Critique de la (dé)raison théologique. 

La foi en Dieu a-t-elle besoin de preuves?

Texte suivi de: "Agnosticisme, athéisme et laïcité"


« L'homme qui n'a que ses forces d'homme ne peut pas saisir ce qui vient de l'Esprit de Dieu ; pour lui ce n'est que folie, et il ne peut pas comprendre, car c'est par l'Esprit qu'on en juge. » Paul de Tarse (1 Co 2. 14). vers 53

«  Tout ce que l'on peut dire de certain sur Dieu, c'est qu'il n'y a rien à en dire » Thomas d'Aquin « Somme théologique » (les cinq voies) 1273

« C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison. » Pascal, « Les pensées » 1670.

« On ne désire pas une chose parce qu'elle est bonne, mais on la trouve bonne parce qu'on la désire » Spinoza « L'Ethique »1677.


Il est paradoxal de constater que nombre de philosophes-théologiens, voire de pères de l'église, dans l'histoire de la pensée chrétienne, se sont efforcés de démontrer plus ou moins logiquement l'existence réelle de Dieu, alors même que la certitude de cette existence objective (ou hors de l'esprit) relève pour eux non de la raison, mais de la foi. Celle-ci en effet s'impose d'elle-même dans ce qui est reçue par eux et les croyants comme une révélation divine transmise par et dans une tradition fondée sur des texte inspirés voire dictés par dieu lui-même. Pourquoi donc faudrait-il qu'elle s'adjoigne un critère de vérité dont elle dénie précisément la pertinence dans le domaine religieux, la raisonnement, pour prouver ce dont elle est intimement convaincue et ce qui est présenté comme une vérité surnaturelle sacrée, à savoir indiscutable? Christ et sa résurrection disait Paul ne sont-ils pas folie pour la raison? Pascal lui même affirmait que la vérité de Dieu est celle du cœur et non de la raison et que Christ-Dieu s'impose comme au delà de toute raison, voire contre elle; la trinité est mystère comme le sont touts les dogmes fondamentaux de toutes les religions.

Pour réduire un tel paradoxe il faut, semble-t-il, faire retour sur le besoin de preuve rationnelle de l'existence de Dieu dans un monde (encore) traversé par le conflit entre la pensée philosophique grecque et antique qui se prétend rationnelle et est le lieu de débats débat interminable entre thèses opposées (dialogue) sur les fondements du monde et le sens de la vie humaine et la pensée religieuse qui n'a nul besoin de preuve et encore moins besoin d'arguments toujours discutables pour convaincre. Il faut donc comprendre cet étrange besoin de mêler vérité de foi et vérité de vérité de raison , théologie et philosophie, comme la conséquence d'une crise au moins latente entre deux modèles de la vérité et deux sources de la culture occidentales pour le moins difficilement compatibles. Mais cet effort de surmonter ce conflit n'est-il pas à son tour voué à l'échec sur les deux plans, celui de la foi et celui de la raison? N'y a t-il pas, dans cette tentative, le germe de la remise en question de la foi elle-même comme source première de toute vérité fondamentale? Où doit-on arrêter le pouvoir critique de la raison dès lors que l'on prétend prouver aussi par la raison que Dieu existe, y compris que la révélation en tant que telle de cette existence pourrait être sinon prouvée en elle-même du moins (dé)montrée rationnellement comme nécessaire?

Au fond, si une certaine partie de l'islam a très bien compris le danger en interdisant de philosopher à propos de la vérité divine et du sens du texte sacré, pour les considérer très tôt comme définitifs et les administrer sous l'autorité incontestable du Coran, de la tradition, et du pouvoir monopolistique et politiquement théocratique des imams, la tradition chrétienne a peut-être, en maintenant l'exigence de la preuve rationnelle, préparé la mise en question du contenu de la foi qu'une partie de l'islam sunnite a refusé dès le IXème siècle (« ne dire de Dieu que ce qu'en dit Dieu dans le coran et son prophète dans la sunna». Ibn Hanbal.); ce refus de toute interprétation du Coran par le hanbalisme qui a donné jour au salafisme et au Wahhabisme dominant en Arabie Saoudite, fait du livre sacré, considéré comme directement dicté par Dieu, et de la sunna (tradition du prophète) des textes à suivre à la lettre. Ce refus de toute interprétation a été imposé par une des traditions du sunnisme à partir du XIVème siècle, à l'encontre d'autres écoles plus ouvertes à la réflexion philosophique; d'autres courants modernistes de l'islam tentent aujourd'hui de rouvrir le droit à l'interprétation contre le danger de l'islamisme radical et terroriste qui n'est qu'une interprétation, au contraire de ce qu'elle prétend, intégriste de la tradition islamique. Mais l'on trouve à ce sujet des équivalents chrétiens de cet intégrisme littéral dans certaines églises nord-américaines qui, par exemple, refusent non seulement la théorie darwiniste de l'évolution, mais celle-ci même au nom de la bible prise à la lettre. Mais cette tentation intégriste chrétienne n'a pas pu et/ou a du mal historiquement à s'imposer car elle s'est heurtée au fait

  1. que les églises chrétiennes avaient besoin d'affirmer le libre-arbitre afin que seuls les hommes puissent être rendu responsables du péché et non pas le Dieu-créateur..

  2. que Dieu pour les chrétiens s'était incarné et s'était fait homme en son fils Jésus-Christ par amour pour annoncer l'évangile et le salut aux hommes et non pour les soumettre à sa seule puissance; cette deuxième interprétation de l'amour de Dieu pour les hommes, comme fondement du libre arbitre est plus moderne.

L'agnosticisme, voire l'athéisme et la séparation plus ou moins radicale de la religion et de la politique appelée laïcité, pourraient être alors, les fruits, à son corps défendant et il a fallu que les laïcs l'impose, de l'effort de la pensée religieuse chrétienne qui consiste à tenter de confirmer par la raison la vérité de la foi en un Dieu-Homme (double nature du Christ) paradoxal; mais, du même coup, la foi chrétienne était rendue rationnellement contestée et contestable.

Telle est l'hypothèse dont j'entends montrer ici la pertinence à l'examen des textes de références où sont développées les preuves de l'existence de Dieu chez St Anselme, Descartes, St Thomas et Jean-Paul II, ainsi que les critiques rationnelles justifiées, par Pascal et surtout Kant, que soulève cette tentative rationaliste de prouver l'existence de Dieu. Je conclurai sur la fin du religieux comme source et fondement ultimes de la vie politique que cet effort problématique, pour ne pas dire absurde, a provoqué malgré lui .


Foi et raison sur un bateau: celui-ci chavire.


Plusieurs types de preuves rationnelles de l'existence de dieu ont été proposées par les théologiens-philosophes dont il faut distinguer la preuve directe logico-ontologique (appellation donnée par Kant) et les preuves indirectes induites de la réflexion sur le monde et son origine.

1) Les preuves ontologiques directes (déductives)

Les démonstrations de Anselme de Canterbury et de Descartes

Anselme (Proslogion, Chapitre 2 : « Que Dieu est vraiment ») vers 1100.

« Donc, Seigneur, toi qui donnes intellect à la foi, donne-moi, autant que tu sais faire, de comprendre que tu es, comme nous croyons, et que tu es ce que nous croyons. Et certes, nous croyons que tu es quelque chose de tel que rien ne se peut. penser de plus grand. N’y a-t-il pas une nature telle parce que 1`insensé a dit dans son cœur : « Dieu n’est pas ». Mais il est bien certain que ce même insensé, quand il entend cela même que je dis: « quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand », comprend ce qu’il entend, et que ce qu’il comprend est dans son

intellect, même s’il ne comprend pas que ce quelque chose est. Car c’est une chose que d’avoir quelque chose dans l’intellect, et autre chose que de comprendre que ce quelque chose est. En effet, quand le peintre prémédite ce qu’il va faire, il a certes dans l’intellect ce qu’il n’a pas encore fait, mais il comprend que cette chose n’est pas encore. Et une fois qu’il l’a peinte, d’une part il a dans l’intellect ce qu’il a fait, et d’autre part il comprend que ça est. Donc l’insensé aussi, il lui faut convenir qu’il y a bien dans l’intellect quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus

grand, puisqu’il comprend ce qu’il entend, et que tout ce qui est compris est dans l’intellect. Et il est bien certain que ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand ne peut être seulement dans l’intellect. Car si c’est seulement dans l’intellect, on peut penser que ce soit aussi dans la réalité, ce qui est plus grand. Si donc ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand est seulement dans 1’ intellect, cela même qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand est tel qu’on peut penser quelque chose de plus grand; mais cela est à coup sûr impossible. Il est donc hors de doute qu’existe quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, etcela tant dans l’intellect que dans la réalité... » Psaume 14 :1 ; 53 :1.

Il s'agit, dans ce texte, d'une prière qui s'adresse à Dieu et donc qui présuppose la foi en son existence pour montrer en quoi elle lui paraît nécessaire du point de vue de cette foi fondatrice de son raisonnement. « Je ne cherche pas à comprendre afin de croire, mais je crois afin de comprendre. Car je crois ceci — à moins que je ne croie, je ne comprendrai pas. » Cette argumentation n'est donc en rien lié à une interrogation critique visant à répondre dialectiquement, argument contre argument, positivement sur la question de l'existence de Dieu, mais l'exposé rationalisé de la foi qui l'anime; ce qui revient à faire de la raison la servante de la foi et non pas son juge d'instruction ( à charge et à décharge). La preuve qu'il invoque au regard de sa foi est par définition a-critique en cela que la raison ne peut que lui confirmer dans le dialogue qu'il mène avec Dieu la nécessité prétendument démontrable de l'existence objectivement indiscutable de ce dernier. Qui refuse cette évidence de foi rationalisée, selon lui, ne peut être qu'un insensé, en cela que ce dernier semble refuser le principe de (non)contradiction indispensable pour communiquer du sens et convaincre philosophiquement. Toute la question est donc de savoir si ce principe est ici appliqué rationnellement et s'il suffit d'en faire un usage apparent pour que non seulement l'idée de l'existence de Dieu soit prouvée dans son esprit, mais aussi l' existence réelle de celui-ci, en dehors de l'idée que sa foi induit en son esprit ou si ce raisonnement pourrait se suffire à lui-même logiquement pour prouver l'existence réelle du Dieu (et non seulement la possibilité, sinon la nécessité logique de son idée), sans la foi qui l'anime.

Examinons l'enchainement des propositions qui constitue ce raisonnement, à savoir la validité de leur contenu et celle de leur relation et par là tentons de juger ce qu'il en est de l'évidente nécessité de l'existence réelle de Dieu qu'il prétend ainsi démontrer comme une vérité objective.

« Donc, Seigneur, toi qui donnes intellect à la foi, donne-moi, autant que tu sais
faire, de comprendre que tu es, comme nous croyons, et que tu es ce que nous
croyons. »

D'emblée Anselme

  1. fait de l'intelligence et de la foi un don de Dieu; ce qui suppose, dès lors qu'il s'adresse directement à Dieu, comme présence vécue, dans sa prière, qu'il est déjà suffisamment convaincu de son existence sinon par l'intelligence du moins par la foi .

  2. fait de l'intelligence un instrument de la foi, ce qui écarte la possibilité d'en faire un juge critique valide de la foi, mais assigne à la raison l'obligation de le confirmer dans sa foi.

Il s'agit donc pour lui de voir sa foi confortée par la raison et non pas de discuter rationnellement de la valeur de vérité de sa foi. Il s'agit donc a-priori de s'interdire tout débat sur le rôle de la raison comme possible juge de la connaissance religieuse ou théologique.

Nous sommes donc bien dans le cadre d'une pensée anti-dialectique qui prétend refuser tout pouvoir critique de la raison dans le domaine de la croyance religieuse et cela au nom du don divin et donc de la loi divine : la foi en Dieu fonde l'usage légitime de la raison et s'interdit toute velléité de remise en cause de la révélation divine qui fait de la raison un don de Dieu pour conforter la foi. Il faut être croyant pour accepter le raisonnement qui suit que l'on a appelé preuve ontologique. Commentons ce dernier

« Et certes, nous croyons que tu es quelque chose de tel que rien ne se peut.

penser de plus grand »

Nous sommes dans la pensée et non dans la visée de la réalité du contenu de l'idée de Dieu. L'idée de Dieu est, dans l'esprit du croyant , l'idée d'un être qui est le plus grand de tous les êtres. Rien ne permet encore de dire selon la raison que cet être existe réellement en dehors de l'idée que s'en fait le croyant, sauf à faire de sa croyance un critère rationnellement suffisant de vérité objective (de la vérité de' l'idée de Dieu dans son rapport de conformité à l'existence objective même de Dieu), ce qui ferait de la raison un adjuvant inutile ou purement rhétorique de la foi à l'intention de tromper le non-croyant en lui présentant l'existence de Dieu comme une vérité rationnelle.


