Critique de la (dé)raison théologique.
La foi en Dieu a-t-elle besoin de preuves?
Texte suivi de: "Agnosticisme, athéisme et laïcité"
« L'homme
qui n'a que ses forces d'homme ne peut pas saisir ce qui vient de
l'Esprit de Dieu ; pour lui ce n'est que folie, et il ne peut pas
comprendre, car c'est par l'Esprit qu'on en juge. »
Paul
de Tarse
(1
Co 2. 14). vers 53
« Tout ce que l'on peut dire de certain sur Dieu, c'est qu'il n'y a rien à en dire » Thomas d'Aquin « Somme théologique » (les cinq voies) 1273
« C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison. » Pascal, « Les pensées » 1670.
« On ne désire pas une chose parce qu'elle est bonne, mais on la trouve bonne parce qu'on la désire » Spinoza « L'Ethique »1677.
Il est paradoxal de constater que nombre de philosophes-théologiens, voire de pères de l'église, dans l'histoire de la pensée chrétienne, se sont efforcés de démontrer plus ou moins logiquement l'existence réelle de Dieu, alors même que la certitude de cette existence objective (ou hors de l'esprit) relève pour eux non de la raison, mais de la foi. Celle-ci en effet s'impose d'elle-même dans ce qui est reçue par eux et les croyants comme une révélation divine transmise par et dans une tradition fondée sur des texte inspirés voire dictés par dieu lui-même. Pourquoi donc faudrait-il qu'elle s'adjoigne un critère de vérité dont elle dénie précisément la pertinence dans le domaine religieux, la raisonnement, pour prouver ce dont elle est intimement convaincue et ce qui est présenté comme une vérité surnaturelle sacrée, à savoir indiscutable? Christ et sa résurrection disait Paul ne sont-ils pas folie pour la raison? Pascal lui même affirmait que la vérité de Dieu est celle du cœur et non de la raison et que Christ-Dieu s'impose comme au delà de toute raison, voire contre elle; la trinité est mystère comme le sont touts les dogmes fondamentaux de toutes les religions.
Pour réduire un tel paradoxe il faut, semble-t-il, faire retour sur le besoin de preuve rationnelle de l'existence de Dieu dans un monde (encore) traversé par le conflit entre la pensée philosophique grecque et antique qui se prétend rationnelle et est le lieu de débats débat interminable entre thèses opposées (dialogue) sur les fondements du monde et le sens de la vie humaine et la pensée religieuse qui n'a nul besoin de preuve et encore moins besoin d'arguments toujours discutables pour convaincre. Il faut donc comprendre cet étrange besoin de mêler vérité de foi et vérité de vérité de raison , théologie et philosophie, comme la conséquence d'une crise au moins latente entre deux modèles de la vérité et deux sources de la culture occidentales pour le moins difficilement compatibles. Mais cet effort de surmonter ce conflit n'est-il pas à son tour voué à l'échec sur les deux plans, celui de la foi et celui de la raison? N'y a t-il pas, dans cette tentative, le germe de la remise en question de la foi elle-même comme source première de toute vérité fondamentale? Où doit-on arrêter le pouvoir critique de la raison dès lors que l'on prétend prouver aussi par la raison que Dieu existe, y compris que la révélation en tant que telle de cette existence pourrait être sinon prouvée en elle-même du moins (dé)montrée rationnellement comme nécessaire?
Au fond, si une certaine partie de l'islam a très bien compris le danger en interdisant de philosopher à propos de la vérité divine et du sens du texte sacré, pour les considérer très tôt comme définitifs et les administrer sous l'autorité incontestable du Coran, de la tradition, et du pouvoir monopolistique et politiquement théocratique des imams, la tradition chrétienne a peut-être, en maintenant l'exigence de la preuve rationnelle, préparé la mise en question du contenu de la foi qu'une partie de l'islam sunnite a refusé dès le IXème siècle (« ne dire de Dieu que ce qu'en dit Dieu dans le coran et son prophète dans la sunna». Ibn Hanbal.); ce refus de toute interprétation du Coran par le hanbalisme qui a donné jour au salafisme et au Wahhabisme dominant en Arabie Saoudite, fait du livre sacré, considéré comme directement dicté par Dieu, et de la sunna (tradition du prophète) des textes à suivre à la lettre. Ce refus de toute interprétation a été imposé par une des traditions du sunnisme à partir du XIVème siècle, à l'encontre d'autres écoles plus ouvertes à la réflexion philosophique; d'autres courants modernistes de l'islam tentent aujourd'hui de rouvrir le droit à l'interprétation contre le danger de l'islamisme radical et terroriste qui n'est qu'une interprétation, au contraire de ce qu'elle prétend, intégriste de la tradition islamique. Mais l'on trouve à ce sujet des équivalents chrétiens de cet intégrisme littéral dans certaines églises nord-américaines qui, par exemple, refusent non seulement la théorie darwiniste de l'évolution, mais celle-ci même au nom de la bible prise à la lettre. Mais cette tentation intégriste chrétienne n'a pas pu et/ou a du mal historiquement à s'imposer car elle s'est heurtée au fait
que les églises chrétiennes avaient besoin d'affirmer le libre-arbitre afin que seuls les hommes puissent être rendu responsables du péché et non pas le Dieu-créateur..
que Dieu pour les chrétiens s'était incarné et s'était fait homme en son fils Jésus-Christ par amour pour annoncer l'évangile et le salut aux hommes et non pour les soumettre à sa seule puissance; cette deuxième interprétation de l'amour de Dieu pour les hommes, comme fondement du libre arbitre est plus moderne.
L'agnosticisme, voire l'athéisme et la séparation plus ou moins radicale de la religion et de la politique appelée laïcité, pourraient être alors, les fruits, à son corps défendant et il a fallu que les laïcs l'impose, de l'effort de la pensée religieuse chrétienne qui consiste à tenter de confirmer par la raison la vérité de la foi en un Dieu-Homme (double nature du Christ) paradoxal; mais, du même coup, la foi chrétienne était rendue rationnellement contestée et contestable.
Telle est l'hypothèse dont j'entends montrer ici la pertinence à l'examen des textes de références où sont développées les preuves de l'existence de Dieu chez St Anselme, Descartes, St Thomas et Jean-Paul II, ainsi que les critiques rationnelles justifiées, par Pascal et surtout Kant, que soulève cette tentative rationaliste de prouver l'existence de Dieu. Je conclurai sur la fin du religieux comme source et fondement ultimes de la vie politique que cet effort problématique, pour ne pas dire absurde, a provoqué malgré lui .
Foi et raison sur un bateau: celui-ci chavire.
