Le désir du pouvoir et la démocratie.

La Rochefoucauld (Maximes): 1665. Nos vertus ne sont, le plus souvent, que des vices déguisés.
"les vertus se perdent dans l'intérêt comme les fleuves dans la mer".
Montesquieu, (L'esprit des lois) 1748: « Le principe de la démocratie est la vertu » , laquelle suppose, selon Rousseau, l'égalité citoyenne.
Anatole France, (Les dieux ont soif) 1912: « il faudrait gouverner les hommes tels qu'ils sont et non pas tels que l'on voudrait qu'ils soient »

Alain  (Propos )1921 "Lambitieux prend les pouvoirs comme fin et les adore en tous ses actes"
(Propos sur l'éducation) 1932 « L'acclamation a fait tous les maux de tous les peuples. Le citoyen se trouve porté au delà de son jugement, le pouvoir acclamé se croit aimé et infallible; toute liberté est perdue."

Propos sur la politique (1934)« Tout pouvoir sans contrôle rend fou."

Pierre Bourdieu, (les héritiers) 1964 "la cécité aux inégalités sociales condamne et autorise à expliquer toutes les inégalités, particulièrement en matière de réussite scolaire, comme inégalités naturelles, inégalités de dons. "La politique qui vise  à garder la confiance des marchés financiers perd la condfiance du peuple" ( Le monde diplomatique)



Je propose quelques définitions pour clarifier les termes de ma problématique.


Qu'est que le pouvoir? C'est la capacité de faire obéir les autres et précisément de se faire obéir des autres avec ou sans leur consentement. En cela tout pouvoir est une relation de domination plus ou moins consentie dans laquelle celui qui commande soumet ceux qui obéissent à son désir ou volonté propre.

Sans leur consentement, c'est faire usage de la force ou contraindre dans le cadre d'un rapport de force favorable ceux qui obéissent sans qu'ils aient le choix de ne pas le faire sans prendre le risque de leur propre survie biologique ou sociale et cela à l'encontre de tout autre désir. (Dans ce dernier cas j'appelle, le pouvoir, pouvoir hiérarchique formel institué par la force individuelle ou la puissance collective à son service.)

Avec leur consentement , c'est la capacité de persuader les autres qu'ils ont intérêt ou raison d'obéir en vue de la satisfaction de leur propre désir et comme nous le verrons, jouir, en dernière instance, d'une image gratifiante de soi . J'appelle ce second type de pouvoir un pouvoir de séduction et/ou d'influence qui peut être informel ou formalisé à l'intérieur d'une distribution hiérarchisée de la fonction de commandement (autorité organique).


Ces deux types de pouvoir, le plus souvent se combinent plus ou moins . Car le pouvoir par la force pure ou dans le cadre d'un rapport de force hiérarchique favorable ne se ne suffit jamais à long terme s'il ne se donne pas les moyens de séduction appelé charisme du ou des dirigeant(s), sauf à être contesté voire à susciter la révolte et en dernier ressort, être rejeté et détruit, comme despotique ou tyrannique . Tout pouvoir qui veut durer ou se stabiliser même, voire surtout, contraignant doit apparaitre comme légitime ou juste c'est à dire favorable aux intérêts vitaux ou idéaux de ceux sur lesquels il s'exerce. Tout pouvoir stable repose donc sur deux jambes: les moyens de force et la persuasion et/ou la séduction.

