Philosophie et croyances:

A-t-on le droit de croire n’importe quoi ?

Introduction:

Croire c'est non seulement adhérer  à une idée, mais se fier à elle pour agir. Les motifs de cette adhésion peuvent être plus ou moins rationnels (connaissance et technique) ou raisonnables (action éthique et politique), mais ils ne sont jamais tels que nous pouvons les considérer sans examen préalable comme objectivement vrais ; la question de savoir si le Vrai et le Bien en soi peuvent être pensés ne change rien à la définition de la croyance: s'ils ne sont que des idéaux inaccessibles, alors le domaine de la croyance s'étend à toutes les idées possibles, y compris les domaines de la philosophie et des sciences. Ce qui ne nous autorise pas à considérer a priori que toutes les croyances se valent

Car si toutes nos idées sont des croyances, cela signifie-t-il, en effet,  que toutes se valent et doivent être autorisées, et si non, faut-il interdire celles qui paraissent en contradiction avec les idées que l’on se fait du vrai ou le bien (opinion), afin de faire échec à l'illusion et au mal? Dans le premier cas, on risque de ne plus distinguer entre les croyances dangereuses pour les personnes et les biens (ex: la croyance raciste) et les croyances bénéfiques (ex: la croyance à la liberté universelle) et de permettre aux premières de se développer aux dépens des secondes; dans le second on risque de récuser au nom du bien et du vrai la liberté de pensée et la libre discussion des idées qui sont les conditions de possibilité de la justice démocratique (fondée sur l'expression du libre choix des citoyens quant à la définition de la loi commune), ainsi que du progrès des sciences dans la production de la vérité.

Si l'on admet que certaines croyances menacent l'ordre public et la paix civile, ainsi que le progrès des sciences (ex: certaines positions religieuses "intégristes"), ne conviendrait-il pas de les combattre jusqu'à ne pas tolérer qu'elles puissent s'exprimer publiquement? Le principe démocratique de la tolérance est-il absolu (inconditionnel et sans limites) ou relatif (dans le cadre du droit)? C'est à la philosophie du droit d'examiner cette question.

Or elle distingue le droit moral et le droit juridique;
- le premier relève de l'obligation que chacun s'impose librement de suivre des règles de conduite dans le souci d'une nécessaire solidarité et du respect de soi et des autres; en cela il oblige chacun à résister à ses impulsions violentes ou purement égoïstes et à combattre, d'abord en lui même, les croyances irrationnelles qu'elles produisent et qui les expriment;
- le droit juridique permet à l'état de contraindre et d'imposer, par la menace, le respect des interdits indispensables à la préservation de l'ordre public et de la justice dans les relations entre les individus.
Dans ces conditions, les limites de la tolérance, si elle apparaissent nécessaires, sont-elles de la compétence de l'état et du droit juridique ou relèvent-elles strictement de la conscience individuelle? Faut-il s'interdire, soi-même, de croire n'importe quoi, ou faut-il accorder à l'état le droit de légiférer dans un domaine ou la liberté individuelle de pensée est en cause?

Pour répondre à la question de savoir si les hommes doivent avoir ou non le droit, et lequel, de croire n'importe quoi, laquelle a pour enjeu la pratique de la tolérance, il convient, d'abord, d'analyser la croyance, ses différents types et leurs motivations, et de nous poser ensuite la question de l'existence et de la valeur des critères d'évaluation des croyances.
 

1- Des différents types de croyances

 3 types de croyances peuvent être distingués: les croyances réalistes (jugements de réalité), les croyances prescriptives (valeurs éthiques) et les croyances mixtes ou ambiguës (jugements de valeur concernant la réalité, croyances religieuses et/ou philosophiques etc...).

 1-1 Les croyances "réalistes".

Les croyances réalistes prétendent rendre compte des faits, de leur déroulement, soit en les décrivant, soit en les expliquant. Ces faits relèvent de l'expérience réelle ou possible; ils peuvent être passés, actuels ou futurs, voire imaginés; mais il convient alors de le préciser en montrant qu'ils sont au moins logiquement possibles. La valeur de référence des croyances réalistes est la vérité ou la vraisemblance. Dans les deux cas, la concordance réelle ou possible entre la pensée et les faits est exigée.
Les simples descriptions ne font que rapporter les faits particuliers dans leur contexte spatio-temporel. L'expérience sensible ou scientifique réelle ou possible est nécessairement invoquée, sinon explicitement évoquée. Cette description renvoie toujours à un certain point de vue qui peut être discuté ou critiqué selon un autre point de vue; c'est dire qu'il n'y a pas de description "neutre": chacune se réfère à des critères de choix qui, eux-mêmes, font intervenir, consciemment ou non, des hypothèses interprétatives, ne serait-ce que pour distinguer ce qui est significatif et important dans les faits ou ce qui est secondaire, et qui peut être négligé.
Les explications tentent de relier les faits selon des lois générales de cause à effet, plus ou moins logiquement construites. Cette explication autorise la prévision, plus ou moins probable, selon le principe du déterminisme qui affirme la reproductibilité de l'enchaînement des faits dans des conditions semblables. C'est ce principe qui permet de soumettre la théorie à l'épreuve de l'expérience renouvelable Mais apparait ici un problème; la prévision dépend de la valeur de la théorie générale de référence; or cette valeur, en droit, ne peut jamais être entièrement prouvée par des expériences particulières. La contradiction entre la théorie générale et l'expérience, toujours particulière, rend donc la question de la vérité ou de la vraisemblance nécessairement problématique.
Ainsi, description et explication ne peuvent pas, en pratique, être totalement indépendantes; les deux démarches sont indispensables et leur confrontation incessante permet seule de répondre au besoin de prévoir l'avenir qu'exige la réussite de nos actions. La vérité est une nécessité technique: de la qualité de nos théories prévisionnelles dépend la réussite ou l'échec, et dans de nombreux cas, la vie ou la mort, la santé ou la maladie, le plaisir ou la douleur.

Si la vérité concerne notre pouvoir d'action, elle ne concerne pas la détermination de la valeur des fins de nos actions: la vérité se rapporte à ce qui est et peut être et l'éthique à ce qui doit être considéré comme bon. Personne ne doit confondre ce qui est souhaitable, du point de vue du bonheur personnel et du bien vivre ensemble, et ce qui est réel ou possible: le possible ou le réel ne sont pas forcément souhaitables et le souhaitable n'est pas nécessairement réel ou possible; même s'il faut s'efforcer, pour ne pas échouer lamentablement, de définir un compromis entre le souhaitable et le réellement possible, ce compromis suppose que l'on distingue rigoureusement le vrai et le bien. La question du bien relève de la croyance prescriptive.

 1-2 Les croyances prescriptives.