"Donc l’insensé aussi, il lui faut convenir qu’il y a bien dans l’intellect quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, puisqu’il comprend ce qu’il entend, et que tout ce qui est compris est dans l’intellect."

« Et il est bien certain que ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand ne peut être seulement dans l’intellect ne rien ne se peut penser de plus grand »

Ce qui est plus grand que tout ne peut se penser comme existant dans les seules limites de la raison humaine, mais doit être pensé comme réellement existant.

Démonstration: Il suffit en effet de penser c'est à dire de comprendre ce que l'on pense quand on pense à un être plus grand que tout (ce qui ne veut pas dire connaître précisément cet être en totalité ou dans sa nature), y compris pour l'insensé qui nierait qu'il puisse exister réellement un être plus grand que tout, pour penser nécessairement que cet être existe, car sinon il ne serait pas plus grand que tout: être plus grand que tout, c'est en effet être réellement existant: il y aurait donc une contradiction logique selon Anselme entre suprême grandeur et inexistence, dès lors que l'existence est une grandeur et/ou en fait partie et que la non existence serait un manque celle-ci interdirait de penser l'extrême grandeur comme telle. Ce qui n'est pas, puisque tous les hommes sont capables de la penser, y compris l'incroyant. Il suffit donc d'être capable de penser l'extrême grandeur pour être assuré démonstrativement qu'elle existe hors de l'esprit qui la pense c'est à dire ou objectivement.

« Il est donc hors de doute qu’existe quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, et cela tant dans l’intellect que dans la réalité... »

Nous voilà bien au cœur de la preuve : en ce qui concerne la pensée de l'être « le plus grand » que nous pouvons penser sinon connaître (par la raison) cette pensée, sauf à se contredire elle-même ne peut pas refuser à cet être l'existence hors d'elle car cette existence, nous l'avons vu fait intégralement partie de sa grandeur infinie. Sauf que cette grandeur infinie n'est pas explicitement posée par Anselme comme telle. Celui-ci se contente de parler d'un être plus grand que tous les (autres) êtres mais rien ne dit:

  1. que la suite des êtres ne soit pas elle-même infinie, ce qui interdit de penser l'idée un être plus grand que tous les autres, de même que dans le suite des nombres on peut toujours penser à un nombre plus grand que tout nombre sans pouvoir le définir comme le plus grand, et de même l' existence dans l'esprit d'un être le plus grand ou l'existence réelle hors de l'esprit de cet être devient une pétition de principe non démontrée.

  2. que cette pensée de l'être plus grand que tous les autres, en tant qu'il serait infiniment infini, existe objectivement hors de la pensée de celui qui le définit comme tel; il pourrait n'être qu'un être de pensée sans objet référent dans la réalité, il n'est en rien contradictoire d'affirmer que cet être qui plus est unique (en mathématiques nous savons qu'ils « existent » au sens mathématique plusieurs infinis. Ex: l'ensemble des nombres et l'ensemble des nombres pairs n'existent pas hors de l'esprit de celui qui le pense car l'existence logiquement n'est pas une grandeur ou le prédicat d'un objet qui serait plus grand que tous les autres, voire infini, mais un opérateur qui pose cet existence comme un jugement de réalité à propos de l'objet et qui n'appartient pas à sa définition. Ce jugement d'existence à propos d'un objet pensé a besoin d'être prouvée non pas logiquement mais par l'expérience, comme toute existence objective hors de l'esprit. Tant qu'on reste dans la seule logique on reste sur le plan des idées et non de la réalité extérieure à l'esprit, comme le dit justement Kant (lire plus loin). On ne peut sortir de l'esprit par la logique quelque soit l'objet pensé, fut-il d'une grandeur infinie. On a le droit de nier son existence en dehors de l'esprit de celui qui le pense. Qui plus est un être plus grand que tous les êtres peut être pensé comme l'être infiniment infini que je peux appeler nature et non pas Dieu ou Dieu comme nature infiniment infinie (Spinoza) dont les autres êtres ne seraient que des modes infinis ou finis. Rien ne permet d'affirmer que la nature si on lui accorde une grandeur infinie soit créée pas un Dieu transcendant et non pas seulement l'effet en tant que nature naturée d'elle-même en tant que nature naturante.

Descartes: « Les méditations métaphysiques » Méditation 3 (1641).

C'est Descartes qui a vu que le raisonnement d'Anselme était insuffisant car par trop centré sur le terme de grandeur pour le moins ambigu dès lors qu'il implique l'idée d'une comparaison quantitative qui ne dit rien sur la qualité de cette grandeur, laquelle la distingue de toute autre grandeur quantifiable et interdit toute relativité ou relativisation.

Si Dieu est dieu c'est par la perfection comme grandeur incomparable qu'il se distingue de tout autre être.

La preuve ontologique de Descartes fait de la perfection divine le nerf de sa démonstration sans, en apparence, faire référence à la foi comme croyance supra-rationnelle et cela en deux temps:

Si Dieu est parfait et si la perfection existe nécessairement, alors dieu existe réellement en dehors de ma pensée. La première proposition est une définition purement conceptuelle qui en tant que telle n'implique encore en rien l'existence de Dieu hors de l'esprit, c'est la deuxième proposition de ce raisonnement qui introduit l'existence comme partie prenante de l'idée de perfection. En quoi? En cela qu'une perfection qui n'existerait pas serait imparfaite, ce qui serait logiquement absurde et ainsi l'idée de perfection semble impliquer par ce simple raisonnement par l'absurde, que la perfection existe. La conclusion d'un tel syllogisme est donc que si la perfection existe et s'il n'existe qu'une seule perfection, sauf à être imparfaite, ce qui serait logiquement contradictoire, alors Dieu existe en tant qu'unique perfection.

Mais Descartes se rend très bien compte que ce syllogisme (apparent, voir plus loin) est encore contestable: il se pourrait en effet que le perfection n'existe que dans et pour pensée (logique) et non dans la réalité extérieure à elle .. « car ayant accoutumé dans toutes les autres choses de faire distinction entre l'existence et l'essence, je me persuade aisément que l'existence peut être séparée de l'essence de Dieu, et qu'ainsi on peut concevoir Dieu comme n'étant pas actuellement. Mais néanmoins, lorsque j'y pense avec plus d'attention, je trouve manifestement que l'existence ne peut non plus être séparée de l'essence de Dieu, que de l'essence d'un triangle rectiligne la grandeur de ses trois angles égaux à deux droits, ou bien de l'idée, d'une montagne l'idée d'une vallée; en sorte qu'il n'y a pas moins de Répugnance de concevoir un dieu (c'est-à-dire un être souverainement parfait) auquel manque l'existence (c'est-à-dire auquel manque quelque perfection), que de concevoir une montagne qui n'ait point de vallée ». Descartes affirme qu'il ne peut penser Dieu comme être parfait sans penser qu'il existe nécessairement en tant que tel, sauf à commettre une contradiction logique: un être parfait ne peut pas, sans contradiction, ne pas exister, sauf à être imparfait, ce qui est contradictoire, comme nous l'avons vu . Mais cela ne lui permet pas, en toute,rigueur, de sortir de la pensée de cette existence pour affirmer l'existence réelle de Dieu. « Mais encore qu'en effet je ne puisse pas concevoir un Dieu sans existence, non plus qu'une montagne sans vallée, toutefois, comme de cela seul que je conçois une montagne avec une vallée, il ne s'ensuit pas qu'il y ait aucune montagne dans le monde, de même aussi, quoique je conçoive Dieu avec l'existence, il semble qu'il ne s'ensuit pas pour cela qu'il y en ait aucun qui existe: car ma pensée n'impose aucune nécessité aux choses; et comme il ne tient qu'à moi d'imaginer un cheval ailé, encore qu'il n'y en ait aucun qui ait des ailes, ainsi je pourrais peut-être attribuer l'existence à Dieu, encore qu'il n'y eût aucun Dieu qui existât. » » Tant s'en faut, c'est ici qu'il y a un sophisme caché sous l'apparence de cette objection: car de ce que je ne puis concevoir une montagne sans vallée, il ne s'ensuit pas qu'il y ait au monde aucune montagne, ni aucune vallée, mais seulement que la montagne et la vallée, soit qu'il y en ait, soit qu'il n'y en ait point, ne se peuvent en aucune façon séparer l'une d'avec l'autre; au lieu que, de cela seul que je ne puis concevoir Dieu sans existence, il s'ensuit que l'existence est inséparable de lui, et partant qu'il existe véritablement: non pas que ma pensée puisse faire que cela soit de la sorte, et qu'elle impose aux choses aucune nécessité; mais, au contraire, parce que la nécessité de la chose même, à savoir de l'existence de Dieu, détermine ma pensée à le concevoir de cette façon. Car il n'est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans existence (c'est-à-dire un être souverainement parfait sans une souveraine perfection), comme il m'est libre d'imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes.» Ainsi l'existence de Dieu ne peut dépendre de moi dès lors que l'existence elle-même de Dieu m'impose de penser que l'idée de perfection comme indissociable de celle de Dieu ne peut ne peut provenir de moi. »

Il va donc introduire une deuxième élément dans la preuve: celui de la causalité nécessairement réelle de l'idée de perfection qu'il a dans l'esprit. Nos idées doivent être distinguées quant à leur origine entre celles qui sont innées et celles qui sont acquises et produites par le sujet qui pense, à l'expérience du monde et des autres. Or l'idée de perfection ne peut être acquise en cela qu'alors sa cause dite efficiente, le sujet imparfait qui pense, serait inférieure à son effet: toute idée acquise et fabriquée par notre esprit ne peut être, quant à sa cause, qu'imparfaite. Or il y a au moins autant de perfection dans la cause que dans l'effet, sauf à penser que ce qui est peut provenir de ce qui n'est pas. Donc seul Dieu réellement existant pour être la cause de l'idée de perfection, celle-ci est nécessairement une idée innée comme don de Dieu en tant qu'être parfait. Si j'ai en moi l'idée de perfection celle-ci ne peut provenir que d'une cause parfaite réellement existante hors de moi, ainsi dieu existe non pas seulement dans mon esprit en tant qu'idée mais aussi nécessairement dans la réalité en tant que cause, seule possible, de cette idée, sauf à considérer que Dieu pourrait le tromper; mais même dans ce cas cette tromperie impliquerait l'existence d'un Dieu trompeur, supposition qui est du reste resterait logiquement contradictoire avec sa perfection.

La connaissance de la finitude du sujet qui pense permet à celui-ci de prouver que seul un Dieu unique, infini et /ou parfait peut être cause réelle de l'idée de perfection, c'est à dire de l'idée de Dieu dans l'esprit de celui qui a l'idée innée de Dieu en lui....

Quelle est « l'avancée » de la preuve Descartes par rapport à celle d'Anselme?

Il s'agissait, nous l'avons vu, dans la prière d'Anselme en forme de raisonnement logique ou ontologique (qui déduit la réalité apriori de l'être suprême de l'enchainement logique d'idées) de se conforter dans la foi et d'écarter toute espèce de doute qui pourrait naitre d'un usage libre ou sceptique de la raison. La foi ne (se) suffirait-elle pas (à elle-même)? Faut-il encore la force de le raison pour la transformer en certitude objective? Faut-il « forcer » le raisonnement au point de faire paraître la foi comme une vérité rationnellement indiscutable? N'est-ce pas la question de la vérité comme certitude qui est aussi posée et par conséquent celle de la connaissance elle-même comme pouvoir de la produire ou de la découvrir? Mais alors cela veut dire que penser dans la perceptive de la foi comme fondement de la vérité, y compris celle délivrée par la raison, ne peut aller de soi. Un incroyant, comme le dira Descartes, peut toujours contester une vérité qui, par delà sa présentation objective, reste fondamentalement subjective ne valant que pour qui a la foi et ne pouvant convaincre que celui qui est déjà, dans son cœur, convaincu, au point de s'adresser à Dieu de l'existence de laquelle il ne doute pas . Et en cela d 'adresser cette prière à celui dont il est déjà assuré de l'existence pour affermir une foi qui pourrait objectivement être mise en doute par la raison. Nous verrons que le rôle pour le moins négatif de la raison dans son rapport à la foi, en ce qui concerne la vérité de Dieu, sera au centre de la pensée de Pascal. Mais il faudra pour et avant cela que Descartes tente de démontrer par la seule raison, sans succès comme nous le verrons , l'existence de Dieu comme vérité première de la connaissance rationnelle elle-même, pour que se dévoile l'impossibilité de tout raisonnement ontologique qui prétendrait conclure l'existence de la pensée logique. Or il y a un paradoxe fondamental dans la position de Descartes qui à lui seul, est une menace mortelle pour la foi.: faire du doute radical et systématique la condition de la certitude de la démonstration de l'existence de Dieu fait de la vérité de la foi un objet du doute rationnel. Ce qui est une atteinte, non moins radicale, à la certitude de la foi elle-même, en tant que vérité qui doit pouvoir se suffire à elle-même. Qu'en est-il de cette démonstration?