La démocratie

la démocratie est le régime politique qui soumet le pouvoir politique et la contrainte qu'il organise pour se faire obéir des citoyens au consentement explicite de ces derniers. Ce consentement s'obtient soit par le recours au référendum (démocratie directe) soit, le plus souvent, par le recours à des élections libres et régulières des dirigeants et des représentants des électeurs (démocratie indirecte ou représentative). Ces représentants sont appelés à voter les lois que sont les les règles générales de vie communes. Ce régime présuppose les libertés politiques et individuelles des citoyens garanties et consignées dans une constitution ou loi fondamentale. Cette garantie implique la séparation constitutionnelle entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

Il semblerait donc que le pouvoir le plus légitime soit le pouvoir démocratique dès lors que, dans ce cadre, les dirigeants et les représentants des citoyens sont élus par eux pour les représenter en coalisant majoritairement les intérêts, les désirs et les choix de leurs électeurs . Mais nous savons tous d'une part que les dictateurs les sanglants et les plus liberticides peuvent avoir été élus et d 'autre part que le suffrage universel a pu instaurer la dictature d'un seul. Bref qu'une dictature peut être élue et qu'une majorité peut remettre en cause les libertés fondamentales, la séparation des pouvoirs et la constitution libérale, au nom de la démocratie directe, déclarée plus démocratique, car plus populaire, que la démocratie indirecte.


Qu'est-ce que le désir du pouvoir? Celui-ci s'exprime au premier chef (c'est le cas de le dire) dans l'ambition politique qui concerne le pouvoir à la fois général, central et suprême dans la société, le pouvoir de l'état. Ce désir du pouvoir est pour ceux qui l'exercent ou prétendent l'exercer, est le désir de s'affirmer comme supérieur aux autres dans le cadre d'une hiérarchie formelle stable qui objective durablement cette supériorité dans l'obéissance plus ou moins automatique et indiscutable de leurs subordonnés. L'ambition est la forme la plus gratifiante de l'amour narcissique de soi, car sa réalisation apporte, pour le dominant, la preuve socialement objective de sa supériorité dans et par la soumission à la fois contrainte et consentie qu'il obtient des dominés. Cette reconnaissance par les dominés de cette supériorité est donc indispensable pour que le dominant soit lui-même convaincu et puisse convaincre les autres de sa puissance propre dans l'affirmation de sa volonté sur les autres. Le pouvoir politique, comme le dit Pascal, met toujours en scène et exhibe toujours de manière ostensible les symboles et la magnificence luxueuse ritualisée de cette supériorité pour frapper l'imagination des dominés afin de les en convaincre pour se convaincre. Notre république, qui se veut démocratique; ses palais et ses ors et autres manifestations ostentatoires, faites de silence respectueux, de courbettes, de services divers, et de gardes à vous qui ritualisent la soumission en des cérémonies en grande partie reprises de la monarchie de droit divin, ne fait pas exception et sont là pour nous le rappeler. Tout se passe comme si la démocratie elle-même ne pouvait se passer de la mise en scène de la supériorité ritualisée de la supériorité quasi naturelle, au sens où l'habitude est une seconde nature, de ses dirigeants. En cela dans tout régime démocratique subsiste une part de la symbolique et du rituel monarchiques.


D'où le problème politique majeur en démocratie: comment faire que le désir de pouvoir de ceux qui nous gouvernent, en principe pour et dans l'intérêt de tous ou intérêt général, s'il existe-  qu'ils sont censés représenter, voire incarner en leur  personne- ne dégénère pas en désir tyrannique de domination ou de manipulation des citoyens. Comment donc éviter la démagogie qui est, comme nous le dit Platon, non seulement une maladie de la démocratie, mais, selon lui,  la démocratie comme maladie politique, soit limitée de telle sorte que  le désir de pouvoir qui est la marque en politique de la puissance infinie du désir humain, comme désir et amour de soi universel dans la relation aux autres, ne soit pas en démocratie qu'une compétition -certes apparemment pacifique- entre des égo(s) dans le course au pouvoir pour le pouvoir. La démocratie ou pouvoir de tous sur tous n'est-elle pas pas infailliblement détournée et trahie en pouvoir d'un seul ou d'une minorité sur tous dès lors que le désir de puissance s'affirme toujours, en politique, en désir personnel de pouvoir?