Les croyances prescriptives concernent le domaines des valeurs éthiques et politiques; elles définissent les règles les devoirs les impératifs de l'action bonne et/ou juste. Une prescription.est soit égoïste soit altruiste, soit les deux; "Il faut se battre pour réussir et l'emporter sur l'adversaire!" est un impératif égocentrique; "Il faut aimer et se dévouer aux autres!" est un devoir altruiste; "Il faut aimer les autres pour être aimé et s'aimer soi-même!" est un impératif égo-altruiste. On voit par là que les valeurs sont contradictoires: la liberté et la égalité ne font pas nécessairement bon ménage; ainsi que le bonheur personnel avec la justice, et la liberté avec la sécurité etc...
Le choix et/ou les compromis entre ces impératifs sont difficilement justifiables et deviennent l'objet de controverses infinies, comme on le voit dans la vie politique. Si l'on peut reconnaitre une contradiction dans une conception purement égoïste du bonheur et du bien, si l'extrème violence indifférenciée est un mal pour tous, la question de savoir où commence et où se termine l'égoïsme légitime, au regard des exigences de la liberté et de la solidarité, semble indécidable. Ainsi les croyances, et les convictions prescriptives sont largement arbitraires et dépendent des choix culturels et individuels, ainsi que des jeux des désirs: on ne désire pas une chose parce qu'elle est bonne, mais on la juge bonne parce qu'on la désire.
Or une société a besoin de valeurs communes pour constituer le lien social et réguler les jeu des désirs contradictoires, d'où la tentation de fonder les croyances prescriptives sur des croyances réalistes apparentes ou révélées ou, sur le plan philosophique, de présenter les impératifs éthiques comme des vérités rationnelles et nécessaires auquelles il faudrait se soumettre librement (La liberté comme obéissance à la Raison). Il nous faut dons étudier ces croyances mixtes ou ambiguës;

 1-3 Les croyances mixtes.

3 types de croyances mixtes doivent être distinguées: les jugements de valeurs portant sur des choses, actions ou personnes concrètes réelles ou possibles; ex: cet homme est bon, cette action est juste, l'argent fait le bonheur etc...;les croyances religieuses; et les convictions philosophiques.

1-3-1 Les jugements de valeur.
Les jugements de valeur "appliquent" des croyances préscriptives à des réalités réelles ou possible; ils affirment que telle chose a telle valeur, bonne ou mauvaise. Ex: tel homme est criminel parce qu'il a commis un acte interdit par la loi; il y a dans ce jugement au moins trois affirmations de nature différente: l'une qui impute l'acte concerné à la personne, l'autre qui affirme l'existence positive de la loi interdisant cet acte et enfin la valeur éthique ou morale de ladite loi; c'est elle qui, en dernier ressort, permet de statuer sur la valeur de l'acte et de justifier le jugement de valeur en question: qui, en effet, traiterait, aujourd'hui, les actes de résistance contre l'oppression nazie de criminels, bien qu'ils aient été illégaux, voire sanglants?
Ainsi ce mélange de croyances et/ou de savoirs est subordonné à une croyance prescriptive dont le choix peut toujours apparaitre arbitraire comme nous l'avons montré plus haut.
Or la pratique du jugement de valeur consiste bien souvent à nier cet arbitraire en spéculant sur l'opinion majoritaire, voire unanime, que la loi est évidemment légitime; ce qui est un pur et simple tour de passe-passe conceptuel: une loi peut, en effet, être considérée comme criminelle, comme on le voit à propos de la "libéralisation de l'avortement", et l'opinion, majoritaire ou unanime, est et reste contestable. Toute la ruse du jugement de valeur est donc de présenter l'homme comme objectivement criminel, et non pas de dire qu'il ne l'est que parce que nous le jugeons subjectivement tel (quelqu'en soient les motifs et les raisons).
 Cette confusion est à son comble lorsque nous avons affaire à des croyances religieuses, comme nous allons maintenant le montrer.

1-3-2 Les croyances religieuses.
Les croyances religieuses prétendent, sans preuves rationnelles, voire à l'encontre de la raison (révélation mystique), affirmer la valeur réelle des valeurs éthiques, au nom de l'existence réelle et de la puissance et bonté réelles et indiscutables (sacrées) du divin: Dieu ordonne le bien, les hommes, les croyants doivent s'y soumettre sans conditions, sous peine de sanctions hyper-violentes et par nature irrésistibles, ici-bas ou après la mort. En spéculant sur la faiblesse des hommes, leur angoisse de la mort et leur désir d'immortalité (le salut), la religion les persuade collectivement d'accepter volontairement de croire et d'agir aveuglément selon la loi divine, confondue avec la loi de la communauté, et, partant, présentée comme fondatrice du lien social et de la légitimité de la loi civile. Les prescriptions divines apparaissent aussi réelles que l'existence de Dieu; ce qui faisait dire à Descartes que sans religion, il n'existerait quasiment plus de morale commune. La religion apparaît bien comme un ensemble de croyances prescriptives qui, parce qu'elles sont présentées comme réellement fondées dans la réalité absolue de Dieu, interdisent toute possibilité de pensée critique à leur égard. Elle sert à confondent le bien et le vrai; et encore, pas n'importe quelle vérité: celle qui, par définition, ne se discute pas!
Mais cette sacralisation des valeurs ne suffit pas, dans les moments de crise ou de conflit à préserver le lien social, au contraire; il n'existe pas une seule religion ni une seule interprétation possible d'une religion, et pour cause: un contenu de foi n'est pas, en tant qu'irrationnel, universalisable; les divisions éthiques humaines, dès lors qu'elles s'expriment sous la forme d'affrontements religieux deviennent insurmontables: l'absolu interdit le relatif et donc le compromis. Le fanatisme, conséquence de l'illusion délirante, c'est à dire irrationnelle, qui consiste à croire dans l'existence réelle de l'Absolu, , n'est pas une maladie de la religion; il est la religion en tant que maladie sociale et personnelle de l'esprit qui renonce à sa puissance critique et s'aliène à une transcendance imaginaire, faussement "réaliste", plus ou moins socialement contrôlée.
C'est pourquoi la philosophie, au nom de la raison, a tenté de se substituer à la religion pour "démontrer" l'universalité indiscutable des croyances prescriptives, ou tout au moins de certaines d'entre elles.