Il faut, pour comprendre l'innovation de Descartes vis-à-vis de cette prétendue preuve ontologique d'Anselme, voir, dans la démarche du plus grand philosophe d'un pays qui est encore aujourd'hui le plus laïque des démocraties dans le monde, un changement radical de perspective. Il s'agit, pour lui, de faire de l'établissement de la vérité rationnelle comme telle son but ainsi que celui de la philosophie et cela sur une base purement humaine et non plus seulement le moyen de (de s') assurer (de) la valeur de la foi ou de la révélation en l'existence de Dieu. Pour ce faire il tente de démontrer, par le seul usage critique du doute radical, le moyen de s'assurer dans l'ordre de la connaissance, y compris de l'existence fondatrice de Dieu. Ce qui implique que, pour lui, la raison du sujet (universelle) doit primer sur la foi et la révélation (don de Dieu), dès lors que l'on prétend à la vérité, y compris dans le domaine métaphysique. Mais il suffira alors de montrer, entre autres par Kant, que cette preuve est rationnellement fausse ou sophistique pour délivrer la vérité rationnelle de cette subordination prétendument rationnelle de la raison à la foi et des sciences à la théologie . La position de Descartes, à son corps défendant, a ouvert le possibilité d'une réfutation de la vérité révélée comme supra-rationnelle, voire irrationnelle; ce que l'église de l'époque, par sa condamnation du cartésianisme, a immédiatement perçu comme un danger mortel pour la prééminence de la foi en tant que fondement de toute vérité. Le sujet rationnel, pour Descartes apparait alors comme le seul juge de la vérité, y compris de celle de l'existence de Dieu, dès lors que seule la raison permet de dire ce qui vaut comme critère de la vérité, la révélation n'a plus qu'un caractère subjectif: Si le l'existence d'un Dieu de la raison n'est pas démontrable, il reste seulement le Dieu qui parle et existe au cœur du croyant comme l'affirme Pascal. Un tel croyant ne peut s'exprimer rationnellement sur sa croyance qu'au travers une démarche réflexive obvie pas sa croyance sous la forme d'un « jugement réfléchissant hypothétique à postériori » et cela au prix de la perte de tout caractère de certitude objective capable de surmonter l'épreuve de la crique rationnelle. L'affirmation de l'existence de dieu n'est plus alors, au mieux, qu'un postulat ou un jugement réfléchissant de la moralité et non plus un « jugement déterminant de la connaissance » selon les termes de Kant. Elle n'a plus de caractère de vérité autre que morale pour un sujet croyant. Qu'en est-il de la critique kantienne de toute démonstration ontologique possible de l'existence de Dieu? En quoi sape-t-elle définitivement toute prétention philosophico-théologique à démonter celle-ci?

Kant: « Critique de la raison pure »: Paralogisme des raisonnements dialectiques (1781)

Kant en effet remettra en question de la manière la plus radicale le para- syllogisme cartésien en affirmant que le fait de nier l'existence de Dieu comme être parfait n'est en rien une contradiction logique dès lors qu'en niant l'existence de Dieu on nie la perfection comme existante: l'existence n'est en rien une propriété ou un attribut analytique du concept de dieu et de sa perfection, mais un simple jugement synthétique que je peux supposer ou non ; dans ce dernier cas, « si je supprime l’idée de l'existence de Dieu, je supprime en même temps toutes ses propriétés, sa perfection, sa toute-puissance » etc... Dire: « il n'y a pas de perfection » ce n'est pas se contredire et ce d'autant plus que l'idée de perfection, du reste indéfinissable par elle-même en cela qu'elle est négative en tant que négation de tout objet fini dont nous avons l'expérience objective, n'est qu'un jugement de valeur du sujet à propos d'un objet, mais non un caractère objectif de cet objet. Nul n'a une idée claire de la perfection, mais une notion issue d'un simple sentiment d'émerveillement pour un objet que l'on considère comme infiniment supérieur à tout autre, sans en avoir de preuve. Ainsi l'idée de perfection est elle-même imparfaite et donc, contrairement à ce que dit Descartes, je peux bien en être l'auteur sur fond de comparaison en valeur que j' attribue à tel être imaginé avec d'autres objets pensés. Tout être pensé ne peut être dit existant que si je peux administrer la preuve expérimentale objective de son existence indépendante et hors de mon esprit. » Ainsi « Cent thalers (euros) réels ne contiennent rien de plus que cent thalers (euros) possibles. Car, comme les thalers (euros) possibles expriment le concept et les thalers (euros) réels, l'objet et sa position en lui-même, au cas où celui-ci contiendrait plus que celui-là, mon concept n'en serait pas le concept adéquat. Mais je suis plus riche avec cent thalers (euros) réels qu'avec leur simple concept (c'est-à-dire avec leur possibilité). » « Nul homme ne saurait, par de simples idées, devenir plus riche de connaissances, pas plus qu'un marchand ne le deviendrait en argent, si, pour augmenter sa fortune, il ajoutait quelques zéros à l'état de sa caisse. »

Exit donc la preuve ontologique a-priori de Descartes fondée sur le cercle logique qui consiste à prouver l'existence de Dieu par la raison et la valeur de la raison par l'existence de Dieu: on ne peut passer d'une idée possible à l'affirmation de l'existence réelle du contenu de cette idée. L'existence diront les logiciens moderne est un opérateur logique (parmi tous les x, il existe un x qui satisfait à la fonction d'être parfait) qui dépend du sujet qui affirme cette proposition synthétique (qui lie le sujet à un supposé prédicat qui ne découle pas logiquement de sa définition) , mais pas une fonction ou prédicat logique découlant de la définition analytique de l'objet.

C'est pourquoi les théologiens ont aujourd'hui abandonné cette prétendue preuve au profit de 2 types de preuves, soit d'autorité, soit d'expérience. Si la première est sans valeur rationnelle car rien ne prouve l'autorité de textes dits sacrés, si ce n'est l'existence même de dieu qui est censé les avoir inspiré, existence que cette preuve est censé prouver (cercle logique), la seconde peut être, soit de type subjectif, c'est à dire liée à une expérience mystique personnelle ou a une tradition acquise, soit de type objectif. Seul ce deuxième type doit intéresser le philosophe qui prétend argumenter ses opinions dans une perspective universaliste non déterminée par des préjugés religieux.

Peut-on prouver l'existence de Dieu sur fond d'expérience objective du monde?

2) Les preuves indirectes de Thomas d'Aquin (inductives)

1. Dieu, premier moteur immobile (St Thomas) « Somme théologique , in Les cinq voies » (1273)

« La preuve de l'existence de Dieu peut être obtenue par cinq voies. La première et la plus manifeste est celle qui part du mouvement. Il est évident, nos sens nous l'attestent, que dans ce monde certaines choses se meuvent. Or, tout ce qui se meut est mû par un autre. En effet, rien ne se meut qu'autant qu'il est en puissance par rapport à ce que le mouvement lui procure. Au contraire, ce qui meut ne le fait qu'autant qu'il est en acte ; car mouvoir, c'est faire passer de la puissance à l'acte, et rien ne peut être amené à l'acte autrement que par un être en acte, comme un corps chaud actuellement, tel le feu, rend chaud actuellement le bois qui était auparavant chaud en puissance, et ainsi le meut et l'altère. Or, il n'est pas possible que le même être envisagé sous le même rapport, soit à la fois en acte ou en puissance ; il ne le peut que sous des rapports divers : par exemple, ce qui est chaud en acte ne peut être en même temps chaud en puissance ; mais il est, en même temps, froid en puissance. Il est donc impossible que sous le même rapport et de la même manière quelque chose soit à la fois mouvant et mû, c'est-à-dire qu'il se meuve lui-même. Donc, si une chose se meut, on doit dire qu'elle est mue par une autre. Que si, ensuite, la chose qui meut se meut à son tour, il faut qu'à son tour elle soit mue par une autre, et celle-ci par une autre encore. Or, on ne peut ainsi procéder à l'infini, car il n'y aurait alors pas de moteur premier, et il s'en suivrait qu'il n'y aurait pas non plus d'autres moteurs, car les moteurs seconds ne meuvent que selon qu'ils sont mus par le moteur premier, comme le bâton ne meut que manié par la main. Donc il est nécessaire de parvenir à un moteur premier qui ne soit lui-même mû par aucun autre, et un tel être, tout le monde le reconnaît pour Dieu. »

Cette preuve tirée d'Aristote est fallacieuse en cela que rien ne prouve que le mouvement ne soit pas originel (premier) et que le repos apparent ne soit pas relatif au mouvement ; ce serait alors le mouvement et ses lois de compositions qui seraient causes de ce qui nous parait au repos dans des conditions déterminées. Ainsi dire qu'il faut un premier moteur immobile au mouvement c'est postuler ce qui est en question: l'existence de ce prétendu premier moteur. De plus rien ne nous dit quelle serait le cause de ce premier moteur, si ce n'est lui-même (causa sui); ce qui voudrait dire qu'il faudrait qu'il soit en mouvement pour être sa cause, sauf à penser qu'il soit cause de lui-même sans bouger et donc soit éternel (hors du temps); ce qui est aussi un postulat non démontré et non démontrable.

2. Dieu est la cause efficiente première

 « La seconde voie se réfère à la notion de cause efficiente. Nous constatons, à observer les choses sensibles, qu'il y a un ordre, entre les causes efficientes ; mais ce qui ne se trouve pas et qui n'est pas possible, c'est qu'une chose soit la cause efficiente d'elle-même, ce qui la supposerait antérieure à elle-même, chose impossible. Or il n'est pas possible non plus qu'on remonte à l'infini dans les causes efficientes ; car, parmi toutes les causes efficientes en série, la première est cause des intermédiaires et les intermédiaires sont causes du dernier terme, quoi qu'il en soit du nombre des intermédiaires, qu'ils soient nombreux ou qu'il n'y en ait qu'un seul. D'autre part, supprimez la cause, vous supprimerez aussi l'effet. Donc, s'il n'y a pas de premier dans l'ordre des causes efficientes, il n'y aura ni dernier ni intermédiaire. Or, aller à l'infini dans les causes efficientes, ce serait supprimer la première ; en conséquence, il n'y aurait ni effet dernier, ni cause efficiente intermédiaire, ce qui est évidemment faux. Il faut donc nécessairement supposer quelque cause efficiente première, que tous appellent Dieu. »

Cette preuve est tout aussi fallacieuse que la première car elle ne vaut que si on présuppose sans démonstration que le monde est fini et qu'il est irrationnel de poser la possibilité d'un enchainement infini de causes et d'effets. Que cette possibilité soit difficile à imaginer car notre imagination est finie ne signifie pas qu'elle ne puisse être pensée comme infinie dans le temps de la connaissance; ce qui revient à affirmer que la connaissance de cet enchainement est infinie, c'est à dire liée à une histoire sans commencement premier absolu et sans fin dernière, sauf à postuler une intention première en vue d'une fin dernière, sur le modèle anthropomorphique de l'action humaine pour penser le monde comme création volontaire. D'autre part on voit mal comment une cause première absolue animée d'intention pourrait de l'extérieur crée un monde aussi relatif, ce qui supposerait qu'elle soit au départ relative à cette intention d'agir laquelle serait l'expression d'une imperfection originelle: ce qui est parfait n'a plus besoin de faire quoi que ce soit pour être ce qu'il est et encore moins de créer un mode aussi relatif et du point de vue même du théologien créationniste si imparfait. Dans un monde infiniment relatif, il n'est nul besoin de cause première unique: la multiplicité des causes et leurs enchainement plus ou moins aléatoire, dans des conditions déterminées, peut rendre compte de tous les phénomènes en tant que monde de l'expérience objective et cela dans l'infini du progrès de la connaissance. A vouloir tout expliquer par une première cause unique on n'explique rien de ce qui fait la différence des phénomènes dont nous avons l'expérience, or c'est cette différence qu'il importe de savoir pour les distinguer dans leurs causes propres et pouvoir agir efficacement sur eux.