Plusieurs types de preuves rationnelles de l'existence de dieu ont été proposées par les théologiens-philosophes dont il faut distinguer la preuve directe logico-ontologique (appellation donnée par Kant) et les preuves indirectes induites de la réflexion sur le monde et son origine.
1) Les preuves ontologiques directes (déductives)
Les démonstrations de Anselme de Canterbury et de Descartes
Anselme (Proslogion, Chapitre 2 : « Que Dieu est vraiment ») vers 1100.
« Donc, Seigneur, toi qui donnes intellect à la foi, donne-moi, autant que tu sais faire, de comprendre que tu es, comme nous croyons, et que tu es ce que nous croyons. Et certes, nous croyons que tu es quelque chose de tel que rien ne se peut. penser de plus grand. N’y a-t-il pas une nature telle parce que 1`insensé a dit dans son cœur : « Dieu n’est pas ». Mais il est bien certain que ce même insensé, quand il entend cela même que je dis: « quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand », comprend ce qu’il entend, et que ce qu’il comprend est dans son
intellect, même s’il ne comprend pas que ce quelque chose est. Car c’est une chose que d’avoir quelque chose dans l’intellect, et autre chose que de comprendre que ce quelque chose est. En effet, quand le peintre prémédite ce qu’il va faire, il a certes dans l’intellect ce qu’il n’a pas encore fait, mais il comprend que cette chose n’est pas encore. Et une fois qu’il l’a peinte, d’une part il a dans l’intellect ce qu’il a fait, et d’autre part il comprend que ça est. Donc l’insensé aussi, il lui faut convenir qu’il y a bien dans l’intellect quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus
grand, puisqu’il comprend ce qu’il entend, et que tout ce qui est compris est dans l’intellect. Et il est bien certain que ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand ne peut être seulement dans l’intellect. Car si c’est seulement dans l’intellect, on peut penser que ce soit aussi dans la réalité, ce qui est plus grand. Si donc ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand est seulement dans 1’ intellect, cela même qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand est tel qu’on peut penser quelque chose de plus grand; mais cela est à coup sûr impossible. Il est donc hors de doute qu’existe quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, etcela tant dans l’intellect que dans la réalité... » Psaume 14 :1 ; 53 :1.
Il s'agit, dans ce texte, d'une prière qui s'adresse à Dieu et donc qui présuppose la foi en son existence pour montrer en quoi elle lui paraît nécessaire du point de vue de cette foi fondatrice de son raisonnement. « Je ne cherche pas à comprendre afin de croire, mais je crois afin de comprendre. Car je crois ceci — à moins que je ne croie, je ne comprendrai pas. » Cette argumentation n'est donc en rien lié à une interrogation critique visant à répondre dialectiquement, argument contre argument, positivement sur la question de l'existence de Dieu, mais l'exposé rationalisé de la foi qui l'anime; ce qui revient à faire de la raison la servante de la foi et non pas son juge d'instruction ( à charge et à décharge). La preuve qu'il invoque au regard de sa foi est par définition a-critique en cela que la raison ne peut que lui confirmer dans le dialogue qu'il mène avec Dieu la nécessité prétendument démontrable de l'existence objectivement indiscutable de ce dernier. Qui refuse cette évidence de foi rationalisée, selon lui, ne peut être qu'un insensé, en cela que ce dernier semble refuser le principe de (non)contradiction indispensable pour communiquer du sens et convaincre philosophiquement. Toute la question est donc de savoir si ce principe est ici appliqué rationnellement et s'il suffit d'en faire un usage apparent pour que non seulement l'idée de l'existence de Dieu soit prouvée dans son esprit, mais aussi l' existence réelle de celui-ci, en dehors de l'idée que sa foi induit en son esprit ou si ce raisonnement pourrait se suffire à lui-même logiquement pour prouver l'existence réelle du Dieu (et non seulement la possibilité, sinon la nécessité logique de son idée), sans la foi qui l'anime.
Examinons l'enchainement des propositions qui constitue ce raisonnement, à savoir la validité de leur contenu et celle de leur relation et par là tentons de juger ce qu'il en est de l'évidente nécessité de l'existence réelle de Dieu qu'il prétend ainsi démontrer comme une vérité objective.
«
Donc, Seigneur, toi qui donnes intellect à la foi, donne-moi, autant
que tu sais
faire,
de comprendre que tu es, comme nous croyons, et que tu es ce que nous
croyons. »
D'emblée Anselme
fait de l'intelligence et de la foi un don de Dieu; ce qui suppose, dès lors qu'il s'adresse directement à Dieu, comme présence vécue, dans sa prière, qu'il est déjà suffisamment convaincu de son existence sinon par l'intelligence du moins par la foi .
fait de l'intelligence un instrument de la foi, ce qui écarte la possibilité d'en faire un juge critique valide de la foi, mais assigne à la raison l'obligation de le confirmer dans sa foi.
Il s'agit donc pour lui de voir sa foi confortée par la raison et non pas de discuter rationnellement de la valeur de vérité de sa foi. Il s'agit donc a-priori de s'interdire tout débat sur le rôle de la raison comme possible juge de la connaissance religieuse ou théologique.
Nous sommes donc bien dans le cadre d'une pensée anti-dialectique qui prétend refuser tout pouvoir critique de la raison dans le domaine de la croyance religieuse et cela au nom du don divin et donc de la loi divine : la foi en Dieu fonde l'usage légitime de la raison et s'interdit toute velléité de remise en cause de la révélation divine qui fait de la raison un don de Dieu pour conforter la foi. Il faut être croyant pour accepter le raisonnement qui suit que l'on a appelé preuve ontologique. Commentons ce dernier
« Et certes, nous croyons que tu es quelque chose de tel que rien ne se peut.
penser de plus grand »
Nous sommes dans la pensée et non dans la visée de la réalité du contenu de l'idée de Dieu. L'idée de Dieu est, dans l'esprit du croyant , l'idée d'un être qui est le plus grand de tous les êtres. Rien ne permet encore de dire selon la raison que cet être existe réellement en dehors de l'idée que s'en fait le croyant, sauf à faire de sa croyance un critère rationnellement suffisant de vérité objective (de la vérité de' l'idée de Dieu dans son rapport de conformité à l'existence objective même de Dieu), ce qui ferait de la raison un adjuvant inutile ou purement rhétorique de la foi à l'intention de tromper le non-croyant en lui présentant l'existence de Dieu comme une vérité rationnelle.
"Donc l’insensé aussi, il lui faut convenir qu’il y a bien dans l’intellect quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, puisqu’il comprend ce qu’il entend, et que tout ce qui est compris est dans l’intellect."