1-3-3 Les croyances philosophiques.
La philosophie n'est ni une science expérimentale, ni une science formelle; elle ne peut donc prétendre produire un savoir positif ou purement logique: elle relève donc bien, dans ses présupposés comme dans ses objets; de la croyance. Elle se distingue toutefois des autres formes de la croyance par sa démarche: elle se veut critique et rationnelle, et à ce titre prétend définir les fondements rationnels et les conditions authentiques de possibilité du Vrai, du Bien, voire du Beau. Cette visée des valeurs fondamentales de l'existence humaine fait donc de la philosophie un mode de production de croyances prédictives; Philosopher ce n'est rien d'autre que se mettre à la recherche d'un sens rationnel universellement compréhensible de la vie et des conditions du Bien-Vivre. Mais parce que ces croyances rationnelles, ou mieux rationalisées, ne peuvent échapper, dans leur objet même, à la subjectivité qui seule, an bout du compte, est susceptible de décider du mieux vivre, les philosophies sont nécessairement plurielles. En philosophie la pluralité contradictoire des positions subjectives s'exprime sous la forme d'axiomatiques logiquement possibles, mais plus ou moins exclusives, de la subjectivité, et produit leur universalisation intellectuelle; et partant, celle-ci rend possible, voire nécessaire, un dialogue susceptible de déboucher, non sur un accord unanime, mais sur la prise de conscience des raisons et de la légitimité des désaccords: des compromis entre les désirs et les intérêts reconnus comme légitimement contradictoires,, s'ils sont possibles et voulus, peuvent alors être négociés.
Or, beaucoup, sinon la plupart, des philosophies particulières, se réclame de l'idée de vérité unique, voire absolue; elles prétendent, chacune, définir le vrai sens de la vie, le vrai bien, la vérité vraie etc...Elles se veulent des croyances réalistes et non pas seulement prescriptives. Elles tentent pour cela d'assimiler toutes les valeurs à la valeur de Vérité; les distinction entre elles, fondées rationnellement et universellement, ne seraient que l'expression plurielle, diversifiée, d'une même croyance fondamentale: la croyance dans la Raison en tant que Vérité auto-fondée et auto-fondatrice d'elle-même . Ce substitut philosophique au divin conduit les philosophes à construire des propositions cognitives, éthiques, politiques et esthétiques qui prétendent trouver leur fondement:
- soit dans l'Être rationnel, tel qu'il est vraiment: le cosmos, les lois de la nature en général et/ou de la nature humaine en particulier; être dont la tâche de la philosophie est de déployer la logique essentielle (idéaliste ou matérialiste, fixiste ou dialectique et évolutive, etc...);
- soit dans un pur formalisme abstrait imposant des impératifs catégoriques à la volonté purement raisonnable, au même titre que la logique pure à la connaissance, sur la seule considération du principe de la non-contradiction.
Dans les deux cas, la philosophie tente de soustraire l'éthique à l'arbitraire du désir et de la subjectivité; mais, ce faisant, elle propose, soit une conception du bonheur sans désirs sensibles et égocentriques, dans l'ataraxie et la sérénité de l'universel raisonnable, soit elle exclue la question du bonheur hors du champs de la philosophie, réduisant celle-ci à n'être qu'une propédeutique auto-castatrice du pur devoir, de la négation du corps et de la sensibilité soi-disant séparés de l'âme raisonnable et du sacrifice de soi; tout cela confondu avec la "vraie" liberté.

S'il est donc théoriquement possible de distinguer les croyances quant à leur nature, on voit que, pratiquement, beaucoup, sinon la totalité, se présentent confusément masquées. On peut donc se demander s'il est possible de les évaluer et selon quels critères universellement fiables. Toutes les croyances se valent-elles? Si oui pourquoi, sinon comment les juger?

                                        ____________________________________________

 
2) De l'évaluation des croyances
 
 

La position du philosophe sceptique Sextus Empiricus est à la fois juste et paradoxale:

- juste, car elle affirme qu'il n'y a pas de vérité rationnelle absolue possible;
- paradoxale, car en prétendant qu'aucune croyance ne peut en valoir une autre, elle affirme cette position comme une croyance supérieure.

Si on ne peut vivre et penser sans croire dans la justesse, l'authenticité, la vérité de certaine idées, bref sans choisir entre les bonnes et les mauvaises croyances, est-il possible d'évaluer les croyances, en l'absence de tout critère de valeur absolu rationnellement indubitable? Le choix est-il voué à l'arbitraire de la subjectivité? Reprenons notre analyse des différents types de croyances pour nous prononcer cas par cas.
 

 2-1 Les croyances réalistes et la vérité scientifique.
 

Les croyances réalistes, semble-t-il, se prouvent par l'expérience et la logique; précisons que la logique seule n'est pas suffisante, mais seulement nécessaire: une théorie peut être cohérente en elle-même mais en contradiction avec les faits qu'elle prétend expliquer ou prévoir, en revanche une théorie contradictoire ne peut jamais être vérifiable ou réfutable expérimentalement: elle n'autorise, en effet, la déduction d'aucune prévision univoque testable. C'est donc l'expérience qui, en dernier ressort, peut servir de critère de la vérité.
Mais l'expérience sensible est forcément qualitative, subjective et instable, il faut donc lui substituer l'expérience scientifique; celle-ci, en effet, est quantifiable, instrumentale et reproductible, donc universalisable et objectivable. Dans ces conditions, l'expérience scientifique est à la fois dépendante de la théorie, car elle est induite par elle dans ses conditions de possibilités et sa définition présuppose toujours une ou des hypothèses générales, et autonome, car ses résultats sont mesurés selon des procédures et des instruments distincts de la théorie et des hypothèses génératrices. La confrontation entre les deux lignes de résultats, les résultats logiquement calculés selon la théorie, et les résultats mesurés par des instruments objectifs, permet de décider de la valeur de la théorie. Quelle valeur? Non pas la vérité absolue car aucune expérience particulière ne peut valider une hypothèse générale et que d'une hypothèse fausse on peut logiquement déduire une conséquence « réalistement » vraie (en cela les sceptiques ont raison); mais de sa valeur relative, en concurrence avec d'autres théories au domaine d'application semblable. En droit plusieurs théories peuvent être explicatives d'un même ensemble de phénomènes expérimentaux. Dans ce cas, le choix est affaire de commodité dans les calculs et d'élégance logique, jusqu'au moment ou des tests nouveaux feront la différence. Mais si cette autonomie (et non pas indépendance) de l'expérience par rapport à la théorie vaut pour les sciences de la nature, elle ne semble pas être possible dans les sciences humaines pour deux raisons:
- Il n'y a pas d'expérimentation objective des comportements humains, dans les conditions stables de laboratoire; ceux-ci font intervenir des valeurs subjectives, plus ou moins conscientes et leur sens vécu par des sujets, en droit et en fait, différents. Aucune expérience sur l'homme n'est universalisable, si ce n'est des expériences en aveugle portant sur le fonctionnement purement physiologique, si cela à un sens, de son organisme, en excluant par conséquent les comportements psychologique ou sociaux, c'est à dire les comportement spécifiquement humains. L'homme n'est et ne peut pas être un pur objet d'expérience; aucun test objectivement pertinent ne peut donc, sinon valider, du moins invalider une théorie dans les sciences humaines car elles sont, de par la nature de leurs "objets", imprédictibles;
- les théories dans les sciences humaines modifient les comportements humains; lorsqu'elles prétendent faire des prévisions, elles réalisent, dans la conscience des hommes, les conditions de leur réalisation. Comment distinguer, sur des critères cliniques, la valeur de la croyance dans la psychanalyse par rapport à la valeur de telle ou telle interprétation religieuse? La guérison n'est-elle pas conditionnée par la croyance que les sujets leurs vouent?
Ainsi les chiffres et les données, dans les sciences "humaines" sont toujours réinterprétables et manipulables, à volonté.
Nous sommes donc réduits à juger les propositions des sciences humaines à leurs fruits; c'est à dire à leurs effets sur les comportements humains: sont-ils bons ou mauvais, du point de vue de quelles valeurs? Les sciences "humaines" sont donc nécessairement des savoirs éthiques: les questions qu'elles posent, les méthodes qu'elles mettent en oeuvre, les effets qu'elles produisent, se réfèrent à des valeurs implicites. En cela, elles sont des philosophies appliquées. Et quant à faire de la philosophie, mieux vaut en faire consciemment, en explicitant les présupposés et les implications éthiques auxquels elles renvoient.