3. Dieu est nécessaire en soi, c’est la première nécessité

« La troisième voie se prend du possible et du nécessaire, et elle est telle. Parmi les choses, nous en trouvons qui peuvent être et ne pas être : la preuve, c'est que certaines choses s'engendrent et se corrompent, et par conséquent sont et ne sont pas. Mais il est impossible que tout soit de telle nature ; car ce qui peut n'être pas, une fois ou l'autre n'est pas. Si donc tout peut n'être pas, à une époque donnée il n'y eut rien dans les choses. Or, s'il en était ainsi, maintenant encore rien ne serait ; car ce qui n'est pas ne commence d'être que par quelque chose qui est. Si donc alors nul être ne fut, il y eut impossibilité que rien commençât d'être, et ainsi, aujourd'hui, il n'y aurait rien, ce qu'on voit être faux. Donc, tous les êtres ne sont pas uniquement possibles, et il y a du nécessaire dans les choses. Or, tout ce qui est nécessaire, ou bien tire sa nécessité d'ailleurs, ou bien non. Et il n'est pas possible d'aller à l'infini dans la série des nécessaires ayant une cause de leur nécessité, pas plus qu'il ne l'est quand il s'agit des causes efficientes comme on l'a prouvé. On est donc contraint de supposer quelque chose qui soit nécessaire par soi-même, ne prenant pas ailleurs la cause de sa nécessité, mais fournissant leur cause de nécessité aux autres nécessaires. »

Deux volets corrélés apparemment logiques mais réellement sophistiques sont utilisés dans cet argument .

Le premier volet de l'argument concerne la question de l'être.

  1. S'exprime dans cet argument l'éternel fantasme paralogique qui remonte à Parménide et Platon que les choses corruptibles n'existent pas vraiment dans la mesure où elles n'ont pas été toujours et ne seront plus; elles semblent, en effet, se contredire dans leur existence dès lors qu'elle seraient et ne seraient pas, par opposition avec le seul être pleinement existant qu'est Dieu en tant qu'être éternel et infini: seul l'être absolu comme donneur d'être peut faire que les êtres relatifs soient relativement existant dans le temps. Le plus peut engendrer le moins, mais non l'inverse, or le déficit d'existence des êtres relatifs ne peut fonder l'existence en tant que telle, mais seulement les manifestations relatives des êtres relativement existants. Cette vision de l'existence, de l'être comme contraire au néant dans les choses corruptibles relève d'une fausse conception à la fois de l'être et du principe de non-contradiction, car:

2) le fait qu'une chose ait été et ne sera plus n'infirme en rien sa pleine existence temporelle, sauf à croire que le fait qu'une porte soit fermée la nuit contredirait le fait qu'elle soit ouverte le jour! L'être, au sens d'existence réelle dans le monde en rapport avec les autres choses, n'est pas contredit pas un éventuelle disparition . Les êtres dont nous avons l'expérience sont temporels et c'est en ce sens qu'ils existent pleinement alors qu'un être infini et intemporel est proprement sans relation à rien, sans prédicat sinon négatif (in-fini, parfait comme in-imparfait etc) et son éventuelle existence hors du monde le rend pour le moins indéfinissable et indéterminable; ce qui permet du reste à Hegel d'affirmer que l'être en tant que tel (en soi) est équivalent au néant!

3) Enfin nous savons que le principe de non-contradiction interdit de nier et d'affirmer un même prédicat d'un sujet en même temps et sous le même rapport. Or il n'en est rien ici, puisque les êtres relatifs ont été et ne seront plus en des temps différents et, si elles changent d'attributs, sous des rapports différents , dire que les êtres qui ne seront plus ne sont pas vraiment est tout aussi absurde que de dire qu'une porte ne peut être fermée le nuit et ouverte le jour et que, de ce fait, son existence de porte compromise!

Le deuxième volet de l'argument consiste à affirmer qu'il n'est pas possible d'aller à l'infini dans le recherche des causes , ce qui veut dire que l'être divin en tant qu'éternel doit être compris comme la seule cause possible et première absolue pensable de l'existence de tous les êtres relatifs, mais ce qu'oublie Thomas c'est de préciser que ce n'est pas possible pour son esprit limité et (de) croyant, mais non en soi, dès lors qu'il escamote au passage la possibilité au moins théorique d'un progrès indéfini des connaissances! Cette preuve, comme la preuve ontologique, prétend conclure de la pensée limitée à l'existence réelle d'un être infini et infiniment simple en tant que cause première du monde . » Ce besoin de première cause (cause de soi) de la raison thomiste -et non pas de la raison tout court- ne fait que reprendre le sophisme d'Anselme qui, au moins lui, au contraire de Descartes, faisait de cette existence de Dieu l'objet d'une expérience mystique ou de foi actuelle dans la prière et non un simple argument rationnel . Si tant bien même qu'un tel besoin de cause première existât dans l'esprit et qu'il ne puisse être satisfait par ses propres moyens individuels et collectifs dans le temps indéfini cela pourrait signifier, avec plus de rigueur logique encore que la prétendue nécessité de l'existence de Dieu, que l'esprit humain est incapable de connaître le tout (infini) dont il fait partie (finie). C'est dire que, comme le dira Kant, toute connaissance métaphysique du tout et de Dieu, si tant est qu'il (puisse) existe(r) comme cause première (qu'est ce qu'une cause de soi?), de l'âme, de l'absolu, , est rationnellement impossible et, comme le dira Pascal, que « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison » » L'existence réelle de Dieu (hors de l'esprit du croyant ) ne peut être qu'un objet subjectif de croyance et non pas un objet objectivement démontrable en raison, sauf à faire de celle-ci comme le demandait Thomas la servante de celle-là en lui interdisant a priori toute interrogation ou tout jugement sur la valeur de vérité objective du contenu de la foi. En refusant donc ou en limitant arbitrairement son pouvoir critique. Cette idée de cause première absolue est ce par quoi la foi religieuse est dogmatique et irrationnelle, c'est à dire contraire à la puissance critique de la raison.

4. Dieu est le modèle parfait

 « La quatrième voie procède des degrés qu'on remarque dans les choses. On voit en effet dans les choses du plus ou moins bon, du plus ou moins vrai, du plus ou moins noble, et ainsi d'attributs semblables. Or, le plus et le moins se disent des choses diverses selon que diversement ces choses se rapprochent de ce qui réalise le maximum ; par exemple, on dira plus chaud ce qui se rapproche davantage du maximum de chaleur. Il y a donc quelque chose qui est souverainement vrai, souverainement bon, souverainement noble, et par conséquent aussi souverainement être, car, comme le fait voir Aristote dans la Métaphysique, ce qui est souverain en vérité est aussi souverain quant à l'être. D'autre part, ce qu'on dit souverainement tel, en genre quelconque, est cause de tous les cas de ce genre, comme le feu, chaud au maximum est cause de la chaleur de tout le reste, ainsi qu'il est dit au même livre. Il y a donc quelque chose qui est pour tous les êtres, cause d'être, de bonté et de toute perfection. C'est ce que nous disons Dieu. »

Ici Thomas commet la confusion classique entre les choses elles-même et notre jugement de valeur sur les choses que nous considérons comme plus ou moins bonnes selon des critères nécessairement subjectifs; elle est typique de ce mode d'argumentation: la valeur que le sujet attribue aux choses définit les choses elles-même objectivement. Si l'on refuse cette confusion et que l'on distingue jugement de valeur et jugement de connaissance des êtres et des choses, alors cet argument tombe en son principe. Comme le disait ironiquement Spinoza « chaque chose est nécessairement parfaite en son genre », dès lors qu'elle est ce qu'elle est et agit en conséquence selon sa puissance d'agir propre. Seules les actions humaines sont, selon nos valeurs et désirs, partagées ou non, plus ou moins bonnes. Du reste l'exemple de la chaleur pris par Thomas est significatif: il n' y a pas de chaleur en soi mais une température mesurable en degrés que nous apprécions comme chaude ou froide d'une manière qui ne tient qu'à notre complexion biologique et/ou personnelle. Confondre l'être et la valeur et/ou la vérité et le bien est un sophisme: ce qui existe peut être vécu comme mauvais et ce qui n'existe pas peut être imaginé comme bon. Le fait que l'on juge Dieu infiniment bon n'implique en rien son existence hors de notre imagination. Le fait que l'on juge le monde mauvais n'implique en rien qu'un Dieu bon en soit (et non en soi) le créateur, bien au contraire!

5. Dieu est le guide intelligent de toutes choses

 « Enfin, la cinquième voie remonte à Dieu par le gouvernement des choses. Nous voyons que les choses privées de connaissance comme les corps naturels agissent en vue d'une fin, ce qui nous est manifesté par ceci que toujours, ou le plus souvent, ils agissent de la même manière de façon à réaliser le meilleur : d'où il apert que ce n'est point par hasard, mais en vertu d'une tendance déterminée qu'ils parviennent à leur fin. Or, ce qui est privé de connaissance ne peut tendre à une fin que dirige par un être connaissant et intelligent, comme la flèche par le sagittaire. Il y a donc quelque être intelligent, par lequel toutes choses naturelles sont orientées vers leur fin et cet être, nous le disons Dieu. »

Toute la rationalité scientifique moderne s'est instituée contre le principe de la cause finale pour expliquer les phénomènes objectifs spontanés ou naturels et cela pour une raison bien simple: on ne peut supposer une fin qui n'existe pas encore, si ce n'est dans la pensée humaine dont la pensée divine n'est qu'une projection anthropomorphique, pour expliquer ce qui existe objectivement. Dès lors que cette supposée pensée divine nous échappe (les voies de Dieu sont impénétrables), si ce n'est par une mystérieuse révélation qui se dérobe à toute expérience objective possible (Kant), invoquer le principe de finalité ne fait qu'expliquer l'inconnu par ce qui est objectivement inconnaissable. Non seulement la connaissance ne progresse en rien mais recule dans la mesure même où cette prétendue explication par les causes finales peut devenir un obstacle épistémologique vis-à-vis d' explications mécanistes sur fond de preuves expérimentales: un exemple malheureusement moderne est le refus par certains créationnistes de la théorie mécaniste de l'évolution qui, en effet, sauf à supposer que dieu créateur tout puissant ait pu errer en faisant de son acte de création une succession d'essais erreurs, est tout à fait contraire à la révélation biblique. Or la théorie de l'évolution relève non plus d'hypothèse métaphysique, hors du champs de l'expérience possible, mais est confirmée par les faits d'observation sur la génétique des populations et dans ses modalités peut être invalidées et progressivement corrigées et complétées, comme il se doit dans toute démarche rationnelle objective.

Toutes ces prétendues preuves se retournent comme des doigts de gants dès lors qu'au fond elle impliquent toutes le présupposé idéaliste fallacieux, dénoncé par Kant, que notre pensée serait capable par elle-même, en dehors de toute expérience objective, sur fond de la seule expérience subjective d'une révélation prétendument divine, d'affirmer l'existence réelle d'une principe surnaturel, absolument parfait, origine et fin du monde et de l'existence humaine, appelé Dieu.

De plus rien ne permet philosophiquement de décider de la nature de ce Dieu que chaque religion particulière, se réclamant d'une révélation différente définit non seulement différemment mais contradictoirement : il suffit de rappeler que le Christ, homme et Dieu pour les chrétiens , est, en tant que tel, pour les juifs et les musulmans, une idole, pour se convaincre qu'aucune universalité de la définition religieuse de Dieu n'est possible. De plus le Dieu rationalisé des philosophes n'est en rien un Dieu chrétien, juif ou musulman, car il n'a que très peu de rapports, voire est peut être vu comme incompatible , avec le Dieu révélé des différentes religions monothéistes. Certains théologiens à bon droit n'hésitent pas à disqualifier une définition rationnelle de l'existence de Dieu et de ce fait, rationnellement contestable, en la considérant comme hérétique en puissance. Dès lors que le mystère de la révélation, par chaque religion, en sa singularité irréductible, est élevée en critère de vérité, toute tentative de prouver universellement l'existence de Dieu, en faisant de cette existence un objet de controverse humaine sur fond de principe de non-contradiction, met à mal le caractère sacré de la révélation en ce qu'elle a de fondateur, . Mettre la raison dans le sacré c'est introduire le vers de la corruption profane (profanation) dans l'intouchable du sacré et c'est faire tomber le divin de son piédestal céleste. C'est du reste ce qui s'est très rapidement produit dans l'histoire de la pensée : la position de Descartes a, à son corps défendant, fait la place à l'irréligion immanentiste et anti-finaliste affirmée de Spinoza, à l'athéisme matérialisme commençant du XVIIIème (La Metrie, Holbach etc..) ou au déisme (Voltaire).