« Et il est bien certain que ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand ne peut être seulement dans l’intellect ne rien ne se peut penser de plus grand »
Ce qui est plus grand que tout ne peut se penser comme existant dans les seules limites de la raison humaine, mais doit être pensé comme réellement existant.
Démonstration: Il suffit en effet de penser c'est à dire de comprendre ce que l'on pense quand on pense à un être plus grand que tout (ce qui ne veut pas dire connaître précisément cet être en totalité ou dans sa nature), y compris pour l'insensé qui nierait qu'il puisse exister réellement un être plus grand que tout, pour penser nécessairement que cet être existe, car sinon il ne serait pas plus grand que tout: être plus grand que tout, c'est en effet être réellement existant: il y aurait donc une contradiction logique selon Anselme entre suprême grandeur et inexistence, dès lors que l'existence est une grandeur et/ou en fait partie et que la non existence serait un manque celle-ci interdirait de penser l'extrême grandeur comme telle. Ce qui n'est pas, puisque tous les hommes sont capables de la penser, y compris l'incroyant. Il suffit donc d'être capable de penser l'extrême grandeur pour être assuré démonstrativement qu'elle existe hors de l'esprit qui la pense c'est à dire ou objectivement.
« Il est donc hors de doute qu’existe quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, et cela tant dans l’intellect que dans la réalité... »
Nous voilà bien au cœur de la preuve : en ce qui concerne la pensée de l'être « le plus grand » que nous pouvons penser sinon connaître (par la raison) cette pensée, sauf à se contredire elle-même ne peut pas refuser à cet être l'existence hors d'elle car cette existence, nous l'avons vu fait intégralement partie de sa grandeur infinie. Sauf que cette grandeur infinie n'est pas explicitement posée par Anselme comme telle. Celui-ci se contente de parler d'un être plus grand que tous les (autres) êtres mais rien ne dit:
que la suite des êtres ne soit pas elle-même infinie, ce qui interdit de penser l'idée un être plus grand que tous les autres, de même que dans le suite des nombres on peut toujours penser à un nombre plus grand que tout nombre sans pouvoir le définir comme le plus grand, et de même l' existence dans l'esprit d'un être le plus grand ou l'existence réelle hors de l'esprit de cet être devient une pétition de principe non démontrée.
que cette pensée de l'être plus grand que tous les autres, en tant qu'il serait infiniment infini, existe objectivement hors de la pensée de celui qui le définit comme tel; il pourrait n'être qu'un être de pensée sans objet référent dans la réalité, il n'est en rien contradictoire d'affirmer que cet être qui plus est unique (en mathématiques nous savons qu'ils « existent » au sens mathématique plusieurs infinis. Ex: l'ensemble des nombres et l'ensemble des nombres pairs n'existent pas hors de l'esprit de celui qui le pense car l'existence logiquement n'est pas une grandeur ou le prédicat d'un objet qui serait plus grand que tous les autres, voire infini, mais un opérateur qui pose cet existence comme un jugement de réalité à propos de l'objet et qui n'appartient pas à sa définition. Ce jugement d'existence à propos d'un objet pensé a besoin d'être prouvée non pas logiquement mais par l'expérience, comme toute existence objective hors de l'esprit. Tant qu'on reste dans la seule logique on reste sur le plan des idées et non de la réalité extérieure à l'esprit, comme le dit justement Kant (lire plus loin). On ne peut sortir de l'esprit par la logique quelque soit l'objet pensé, fut-il d'une grandeur infinie. On a le droit de nier son existence en dehors de l'esprit de celui qui le pense. Qui plus est un être plus grand que tous les êtres peut être pensé comme l'être infiniment infini que je peux appeler nature et non pas Dieu ou Dieu comme nature infiniment infinie (Spinoza) dont les autres êtres ne seraient que des modes infinis ou finis. Rien ne permet d'affirmer que la nature si on lui accorde une grandeur infinie soit créée pas un Dieu transcendant et non pas seulement l'effet en tant que nature naturée d'elle-même en tant que nature naturante.
Descartes: « Les méditations métaphysiques » Méditation 3 (1641).
C'est Descartes qui a vu que le raisonnement d'Anselme était insuffisant car par trop centré sur le terme de grandeur pour le moins ambigu dès lors qu'il implique l'idée d'une comparaison quantitative qui ne dit rien sur la qualité de cette grandeur, laquelle la distingue de toute autre grandeur quantifiable et interdit toute relativité ou relativisation.
Si Dieu est dieu c'est par la perfection comme grandeur incomparable qu'il se distingue de tout autre être.
La preuve ontologique de Descartes fait de la perfection divine le nerf de sa démonstration sans, en apparence, faire référence à la foi comme croyance supra-rationnelle et cela en deux temps:
Si Dieu est parfait et si la perfection existe nécessairement, alors dieu existe réellement en dehors de ma pensée. La première proposition est une définition purement conceptuelle qui en tant que telle n'implique encore en rien l'existence de Dieu hors de l'esprit, c'est la deuxième proposition de ce raisonnement qui introduit l'existence comme partie prenante de l'idée de perfection. En quoi? En cela qu'une perfection qui n'existerait pas serait imparfaite, ce qui serait logiquement absurde et ainsi l'idée de perfection semble impliquer par ce simple raisonnement par l'absurde, que la perfection existe. La conclusion d'un tel syllogisme est donc que si la perfection existe et s'il n'existe qu'une seule perfection, sauf à être imparfaite, ce qui serait logiquement contradictoire, alors Dieu existe en tant qu'unique perfection.