Si donc les sciences de la nature peuvent évaluer les croyances réalistes, elles ne peuvent prétendre au savoir absolument certain. Elles produisent des croyances plus ou moins vraisemblables; les savoirs scientifiques sont et restent des croyances rectifiables en droit; mais à la différence des croyances idéologiques elles se savent incertaines et hypothétiques; "tout se passent, pour le moment, comme si"; et non pas, "voilà définitivement ce qui est": telle est la formule qui résume le mieux la modestie de la vérité scientifique. Or seules les croyances scientifiques explicatives, concernant les phénomènes naturels, disposent d'un critère de vérité relative, objectivement fiable et universalisable; c'est dire, par conséquent, que toute vérité, en dehors des vérités factuelles, qui se présente comme absolue et extra-scientifique ne peut être qu'une illusion religieuse, philosophique et/ou idéologique; c'est à dire une croyance prescriptive déguisée en savoir réaliste, sur laquelle nous reviendrons.

Quant au sciences humaines et à l'usage des sciences de la nature leur valeur implique des croyances prescriptives ou valeurs éthiques. Mais comment évaluer les valeurs éthiques?
 

 2-2 La valeur raisonnable des croyances prescriptives.
 

Les croyances prescriptives prétendent définir le Bien et le Juste. Mais les phénomènes objectifs ne sont, en soi, ni l'un, ni l'autre; Les valeurs ne découlent pas de la vérité objective, ni ne sont objectivement vraies: le Bien et le Juste ne sont que les fins de nos désirs individuels et/ou collectifs. Les valeurs ne sont pas universellement désirables parce qu'elles sont bonnes, mais elles sont bonnes parce qu'elles sont, à tord ou à raison, considérées comme universellement désirables. Dans ces conditions toutes les valeurs sont au fond subjectives. Faut-il admettre alors qu'elle sont arbitraires et, qu'à ce titre, elles se valent?

On aurait raison de penser que toutes les croyances prescriptives sont nécessairement irrationnelles, s'il était définitivement impossible d'accorder les désirs des individus et des collectivités humaines; or, d'un certain côté, cela est juste: les désirs sont contradictoires: nous désirons tous la liberté et la sécurité, l'affirmation égoïste de soi-même et la solidarité, la fraternité et la compétition etc...
De plus, le désir fonctionne sur fond de rareté et obéit nécessairement à la logique de la compétition; il oppose les hommes les uns contre les autres: chacun désire, soit l'objet du désir des autres -ce qu'il n'a pas et que les autres sont susceptibles d'avoir- soit le désir des autres, mais d'une manière exclusive (ex: la jalousie). Le désir de chacun est médié par le désir d'autrui, en un conflit mimétique irréductible: l'amour partagé, n'est que la gestion, difficile et fragile, de ce conflit au bénéfice réciproque, ou ressenti comme tel, de chacun des partenaires; mais le désir est par nature insatiable, car il n'est rien d'autre, au fond, que le désir infini d'être et de se reconnaître par et pour soi de chaque homme, dans la conscience des autres, en tant qu'il est l'être conscient de lui-même, animé d'un amour infini de soi qui peut conduire, soit à la destruction ou à la domination des autres, réelle ou symbolique, soit au sacrifice suprême, valorisant et salvateur, du héros et du saint.

Ainsi le désir est spontanément générateur de la violence généralisée et indifférenciées, que Hobbes reconnaissait dans les deux passions naturelles de l'homme: le désir de tout posséder et la vanité. Mais cette violence est destructrice et contredit le désir de s'affirmer et de se reconnaître
dans son être et sa valeur (le désir d'être heureux); c'est pourquoi il convient, non pas de le refouler, mais de le réguler, afin de permettre au plus grand nombre de participer à son effectuation sans craindre pour la vie sociale et individuelle. Les valeurs ne sont rien d'autres que les exigences fondatrices des règles de raison que le désir doit s'imposer et que l'état doit imposer, pour qu'il puisse se réaliser, pour le plus grand nombre, sans sombrer dans la guerre généralisée de tous contre tous. En cela les croyances prescriptives sont plus ou moins rationnelles: plus elles sont au service de tous sans contradictions logiques insupportables, dans une réciprocité généralisée des droits et donc des devoirs, plus elles sont raisonnables. Le critère de la valeur des valeurs est bien la réciprocité non contradictoire du droit, pour chaque homme, de prétendre au bonheur pour soi dans les relations qu'il entretient avec les autres.

Cela dit, on ne peut convaincre, par la raison seule, un violent ou un ambitieux qu'il a tord: la violence et la domination des autres restent désirables; et il suffit de les pratiquer, symboliquement ou réellement, dans les formes du droit positif existant pour en jouïr impunément.
De plus les valeurs, aussi universelles soient elles en elles-mêmes, sont en réalité contradictoires entre elles lorsque l'on prétend les appliquer à des situations concrètes: comment aider autrui sans porter atteinte à sa liberté, comment concilier dans chaque cas, la liberté avec l'égalité ou la solidarité, le droit à la vie avec la liberté des femmes ( le droit à l'avortement) etc...Dans ces conditions une morale universelle concrète est impossible; tout ce que l'on peut dire c'est que certaines valeurs sont logiquement porteuses d'une violence physique ou morale insupportable et injustifiable au regard du principe de la réciprocité universalisée. Ce critère de choix n'est valable que faute de mieux et par peur du pire: la peur du meurtre et de l'esclavage qui nous menacent à chaque instant. Mais, dans chaque cas, chacun doit choisir ce qu'il estime être le moindre mal, la meilleur compromis qu'il estime possible, c'est à dire réalisable, entre des exigences et des contraintes contradictoires. Que ces choix divisent les hommes, c'est inévitable: tout ce que l'on peut désirer, c'est que des procédures démocratiques de décisions permettent de favoriser les conditions de la mutualité, sans exclusion ni exclusive, des intérêts et du désir d'être heureux de chacun. Mais cette diversité, potentiellement contradictoire, des choix éthiques pose un problème: celui de faire accepter par tous un choix cohérent de règles communes, reconnues comme légitimes. Pour cela, la force ne suffit pas, elle doit être accompagnée d'une pratique rhétorique visant à persuader chacun qu'il doit obligatoirement se soumettre à la loi, dans son propre intérêt positif, c'est à dire en vue de la recherche des conditions de son bonheur. C'est pour cela que les croyances mixtes ont été produites. Ne sont-elles que des illusions? Quels dangers recèlent-elles? Certaines ne sont-elles pas bénéfiques? Peut-on faire des distinctions de valeur entre elles, et selon quels critères universalisables?
 

2-3 Les croyances mixtes et l'illusion idéologique.
 

2-3-1 Les jugements de valeur et l'illusion.