Jean-Paul II : Lettre in « La documentation catholique » n° 1902 (1er 15 septembre 1985)

Il est de ce point de vue intéressant de savoir quelle est la position de l'église catholique aujourd'hui au sujet des rapports entre la foi et la raison quant aux prétendues preuves rationnelles de l'existence de Dieu et cela dans le contexte du progrès des sciences. Je ferai référence ici à une lettre de Jean Paul II qui traite de cette question:

«  Quand nous nous demandons : « Pourquoi croyons-nous en Dieu ?» la première réponse est celle de notre foi : Dieu s'est révélé à l'humanité, il est entré en contact avec les hommes. La révélation suprême de Dieu nous est venue en Jésus-Christ, Dieu incarné. Nous croyons en Dieu parce que Dieu s'est fait découvrir comme l'être suprême, le grand «Existant».
Toutefois cette foi en Dieu qui se révèle trouve aussi un soutien dans les raisonnements de notre intelligence. Quand nous réfléchissons, nous constatons que les preuves de l'existence de Dieu ne manquent pas. Ces preuves ont été élaborées par les penseurs sous forme de démonstrations philosophiques, selon l'enchaînement d'une logique rigoureuse. Mais elles peuvent revêtir aussi une forme plus simple, et, comme telles elles sont accessibles à tout homme qui cherche à comprendre ce que signifie le monde qui l'entoure. »

Remarquons que Jean-Paul II fait de la foi et de la révélation l'unique source et l'origine première de la croyance en Dieu et non un savoir scientifique ou une quelconque argumentation philosophique. L'homme ne peut par lui-même établir l'existence de Dieu . La foi est un don reçu de l'être suprême transcendant et non l'effet d'une démarche rationnelle humaine, sauf à croire que tous les croyants seraient philosophes. Néanmoins cette révélation s'adressent à tous et tous les hommes sont potentiellement rationnels , c'est pourquoi les philosophes ont établis des preuves rationnelles rigoureuses sous des formes simples que chacun peut comprendre et accepter. Quelles-sont elles?

2. Quand on parle de preuves de l'existence de Dieu, il faut souligner qu'il ne s'agit pas de preuves scientifico-expérimentales. Les preuves scientifiques, au sens moderne du mot, valent seulement pour les choses perceptibles aux sens, car c'est seulement sur celles-ci que peuvent s'exercer les instruments de recherche et de contrôle dont se sert la science.
Vouloir une preuve scientifique de Dieu signifierait abaisser Dieu au rang des êtres de notre monde et donc se tromper sur ce qui est Dieu.
La science doit reconnaître ses limites et son impuissance à atteindre l'existence de Dieu: elle ne peut ni affirmer ni nier cette existence.
Il ne faut cependant pas conclure de ceci que les savants sont incapables de trouver, dans leurs études scientifiques, des motifs valables pour admettre l'existence de Dieu. Si la science, comme telle, ne peut pas arriver à Dieu, le savant, qui possède une intelligence dont l'objet n'est pas limité aux choses sensibles, peut découvrir dans le monde des raisons d'affirmer l'existence d'un être qui le dépasse. Beaucoup de savants ont fait et font cette découverte.
Celui qui, avec un esprit ouvert, réfléchit à ce qui est impliqué dans l'existence de l'univers, ne peut s'empêcher de poser le problème de l'origine. Instinctivement, quand nous sommes les témoins de certains événements, nous nous demandons, quelles en sont les causes. Comment ne pas poser la même question pour l'ensemble des êtres et des phénomènes que nous découvrons dans le monde?

3. Une hypothèse scientifique comme celle de l'expansion de l'univers fait apparaître plus clairement le problème: si l'univers se trouve en expansion continuelle, ne faudrait-il pas remonter le temps jusqu'au moment que l'on pourrait appeler: «le moment initial», celui où cette expansion a commencé? Mais, quelle que soit la théorie adoptée sur l'origine de l'univers, on ne peut éluder la question la plus fondamentale.
Cet univers en mouvement constant postule l'existence d'une Cause qui, en lui donnant l'être, lui a communiqué ce mouvement et ne cesse de l'alimenter. Sans cette Cause suprême, le monde et tout mouvement en lui resteraient «inexpliqués» et «inexplicables» et notre intelligence ne pourrait pas être satisfaite.
L'esprit humain ne peut recevoir une réponse à ses interrogations que s'il admet un Être qui a créé le monde avec tout son dynamisme et qui continue à le soutenir dans l'existence
4. La nécessité de remonter à une Cause suprême s'impose encore plus si on considère la parfaite organisation que la science ne cesse de découvrir dans la structure de la matière. Quand l'intelligence humaine s'applique, non sans peine, à déterminer la constitution et les modalités d'action des particules matérielles, n'est-ce pas parce qu'elle est amenée à en chercher l'origine dans une intelligence supérieure qui a tout conçu?
Devant les merveilles de ce que l'on peut appeler le monde infiniment petit de l'atome, et le monde infiniment grand du cosmos, l'esprit de l'homme se sent complètement dépassé dans ses possibilités de création et même d'imagination, et il comprend qu'une œuvre d'une telle qualité et d'une telle envergure requiert un Créateur dont la sagesse transcende toute mesure, dont la puissance est inifinie.
5. Toutes les observations concernant le développement de la vie conduisent à une conclusion analogue. L'évolution des êtres vivants, dont la science cherche à déterminer les étapes et à discerner le mécanisme, présente une finalité interne qui suscite l'admiration. Cette finalité qui oriente les êtres dans une direction, dont ils ne sont ni les patrons ni les responsables, oblige à supposer l'existence d'un Esprit qui en est l'inventeur, le créateur. »

Ces preuves ne sont pas des preuves de type scientifique, nous dit Jean Paul II, car elles n'obéissent pas aux critères expérimentaux objectifs des sciences: les réalités métaphysiques en effet (Dieu, le sens de la vie, l'amour universel, le salut, la vie après le mort et..) ne sont pas objectivement testables selon des procédures empiriques directes. Ces preuves sont donc d'une autre nature, indirectes, et s'induisent sur fond des insuffisances rationnelles des sciences qui n'ont pas réponse à tout, y compris aux questions qui se posent à elles dans la manifestation interne de leur limites, sans qu'elles aient les moyens d'y répondre. L'exemple le plus frappant est en astro-physique la nature et l'origine du Big-Bang, hypothèse scientifique validée par ses conséquences, mais qui ne peut être pensée, en tant que telle, par la rationalité scientifique du fait que, au moment de cette origine et de l'aveu même des scientifiques, aucune loi spatio-temporelle ne peut exister et que ce qui le précède est alors inconnaissable. Il est donc légitime que le savant fasse place au croyant, voire éprouve l'exigence rationnelle de poser la foi en Dieu et la révélation divine comme seules réponses possibles aux mystères que la science non seulement ne peut résoudre, mais qu'elle crée elle-même, manifestant par là les limites infranchissables d'une démarche purement empirico-rationnelle. Un autre exemple concerne la théorie de l'évolution en biologie : si celle-ci semble contredire le récit biblique de la création , elle ne peut en rendre compte à elle-seule , car le hasard seul ne peut expliquer le sens progressif en terme de complexité croissante de l'évolution et en particulier les sauts qui la caractérise -pensons à l'émergence de la conscience humaine- qu'on ne peut réduire à un système de lois physico-chimiques et ce d'autant moins quelle rend possible la connaissance de ces lois, ce qui la définit comme nécessairement transcendante à elles.. Le sens du récit biblique, contrairement à ce que croient les littéralistes fondamentalistes, est donc, en son fond métaphysique, a-temporel ou éternel, seule son expression, pour être révélée aux hommes, est temporalisée dans le texte sacré, mais ce qui nous paraît scientifiquement avéré dans le temps de l'évolution n'est que l'expression, en tant que création continuée selon notre expérience ici-bas, de l'acte créateur et éternel de Dieu. Le récit biblique est donc symbolique de l'intemporalité de la création, alors que celui de l'évolution est ce par quoi se révèle réellement aux hommes l'acte créateur éternel, c'est à dire hors du temps, de Dieu. Ainsi nous n'aurions plus que le choix entre le hasard et un Dieu créateur comme cause unique pour expliquer l'harmonie du monde et sa finalité, la conscience humaine et créativité »esthétique de l'homme.

Or le recours au hasard est une démission de l'esprit; il n'explique rien puisqu'il refuse la notion de cause: parler du hasard comme d'une cause est rationnellement absurde car le hasard est précisément l'absence de causalité déterminante, soit pas l'effet de notre méconnaissance subjective , soit pas celui d'une telle multiplicité de causes aléatoirement convergentes, soit des deux. Dieu seul peut-être une cause et une raison « suffisante » de tout ce que l'on observe scientifiquement. En ce sens, sciences et religion sont toutes deux légitimes et ne se contredisent qu'en apparence: elles se complètent dès lors que les sciences sont incapables de répondre sur la base de leur rationalité propre aux questions ultimes auxquelles elles se heurtent dans leur recherches. Une rationalité métaphysique fondée sur le foi ou vérité révélée peut seule répondre au besoin de l'esprit rationnel d'expliquer l'origine du monde, son évolution, la conscience humaine transcendant la matière et le sens ultime de la vie.

Nous rencontrons là encore un sophisme classique: celui qui consiste à admettre comme prouvée une proposition métaphysique scientifiquement improuvable (Dieu existe hors de mon esprit qui le pose comme tel) parce que les sciences semblent incapables de répondre aux questions qu'elles se posent et que nous leur posons. Tout ce que l'on peut dire logiquement c'est que si les sciences ne peuvent répondre aujourd'hui, voir jamais, à certaines questions, cela ne prouvent en rien que la révélation soit une réponse satisfaisante aux critères de la vérité objective. La révélation, en effet, ne concerne que les croyants dans leur subjectivité collective et/ou personnelle. Elle ne permet en rien de convaincre celui qui ne croit pas comme le disaient déjà Descartes et Pascal. Elle ne peut valoir que pour les croyants.

De plus l'invocation par Jean-Paul II d'une nécessaire cause première intelligente pour expliquer l'ordre du monde, voire l'évolution des espèces, est tout à la fois fallacieuse, car on peut se passer rationnellement de cette-ci dès lors que nous savons, aujourd'hui et cela est expérimentalement prouvé, que l'ordre du monde et de la vie peut émerger spontanément de conditions ou de mutations aléatoires temporairement « stabilisées » par sélection naturelle (ou sexuelles et culturelles). Elle est métaphysique (hors du champs de l'expérience possible) et à ce titre hors du champs de la preuve. Elle demeure une pure affirmation de foi présentée à tort comme rationnelle.

La position de JP II revient donc , comme il l'a indiqué d'entrée de jeu, à affirmer que la foi est toujours première en matière de religion et que les arguments rationnels ne font que présenter, sous une forme moins irrationnelle en apparence, mais sophistique en réalité, une vérité qui n'est telle que pour les croyants. Toutes ces preuves au fond se réduisent au sophisme suivant: Je crois que Dieu existe, or seul Dieu a pu me révéler son existence, donc Dieu existe . Ce qui n'est que la reprise sous une forme affaiblie (croire au lieu de savoir) de la preuve dite ontologique de Descartes. Ainsi ces soi-disant preuves ne sont que des motifs de croire ce que l'on croit déjà, afin d'affermir la croyance des croyants vis-à-vis du doute toujours possible dans une société ouverte et pluraliste (ce qu'a été pour les chrétiens la redécouverte des philosophes de l'antiquité) et donc du risque de l'incroyance appelé mécréance. Mais nous l'avons vu, cela ne peut se faire qu'en forçant le raison hors d'elle même, au prix de sophismes logiques et de confusions qui toutes au fond reviennent à confondre vérité subjective (ou sincérité), en cela qu'elle répond au seul désir de croire, avec la vérité objective expérimentale qui seule permet de décider ce qui existe hors de notre esprit et ce qui n'existe que dans notre esprit. Or cette confusion est la définition même de l'illusion qui consiste à prendre notre désir (de croire) pour la réalité.

Il est étrange et révélateur que JP II ne se soit pas référé à Kant ne serait-ce que pour critiquer la critique kantienne de la connaissance , laquelle critique kantienne insiste sur la différence radicale à faire entre les sciences et la métaphysique du point de vue de la recherche de la vérité. Mais il est juste de rappeler que jean Paul II ne fait pas de la métaphysique une vérité purement rationnelle dès lors qu'il fait de la foi ou de la grâce comme don de Dieu le fondement de la vérité religieuse. Il faut rappeler que Kant faisait de l'existence de Dieu, non un jugement de connaissance mais un postulat rationnel de la moralité. Or, d'une part ce postulat ne vaut que dans le cadre de la conception morale qui est la sienne et qui reste discutable et d'autre part, un postulat n'est qu'une croyance et non une vérité de connaissance prouvée ou prouvable! Une vérité morale, si cette formule a un sens, et une vérité d'existence objective ou de connaissance sont deux choses différentes. Les confondre est à la source de toutes les illusions idéologiques. Dès lors que cette distinction n'est pas explicite chez Jean-paul II, sa position ne fait que recycler les prétendues preuves de Thomas à la lumière des questions qui se posent aux sciences modernes, en perpétuant la même confusion illusionniste entre ce que l'on peut savoir et ce que l'on espère, désire ou imagine.