Mais Descartes se rend très bien compte que ce syllogisme (apparent, voir plus loin) est encore contestable: il se pourrait en effet que le perfection n'existe que dans et pour pensée (logique) et non dans la réalité extérieure à elle .. « car ayant accoutumé dans toutes les autres choses de faire distinction entre l'existence et l'essence, je me persuade aisément que l'existence peut être séparée de l'essence de Dieu, et qu'ainsi on peut concevoir Dieu comme n'étant pas actuellement. Mais néanmoins, lorsque j'y pense avec plus d'attention, je trouve manifestement que l'existence ne peut non plus être séparée de l'essence de Dieu, que de l'essence d'un triangle rectiligne la grandeur de ses trois angles égaux à deux droits, ou bien de l'idée, d'une montagne l'idée d'une vallée; en sorte qu'il n'y a pas moins de Répugnance de concevoir un dieu (c'est-à-dire un être souverainement parfait) auquel manque l'existence (c'est-à-dire auquel manque quelque perfection), que de concevoir une montagne qui n'ait point de vallée ». Descartes affirme qu'il ne peut penser Dieu comme être parfait sans penser qu'il existe nécessairement en tant que tel, sauf à commettre une contradiction logique: un être parfait ne peut pas, sans contradiction, ne pas exister, sauf à être imparfait, ce qui est contradictoire, comme nous l'avons vu . Mais cela ne lui permet pas, en toute,rigueur, de sortir de la pensée de cette existence pour affirmer l'existence réelle de Dieu. « Mais encore qu'en effet je ne puisse pas concevoir un Dieu sans existence, non plus qu'une montagne sans vallée, toutefois, comme de cela seul que je conçois une montagne avec une vallée, il ne s'ensuit pas qu'il y ait aucune montagne dans le monde, de même aussi, quoique je conçoive Dieu avec l'existence, il semble qu'il ne s'ensuit pas pour cela qu'il y en ait aucun qui existe: car ma pensée n'impose aucune nécessité aux choses; et comme il ne tient qu'à moi d'imaginer un cheval ailé, encore qu'il n'y en ait aucun qui ait des ailes, ainsi je pourrais peut-être attribuer l'existence à Dieu, encore qu'il n'y eût aucun Dieu qui existât. » » Tant s'en faut, c'est ici qu'il y a un sophisme caché sous l'apparence de cette objection: car de ce que je ne puis concevoir une montagne sans vallée, il ne s'ensuit pas qu'il y ait au monde aucune montagne, ni aucune vallée, mais seulement que la montagne et la vallée, soit qu'il y en ait, soit qu'il n'y en ait point, ne se peuvent en aucune façon séparer l'une d'avec l'autre; au lieu que, de cela seul que je ne puis concevoir Dieu sans existence, il s'ensuit que l'existence est inséparable de lui, et partant qu'il existe véritablement: non pas que ma pensée puisse faire que cela soit de la sorte, et qu'elle impose aux choses aucune nécessité; mais, au contraire, parce que la nécessité de la chose même, à savoir de l'existence de Dieu, détermine ma pensée à le concevoir de cette façon. Car il n'est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans existence (c'est-à-dire un être souverainement parfait sans une souveraine perfection), comme il m'est libre d'imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes.» Ainsi l'existence de Dieu ne peut dépendre de moi dès lors que l'existence elle-même de Dieu m'impose de penser que l'idée de perfection comme indissociable de celle de Dieu ne peut ne peut provenir de moi. »
Il va donc introduire une deuxième élément dans la preuve: celui de la causalité nécessairement réelle de l'idée de perfection qu'il a dans l'esprit. Nos idées doivent être distinguées quant à leur origine entre celles qui sont innées et celles qui sont acquises et produites par le sujet qui pense, à l'expérience du monde et des autres. Or l'idée de perfection ne peut être acquise en cela qu'alors sa cause dite efficiente, le sujet imparfait qui pense, serait inférieure à son effet: toute idée acquise et fabriquée par notre esprit ne peut être, quant à sa cause, qu'imparfaite. Or il y a au moins autant de perfection dans la cause que dans l'effet, sauf à penser que ce qui est peut provenir de ce qui n'est pas. Donc seul Dieu réellement existant pour être la cause de l'idée de perfection, celle-ci est nécessairement une idée innée comme don de Dieu en tant qu'être parfait. Si j'ai en moi l'idée de perfection celle-ci ne peut provenir que d'une cause parfaite réellement existante hors de moi, ainsi dieu existe non pas seulement dans mon esprit en tant qu'idée mais aussi nécessairement dans la réalité en tant que cause, seule possible, de cette idée, sauf à considérer que Dieu pourrait le tromper; mais même dans ce cas cette tromperie impliquerait l'existence d'un Dieu trompeur, supposition qui est du reste resterait logiquement contradictoire avec sa perfection.
La connaissance de la finitude du sujet qui pense permet à celui-ci de prouver que seul un Dieu unique, infini et /ou parfait peut être cause réelle de l'idée de perfection, c'est à dire de l'idée de Dieu dans l'esprit de celui qui a l'idée innée de Dieu en lui....
Quelle est « l'avancée » de la preuve Descartes par rapport à celle d'Anselme?
Il s'agissait, nous l'avons vu, dans la prière d'Anselme en forme de raisonnement logique ou ontologique (qui déduit la réalité apriori de l'être suprême de l'enchainement logique d'idées) de se conforter dans la foi et d'écarter toute espèce de doute qui pourrait naitre d'un usage libre ou sceptique de la raison. La foi ne (se) suffirait-elle pas (à elle-même)? Faut-il encore la force de le raison pour la transformer en certitude objective? Faut-il « forcer » le raisonnement au point de faire paraître la foi comme une vérité rationnellement indiscutable? N'est-ce pas la question de la vérité comme certitude qui est aussi posée et par conséquent celle de la connaissance elle-même comme pouvoir de la produire ou de la découvrir? Mais alors cela veut dire que penser dans la perceptive de la foi comme fondement de la vérité, y compris celle délivrée par la raison, ne peut aller de soi. Un incroyant, comme le dira Descartes, peut toujours contester une vérité qui, par delà sa présentation objective, reste fondamentalement subjective ne valant que pour qui a la foi et ne pouvant convaincre que celui qui est déjà, dans son cœur, convaincu, au point de s'adresser à Dieu de l'existence de laquelle il ne doute pas . Et en cela d 'adresser cette prière à celui dont il est déjà assuré de l'existence pour affermir une foi qui pourrait objectivement être mise en doute par la raison. Nous verrons que le rôle pour le moins négatif de la raison dans son rapport à la foi, en ce qui concerne la vérité de Dieu, sera au centre de la pensée de Pascal. Mais il faudra pour et avant cela que Descartes tente de démontrer par la seule raison, sans succès comme nous le verrons , l'existence de Dieu comme vérité première de la connaissance rationnelle elle-même, pour que se dévoile l'impossibilité de tout raisonnement ontologique qui prétendrait conclure l'existence de la pensée logique. Or il y a un paradoxe fondamental dans la position de Descartes qui à lui seul, est une menace mortelle pour la foi.: faire du doute radical et systématique la condition de la certitude de la démonstration de l'existence de Dieu fait de la vérité de la foi un objet du doute rationnel. Ce qui est une atteinte, non moins radicale, à la certitude de la foi elle-même, en tant que vérité qui doit pouvoir se suffire à elle-même. Qu'en est-il de cette démonstration?