L'illusion consiste à confondre les valeurs avec la réalité, et, en ce qui concerne les jugements de valeur, à attribuer la valeur à l'objet même que l'on évalue; La norme utilisée est admise comme indiscutable et l'objet du jugement est, selon la conformité à cette norme, jugé bon ou mauvais en soi. Or toute norme est subjective, qu'elle soit particulière ou universelle; l'illusion consiste donc à objectiver fallacieusement une visée subjective, afin que le jugement de valeur en question échappe à toute interrogation critique. Le sujet du jugement est alors conforté dans la certitude de son appréciation  et de sa propre valeur positive et se trouve justifié, sans avoir à prendre le risque d'argumenter sa visée subjective, dans les actions qui découlent de son jugement; il peut aussi prétendre en persuader les autres à moindre frais. Si l'autre et son action sont diabolisés, chacun est sommé de participer à l'action sacrificielle de la victime-émissaire présentée comme l'incarnation même du mal.
Pour éviter la violence fanatisée, violatrice de tout droit, que risque d'engendrer cette diabolisation objectivée, il est alors indispensable de réintroduire la confrontation des jugements de valeur et de saisir leur nécessaire relativité à des normes dont il convient de redéfinir la signification éthique et/ou politique. Cette confrontation devra toujours accorder à la personne jugée le droit de faire valoir sa défense, sa position éthico-politique propres et ses motivations. La question que chacun doit se poser, lorsqu'il a à juger autrui, c'est de savoir comment il aurait agi lui-même dans les conditions objectives et éthico-politiques vécues par le sujet de l'acte jugé et de s'interroger sur la valeur de sa propre position éthico-politique selon la visée de sa problématique universalisation rationnelle et des contradictions qui peuvent affecter celle-ci.
Mais cette règle de raison est radicalement compromise par la foi religieuse, dès lors qu'elle récuse la raison en tant que faculté de réfléchir le désir d'être et d'agir par et pour soi dans la visée de l'universel, comme instance critique des valeurs éthiques fondatrices. Est-ce à dire que toutes les croyances religieuses se valent, car elles seraient toutes mystificatrices, liberticides et fanatiques?

2-3-2 Croyances religieuses et déraison.

Les croyances religieuses stabilisent les valeurs éthiques en les fondant sur une vérité "révélée" collective; cette prétendue révélation divine leur confère un caractère inviolable et indiscutable: le sacré met fin à l'errance et à l'arbitraire contradictoire du désir de vivre barré par la mort. Ainsi toute société traditionnelle contrôle l'imagination désirante des individus par une symbolique "réaliste" contraignante et normalisante; elle a pour fonction de répondre (en un imaginaire présenté comme réel de par le recours à la volonté divine), aux angoisses et aspirations existentielles des hommes (la mort, la protection contre la souffrance, l'accès au bonheur) en soumettant leur expression à une ritualisation précisément codée qui garantisse la reproduction ou la redéfinition des conditions idéologiques régulatrices de l'ordre et/ou du lien social.
Mais les religions ne peuvent assurer leur fonction régulatrice du lien social qu'en disqualifiant l'athéisme et les religions potentiellement ou réellement concurrentes. Elles doivent, pour ce faire:
- soit interdire toute liberté critique de repenser la légitimité de leur discours (l'existence et la parole de Dieu sont au dessus de la Raison humaine);
- soit contrôler par la rhétorique rationalisante et apparemment philosophique l'exercice de cette pensée.
Dans le premier cas, elles pratiquent la censure et la répression ouverte, au nom de la vraie religion; toute critique de celle-ci est considérée comme un blasphème, un crime destructeur de l'ordre divin, politique et social qui donc met en cause la survie même de la communauté ; ce qui justifie la peine capitale, sacrificielle pour le coupable (pratique du bouc-émissaire).
Dans le second, elles tendent à imposer une philosophie qui récupère le contenu mystique de l'absolue vérité, en sa rayonnante splendeur, comme justifiée, au nom de la nature et de l'universelle Raison naturelle. Or, si la première attitude s'avère impossible à pratiquer dans une société pluraliste sans ouvrir la voie à la violence extrême qui compromet la possibilité même du lien social, la seconde,  désacralise la vérité religieuse en tentant de la présenter comme rationnelle, c'est-à-dire objet d'un débat humain, et du même coup l'ouvre à la contestation radicale qui consiste à disqualifier l'expérience mystique et religieuse de la Vérité comme telle.
Ainsi, que cela choque ou nom, la vérité religieuse ne peut se prétendre telle qu'en refusant tout compromis avec la Raison critique et libre; elle est fanatique par essence: le fanatisme irrationnel n'est pas une maladie de la religion, il est la religion comme maladie de l'esprit, en cela que la folie est justement déraison; c'est à dire, perte du sens de la relativité des choses, et par confusion avec l'imaginaire, du sens du réel, de la distance entre l'être et la pensée, entre le possible et le souhaitable. La religion est donc, à mon sens, une folie socialisée qui ne peut aujourd'hui, dans un monde pluraliste, ouvert et planétaire, prétendre tempérer le risque de violence engendrée par la folie individuelle et collective, mais, au contraire, le porte à son comble en absolutisant ses références légitimantes.
Ceci dit, les religions peuvent se distinguer entre elles, selon les valeurs plus ou moins raisonnables qu'elles préconisent; mais, d'une part cette distinction ne peut qu'être le résultat, toujours problématique, d'un travail de démystification du caractère proprement religieux qui les enveloppe, d'autre part, il est toujours possible d'expliquer le caractère raisonnable de ces valeurs par l'affaiblissement du sens du sacré, essence du phénomène religieux: ce sont les religions les moins religieuses qui sont nécessairement les plus raisonnables. N'a-t-on pas dit que le christianisme, par sa nature plus libérale, en incarnant paradoxalement le divin dans l'humain, est la religion de la sortie de la religion? C'est à la raison de juger , au nom du désir de vivre et de ses conditions optimales de possibilités, de la valeur des valeurs religieuses, et non l'inverse. C'est à la raison de récupérer le sens proprement humain des valeurs religieuses, en opérant une critique radicale de la prétendue légitimité du sentiment religieux.
Ainsi toutes les religions, en tant qu'elles sont liberticides et fanatiques, se valent: elles nourrissent toutes les dérives et les délires collectifs et socio-politiques de l'esprit. Elles doivent être déconstruites par la philosophie, identifiée à la libre pensée rationnelle et critique. Mais faut-il en conclure qu'à la religion mystique doit se substituer la religion philosophique?

2-3-3 L'illusion philosophique et sa critique philosophique.