On doit se demander pourquoi la foi aurait besoin d'un tel déguisement ou maquillage rationnel dès lors qu'elle prétend être au fondement de la vérité alors même que cette rationalisation manifeste l'irrationalité de la révélation comme mystère et cela au risque de voir discuter ses dogmes. Rappelons, en effet, que la plupart des dogmes fondamentaux du catholicisme sont irrationnels. Exemples:

Dieu existe (ou le Christ), car je l'ai rencontré en tant que croyant, telle est la seule certitude subjective de la foi, or un témoignage n'est en rien une preuve d'existence en l'absence d'enquête historique. Ainsi ni la foi, à elle seule, ni la raison, ni l'une et l'autre, ne sont capables de prouver l'existence de Dieu. D'où le scepticisme pour des populations formée à la modernité critique et aux exigences de preuves rationnelles. Ce qui pousse certaines sectes à refuser toute réflexion au profit d'une docte ignorance aimante et chaleureuse ( mouvement dit charismatique), en déniant le droit de la raison d'interroger les dogmes de la foi. Quel est le besoin donc de rationaliser la foi sous le forme d' une preuve rationnelle, besoin qui est radicalement voué à l'échec?

Ma réponse à la question de ce besoin paradoxal de rationaliser la foi est que les sciences et la philosophie ont fait du doute rationnel la source de leur fécondité et qu'il faut donc préserver illusoirement la foi par le recours à des raisons sophistiques et para-logiques pour maintenir un semblant d'autorité aux croyances religieuses sur les esprits. Mais il est clair que cette stratégie ne peut réussir qu'a deux conditions: soit en tenant les sciences et la philosophie rationnelles et leur puissance critique à distance des dogmes, ce qui est pour le moins difficile dans nos sociétés libérales et pluralistes, soit en dévaluant leur vérité en s'appuyant sur le besoin de croire au surnaturel pour y fonder un autre modèle de vérité que celui de la rationalité . C'est ce qui permet de comprendre pourquoi Jean-Paul II distingue, sans préciser davantage, la vérité scientifique de la vérité religieuse sans nous dire en quoi celle- ci serait rationnellement supérieure à celle-là, sauf à recourir à la foi dont il sait pourtant l'insuffisance pour convaincre qui n'est pas déjà convaincu ou préparé par son éducation enfantine à l'être.

Or un tel paradoxe qui fait de la raison la servante de la foi est insoluble au point que cette stratégie débouche nécessairement sur l'approfondissement de la crise de la foi. Cette crise générée par deux modèles de vérité illusoirement réconcilié par le recours à des paralogismes sophistiques, accroit nécessairement le danger le plus grave pour les religions, à savoir la dévalorisation de la foi en l'existence de Dieu comme fondement de vérité valant pour tous; c'est, du reste, ce qu'ont très bien compris les intégristes de tous poils qui refusent la dimension critique de la raison en ce qui concerne la foi.

Marier la raison et la foi en forme de mariage forcé par et dans les conditions de la modernité, c'est fondamentalement menacer celle-ci ainsi que les textes sacrés comme source ultime de vérité. Mélanger vérité de foi et vérité rationnelle est soit produire un sorte de religiosité molle ayant perdu tout sens du sacré et à la disposition de chacun (sentiment religieux vaguement humaniste, sans puissance collective d'agir), soit provoquer une dés-affection (au deux sens du terme) vis-à-vis de toute exigence éthique transcendante. La désacralisation du religieux dans la société moderne, sauf régression liberticide ou miracle divin, est donc irréversible. Comme l'est sa conséquence politique: la laïcité , au fondement de l'ordre politique démocratique et républicain, qui ne peut plus refuser l'affirmation de l'agnosticisme et/ou de l'athéisme comme les expressions du refus légitime de toute autorité religieuse idéologique transcendant le champ politique.


Agnosticisme et athéisme: la laïcité s'impose

La crise de la vérité religieuse et ses effets idéologiques et politiques.

Dieu est plus ou moins mort politiquement et/ou en passe de disparaître comme référent fondateur et surplombant de nos démocraties laïques et de nos régulations éthiques modernes. Certains n'hésitaient pas dans le passé à affirmer que si « Dieu mourrait, tout serait permis ». Même Locke, ce grand penseur libéral, affirmaient que les athées étaient des ennemis publics puisqu'ils ne croyaient pas dans la punition divine et par conséquent que l'égoïsme, l'escroquerie et le mensonge, voire la violence la plus extrême seraient les conséquences nécessaires du refus de croire en l'existence d'un Dieu, quel qu'il soit, qui punit les méchants et récompense les bons après leur mort, à défaut de les rendre malheureux ou heureux avant. Descartes avant déjà dit que si Dieu n'existait pas, il était impossible de démontrer que les injustes n'avaient pas raison de l'être ici-bas, alors que tout indique en effet qu'ils profitent de leur injustice toujours en cette vie, s'ils sont assez malins et/ou assez puissants . Le mal sur terre est plus souvent récompensé que le bien. C'est dire que même si Dieu n'existait pas, il peut sembler qu'il faudrait socialement l'inventer, comme le pensait Voltaire. La fiction de Dieu à défaut de sa réalité serait donc indispensable à l'ordre social et à la paix civile, bref à toute civilisation pérenne.

Mais faire de Dieu une simple fiction socialement nécessaire sans croyance en son existence réelle est politiquement absurde: qui peut obéir à des commandements qui ne seraient divins que symboliquement et non pas réellement, sinon en faisant de ces commandements de simples règles de vie en société. En quoi seraient-ils sacrés dans une société dans laquelle les lois sont décidées et changées (voir la loi sur l'avortement) , au moins formellement, par les citoyens et leurs représentants élus et non par Dieu, sinon pour les croyants qui du reste ne sont pas nécessairement d'accord entre eux sur la hiérarchie des commandements pour décider de telle ou telle loi? Dire comme Durkheim que Dieu c'est la société en tant que puissance dominant les individus n'a guère de sens dans une société où c'est justement les individus qui sont censés décider librement de l'évolution de leur société. Faudrait-il alors que ceux qui doivent décider ne sachent pas que l'existence Dieu n'est qu'une fiction qui n'existe que dans leur esprit et de ce fait croient décider sous l'autorité divine réellement existante? Ce qui est tout aussi absurde: comment faire croire que Dieu décide dans une société pluraliste qui n'est plus et ne se veut plus théocratique? Soit Dieu s'impose à tous, ce qui ne peut plus être le cas dans une société pluraliste et démocratique, soit il ne s'impose qu'à certains contre d'autres, c'est dire que ces commandements ne sont plus et ne peuvent plus être considérés comme sacrés, mais comme l'expression plus ou moins absolutisées des opinions diverses, voire contradictoires, des uns et des autres; absolutisées au point parfois de faire peser un danger de guerre des dieux, guerres les plus violentes (terrorisme) dans le mesure où telle position présentée comme l'expression du Bien absolu fait de ceux qui ne la partagent pas les suppôts du mal absolu. Dès lors qu'aucune preuve de l'existence de Dieu n'est possible dans nos sociétés, il n' y a pas, en effet, d'autres moyens que la terreur humaine illusoirement divinisée pour faire régner l'ordre divin sur les sociétés. La religion n'est jamais, sauf quand elle ne peut plus se présenter autrement pour préserver un semblant d'autorité humaine dans une société pluraliste, un école de tolérance. Mais elle est toujours source d'intolérance ou de sectarisme (se couper de la société ambiante) potentiels dès lors qu'elle prétend régir la vie de personnes au nom d'un Dieu présenté illusoirement comme réellement existant! Sauf à se satisfaire du relatif et de la finitude, ce qui serait contradictoire, tout désir d'absolu exige des sacrifices personnels et altruistes pour s'imposer comme tel, à savoir sans compromis possible. Le religion est donc non seulement un opium du peuple, l'âme d'une monde sans âme (Marx) , mais un formidable excitant et euphorisant de la haine de l'autre présenté comme le mal incarné. L'illusion religieuse est donc la pire de toute dès lors qu'elle prétend faire d'une vérité irrationnelle une vérité pour tous, croyants ou non. L'intolérance et le fanatisme aveugles ne sont donc pas des maladies de la religion, dues à leur détournement et à leur instrumentalisation par des visées politiques haineuses, mais les conséquences des religions comme maladies de l'imagination qui fait d'une croyance douteuse en un Dieu unique et absolu, une foi dans une mission de conversion généralisée consentie et/ou forcée de l'humanité. Mais comme toute l'histoire passée chez nous et présente ailleurs, dans sa violence extrême, nous l'apprend tous les jours, l'histoire des religions monothéistes (au contraire des religions polythéistes), cette prétendue mission suscite la haine des hérétiques et des mécréants comme « les nuées portent l'orage ».

La seule réflexion qui vaille pour lutter contre ces illusions mortifères et liberticides concernant l'absolu et découlant du désir d'absolu, n'est pas de savoir si Dieu existe ou non, car cela est impossible: aucune affirmation métaphysique n'est testable, mais de s'efforcer de répondre aux questions de savoir pourquoi et en quoi les hommes ont besoin de croire en cette existence et si cette croyance reste socialement, sinon politiquement, nécessaire, malgré qu'elle soient réellement dangereuses pour la paix civile et les libertés et comment, si cela est possible, limiter ce danger. Il faut pour répondre à ces questions s'interroger sur les deux attitudes possibles d'incroyance religieuse, l'agnosticisme et l'athéisme, générées, chez qui est animé d'une vision critique de la vérité (est vrai ce qui est peut être démontré comme tel sur fond de mise à l'épreuve critique rationnelle) et refuse l'illusion d'une vérité absolue révélée fondatrice du sens de la vie personnelle et collective, par le simple fait qu'il sait l'impossibilité rationnelle de démontrer l'existence de Dieu:. Ces deux attitudes ruinent-t-elles tout lien social constitué autour de valeurs communes de solidarités et de partage, comme certains encore aujourd'hui chez nous l'affirment au regard de la crise de la civilisation et sociétale, voire politique, générée par l'individualisme économique? Cela est pour le moins douteux: rien ne permet d'affirmer, à l'expérience, contrairement à ce que prétendait Locke que les incroyants ou les athées seraient moins solidaires ou plus égoïstes que ceux qui se disent ou se croient croyants. Pourquoi?

La première attitude, l'agnosticisme, consiste à reconnaitre qu'en matière de religion aucune connaissance ou vérité n'est possible: on ne peut ni démonter que Dieu existe, ni démontrer qu'il n'existe pas. La question de l'existence de Dieu est hors de champs de la vérité. Et c'est à croire que cette question puisse faire partie de ce champs que réside l'illusion religieuse. Qui sait qu'il ne sait pas que si Dieu existe réellement hors de son esprit et qui sait que cette existence n'est qu'une croyance douteuse n'est pas dans l'illusion, même s'il convient que celle-ci puisse répondre à son désir d'être sauvé après la mort par exemple. Il faut alors réserver son jugement en refusant de faire de la religion un critère d'évaluation des comportement individuels et politiques réels. Cette attitude est nécessairement tolérante et libérale sur le plan politique : quiconque respecte les lois communes a le droit de pratiquer la religion de son choix à condition de ne pas prétendre en faire une vérité pour les autres. La religion reste donc une affaire privée, individuelle ou collective particulière, et la politique doit être conduite par des règles raisonnables, s'imposant à tous, visant à préserver les libertés et l'ordre public constitutifs de l'intérêt général, sur fond de débat démocratique rationnel. Un tel débat doit mettre à l'écart de l'argumentation politique, autant que possible, toute croyance religieuse particulière pour ne faire valoir que des motifs raisonnables prétendant valoir pour tous (ex: l'interdiction éventuelle de l'avortement ou du voile intégral de doivent pas être motivé, si cela est possible, par une vision religieuse de la vie ou de la famille comme don du ciel, mais comme une mesure d'ordre public en vue de préserver l'égale liberté de chacun): Nous sommes donc au cœur du principe de la laïcité, ou séparation de l'état et des religions ou des églises, qui, sous des formes plus ou moins radicales, régit les sociétés pluralistes et démocratiques , lequel principe a mis fin aux guerres de religion interminables qui ont ensanglantées l'Europe et continuent à entretenir nombres de conflits dans le monde, y compris chez nous, le danger du terrorisme

Cet agnosticisme est la seule position possible pour un état laïque, dans une société pluraliste, qui place les libertés individuelles universelles (s'appliquant également à tous les individus ou mieux sujets de droits) avant toute autres valeurs collectives et qui ne peuvent être admises
qu'à cette condition; ce qui veut dire qu'il doit faire place à l'expression de toutes les religions dans l'espace civil (à ne pas confondre avec l'espace précisément politique) qui concerne l'intérêt général , y compris à l'expression de l'incroyance ou athéisme en tant que critique de toute forme de vérité religieuse ( hormis les insulte ou les provocations à la haine religieuse: critiquer n'est pas insulter), à la condition expresse que les droits des personnes soient respectés: aucune loi dite religieuse ne doit par exemple contredire les droits individuels égaux (exit l'excision, l'inégalité des hommes et des femmes et les discriminations sexuelles ou raciales etc..) qui doivent s'imposer à l'encontre de tous les droits communautaires liberticides.

