé et leur a dit NON.
Souverain mépris pour
le peuple souverain.
Honte pour ces deux ministres
(dont Borloo) qui ont tous deux coupés
la parole à Stéphane Pocrain (Verts/Non), ne le laissant
jamais finir
ses phrases ni poser ses questions, dès qu'ils comprenaient
qu'elles
leur étaient hostiles, et surtout qu'il leur serait fort
difficile d'y
répondre. Alors que le discours de celui-ci était
mesuré, construit,
cohérent, élaboré, intéressant, qu'on le
partage ou non.
Le NON de dimanche ne
résout, bien évidemment, rien.
L'Europe reste sans
constitution (je le déplore vivement), du moins
n'en n'a-t-elle pas ratifié une mauvaise, et si les dispositions
des
traités de Rome et de Nice restent en vigueur, au moins
n'ont-elles
pas acquis une portée constitutionnelle usurpée, et
restent-elles
révisables par d'autres sommets et d'autres traités, ceci
relevant du
"jeu" ou du "combat" politique selon la métaphore que l'on
préférera
employer, il n'aurait à mes yeux jamais dû être
question de leur
conférer un autre statut. Certains ont voulu "verrouiller" les
choses
et inscrire dans la Constitution ce qui figure dans les traités
actuels et dans le programme partisans de certains courants
politiques, cette tentative a été déjouée.
A mes yeux,
l'événement politique d'hier ne pourra devenir un fait
positif pour l'Europe que s'il permet de distinguer enfin les 2
niveaux : la construction de la maison commune qui doit contenir tout
ce qui nous rassemble tous, 25 pays de l'Union, et qui est
considérable, et d'autre part le jeu politique normal où
il est
naturel que s'affrontent idées, courants de pensées,
opinions
politiques, intérêts conflictuels.
Le "péché
originel" de ce traité constitutionnel d'hier était de
confondre allègrement les 2 niveaux.
Emmanuel Kant ironisait sur la
maison qui avait été construite avec
tant d'adresse avec un si bon architecte par un spécialiste de
l'équilibre que tout s'écroula quand un petit oiseau vint
se poser sur
le toit. Le TCE contenait à l'évidence foultitude
d'articles qui
étaient le fruit d'un savant dosage et d'habiles compromis,
points
d'équilibre entre tant de forces politiques que ces points
d'équilibres auraient à l'évidence
été différents 6 mois plus tôt ou 6
mois plus tard.
Je suis désolé,
on ne fait pas une constitution avec cela, de cette
manière, ni pour les 6 prochains mois. Ne devrait figurer dans
une
Constitution Européenne digne de ce nom et que j'appelle de mes
voeux
que ce qui nous permet de vivre ensemble, ce qui nous unit durablement
et profondément. A mon sens, la quasi totalité des
parties 1, 2, et 4.
Que l'on vienne me dire que
tout cela ne constitue qu'une coquille
vide et est dépourvu de substance, mais je n'en crois rien et
à mes
yeux tout le reste relève du combat politique légitime -
mais non pas
transposé sur le terrain constitutionnel.
Hier, le petit oiseau est venu
se poser sur le toit. Cela ferait un
beau dessin de Plantu.
Quelques mots sur les
chiffres, puisque je les vois débattus. Le "Non"
de gauche n'aurait pas suffi à rendre le non majoritaire en
France,
mais le non est majoritaire à gauche. Le non est majoritaire au
parti
socialiste (56%) plus nettement encore que dans l'ensemble de la
population (54 %). Il s'agit là de données politiques
dont il faudra
prendre la mesure.
Enfin, une remarque que nul
n'a faite à ma connaissance.
Beaucoup de français se
sont certes prononcés sur autre chose que le
traité, ou ne l'ont pas lu. Nous serons tous d'accord pour le
déplorer
je pense, mais c'est aussi cela la politique : faire avec et tenir
compte de ces faits-là. (Un bilan rapide de Chirac : 1er mandat
la
dissolution ; 2è mandat : il devient le premier président
français de la 5ème République à
parvenir à planter un référendum sur l'Europe.
Passons...)
Voici où je voulais en
venir :
De très nombreux
français ont voté "oui" à un texte qu'ils
désapprouvaient, ou désapprouvaient en partie, ou
trouvaient bancal,
insuffisant, déséquilibré, etc.) Une très
large partie de la campagne
pour le "oui" a été consacrée à convaincre
ces électeurs-là, à leur
donner toutes les bonnes raisons de voter "oui" à un texte
auquel ils
n'adhéraient pas (je ne reviens pas sur ces raisons, pas de
choix, pas
de plan B, les autres pays ne comprendraient pas, etc.) Valeureux sont
ceux qui ont résisté.