La philosophie a prétendu être la science rationnelle des premières causes et des premiers principes du monde, de l'existence humaine, de la connaissance et de l'action. Ces premiers principes ne peuvent être que métaphysiques, en tant qu'ils échappent par nature à l'expérience possible. Or une telle science est impossible car, justement, aucune expérience objective ne peut valider ou réfuter ses énoncés. Les systèmes et les problématiques conceptuels plus ou moins élaborés et achevés des philosophes ne relèvent pas du domaine des connaissances; mais des propositions articulées logiquement et justifiées rationnellement eu vue du bien vivre, du bien connaitre et du bien agir. Or le bien vivre met nécessairement en jeu la subjectivité universelle et particulière des individus humains et des valeurs en nombre fini, en elles mêmes et entre elles, contradictoires; leur axiologie donc est nécessairement polymorphe; c'est pourquoi il y aura toujours plusieurs philosophies qui s'affrontent en un interminable combat, toujours repris, avec des arguments réadaptés à l'évolution des savoirs et des pratiques. L'illusion, en philosophie, réside donc dans la croyance en un savoir absolu qui réduirait ou dépasserait cette confrontation permanente.
La valeur de la philosophie tient à sa fonction et à sa puissance critique, susceptible de provoquer, chez chacun, une prise de conscience de la pluralité plus ou moins contradictoires des axiomatiques rationnelles et possibles du bien vivre. La philosophie est donc un travail de libération de l'esprit face à tous les dogmatismes religieux et/ou philosophiques. Or il convient, pour cela, qu'elle se critique elle-même en permanence; c'est à dire qu'elle déconstruise ce qui continue à la hanter: la perspective religieuse de l'Absolu Unique Fondateur. La réflexion philosophique ne peut déchirer l'illusion idéologique qu'est la foi dans la Vérité Unique, qu'en retournant ses armes contre ses propres énoncés dans leur prétention totalitaire et exclusive. Ce qui fait la supériorité de la pensée dialectique philosophique sur toute autre forme de pensée, c'est précisément qu'elle est seule capable de se mettre en question, dans ses contenus comme dans ses démarches. La philosophie est, en effet, par son exigence de fondement rationnel, la seule pensée auto-critique possible; et toute philosophie, même la plus dogmatique en apparence, doit être lue comme la mise en forme dans ses tenants et ses aboutissants logiques d'une manière de vivre plus heureux ou moins malheureux, mais toujours parmi d'autres possibles. La pensée philosophique est universelle parce qu'elle est plurielle et qu'elle s'efforce de penser cette pluralité des attitudes de vie possibles en évitant de les confondre. Elle tend, en cela, de penser les contradictions de la vie d'une manière moins contradictoire, et permet de problématiser les choix existentiels de façon réfléchie et donc plus libre. Les propositions philosophiques sont toujours, directement ou indirectement, des croyances éthiques; mais elles ont l'immense avantage sur toutes les autres croyances d'être rationnelles et donc infiniment discutables et d'ouvrir les esprits à la richesse de la vie, dans toutes ses possibilités logiques d'être et d'agir.

Mais si la philosophie a pour mission de démystifier toutes les illusions et de défaire le fanatisme, y compris le sien, cela veut-il dire qu'elle doit remettre en cause le principe de la tolérance? Le combat philosophique pour la liberté de pensée et d'agir implique-t-il l'interdiction de croire n'importe quoi?

                                                _______________________________________

 
3) Philosophie et tolérance

La tolérance est un principe de la démocratie, c'est à dire du Bien-vivre ensemble sans violence physique et morale; mais respecter les idées d'autrui, en particulier religieuses, et le droit à leur expression, semble exiger de renoncer à la critique; or la liberté de penser sans liberté critique est stérile et menace la pensée de sclérose, car c'est la lutte des idées qui la fait progresser. Comment réduire cette apparente contradiction?
 
3-1 Tolérance et liberté.

La notion de tolérance est pour le moins ambiguë.

3-1-1 Au sens premier, elle signifie la possibilité accordée de déroger à une loi chargée de sanctionner un comportement coupable ou l'expression d'une idée interdite. Cette dérogation ne les réhabilite en rien; il ne fait que suspendre la sanction, pour des raisons d'opportunité tactique. En cela, la tolérance ne reconnait pas la liberté publique de croire et d'agir; elle fait en permanence peser une menace sur le coupable et peut à chaque instant être suspendue. Elle reste à la discrétion de celui qui exerce le pouvoir et contitue pour lui un moyen de pression visant à obtenir du ou des coupables certains services ou certains avantages, ne serait-ce que celui, politique, de les désigner à la vindicte publique. Mais, progressivement, l'exception s'institutionnalise et tend à devenir la règle: le pluralisme des comportements et des idées, dans les limites de l'ordre public, est non seulement toléré mais revendiqué comme constitutif de la liberté individuelle. Le sens de la tolérance change alors et tend à se confondre avec l'interdiction, au moins éthique, sinon juridique, de réprimer l'expression des idées et des croyances.

3-1-2 En un deuxième sens, la tolérance s'identifie à la liberté de penser et d'agir des personnes lorsque cela n'implique aucune violence physique ou morale vis à vis des autres: Il est interdire d'interdire un acte ou une idée non-violents; tel semble être l'impératif éthique et juridique de la tolérance, aujourd'hui. Sur quel fondement repose-t-il?
Sur celui de la liberté et du droit de chacun à pratiquer les croyances de son choix, dès lors qu'il n'y a plus de vérité uniforme possible, en un monde où elle n'est pas donnée aux hommes par le biais d'une religion unique ou de la science confondue avec le savoir absolu. La vérité et le bien communs sont l'objet d'un débat rationnel qui en assure l'évolution nécessaire. Or ce débat n'est possible que si nul ne peut et ne doit se prétendre détenteur exclusif du vrai et du bien: tout ce que chacun doit savoir, c'est qu'il ne sait rien de certain! Mais dans ces conditions, il peut sembler que l'on a le droit et même le devoir d'être sceptique et de reconnaître que la vérité et le bien universels n'existent pas. Si la vérité est plurielle, chacun doit admettre que l'autre, non seulement peut avoir, mais a toujours raison, de son point de vue, quitte, ensuite, à s'efforcer de rapprocher les points de vue, si cela est possible, en pratiquant l'expression réciproque des convictions et des réactions plus émotionnelles que réfléchies. A quoi, en effet, peut servir la réflexion rationnelle et critique, si la vérité est purement subjective?
Ainsi pour une tendance de plus en plus dominante, tolérance émotionnelle et scepticisme mou vont de pair; ils conjuguent l'absence de vérité objective avec l'ouverture, forcément sympathisante, à la différence des autres. Ils convient alors de refuser toutes les mises en question critiques des croyances comme autant d'agression intolérables aux personnes. Le respect d'autrui se confond avec le refus de porter atteinte à l'authenticité affective des croyances. Mais il devient, du même coup, impossible de distinguer les croyances en plus ou moins vraisemblables et en plus ou moins universalisables. Tout débat critique et toute réflexion philosophiques sont à priori interdits, au nom de la liberté de penser; ce qui est pour le moins paradoxal! C'est, en effet, par eux que la pensée scientifique peut progresser et que la pensée éthique peut se libérer des illusions plus ou moins violentes et fanatiques. Comment traiter ce paradoxe? Ne convient-il pas de reconsidérer la notion de tolérance à la lumière de l'interrogation philosophique?

 3-2 Liberté et philosophie.

Pour le philosophe, la liberté est moins un état extérieur qu'une exigence intérieure. N'est pas authentiquement libre celui qui se laisse aller à ses passions et aux croyances illusoires qu'elles engendrent et qui les nourrissent. La liberté de choix réside dans l'effort de remise en question de soi-même par une prise de conscience critique de la valeur rationnelle (non contradictoire) de nos croyances. Choisir c'est être conscient des raisons universalisables de notre choix; et il n'y a de choix authentique que de choix justifié pour soi et les autres. S'il n'y a pas de valeurs purement rationnelles, ni de vérité absolue universelle et unique, cela n'implique pas le droit éthique de croire n'importe quoi, mais, au nom de la liberté raisonnable, le droit, voire le devoir, de critiquer toutes les croyances et de susciter la critique des siennes propres, en un dialogue sans concession, avec les autres et avec soi. "Critique-moi, tu me fais du bien!", disait Socrate, au grand étonnement de ses interlocuteurs.
La liberté est une conquête une lutte pour l'accès à des représentations du monde et de l'existence plus rationnelles, eu vue d’accroître, dans la réciprocité réglée, le désir d'être et d'agir, la volonté de puissance de chacun et leur reconnaissance heureuse.