Ainsi l'agnosticisme laïque d'état n'a rien à voir avec un athéisme d'état qui prétendrait interdire l'expression des cultes religieux. Une précision doit être faite à ce sujet: Le terme d'athéisme est en effet ambigu: soit il désigne le refus de se référer à Dieu et/ou à ses commandements, dans la sphère politique et la définition des lois et la justification des décisions de l'état( a, privatif, thée; littéralement: sans Dieu), soit il désigne l'affirmation que la religion n'a pas place dans l'espace public et que l'interdiction de toute religion doit être la règle dans celui-ci pour ne tolérer que la possibilité de son exercice strictement privé. Cette distinction permet d'éviter la confusion aussi bien entretenue par certains athées politiques que par ceux qui voudraient chasser politiquement l'athéisme de la sphère publique ('ex: le délit de blasphème) . Les premiers voudraient faire de l'athéisme, comme refus de la pensée religieuse et de la croyance en l'existence de Dieu, une idéologie d'état, enseignée comme telle dans les écoles publiques, les seconds voudraient présenter toute critique athée des religions comme attentatoire à leur liberté publique (ex: le délit de blasphème). Or un état laïque n'a pas plus à interdire les religions qu'à interdire leur critique rationnelle, sauf à s'instituer juge suprême en matière de croyances métaphysiques et éthiques, ce qui serait contradictoire avec l'exigence de laïcité qu'il ne faut cependant pas confondre avec celle de neutralité dans le domaine éducatif. En effet, un état laïque, doit toujours, contre les dogmes religieux, défendre la liberté de la recherche scientifique fondée sur et la démarche hypothético-expérimentale et la recherche de la preuve dans le domaine de la connaissance, comme il doit, sauf à perdre son caractère précisément laïque, privilégier les arguments rationnels concernant le débat sur la définition des lois et la production démocratique du droit, laquelle exige que celles-ci soient l'expression du choix des citoyens, croyants ou non, et non celle de Dieu et des églises qui prétendent parler en son nom,. Ce qui veut dire qu'il doit donc être ou rester athée, au sens privatif, du suffixe « a ». Ainsi à l'école publique, et toute école républicaine doit faire place aux modèle éducatif laïque pour former des citoyens raisonnables et critiques donc potentiellement démocrates, l'état laïque doit faire toute sa place à l'enseignement scientifique de l'histoire, y compris des religions, et à la philosophie rationnelle et critique, y compris athée, pour permettre à chacun de penser par soi-même, comme l'exigeait Kant.

Qu'est-ce qu'une philosophie athée? C'est une philosophie qui se propose de penser l'ensemble des questions concernant la connaissance, l'éthique, la politique et l'esthétique, sans faire intervenir une quelconque transcendance ou révélation divine pour se justifier. Elle n'interdit pas de croire en Dieu, elle se contente de dire que le besoin de dieu n'est ni une preuve de son existence, ni un fondement satisfaisant de la connaissance, de l'éthique et de la politique. Une telle philosophie est tout à fait légitime dès lors qu'elle ne s'institue pas en idéologie athée d'état au sens second du terme, laquelle ferait de l'interdiction des religions dans l'espace public un exigence de la laïcité. Si l'athée, en tant qu'individu philosophe, ne peut prouver que Dieu n'existe pas, ce qui serait encore plus absurde que de prétendre prouver le contraire, il peut prouver que la plupart des dogmes religieux sont irrationnels et donc invraisemblables (et cela d'autant plus que même les religions l'admettent), en faisant du seul besoin de croire, à savoir l'espérance, la cause de la croyance en Dieu et/ou en l'immortalité. En cela il peut tenter avec de bonnes raisons testables, de montrer ce qui détermine psychologiquement ou sociologiquement le besoin d'y croire, comme l'ont fait Marx Nietzsche et Freud.

Ajoutons qu'une telle philosophie athée est indispensable pour rendre possible une authentique liberté de pensée, dégagée des dogmes religieux. Le droit d'expression reconnu et défendu de l'athéisme philosophique est la condition nécessaire d'un état réellement laïque. Mais il faut bien comprendre que la distinction entre les deux sens du terme de laïcité ( respect de toutes les religions ainsi que de la position athée et exclusion du religieux dans l'éducation publique et la vie politique) est difficile à faire respecter en pratique. Tout est question précisément de culture critique et rationnelle qui ne doit pas être confondue avec le mépris insultant, irrationnel, voire haineux, des religions, mais qui doit passer , précisément, par la philosophie rationaliste culturellement ouverte et son enseignement public généralisé.

Contrairement à ce que disent les églises, les athées en tant qu'individus ne sont pas moins civils ou plus égoïstes, violents et dominateurs que les croyants. Rien ne permet d'affirmer qu'ils soient plus amoraux ou immoraux et cela pour la bonne raison qu'ils pensent que les hommes dans et par leur finitude même ont nécessairement besoin les uns des autres et que ce besoin exige des règles de reconnaissance et respect réciproques et donc de solidarité universelle. Celle-ci n'est pas l'expression d'un impossible amour universel de type religieux et sacrificiel, lequel implique toujours le haine de ceux qui n'y répondent pas , mais de justice, c'est à dire de respect des droits égaux dans l'échange pacifique de biens et de services. Nul absolu ou désir d'absolu, ne peuvent, pour les athées, légitimer la violence extrême du bien contre le mal, à savoir l'interminable guerre des dieux et les cadavres et massacres, voire génocides humains, dont l'histoire est jonchée. De ce point de vue, la religion politique, via la divination de la nation, de la race ou de la classe, ne vaut pas mieux que les autres! Un athée convaincu et cohérent est, se sent et se veut, très logiquement et avant tout, un citoyen du monde. Il ne voit pas ce que l'on a à gagner à substituer, dans l'ordre de la connaissance, ce que l'on ne sait pas (encore) à ce que l'on ne pourra jamais savoir et qui relève du mystère aux yeux des théologiens eux-même , dont la seule fonction au bout du compte est morale: nous soumettre, au nom de la prétendue vérité divine à des dogmes moraux divins irrationnels qui ne nous garantissent , bien au contraire, en rien contre les interminables guerres de religions qui continuent à ensanglanter notre planète bien mise à mal par les désastres écologiques générés par un capitalisme sauvage tout autant irrationnel (ce que les scientifiques sont les premiers à dénoncer aujourd'hui). Ce n'est certes pas un hasard si toutes les religions combattent et ont combattu les prétentions (légitimes au regard de l'exigence de vérité qu'elle implique) de la raison à examiner, pour les remettre en question, le contenu des dogmes religieux. De fait, chez nous et bientôt partout ailleurs (non sans risques de violence), les sciences ont gagné la partie: elles sont devenues les seules et uniques sources du savoir légitime.

Reste la philosophie que certains voudraient bien transformer en dernier rempart pour protéger le besoin de croire en une vérité métaphysique transcendante, sous prétexte de respect des autres formes religieuses traditionnelles de pensée, elle doit au contraire s'affirmer comme le lieu par excellence du concept délivré des dogmes irrationnels, c'est à dire du penser par soi-même (Kant: « Qu'est-ce que les lumières »)

Enfin la question se pose de savoir si un individu peut se dire agnostique sans être athée au deuxième sens.
Il faut distinguer en effet un agnosticisme d'état et un agnosticisme individuel réfléchi. Si le premier est comme nous l'avons vu indispensable en tant que condition de la laïcité:en est-il de même d'un individu et à plus forte raison d'un philosophe? . L'agnostique rationnel refuse, nous l'avons vu, de se prononcer sur la question de l'existence de Dieu, car il sait qu'il ne sait pas et qu'il ne peut pas savoir si Dieu existe réellement hors de son esprit ou non. S'il est conséquent cela veut dire qu'il ne fait pas de la croyance dans cette existence le fondement de sa vie, sauf à croire sans croire tout en croyant pour faire comme les autres, mais toute croyance en Dieu exige du croyant beaucoup plus: le sacrifice de soi pour suivre les obligations religieuses et le renoncement à tout ce que Dieu et ses représentants sur terre prétendent interdire au nom d'un salut post-mortem. On voit mal comment un agnostique pourrait être suffisamment croyant pour se soumettre de lui-même à une croyance qu'il ne partage pas sur l'essentiel. Ainsi l'agnostique est-il en fait, profondément athée ou incroyant. Mais, soit il se ménage la possibilité » de croire un jour en l'existence de Dieu, or on voit mal comment cette possibilité adviendrait, sauf à sortir de la raison par l'effet une certaine révélation mystique et/ou d'un pari pascalien dont on peut facilement montrer qu'il ne vaut que si on est déjà croyant, soit il refuse de se déclarer tel sous la pression de ceux qui pourraient l'exclure de la communauté encore profondément croyante à laquelle il appartient (famille, ville ou village). Pour l'individu être athée ou agnostique est tout un: ne pas croire et ne pas vivre, sauf contrainte extérieure, comme ceux qui sont croyants. Une croyance est d'abord une manière de vivre et non une idée. Du reste les croyants et leur églises ne se trompent pas lorsque l'agnosticisme est avoué: un agnostique leur paraît toujours comme un incroyant qui n'ose pas exprimer son incroyance. On peut donc se demander si une éducation laïque ne prend pas le risque ou la chance, selon le point de vue, de rendre chacun au moins agnostique, voire athée, ce qui peut faire paraître l'école laïque ou publique comme athée au deuxième sens du mot (anti-religieuse ou école du diable) L'état laïque, en effet, (a-thée au premier sens du mot) ne peut et ne doit en aucun cas renoncer à éduquer moralement la jeunesse pour ne pas laisser aux église et/ou aux familles le monopole de cette éducation. Sauf à sombrer dans l'égoïsme exclusif ou le multi-communautarisme religieux potentiellement violent (les guerres civiles de religions sont les pires car elles menacent radicalement le vivre ensemble ), l'état démocratique a le devoir de former les citoyens à la laïcité, à savoir à l'usage rationnel et critique de l'argumentation et au respect des personnes et de leurs droits, c'est à dire à une morale civique libérale fondée sur les droits de l'homme. Or pour certains croyants un tel cadre prépare nécessairement à l'athéisme, du moins à l'agnosticisme ou athéisme inconséquent, c'est pourquoi le combat entre l'école publique et l'école religieuse reste central dans toutes les démocraties (nécessairement laïques).

Mais nous savons que c'est seulement dans ce cadre laïque d'éducation des citoyens que les différentes religions peuvent, dans un régime démocratique, s'exprimer et s'exercer et qu' il n' y a pas de compatibilité politique possible entre une démocratie laïque (ce qui est un pléonasme dans une société pluraliste) et une théocratie qui prétendrait soumettre tous les citoyens à la domination pratique de leurs croyances particulières.. Si, pour une religion et/ou église, les droits de l'homme s'opposent au prétendu droit exclusif de leur(s) Dieu(x) et de leurs prêtres, l'état a donc le devoir de combattre ce qui serait alors une secte qui refuserait ces droits et l'égalité entre les hommes et les femmes, la contraception ou l'avortement par exemple, au nom de leur Dieu , à savoir une religion contredisant ou bafouant les lois démocratiques. Le tolérance démocratique doit combattre partout l'intolérance et la haine des autres par les moyens de la loi et de la formation des esprits à la raison critique. Nous sommes là au cœur d'un paradoxe qui ne peut être pratiquement réduit (comme on réduit une fracture), mais non pas supprimé ou dépassé, que si chaque croyant renonce à faire de sa croyance un motif de décision politique valant pour tous. Est-il possible de rendre pleinement laïque un croyant? Ce renoncement laïque par un croyant à la prétention que tous partagent ses croyances dans la pratique de vie collective et le droit politique ne concerne pas les incroyants, mais la manière dont les croyants vivent leur croyances, comme des certitudes universelles impératives ou comme de simples croyances particulières parmi d'autres, tout aussi légitimes. Sauf à justifier leurs positions politiques sur des bases non-religieuses et/ou rationnelles, les croyants doivent renoncer à jouer, en tant que tels, un rôle politique. Tel est le problème qui se posent à eux en démocratie. C'est à eux de le traiter, mais c'est à l'éducation philosophique de les aider et/ou de leur donner les moyens de la faire . Il n' y a donc pas d'éducation démocratique et laïque possible de l'autonomie sans formation des esprits citoyens au débat philosophique critique et rationnel vis-à-vis de leur propres croyances.