Il faut, pour comprendre l'innovation de Descartes vis-à-vis de cette prétendue preuve ontologique d'Anselme, voir, dans la démarche du plus grand philosophe d'un pays qui est encore aujourd'hui le plus laïque des démocraties dans le monde, un changement radical de perspective. Il s'agit, pour lui, de faire de l'établissement de la vérité rationnelle comme telle son but ainsi que celui de la philosophie et cela sur une base purement humaine et non plus seulement le moyen de (de s') assurer (de) la valeur de la foi ou de la révélation en l'existence de Dieu. Pour ce faire il tente de démontrer, par le seul usage critique du doute radical, le moyen de s'assurer dans l'ordre de la connaissance, y compris de l'existence fondatrice de Dieu. Ce qui implique que, pour lui, la raison du sujet (universelle) doit primer sur la foi et la révélation (don de Dieu), dès lors que l'on prétend à la vérité, y compris dans le domaine métaphysique. Mais il suffira alors de montrer, entre autres par Kant, que cette preuve est rationnellement fausse ou sophistique pour délivrer la vérité rationnelle de cette subordination prétendument rationnelle de la raison à la foi et des sciences à la théologie . La position de Descartes, à son corps défendant, a ouvert le possibilité d'une réfutation de la vérité révélée comme supra-rationnelle, voire irrationnelle; ce que l'église de l'époque, par sa condamnation du cartésianisme, a immédiatement perçu comme un danger mortel pour la prééminence de la foi en tant que fondement de toute vérité. Le sujet rationnel, pour Descartes apparait alors comme le seul juge de la vérité, y compris de celle de l'existence de Dieu, dès lors que seule la raison permet de dire ce qui vaut comme critère de la vérité, la révélation n'a plus qu'un caractère subjectif: Si le l'existence d'un Dieu de la raison n'est pas démontrable, il reste seulement le Dieu qui parle et existe au cœur du croyant comme l'affirme Pascal. Un tel croyant ne peut s'exprimer rationnellement sur sa croyance qu'au travers une démarche réflexive obvie pas sa croyance sous la forme d'un « jugement réfléchissant hypothétique à postériori » et cela au prix de la perte de tout caractère de certitude objective capable de surmonter l'épreuve de la crique rationnelle. L'affirmation de l'existence de dieu n'est plus alors, au mieux, qu'un postulat ou un jugement réfléchissant de la moralité et non plus un « jugement déterminant de la connaissance » selon les termes de Kant. Elle n'a plus de caractère de vérité autre que morale pour un sujet croyant. Qu'en est-il de la critique kantienne de toute démonstration ontologique possible de l'existence de Dieu? En quoi sape-t-elle définitivement toute prétention philosophico-théologique à démonter celle-ci?
Kant: « Critique de la raison pure »: Paralogisme des raisonnements dialectiques (1781)
Kant en effet remettra en question de la manière la plus radicale le para- syllogisme cartésien en affirmant que le fait de nier l'existence de Dieu comme être parfait n'est en rien une contradiction logique dès lors qu'en niant l'existence de Dieu on nie la perfection comme existante: l'existence n'est en rien une propriété ou un attribut analytique du concept de dieu et de sa perfection, mais un simple jugement synthétique que je peux supposer ou non ; dans ce dernier cas, « si je supprime l’idée de l'existence de Dieu, je supprime en même temps toutes ses propriétés, sa perfection, sa toute-puissance » etc... Dire: « il n'y a pas de perfection » ce n'est pas se contredire et ce d'autant plus que l'idée de perfection, du reste indéfinissable par elle-même en cela qu'elle est négative en tant que négation de tout objet fini dont nous avons l'expérience objective, n'est qu'un jugement de valeur du sujet à propos d'un objet, mais non un caractère objectif de cet objet. Nul n'a une idée claire de la perfection, mais une notion issue d'un simple sentiment d'émerveillement pour un objet que l'on considère comme infiniment supérieur à tout autre, sans en avoir de preuve. Ainsi l'idée de perfection est elle-même imparfaite et donc, contrairement à ce que dit Descartes, je peux bien en être l'auteur sur fond de comparaison en valeur que j' attribue à tel être imaginé avec d'autres objets pensés. Tout être pensé ne peut être dit existant que si je peux administrer la preuve expérimentale objective de son existence indépendante et hors de mon esprit. » Ainsi « Cent thalers (euros) réels ne contiennent rien de plus que cent thalers (euros) possibles. Car, comme les thalers (euros) possibles expriment le concept et les thalers (euros) réels, l'objet et sa position en lui-même, au cas où celui-ci contiendrait plus que celui-là, mon concept n'en serait pas le concept adéquat. Mais je suis plus riche avec cent thalers (euros) réels qu'avec leur simple concept (c'est-à-dire avec leur possibilité). » « Nul homme ne saurait, par de simples idées, devenir plus riche de connaissances, pas plus qu'un marchand ne le deviendrait en argent, si, pour augmenter sa fortune, il ajoutait quelques zéros à l'état de sa caisse. »
Exit donc la preuve ontologique a-priori de Descartes fondée sur le cercle logique qui consiste à prouver l'existence de Dieu par la raison et la valeur de la raison par l'existence de Dieu: on ne peut passer d'une idée possible à l'affirmation de l'existence réelle du contenu de cette idée. L'existence diront les logiciens moderne est un opérateur logique (parmi tous les x, il existe un x qui satisfait à la fonction d'être parfait) qui dépend du sujet qui affirme cette proposition synthétique (qui lie le sujet à un supposé prédicat qui ne découle pas logiquement de sa définition) , mais pas une fonction ou prédicat logique découlant de la définition analytique de l'objet.
C'est pourquoi les théologiens ont aujourd'hui abandonné cette prétendue preuve au profit de 2 types de preuves, soit d'autorité, soit d'expérience. Si la première est sans valeur rationnelle car rien ne prouve l'autorité de textes dits sacrés, si ce n'est l'existence même de dieu qui est censé les avoir inspiré, existence que cette preuve est censé prouver (cercle logique), la seconde peut être, soit de type subjectif, c'est à dire liée à une expérience mystique personnelle ou a une tradition acquise, soit de type objectif. Seul ce deuxième type doit intéresser le philosophe qui prétend argumenter ses opinions dans une perspective universaliste non déterminée par des préjugés religieux.
Peut-on prouver l'existence de Dieu sur fond d'expérience objective du monde?