La philosophie ne peut admettre le consensus pluraliste mou du scepticisme acritique et stérile, car il autorise toutes les manipulations commerciales et idéologiques de la subjectivité désirante et interdit toute pratique réelle de libération. La dépendance au plaisir suscité, sur fond de croyances provoquées, détruit l'autonomie des sujets, autant, sinon mieux, que l'exercice de la menace et l'exploitation de la peur. L'instrumentalisation, par le pouvoir médiatisé, économique et politique, du désir est la forme moderne de la domination.

Dans ces conditions, il est nécessaire de s'interroger sur la relation entre la tolérance, en tant que droit de croire et d'exprimer publiquement les croyances, et la philosophie.

 3-3 Philosophie et tolérance.

Il convient pour examiner le principe de la tolérance de distinguer le droit juridique et le droit moral.

3-3-1 Philosophie et tolérance juridique.
La lutte pour la rationalisation des croyances, indispensable à la liberté critique de penser et à la réduction de la violence physique et morale (que l'on songe, par exemple à la croyance nationale et/ou religieuse) exige que, sur le plan du droit juridique, l'expression publique des croyances soit garantie. Mais cette garantie doit s'arréter, dès lors que le principe de la tolérance est compromis; ce qui est le cas lorsque les croyances font directement appel aux passions violentes (ex: le racisme), autorise l'insulte et la diffamation, voire prétendent légitimer le meurtre et la domination de l'homme par l'homme. La loi répressive ne doit pas hésiter à interdire, à censurer et à sanctionner ce qui n'est pas tolérable au regard des conditions mêmes de l'exercice du principe de la tolérance. Pas de tolérance pour les ennemis de la tolérance! L'expression des convictions doit être non-violente et argumentée pour être admise dans l'espace public.
Mais le droit juridique pour la tolérance est sans effet sur le progrès moral de l'humanité, s'il n'est pas fondé sur un droit moral à la liberté critique de penser.

3-3-2 Philosophie et droit moral pour la tolérance.
La philosophie est fondée, au nom de la liberté authentique et du respect de la pensée humaine, avons-nous vu, sur le devoir moral de critiquer l'illusion. Une telle critique suppose que chacun fasse effort sur lui-même pour se mettre en question; ce qui exige que l'on ne confonde pas les convictions d'un homme et son être propre, chez les autres et pour soi-même. C'est probablement le plus difficile, mais aussi le plus indispensable impératif, pour qui veut participer au débat public. Cet effort ne peut être imposé de l'extérieur, il relève de l'obligation personnelle.

C'est en s'obligeant à cet effort, que chacun peut être réellement tolérant; c'est à dire, non pas croire n'importe quoi, mais au contraire, refuser le conformisme, la manipulation idéologique et l'asservissement à l'illusion interne et/ou intériorisée. La réelle tolérance, sur le plan moral, exige la droit de critiquer les idées et d'accepter la critique des autres, bref le devoir de ne pas croire n'importe quoi et le droit de le dire haut et clair!
 

    SYLVAIN REBOUL, le 04/03/99


Critique d'un raisonnement philosophique de Pascal: faut-il croire à l'existence de Dieu?

Dans ce texte célèbre PASCAL  (Le fameux pari) procède de la façon suivante qu'il convient de résumer pour se poser la question de ses conditions de pertinence.

- Position de PASCAL:

Selon la raison, l'existence de Dieu est indémontrable par la voie de la raison, ainsi que la connaissance de sa nature.
Donc on ne peut blâmer les chrétiens de ne pas avoir de preuve rationnelle de la vérité de leur foi: il serait irrationnel d'en avoir (=>la foi lui suffit).

- Objection possible:

Mais peut-on excuser l'incroyant qui reçoit cette vérité de la recevoir comme telle sans exiger de preuve?
En effet, s'il ne l'a pas reçue dans son enfance (avant l’âge de raison) ou de Dieu même (expérience mystique), comment peut-il l'admettre sans la raison dès lors qu'elle lui est communiquée par un être raisonnable? S'il ne le peut, la seule attitude correcte rationnelle pour lui est l'agnosticisme: il n'a pas le droit de choisir entre l'existence et l'inexistence de Dieu car il commettrait alors une faute contre la raison.

- Réponse de PASCAL:

L'agnosticisme est impossible car nous devons choisir, il en va du sens de la vie et de la mort (nous sommes embarqués sur le fleuve du temps qui nous conduit inexorablement vers la mort).
La question est de savoir comment choisir; deux modalités sont possibles: selon la raison (intelligence), ou selon le désir (coeur).
- Selon le raison c'est impossible, nous venons de le voir; cela veut dire que la croyance dans l'existence de Dieu ne peut être démontrée ni vraie ni fausse et donc qu'il n'est pas interdit d'y croire pas l'autre voie, celle du coeur.
- selon le désir c'est possible et nécessaire: le choix entre le bien et le mal, le salut et le néant nous l'impose. Seul le choix de croire dans l'existence de Dieu peut nous donner l'espoir d'être sauver du néant et du péché originel. On a tout à y gagner et rien à y perdre: il s'agit donc bien d'un calcul rationnel que doit faire l'incroyant pour se convertir.
Si l'on ne peut démontrer rationnellement l'existence de Dieu, on peut démontrer rationnellement que selon le désir universel d'être sauvé, l'incroyant doit parier, sans risque réel, et donc choisir de croire que Dieu existe réellement.
 

CRITIQUE:

Ce raisonnement ne vaut qu'à deux conditions:

1) Que si l'on admet que la peur de la mort est pire et coûte plus cher dans cette vie que celle du jugement dernier; ce qui signifie qu'il faut considérer que Dieu est très indulgent vis-à-vis de nos péchés, expression du péché originel; ce qui n'est pas particulièrement la position augustinienne de PASCAL sur cette question.

2) Que si l'idée de l'existence de Dieu telle que la religion l'expose n'est pas incompatible avec la raison, c'est à dire reste logiquement pensable en respectant les principes d'identité et de non-contradiction ; il faut donc que la foi tout en étant suprarationnelle ne soit pas irrationnelle: cela est pour le moins problématique (quid de la trinité et de la responsabilité du mal?).

CONCLUSION:

Si la foi est est irrationnelle, en quoi se distingue-t-elle de l'illusion, voire du délire, comme l'indique Freud dans "l'avenir d'une illusion"?



 
CROYANCE ET VERITE.
 

