Les hommes malades de la peste: l'irrationalisme

La psychose à propos de la BSE est un révélateur des archaïsmes confusionnels que l’esprit rationnel et critique et le débat politique ont du mal à circonscrire, faute sans doute d’un travail en profondeur suffisant, de la part de nombreux médias et d’(ir)responsables politiques, plus soucieux d’exploiter les angoisses obscures que de donner des informations claires sur l’état du savoir et des moyens de pouvoir. Examinons en les symptômes et l’étiologie.

Cette angoisse me semble produite par (et génèrent en retour) 5 confusions (ir)rationnelles, qui, elles mêmes, (re)puisent leur source dans la croyance, toujours latente malgré le dénis de toute l’histoire de notre espèce, que nous vivons dans une nature dont l’ordre s’imposerait à nous comme permanent et sacré. Elle serait la réactivation , si notre diagnostic est exact, des angoisses apocalyptiques religieuses, qui ont toujours hanté, hier comme aujourd’hui, ceux qui ne savent pas et ne peuvent pas grand chose.

Les cinq confusions solidaires sont, à mes yeux, les suivantes :
1) La confusion entre les farines animales contaminées et les farines animales non contaminées : ce sont les premières qui sont le vecteur scientifiquement probable et testable de la maladie chez les bovins (et peut-être chez d’autres animaux) et non les secondes, ce qui en droit, n’interdit pas l’usage des secondes si l’on sait déterminer leur innocuité.
2) La confusion entre des pratiques légales dûment certifiées par l’état de nos connaissances et des pratiques illégales, qui justifient des sanctions les plus graves, puisqu’elles entraînent sciemment la mort d’hommes. L’usage de farines non contaminée, dans la mesure ou elle proviennent d’animaux et d’organes ou tissus, jugés propres à la consommation humaine peut, me semble-t-il, être logiquement autorisé
3) La confusion entre l’épidémie ou/et la pandémie chez les bovins et chez l’homme, comme si l’une devait entraîner automatiquement l’autre. Le principe de précaution n’impose que d’éliminer les bovins infectés ou susceptibles de l’être, mais non une mesure générale d’élimination, y compris des bovins dont on n’a aucune raison de penser qu’ils puissent être porteur de la maladie (exemple les bovins nourris exclusivement avec des végétaux, les bovins provenant de troupeaux indemnes un nombre suffisant d’années etc.).
4) La confusion entre animaux sauvages, vivants dans des conditions naturelles, et les animaux domestiques et artificiels créés par l’homme en vue de la satisfaction de leurs besoins. Les premiers sont carnivores, végétivores ou omnivores, les seconds sont sélectionnés et génétiquement travaillés (et on n’a pas attendu les manipulations génétiques directes pour cela) pour être nourris au mieux des intérêts humains, généraux et particuliers. La révolution néolithique a été la première étape de cet interventionnisme, dès lors que les hommes se sont mis a produite des animaux artificiels en les nourrissant d’espèces, végétales et/ou animales artificielles. Ceux-ci ne peuvent être nourris comme des animaux sauvages, à moins de retourner à l’élevage non agricole; ce qui, on en conviendra, ne pourrait couvrir les besoins que d’une infime partie de la population mondiale actuelle.
5) La confusion entre l’examen rationnel et scientifique de la question et l’expression, marquées par une réelle angoisse due à l’ignorance, de l’opinions sur la question. Faire agir la peur angoissée de l’inconnu sans apporter des informations suffisantes ou en apportant des informations tronquées ne peut que transformer cette angoisse en psychose collective, aux effets en effet incontrôlables, sur le fonctionnement de nos sociétés libérales et démocratiques, condamnées, pour survivre, à rationaliser les prises de décisions et la forme des débats publics qu’elles exigent.

Ce qui est stupéfiant, c’est que l’on voit resurgir, à la faveur de cette angoisse, le vieux thème mythique et catastrophiste des sociétés traditionnelles, à savoir que, pour bien-vivre, il ne faut pas toucher à l’ordre sacré, matériel et/ou symbolique de la nature et que toute transgression de l’ordre divin est un péché auto-destructeur. On oublie du même coup cette certitude que nous sommes aujourd’hui 6 milliards ( et bientôt 10) d’hommes qui ne croient pas tous en Dieu, ni en sa prétendue création et qui ne vivent et ne peuvent survivre que de l’artificialisation incessante de leurs modes d’existence. C’est, depuis des millénaires, trop tard , pour en revenir à d’autres méthodes de production et encore plus , d’en retourner à la pratique généralisée de la chasse et de la cueillette, sans souhaiter la disparition de la majorité de l’espèce humaine. Ni Dieu (lequel ?), ni sa prétendue création, ne peuvent plus rien pour nous, considérés collectivement. Nous ne pouvons compter que sur la maîtrise rationnelle de nos artifices ; ce qui suppose:
1) Une presse qui informe en diffusant l’état des savoirs (les problèmes, les découvertes et les limites), ce qui implique qu’elle s’adresse en priorité à ceux qui savent et cherchent.
2) Des responsables politiques qui puissent raison garder dans l’animation du débat public en vue de rendre possibles et acceptées des prises de décisions précautionneuses équilibrées.
S.Reboul, le 13/11/2000



        Manipulations de l'embryon humain et éthique
        Retour à la page d'accueil