2) Les preuves indirectes de Thomas d'Aquin (inductives)
1. Dieu, premier moteur immobile (St Thomas) « Somme théologique , in Les cinq voies » (1273)
« La preuve de l'existence de Dieu peut être obtenue par cinq voies. La première et la plus manifeste est celle qui part du mouvement. Il est évident, nos sens nous l'attestent, que dans ce monde certaines choses se meuvent. Or, tout ce qui se meut est mû par un autre. En effet, rien ne se meut qu'autant qu'il est en puissance par rapport à ce que le mouvement lui procure. Au contraire, ce qui meut ne le fait qu'autant qu'il est en acte ; car mouvoir, c'est faire passer de la puissance à l'acte, et rien ne peut être amené à l'acte autrement que par un être en acte, comme un corps chaud actuellement, tel le feu, rend chaud actuellement le bois qui était auparavant chaud en puissance, et ainsi le meut et l'altère. Or, il n'est pas possible que le même être envisagé sous le même rapport, soit à la fois en acte ou en puissance ; il ne le peut que sous des rapports divers : par exemple, ce qui est chaud en acte ne peut être en même temps chaud en puissance ; mais il est, en même temps, froid en puissance. Il est donc impossible que sous le même rapport et de la même manière quelque chose soit à la fois mouvant et mû, c'est-à-dire qu'il se meuve lui-même. Donc, si une chose se meut, on doit dire qu'elle est mue par une autre. Que si, ensuite, la chose qui meut se meut à son tour, il faut qu'à son tour elle soit mue par une autre, et celle-ci par une autre encore. Or, on ne peut ainsi procéder à l'infini, car il n'y aurait alors pas de moteur premier, et il s'en suivrait qu'il n'y aurait pas non plus d'autres moteurs, car les moteurs seconds ne meuvent que selon qu'ils sont mus par le moteur premier, comme le bâton ne meut que manié par la main. Donc il est nécessaire de parvenir à un moteur premier qui ne soit lui-même mû par aucun autre, et un tel être, tout le monde le reconnaît pour Dieu. »
Cette preuve tirée d'Aristote est fallacieuse en cela que rien ne prouve que le mouvement ne soit pas originel (premier) et que le repos apparent ne soit pas relatif au mouvement ; ce serait alors le mouvement et ses lois de compositions qui seraient causes de ce qui nous parait au repos dans des conditions déterminées. Ainsi dire qu'il faut un premier moteur immobile au mouvement c'est postuler ce qui est en question: l'existence de ce prétendu premier moteur. De plus rien ne nous dit quelle serait le cause de ce premier moteur, si ce n'est lui-même (causa sui); ce qui voudrait dire qu'il faudrait qu'il soit en mouvement pour être sa cause, sauf à penser qu'il soit cause de lui-même sans bouger et donc soit éternel (hors du temps); ce qui est aussi un postulat non démontré et non démontrable.
2. Dieu est la cause efficiente première
« La seconde voie se réfère à la notion de cause efficiente. Nous constatons, à observer les choses sensibles, qu'il y a un ordre, entre les causes efficientes ; mais ce qui ne se trouve pas et qui n'est pas possible, c'est qu'une chose soit la cause efficiente d'elle-même, ce qui la supposerait antérieure à elle-même, chose impossible. Or il n'est pas possible non plus qu'on remonte à l'infini dans les causes efficientes ; car, parmi toutes les causes efficientes en série, la première est cause des intermédiaires et les intermédiaires sont causes du dernier terme, quoi qu'il en soit du nombre des intermédiaires, qu'ils soient nombreux ou qu'il n'y en ait qu'un seul. D'autre part, supprimez la cause, vous supprimerez aussi l'effet. Donc, s'il n'y a pas de premier dans l'ordre des causes efficientes, il n'y aura ni dernier ni intermédiaire. Or, aller à l'infini dans les causes efficientes, ce serait supprimer la première ; en conséquence, il n'y aurait ni effet dernier, ni cause efficiente intermédiaire, ce qui est évidemment faux. Il faut donc nécessairement supposer quelque cause efficiente première, que tous appellent Dieu. »
Cette preuve est tout aussi fallacieuse que la première car elle ne vaut que si on présuppose sans démonstration que le monde est fini et qu'il est irrationnel de poser la possibilité d'un enchainement infini de causes et d'effets. Que cette possibilité soit difficile à imaginer car notre imagination est finie ne signifie pas qu'elle ne puisse être pensée comme infinie dans le temps de la connaissance; ce qui revient à affirmer que la connaissance de cet enchainement est infinie, c'est à dire liée à une histoire sans commencement premier absolu et sans fin dernière, sauf à postuler une intention première en vue d'une fin dernière, sur le modèle anthropomorphique de l'action humaine pour penser le monde comme création volontaire. D'autre part on voit mal comment une cause première absolue animée d'intention pourrait de l'extérieur crée un monde aussi relatif, ce qui supposerait qu'elle soit au départ relative à cette intention d'agir laquelle serait l'expression d'une imperfection originelle: ce qui est parfait n'a plus besoin de faire quoi que ce soit pour être ce qu'il est et encore moins de créer un mode aussi relatif et du point de vue même du théologien créationniste si imparfait. Dans un monde infiniment relatif, il n'est nul besoin de cause première unique: la multiplicité des causes et leurs enchainement plus ou moins aléatoire, dans des conditions déterminées, peut rendre compte de tous les phénomènes en tant que monde de l'expérience objective et cela dans l'infini du progrès de la connaissance. A vouloir tout expliquer par une première cause unique on n'explique rien de ce qui fait la différence des phénomènes dont nous avons l'expérience, or c'est cette différence qu'il importe de savoir pour les distinguer dans leurs causes propres et pouvoir agir efficacement sur eux.
3. Dieu est nécessaire en soi, c’est la première nécessité
« La troisième voie se prend du possible et du nécessaire, et elle est telle. Parmi les choses, nous en trouvons qui peuvent être et ne pas être : la preuve, c'est que certaines choses s'engendrent et se corrompent, et par conséquent sont et ne sont pas. Mais il est impossible que tout soit de telle nature ; car ce qui peut n'être pas, une fois ou l'autre n'est pas. Si donc tout peut n'être pas, à une époque donnée il n'y eut rien dans les choses. Or, s'il en était ainsi, maintenant encore rien ne serait ; car ce qui n'est pas ne commence d'être que par quelque chose qui est. Si donc alors nul être ne fut, il y eut impossibilité que rien commençât d'être, et ainsi, aujourd'hui, il n'y aurait rien, ce qu'on voit être faux. Donc, tous les êtres ne sont pas uniquement possibles, et il y a du nécessaire dans les choses. Or, tout ce qui est nécessaire, ou bien tire sa nécessité d'ailleurs, ou bien non. Et il n'est pas possible d'aller à l'infini dans la série des nécessaires ayant une cause de leur nécessité, pas plus qu'il ne l'est quand il s'agit des causes efficientes comme on l'a prouvé. On est donc contraint de supposer quelque chose qui soit nécessaire par soi-même, ne prenant pas ailleurs la cause de sa nécessité, mais fournissant leur cause de nécessité aux autres nécessaires. »
Deux volets corrélés apparemment logiques mais réellement sophistiques sont utilisés dans cet argument .
Le premier volet de l'argument concerne la question de l'être.