Defs: - La vérité non formelle est la correspondance entre la pensée discursive et la réalité extérieure au discours. Cette réalité peut être le sujet lui-même (y compris de la connaissance), dans la mesure où il est devient objet de connaissance et référent extérieur au discours. La vérité est dite absolue lorsque cette correspondance prétend être une identité.
Toute autre acception de la notion de vérité fait courir le risque de confondre le domaine des prescriptions avec celui des descriptions; cette confusion est la source de la plupart des sophismes philosophiques et religieux qui présentent le devoir-être comme préinscrit dans la réalité physique et/ou métaphysique, pour le créditer illusoirement d'un caractère logiquement ou ontologiquement nécessaire. Le bien n'est pas déductible du vrai, sauf à décider que le réel connu et connaissable est nécessairement bon (ne serait-ce que la réalité divine dont l'existence n'est pas démontrable), ce qui n'est pas démontrable: le bien est toujours objet de désir et non pas objet réel; tout au plus peut-il être pensé comme plus ou moins réalisable, au prix d'un compromis entre le possible et le souhaitable; ce qui nous oblige à maintenir la distinction entre le réel possible et le souhaitable désirable et donc entre la vérité et le bien.

 - La croyance, dans le domaine de la connaissance du réel, est la reconnaissance subjective de cette correspondance, c'est à dire de la vérité; quels que soient les motifs objectifs ou subjectifs de cette reconnaissance.

On peut distinguer, parmi les croyances, la simple conviction, relative et conditionnelle, hypothétique et donc douteuse en droit, de la foi, absolue car inconditionnelle, dans laquelle le doute n'est subjectivement pas permis (mais non pas impossible).

    ___________________
 

Une croyance est d'autant plus vraisemblable qu'elle s'appuie sur des preuves expérimentales et rationnelles objectives. La foi religieuse, en cela, est, dans son contenu, objectivement invraisemblable, car elle n'est relative et n'est subordonnée à aucune expérience objective et à aucun critère rationnel (contradiction, identité): elle affirme le mystère de la Vérité Splendide du divin (folie pour la raison, selon Paul). Seule est vraisemblable une croyance hypothétique que l'on peut soumettre à l'épreuve de la réfutation selon des procédures rationnelles et expérimentales rigoureuses et qui résiste, pour le moment, à cette réfutation. La vérité religieuse parce qu'absolue et sans critères universalisables, est irrationnelle dans sa démarche et dans son contenu; la foi n'obéit qu'à des critères subjectifs (la douce euphorie qu'elle provoque, l'espérance et la charité) mais prétend fonder des prescriptions et des valeurs sur la vérité (la correspondance avec la réalité de Dieu, non démontrable), ce qui est logiquement impossible. Donc la vérité absolue est toujours une illusion, elle est même la suprême illusion: seule la vraisemblance scientifique peut être dite vraie, parce que relative. Le dogme religieux ou autre est le pire ennemi de la vérité: le seul dogme susceptible de produire des effets de vérité (de vraisemblance) est le scepticisme relatif et constructif des sciences qui affirme que rien ne peut être absolument vrai, sauf la relativité féconde du savoir lui-même. La foi religieuse et toute autre croyance qui se refusent à l'épreuve de la preuve sont des illusions plus ou moins délirantes selon qu'elles sont plus ou moins en contradiction avec les preuves rationnelles et expérimentales, dont on dispose. La raison n'est pas un absolu, elle évolue au travers des contradictions, en elle-même et avec l'expérience, qu'elle rencontre: elle est activité universalisable régulatrice et auto-régulante qui s'expérimente elle-même dans ses effets et conséquences.

Par conséquent 4 cas sont possibles, quant aux rapports entre la croyance et la vérité;

1er cas: la croyance subjective sans preuves objectives mais motifs subjectifs => illusion;

2ème cas: la croyance subjective absolue à l'encontre des preuves objectives => délire;
la religion est un délire collectif institué, qui vise à manipuler et à contrôler socialement et symboliquement (rituellement) le délire individuel, en un sens favorable au lien social à condition que la société soit homogène et fermée;

3ème cas: La croyance subjective qui cherche à se confirmer dans des preuves objectives apparentes => sophistique rationalisante ou illusion rationnelle, en particulier en philosophie. Mais elle peut être mise à l'épreuve de la dialectique;

4ème cas: la croyance subjective hypothétique et à forme rationnelle qui a résisté, pour le moment, aux procédures opératoires de preuves, validées par l'usage => vraisemblance scientifique. Elle exige le doute systématique et permanent car, logiquement, on ne peut démontrer définitivement que l'erreur et non pas la vérité (Scepticisme actif et fécond).

On peut se représenter le mouvement de la vérité (3ème et 4ème cas), et la vérité n'est autre que son mouvement, comme suit:

                sophistique
1)...==> CROYANCES SUBJECTIVES 1 ==========> PREUVES "OBJECTIVES"     RATIONALISEES
 

2)   DOUTE SYSTEMATIQUE RATIONNEL ET EXPERIMENTAL
 

3)  CONTRE-PREUVES "OBJECTIVES" ===> CROYANCES RATIONALISEES 2=>...             (qui intègrent preuves+contre preuves)

SYLVAIN REBOUL, le 20/12/94.


De la supériorité de la rationalité sur la croyance religieuse

La rationalité n’est pas triomphante, car elle est toujours relative et c’est tant mieux:

1) c’est en cela qu’elle est supérieure à toute forme de pensée qui prétendrait sauter les limites historique de la pensée humaine dans l’obscurantisme d’une mystique révélée de l’absolu ou du savoir totalisant nécessairement dogmatique

2) C’est en cela qu’elle est critique pour nous délivrer de l’illusion d’un savoir absolu ou d’une éthique de la conviction qui se dispenserait de s’évaluer au regard de la logique et de l’expérience en ce qu’elle a d’universalisable.. Et cela vaut pour l’éthique aussi bien que pour la connaissance.

La supériorité de la rationalité réside dans le scepticisme critique (d’où la nécessité de la crise) qu’elle produit pour avancer vers plus de connaissance (et il n’ y a pas de sciences itrrationnelles) et d’éthique raisonnable (c’est à dire qui s’impose refuser de confondre le désir et la réalité (confusion qui définit l’illusion) pour définir des règles de comportement efficaces afin réduire le risque de violence et d’accroître les possibiltés de coopération).

La crise de la rationalité dont vous parlez loin de condamner celle-ci constitue le dynamisme même de son développement et la caractéristique principale de sa supériorité: sa fécondité historique dans tous les domaines du savoir et de l’action dont nous sommes, et aujourd’hui l’humanité toute entière, les héritiers (sciences, droits de l’homme et démocratie libérale). Ceci dit les logiques passionnelles irrationnelles menacent toujours (racisme, xénophobie, sexisme etc..)

Lea rationalité n’exclut ni l’art, ni la poésie qui concerne l’expérience subjective personnelle. Laquelle du reste reste à se réfléchir, et non pas seulement à se vivre, d’une manière plus ou moins philosophique..

Mais le domaine de la philosophie critique est bien celui de l’universalité critique de la réflexion pour vivre et travailler avec les autres, différents de soi, en se passant des illusions collectives identificatrices toujours nécessairement particulières, potentiellement violentes (contre les mécréants) et liberticides que constituent les religions en tant que machines de pouvoir (autorité incontestable de Dieu et du sacré) sur (au moins) les consciences .
Le 20/03/06



            Philosophie et religion
            L'illusion métaphysique
            Retour à la page d'accueil