AUCUN français n'a
voté "NON" à un texte qu'il approuvait.
Un élément de
réflexion important à mon sens quand on le met en
rapport avec le résultat très net du
référendum : 54 % de NON.
Cela pouvait-il être un
"bon" texte, un texte fédérateur (je souhaite
ardemment une Europe fédérale), fondateur, une
"constitutio
libertatis", une Constitution fondatrice de la liberté (au sens
d'Hannah Arendt) ? Une fois le vote passé, chacun est libre de
lâcher
la bride à son esprit critique et de DOUTER.
Je voudrais terminer d'une
simple phrase sur mon humeur : tristesse,
j'aurais TELLEMENT voulu pouvoir voter oui aux deux premières
parties
de ce traité. Un rendez-vous manqué, à plusieurs
titres et de
plusieurs manières.
Sylvain Reboul
Je ne suis évidemment
pas d'accord avec ton bilan, car, une fois de plus, il ne s'interroge
pas sur et n'interroge en rien les effets du non français dans
les autres pays d'Europe et rien n'est dit sur les rapports de
forces politiques en Europe et dans le monde. Tu dis même, me
semble-t-il, qu'il serait méprisable de s'en soucier,
comme si les français devaient décider, y compris des
autres, seulement pour eux-même. Encore une fois tu confonds et
tu fétichises au passage une constitution fondatrice d'un
état-nation du XIXème siécle et un traité
international à valeur constitutionnelle d'alliance entre
plusieurs états différents et ta référence
à Kant sur ce point est l'expression même de cette erreur
historique: c'est au "Traité de paix perpétuelle" de Kant
(très réaliste dans ses ambitions) qu'il faut penser et
à rien d'autre. Mais ce désaccord entre nous est aussi
philosophique: tu penses une constitution en terme métaphysique
comme l'acte fondateur d'une nation européenne fusionelle;
or je ne crois pas (plus) aux idées de peuple européen ,
de volonté générale et de constitution
fondatrice. L'Europe est faite de sa diversité et le TCE en est
l'expression sous forme d'un conpromis qui met en forme des
règles du jeu révisables dans le but de solidariser cette
diversité sans le faire disparaître. Ces révisions
doivent nécessairement recevoir l'accord des joueurs pour
être valides soit sous la forme de l'unanimité soit sous
celles de la majorité qualifiée et ce n'est pas un seul
pays mais tous qui doivent en décider, sauf à se mettre
hors jeu. Ainsi le nationalisme identitaire exclusif en Europe a fait
son temps, il ne peut survivre que sous les faces grimaçantes
conjointes souverainiste ou social-nationaliste de l'ennemi (arabe ou
plombier polonais ou islamiste turc ou prostituée Bulgare)
opposé à l'ami français ou blanc ou
européen occidental dont l'identité devrait être
proclamée et sanctifiée .
La nation n'est plus
porteuse aujourd'hui, à droite comme à gauche , d'un
projet internationaliste cohérent et la peur du dumping social
cache mal le mépris par beaucoup de français modestes qui
ont voté non par colère (en partie justifiée) de
l'ouvrier polonais qui, selon eux, accepterait indéfiniment et
sans resistance les salaires qu'il reçoit aujourd'hui (comment
être de gauche et penser cela?).
Ainsi les résultats électoraux du
référendum ne délivrent leur sens politique
(droite ou gauche) que par le coté réaliste et positif
qu'ils manifestent et non par leur coté négatif, ni non
plus par les étiquettes politiques affichées. La victoire
du non ne fait pas une ambition et encore moins un projet
politiques pragmatiquement consistants, il ne s'agit de rien d'autre
que de ressentiment. Elle met l'Europe politique et sociale en
panne pour un temps certain (et pourtant le temps presse) , à la
grande joie des néo-conservateurs US .
Enfin, la question du type d'économie qui font l'accord entre
nos pays est aussi une question politique décisive pour un
traité et un marché unique internationaux; on ne peut
donc l'évacuer comme inutile à un tel traité, si
tu ne peux comprendre cela, c'est, à mon avis, que tu
restes attaché à une conception prémoderne (au
sens de B. Constant), proprement communautaire, de la
politique (cf aussi tes références à H.
Arendt qui a toujours révé d'une communauté
politique idéale unifiée et unifiante, sans
problématisation suffisante
de l'économie
qu'elle ne veut pas considérer comme une dimension très
importante de la vie politique et/ou dont elle conteste
l'importance qu'elle a prise dans les sociétés modernes)
Amicalement , Sylvain