Mais cette question renvoie à une autre, symétrique, plus fondamentale encore, pour reprendre le thèse de La Boétie : comment se fait-il que les démagogues tyranniques qui promettent le bonheur, chez nous par le pouvoir d'achat direct ou indirect par le jeu du crédit facile, gage d'une consommation frénétique, soient à ce point populaires et soient à ce point démocratiquement légitimés par le vote des électeurs, conditionnés par une expression aussi exacerbé, par le discours commercial omniprésent dans l'espace public et les médias, de leur désir de puissance propre?

Pour comprendre ce paradoxe je vous propose deux références philosophiques classiques, en apparence opposées, celle de Platon, référence que j'appelle ici républicaine, et celle de Rousseau dont il est convenu de croire qu'elle pose le fondement de la démocratie politique.


Dans "La République" Platon avance trois thèses fondamentales:


  1. la démocratie est une forme de la tyrannie, dès lors qu'elle confie la décision politique à tous c'est à dire pour lui à la foule forcément ignorante car irréfléchie dont les opinions ne peuvent être que déterminées par les passions collectives, contradictoires et instables sans considération éclairée pour la bien véritable, à savoir universel et commun.


  1. Parmi les passions qui sont des désirs artificiels et superflus (sans nécessité et finalité raisonnables) règne la passion du pouvoir sur les autres et ou de leur en mettre plein la vue comme forme d'expression du désir infini de la puissance pour la puissance pour soi.


  1. Ainsi la démocratie ne peut que transférer (par le vote) à un seul plus tyrannique et plus séducteur que les autres le désir de puissance de chacun , tyran auquel chacun peut s'identifier en identifiant son désir propre de puissance, plus ou moins empêché par celui des autres, à celui de tous les autres dominés à travers le désir de puissance du chef.

Ainsi pour le premier d'entre les philosophes, la démocratie ne peut être rien d'autre que l'expression du désir tyrannique du plus grand nombre , y compris dans et par sa soumission aveugle à celui du tyran qui n'est rien d'autre que le plus tyrannique d'entre eux. La foule ne pense pas et ne peut par elle-même accéder à la justice et au bien commun qui constituent le fondement rationnel de la république; spontanément la foule est divisée et son opinion instable et elle ne peut s'unir que sous la domination ultime d'un seul. La démocratie est , compte tenu des passions humaines qui ne sont que les expressions de la puissance infinie du désir narcissique humain, anti-républicaine.

Se sentir ( et non pas être), et se croire plus, voire tout puissant, y compris en s'identifiant à la toute puissance séductrice du tyran, est pour Platon le pente fatale de toute démocratie génératrice de chaos et d'impuissance.


Nombre de philosophes, à commencer par Rousseau dont on fait un des fondateurs des principes de notre république démocratique, ont condamné la démocratie intégrale, car si la volonté générale ne peut errer, selon ce dernier, son expression populaire , voire populiste, par le vote, peut s'égarer et être trahie ou détournée de la volonté générale, il s'en faut en effet que la majorité ait toujours raison. En effet, ajoute-t-il, la démocratie ou gouvernement du peuple par le peuple ne peut être juste que pour des dieux moralement parfaits et non des hommes corrompus ou corruptibles par les inégalités de toute sorte, individuelles ou collectives, que pourtant tous désirent pour espérer en profiter et s'en prévaloir aux yeux des autres.


Nous savons que Platon a tenté d' opposer au pseudo-régime de la démocratie, réellement toujours démagogique et tyrannique , celui, théorique et idéal, de la monarchie philosophique et que Rousseau a fait du refus radical et constitutionnel des inégalités sociales, dans le cadre d'un pacte social fondateur librement consenti le fondement de l'état juste. Examinons ces réponses et les raisons de leur échec pratique, par delà leurs justifications rationnelles. Et cela malgré elles et/ou à cause d'elles.