S'exprime dans cet argument l'éternel fantasme paralogique qui remonte à Parménide et Platon que les choses corruptibles n'existent pas vraiment dans la mesure où elles n'ont pas été toujours et ne seront plus; elles semblent, en effet, se contredire dans leur existence dès lors qu'elle seraient et ne seraient pas, par opposition avec le seul être pleinement existant qu'est Dieu en tant qu'être éternel et infini: seul l'être absolu comme donneur d'être peut faire que les êtres relatifs soient relativement existant dans le temps. Le plus peut engendrer le moins, mais non l'inverse, or le déficit d'existence des êtres relatifs ne peut fonder l'existence en tant que telle, mais seulement les manifestations relatives des êtres relativement existants. Cette vision de l'existence, de l'être comme contraire au néant dans les choses corruptibles relève d'une fausse conception à la fois de l'être et du principe de non-contradiction, car:
2) le fait qu'une chose ait été et ne sera plus n'infirme en rien sa pleine existence temporelle, sauf à croire que le fait qu'une porte soit fermée la nuit contredirait le fait qu'elle soit ouverte le jour! L'être, au sens d'existence réelle dans le monde en rapport avec les autres choses, n'est pas contredit pas un éventuelle disparition . Les êtres dont nous avons l'expérience sont temporels et c'est en ce sens qu'ils existent pleinement alors qu'un être infini et intemporel est proprement sans relation à rien, sans prédicat sinon négatif (in-fini, parfait comme in-imparfait etc) et son éventuelle existence hors du monde le rend pour le moins indéfinissable et indéterminable; ce qui permet du reste à Hegel d'affirmer que l'être en tant que tel (en soi) est équivalent au néant!
3) Enfin nous savons que le principe de non-contradiction interdit de nier et d'affirmer un même prédicat d'un sujet en même temps et sous le même rapport. Or il n'en est rien ici, puisque les êtres relatifs ont été et ne seront plus en des temps différents et, si elles changent d'attributs, sous des rapports différents , dire que les êtres qui ne seront plus ne sont pas vraiment est tout aussi absurde que de dire qu'une porte ne peut être fermée le nuit et ouverte le jour et que, de ce fait, son existence de porte compromise!
Le deuxième volet de l'argument consiste à affirmer qu'il n'est pas possible d'aller à l'infini dans le recherche des causes , ce qui veut dire que l'être divin en tant qu'éternel doit être compris comme la seule cause possible et première absolue pensable de l'existence de tous les êtres relatifs, mais ce qu'oublie Thomas c'est de préciser que ce n'est pas possible pour son esprit limité et (de) croyant, mais non en soi, dès lors qu'il escamote au passage la possibilité au moins théorique d'un progrès indéfini des connaissances! Cette preuve, comme la preuve ontologique, prétend conclure de la pensée limitée à l'existence réelle d'un être infini et infiniment simple en tant que cause première du monde . » Ce besoin de première cause (cause de soi) de la raison thomiste -et non pas de la raison tout court- ne fait que reprendre le sophisme d'Anselme qui, au moins lui, au contraire de Descartes, faisait de cette existence de Dieu l'objet d'une expérience mystique ou de foi actuelle dans la prière et non un simple argument rationnel . Si tant bien même qu'un tel besoin de cause première existât dans l'esprit et qu'il ne puisse être satisfait par ses propres moyens individuels et collectifs dans le temps indéfini cela pourrait signifier, avec plus de rigueur logique encore que la prétendue nécessité de l'existence de Dieu, que l'esprit humain est incapable de connaître le tout (infini) dont il fait partie (finie). C'est dire que, comme le dira Kant, toute connaissance métaphysique du tout et de Dieu, si tant est qu'il (puisse) existe(r) comme cause première (qu'est ce qu'une cause de soi?), de l'âme, de l'absolu, , est rationnellement impossible et, comme le dira Pascal, que « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison » » L'existence réelle de Dieu (hors de l'esprit du croyant ) ne peut être qu'un objet subjectif de croyance et non pas un objet objectivement démontrable en raison, sauf à faire de celle-ci comme le demandait Thomas la servante de celle-là en lui interdisant a priori toute interrogation ou tout jugement sur la valeur de vérité objective du contenu de la foi. En refusant donc ou en limitant arbitrairement son pouvoir critique. Cette idée de cause première absolue est ce par quoi la foi religieuse est dogmatique et irrationnelle, c'est à dire contraire à la puissance critique de la raison.
« La quatrième voie procède des degrés qu'on remarque dans les choses. On voit en effet dans les choses du plus ou moins bon, du plus ou moins vrai, du plus ou moins noble, et ainsi d'attributs semblables. Or, le plus et le moins se disent des choses diverses selon que diversement ces choses se rapprochent de ce qui réalise le maximum ; par exemple, on dira plus chaud ce qui se rapproche davantage du maximum de chaleur. Il y a donc quelque chose qui est souverainement vrai, souverainement bon, souverainement noble, et par conséquent aussi souverainement être, car, comme le fait voir Aristote dans la Métaphysique, ce qui est souverain en vérité est aussi souverain quant à l'être. D'autre part, ce qu'on dit souverainement tel, en genre quelconque, est cause de tous les cas de ce genre, comme le feu, chaud au maximum est cause de la chaleur de tout le reste, ainsi qu'il est dit au même livre. Il y a donc quelque chose qui est pour tous les êtres, cause d'être, de bonté et de toute perfection. C'est ce que nous disons Dieu. »
Ici Thomas commet la confusion classique entre les choses elles-même et notre jugement de valeur sur les choses que nous considérons comme plus ou moins bonnes selon des critères nécessairement subjectifs; elle est typique de ce mode d'argumentation: la valeur que le sujet attribue aux choses définit les choses elles-même objectivement. Si l'on refuse cette confusion et que l'on distingue jugement de valeur et jugement de connaissance des êtres et des choses, alors cet argument tombe en son principe. Comme le disait ironiquement Spinoza « chaque chose est nécessairement parfaite en son genre », dès lors qu'elle est ce qu'elle est et agit en conséquence selon sa puissance d'agir propre. Seules les actions humaines sont, selon nos valeurs et désirs, partagées ou non, plus ou moins bonnes. Du reste l'exemple de la chaleur pris par Thomas est significatif: il n' y a pas de chaleur en soi mais une température mesurable en degrés que nous apprécions comme chaude ou froide d'une manière qui ne tient qu'à notre complexion biologique et/ou personnelle. Confondre l'être et la valeur et/ou la vérité et le bien est un sophisme: ce qui existe peut être vécu comme mauvais et ce qui n'existe pas peut être imaginé comme bon. Le fait que l'on juge Dieu infiniment bon n'implique en rien son existence hors de notre imagination. Le fait que l'on juge le monde mauvais n'implique en rien qu'un Dieu bon en soit (et non en soi) le créateur, bien au contraire!