Mais, pour ceux qui ne bénéficieraient pas d'éducation philosophique, dans une société laïque et pluraliste sans repères spirituels ou éthiques consensuels et stables, ne restera, pour satisfaire le besoin religieux d'une minorité, au mieux, que le supermarché de la foi pour consommateurs en recherche de sensations mystico-sensibles et de merveilleux tarifé, au pire des gourous et de communautés sectaires plus ou moins extrémistes. Mais le plus probable est que la majorité préfèrera la musique, le sport , la consommation symbolique de soi (et toute consommation l'est), l'érotisme, bref le divertissement au sens pascalien , mais sans diversion, ni perversion, le travail comme nécessité plus ou moins assumée et les loisirs comme diversion, à toutes les envolées transcendantes. Les désirs et plaisirs ici-bas, au nom de la liberté individuelle, remplaceront, chez eux, tout désir d'absolu et d'éternité. En l'absence du regard de dieu, celui des autres fera la loi, dans la multiplicité contradictoires des apparences et des valeurs de reconnaissance identitaires. Ils ne seront ni athées ni croyants, ni même agnostiques, ils seront tout simplement ailleurs, hors de la culpabilisation de leur désir d'être et d'agir.

Que cette absence de sens unique et transcendant dans nos sociétés a-religieuses fasse reculer la foi religieuse , la croyance en l'existence de Dieu, la soumission aux textes sacrés, et aux commandements divins, le besoin de croire en un autre monde et une autre vie post-mortem, ainsi que les pratiques religieuses, souvent violentes et liberticides, qui en découlent, ne doit pas nous surprendre et je ne pense pas que nous ayons de bonnes raisons de le regretter....

La théologie et la philosophie n'ont jamais fait bon ménage et nous sommes les héritiers laïques de leur conflit, reproduit au cœur même de la pensée chrétienne, et qui, entre autres causes, a provoqué la possibilité de la sortie hors de la religion comme fondement, toujours historiquement hyper-violent, de le vie politique, pour ne faire de la foi qu'une affaire de désir personnel, sans obligation, ni sanction.
Commentaire critique de Jacques Bonniot de Ruisselet
Les principaux points sur lequels pourraient s'orienter la critique.

1/ La réduction de la pensée à de la représentation : "penser, c'est se représenter à l'intérieur de la conscience la réalité telle quelle existe hors de la conscience." (c'est à partir d'une telle conception que la question : dieu peut-il être une réalité dans la conscience tout en n'existant pas hors de la conscience, le thaler dans ma pensée ou dans ma poche... peut prendre un sens. )
 Or cette position n'est pas kantienne (elle ne découle pas des analyses de la critique de la raison pure)
Il  en hérite de St Thomas d'Aquin via Descartes : la vérité comme adéquation de la pensée au réel ou du réel à la pensée....
Comme l'écrit Heidegger, loin que Kant ne parvienne à s'affranchir de cette conception de la pensée (thomisto-cartésienne), il lui donne, avec la révolution copernicienne, pour la première fois son fondement philosophique (contre un fondement théologique chez st Thomas, et un dieu garant de la vérité chez Descartes).
Donc toute la révolution copernicienne se fait sur le "fondement" (si l'on peut dire) d'une conception chrétienne de la pensée comme représentation.

Tu vois le conséquences pour la "réfutation" kantienne de "l'argument ontologique".

A quelle(s) conception(s) opposer la conception de la pensée comme représentation ?

A la vie du concept, à la pensée comme mouvement de saisie de l'être même de la chose, "en chair et en os" comme dit Husserl.

2 exemples :
- l'argument ontologique de st Anselme
- le cogito de Descartes :

2 exemples où la pensée N'EST PAS représentation à distance, mais saisie de la chose elle-même, solidairement dans son être et dans son essence. Saisie de l'être-vrai de la chose, atteinte de l'EFFECTIVITE (et non représentation à distance d'une chose dont on pourrait se demander par après si elle existe réellement et si elle correspond réellement à ce qu'on en a trouvé.
Celui qui demande du cogito : "oui, mais existe-t-il réellement ??", celui là n'a pas effectué pour son propre compte le mouvement de la pensée. Il n'a fait que se représenter des idées. (pensée de l'entendement, qui scinde toujours et partout entre être de pensée et être réel ; simples idées représentations à distance contre le concept saisie vraie de la chose dans son essence et son effectivité) phénomènes et choses en soi... scission insurmontable si l'on accepte que la pensée ne soit que représentation.


-  idée et concept :

par exemple "penser l'Etat", c'est le SAISIR et le comprendre à partir de ce qui le constitue comme Etat, de ce qui fait de lui un Etat (certains diront la souveraineté par exemple). Ce N'EST PAS  s'en faire une représentation, un tableau (justes ou non, exacts ou non). C'est le ressaisir en tant qu'Etat, l'atteindre en son coeur et à partir de ce qui le constitue comme Etat. Concept, et non idée, image et représentation. C'est ce que Kant ne conçoit pas. Il faut penser la pensée comme n'ETANT PAS quelque chose de l'ordre de la représentation. (produisant une réalité seconde, à l'image - ou pas - de la première...)

Donc voilà, pour résumer (quelques remarques jetées un peu dans le désordre, mais j'espère que le sens général est clair), peut-on reprendre à son compte la critique kantienne de l'argument anselmien sans s'enfermer dans une conception de la pensée comme représentation, sans prendre le parti de l'entendement refusant la raison, sans prendre le parti de l'idée, refus du concept, sans se condamner à un théâtre d'ombres ?


Cordialement à vous deux,
Jacques.

Réponse de Sylvain Reboul

je ne sais pas ce qu'est un concept qui ne serait pas une représentation, sinon l'être même (de la chose en soi?) qui s'imposerait à moi pour ainsi dire sans moi , mais dont je n'ai personnellement ni intuition ni révélatio et qui abolirait la distance critique nécessaire vis-à -vis de toute intuition que le sujet  refuserait de considérer comme une modeste représentation d'un réel, lequel nous échappe toujours, dès lors qu'une représentation en tant que connaissance  ne peut appréhender qu'une réalité seulement connaissable relativement . À mon sens, ce n'est guère différent sur la plan pratique (sauf que la distance entre réalité et idéal y est encore plus grande ) mais c'est une autre débat...

Toute vérité a besoin de l'épreuve critique, donc de ne pas se prendre pour ce qu'elle n'est pas et ne peut pas être: l'être même; en cela toute vérité est relative. Une vérité absolue n'aurait de sens que dans une expérience mystique qui fusionnerait être et pensée et en tant que telle inexprimable ou indicible  (Bergson). Je ne peux et ne veux y croire, dès lors que je ne peux y distinguer délire et vérité, fiction adéquate et fiction inadéquate, donc Vérité et illusion, émotion et idée. Comme quoi, de même que Kant et Hegel,  nous ne partageons pas la même définition du "concept" et n'en faisons pas le même usage philosophique.

Merci de ta réponse rapide


jacques bonniot a écrit :


Resalut Sylvain,
Voici où j'en suis de ma reflexion sur la question que tu m'as lancée, mais je ne pense pas pouvoir parvenir à quelque chose de publiable en moins de 15 jours....

Jacques.

Si l'on admet les présupposés sur lesquels repose la critique kantienne de l' »argument » de saint Anselme, ce n'est pas seulement cet « argument » qui de vient incompréhensible, mais aussi bien le mouvement de pensée qui aboutit chez Descartes au « cogito ».

* « Si nous admettions avec les classiques que nous pouvons nous connaître nous-mêmes comme une chose en soi, tels que nous sommes ontologiquement, toute la Critique de la Raison pure s'effondrerait, car elle interdit non seulement la possibilité d'une connaissance en soi, mais aussi la déduction de l'essence de la pensée. L'existence chez Kant n'est jamais une propriété du concept ; l'analyse d'un concept ne permet jamais de trouver l'existence, ou de dire qu'un objet doit nécessairement correspondre à ce concept. Or dans le cogito, du seul fait de penser, Descartes croit découvrir l'existence d'un objet en soi - selon une création d'un objet par le seul acte de le penser. »
J. Rivelaygue, Leçons de métaphysique allemande, tome 2, Grasset p.189.

Le « Je pense », « texte unique de la psychologie rationnelle », (Critique de la raison pure, GF p. 340), n'est plus alors que le foyer « devant pouvoir accompagner toutes mes représentations » (p.154), « le véhicule de tous les concepts » (p.339).
Selon la distinction kantienne penser/connaître.
Kant : le jugement qui pose l'existence de l'objet est nécessairement synthétique.

Quel est le statut de l'idée de Dieu une fois réfutées définitivement les « preuves » ? L'idée de Dieu est le nom d'une illusion tant que l'on croit nommer ainsi un objet de connaissance, un objet à connaître. Que reste-t-il une fois réfutée cette illusion (mais illusion qui se maintiendra toujours, illusion que la raison ne parviendra jamais à laisser derrière soi, comme c'est toujours le cas de l' »illusion transcendantale » chez Kant) ? Reste « un concept de Dieu « que je peux supposer ou non » ? Pas du tout. Reste une idée absolument nécessaire de la raison, un « postulat de la raison pratique » que je ne peux pas ne pas poser à chaque fois, sans que cela ne m'apporte quelque connaissance que ce soit. Ou encore, comme l'écrit Jacques Rivelaygue* en s'en tenant à la Critique de la raison pure « Dieu » est le nom d'une simple méthode pour la raison (sans contenu) sans lequel elle s'en tiendrait au simple travail de l'entendement, en renonçant à viser l'unité qui est la tâche propre de la raison. Sans la visée de l'inconditionné, il n'y aurait plus que l'affairement divers de l'entendement.

* sur le statut de l'idée rationnelle de Dieu une fois réfutée l'illusion générée par les paralogismes : voir  J. Rivelaygue, Leçons de métaphysique allemande, tome 2, Grasset p. 213-216. (« Du point de vue de la Critique de la raison pure, l'idée de Dieu signifie : la nécessité de poser la totalité de l'expérience comme fondement de chaque expérience particulière. » J. R. p. 215).

Hegel surmontant l'opposition entre jugement synthétique et jugement analytique ; démontrant que tout jugement, s'il est authentiquement un jugement, est nécessairement solidairement les deux.

Sur le fait que Kant, dans la Critique de la Raison pure, reste tributaire de la conception thomisto-cartésienne de la pensée (et que c'est sur cette base que s'accomplit la critique kantienne de l'argument de saint Anselme) :
« La révolution copernicienne ébranle si peu l'ancien concept de vérité entendu comme adequatio de la connaissance à l'étant que, tout au contraire, elle le présuppose, le fondant même pour la première fois. » (Martin Heidegger, Kant et le problème de la métaphysique, TEL Gallimard p. 73.)

Sylvain Reboul
Merci pour ta réponse  qui me semble suffisante, mais qui ne traite pas vraiment de mon sujet: la question de la preuve de l'existence entre raison et foi. et non celle de savoir si nous avons besoin de Dieu (du reste quel Dieu? celui des croyants, de quels croyants ou croyances,  celui des philosophes?)  pour fonder la morale: un besoin n'est pas une preuve  et ne peut s'exprimer que par un postulat non démontrable, une croyance (ce que dit justement  Kant) ; or que celle-ci soit de la raison et la seule possible au regard de la raison, reste éminemment discutable ! D'autres conceptions de la morale tout aussi rationnelles (et même plus), mais sans fondement divin,  restent possibles

Je ne suis  évidemment pas hégelien . La phrase qui prétend que Hegel aurait démontré que tout jugement, s'il est authentiquement un jugement, est nécessairement solidairement jugement analytique et synthétique n' a pour moi aucun sens possible, sinon celui d'une pétition de principe . Ni en ce qui concerne le terme de démonstration (je la cherche sans désespoir, car elle suppose l'idéalisme absolu que je rejette ) ni en ce qui concerne la fusion entre jugement analytique et jugement synthétique et j'ajoute la confusion entre jugement déterminant et jugement réfléchissant qui me semble encore plus suspecte au regard de l'exigence critique de vérité .

Je refuse toute connaissance (sinon toute pensée) de l'absolu et seul ce refus, méthodologique ou épistémologique,  est absolu (pour paraphraser A. Comte). En cela je suis, plus que thomiste; aristotélicien (contre Platon), Aristote dont Thomas s'est inspiré

Je te laisse la référence à Heidegger qui ne concerne pas la question de la vérité de Dieu, (ou du rapport entre foi et raison en ce qui concerne l'existence de Dieu) , mais de l'être des étants ce qui est une autre affaire...


L'illusion religieuse

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