5. Dieu est le guide intelligent de toutes choses
« Enfin, la cinquième voie remonte à Dieu par le gouvernement des choses. Nous voyons que les choses privées de connaissance comme les corps naturels agissent en vue d'une fin, ce qui nous est manifesté par ceci que toujours, ou le plus souvent, ils agissent de la même manière de façon à réaliser le meilleur : d'où il apert que ce n'est point par hasard, mais en vertu d'une tendance déterminée qu'ils parviennent à leur fin. Or, ce qui est privé de connaissance ne peut tendre à une fin que dirige par un être connaissant et intelligent, comme la flèche par le sagittaire. Il y a donc quelque être intelligent, par lequel toutes choses naturelles sont orientées vers leur fin et cet être, nous le disons Dieu. »
jacques bonniot a écrit :
Resalut Sylvain,
Voici où j'en suis de ma reflexion sur la question que tu m'as lancée, mais je ne pense pas pouvoir parvenir à quelque chose de publiable en moins de 15 jours....
Jacques.
Si l'on admet les présupposés sur lesquels repose la critique kantienne de l' »argument » de saint Anselme, ce n'est pas seulement cet « argument » qui de vient incompréhensible, mais aussi bien le mouvement de pensée qui aboutit chez Descartes au « cogito ».
* « Si nous admettions avec les classiques que nous pouvons nous connaître nous-mêmes comme une chose en soi, tels que nous sommes ontologiquement, toute la Critique de la Raison pure s'effondrerait, car elle interdit non seulement la possibilité d'une connaissance en soi, mais aussi la déduction de l'essence de la pensée. L'existence chez Kant n'est jamais une propriété du concept ; l'analyse d'un concept ne permet jamais de trouver l'existence, ou de dire qu'un objet doit nécessairement correspondre à ce concept. Or dans le cogito, du seul fait de penser, Descartes croit découvrir l'existence d'un objet en soi - selon une création d'un objet par le seul acte de le penser. »
J. Rivelaygue, Leçons de métaphysique allemande, tome 2, Grasset p.189.
Le « Je pense », « texte unique de la psychologie rationnelle », (Critique de la raison pure, GF p. 340), n'est plus alors que le foyer « devant pouvoir accompagner toutes mes représentations » (p.154), « le véhicule de tous les concepts » (p.339).
Selon la distinction kantienne penser/connaître.
Kant : le jugement qui pose l'existence de l'objet est nécessairement synthétique.
Quel est le statut de l'idée de Dieu une fois réfutées définitivement les « preuves » ? L'idée de Dieu est le nom d'une illusion tant que l'on croit nommer ainsi un objet de connaissance, un objet à connaître. Que reste-t-il une fois réfutée cette illusion (mais illusion qui se maintiendra toujours, illusion que la raison ne parviendra jamais à laisser derrière soi, comme c'est toujours le cas de l' »illusion transcendantale » chez Kant) ? Reste « un concept de Dieu « que je peux supposer ou non » ? Pas du tout. Reste une idée absolument nécessaire de la raison, un « postulat de la raison pratique » que je ne peux pas ne pas poser à chaque fois, sans que cela ne m'apporte quelque connaissance que ce soit. Ou encore, comme l'écrit Jacques Rivelaygue* en s'en tenant à la Critique de la raison pure « Dieu » est le nom d'une simple méthode pour la raison (sans contenu) sans lequel elle s'en tiendrait au simple travail de l'entendement, en renonçant à viser l'unité qui est la tâche propre de la raison. Sans la visée de l'inconditionné, il n'y aurait plus que l'affairement divers de l'entendement.
* sur le statut de l'idée rationnelle de Dieu une fois réfutée l'illusion générée par les paralogismes : voir J. Rivelaygue, Leçons de métaphysique allemande, tome 2, Grasset p. 213-216. (« Du point de vue de la Critique de la raison pure, l'idée de Dieu signifie : la nécessité de poser la totalité de l'expérience comme fondement de chaque expérience particulière. » J. R. p. 215).
Hegel surmontant l'opposition entre jugement synthétique et jugement analytique ; démontrant que tout jugement, s'il est authentiquement un jugement, est nécessairement solidairement les deux.
Sur le fait que Kant, dans la Critique de la Raison pure, reste tributaire de la conception thomisto-cartésienne de la pensée (et que c'est sur cette base que s'accomplit la critique kantienne de l'argument de saint Anselme) :
« La révolution copernicienne ébranle si peu l'ancien concept de vérité entendu comme adequatio de la connaissance à l'étant que, tout au contraire, elle le présuppose, le fondant même pour la première fois. » (Martin Heidegger, Kant et le problème de la métaphysique, TEL Gallimard p. 73.)
Sylvain Reboul
Merci pour ta réponse qui me semble suffisante, mais qui ne traite pas vraiment de mon sujet: la question de la preuve de l'existence entre raison et foi. et non celle de savoir si nous avons besoin de Dieu (du reste quel Dieu? celui des croyants, de quels croyants ou croyances, celui des philosophes?) pour fonder la morale: un besoin n'est pas une preuve et ne peut s'exprimer que par un postulat non démontrable, une croyance (ce que dit justement Kant) ; or que celle-ci soit de la raison et la seule possible au regard de la raison, reste éminemment discutable ! D'autres conceptions de la morale tout aussi rationnelles (et même plus), mais sans fondement divin, restent possibles
Je
ne suis évidemment pas hégelien . La phrase qui prétend que
Hegel aurait démontré que tout jugement, s'il est authentiquement
un jugement, est nécessairement solidairement jugement analytique et
synthétique n' a pour moi aucun sens possible, sinon celui d'une
pétition de principe . Ni en ce qui concerne le terme de
démonstration (je la cherche sans désespoir, car elle suppose
l'idéalisme absolu que je rejette ) ni en ce qui concerne la fusion
entre jugement analytique et jugement synthétique et j'ajoute la
confusion entre jugement déterminant et jugement réfléchissant qui
me semble encore plus suspecte au regard de l'exigence critique de
vérité .
Je refuse toute connaissance (sinon toute pensée)
de l'absolu et seul ce refus, méthodologique ou épistémologique,
est absolu (pour paraphraser A. Comte). En cela je suis, plus que
thomiste; aristotélicien (contre Platon), Aristote dont Thomas s'est
inspiré
Je te laisse la référence à Heidegger qui ne
concerne pas la question de la vérité de Dieu, (ou du rapport entre
foi et raison en ce qui concerne l'existence de Dieu) , mais de
l'être des étants ce qui est une autre affaire...