Seul , selon Platon, le philosophe ou celui qui désire devenir sage, c'est à dire qui place la raison en lui au poste de commandement contre la puissance infinie du désir sensible, de ce fait destructrice de soi et des autres, peut et doit exercer un juste pouvoir au nom du bien commun. La tyrannie est pour lui fondamentalement celle du désir infini de puissance sur les esprits, la forme politique de la domination n'en est que l'expression directe (chez Calliclès) et indirecte chez ceux qui les suivent pour satisfaire leur propre désir de puissance. Qu'en est-il de celui-ci? Ce qu'il faut comprendre en effet c'est que le tyran ne peut exercer sa tyrannie, comme domination sans limite, que dans le la mesure où il exploite et détourne à son profit le désir de puissance de ceux sur lesquels elle s'exerce. Ce n'est pas la force qui fait le pouvoir, mais, comme le disait La Boétie, le consentement et la faiblesse des dominés qui, procède de la reconnaissance que le tyran est l'incarnation unifiée et unifiante de leur propre désir de sécurité (Hobbes) et/ou de puissance (Nietzsche) face au désir hostile, réel ou fantasmé, des autres, individus ou groupes. Examinons cela:

Le désir humain se distingue du besoin naturel et nécessaire en cela qu'il est infini, à savoir qu'il n'est limité par aucune fin rationnelle et/ou vitale, il se relance et rebondit en permanence sur tous les objets par lesquels le sujet peut affirmer sa puissance propre et sa valeur personnelle par rapport aux autres. L'amour de soi comme puissance de désir et désir de domination sur les autres s'inscrit dans une rivalité mimétique ou compétition incessantes pour les symboles et les statuts sociaux de cette puissance. Le désir humain est tout à la fois désir de désirer à l'infini et désir de s'aimer soi- même, comme valeur suprême, le narcissisme. Or un tel désir implique en tant que désir de se distinguer le désir de dominer le monde et les autres pour s'affirmer et se reconnaitre par la médiation des autres,les subordonnés en tant comme puissance ou valeur supérieure. Faire face, sauver la face, être craint, être valeureux, et honorés et honorables sont les objets de la plus forte motivation du désir humain en contraste avec l'humiliation , le mépris ou l'indifférence des autres. Ainsi le désir de puissance ne peut se reconnaître et jouir de lui même qu'en dominant le monde, il est donc par nature tyrannique. Et ce faisant il est nécessairement spontanément injuste, car tourné vers la satisfaction personnelle aux dépens des autres et du bien commun . Il est exclusivement égocentrique. Dès lors qu'il est délivré des limites du besoin naturel et nécessaire il devient désir de pouvoir absolu, il ne se limite que dans et par l'expérience de la frustration imposée par le risque de la mort et de la menace répressive sociale et/ou religieuse et/ou politique susceptible de conduire le sujet à l'impuissance radicale et à la dévalorisation dépressive qu'elle engendre. En cela comme le fait dire Sartre à un de ses héros, l'enfer c'est les autres . Pour compenser ce risque et cette menace angoissante du manque d'être et de puissance, l'addiction, l'excès, la démesure dans l'exercice du pouvoir, donc la violence physique et morale sur les autres qui en découle, sont inscrits dans tout désir, livré à lui-même.. Ainsi comme l'a remarqué Lord Acton, Le  pouvoir du désir comme désir du pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolumert. Les grands hommes sont presque toujours méchants corrompt absolument. 
Seul l'amour de la sagesse ou philosophie peut nous aider, selon Platon, à combattre en nous la démesure violemment injuste du désir comme désir du pouvoir absolu. Mais tous les humains ne sont pas pour Platon aptes à philosopher, c'est à dire à placer la raison dans leur âme au poste du gouvernement suprême dans l'âme et cela contre le désir de puissance sur le monde et les autres: le sage plutôt que de désirer dominer les autres préfère vouloir ou choisir (de) se dominer lui-même, à savoir de limiter, voire d'interdire en lui toute passion ou désir superflu et artificiel, à commencer par la passion narcissique dont toutes les autres dépendent toujours et/ou qui les exacerbe toutes. Il y faut une connaissance du Bien en soi et un courage qui ne sont pas donnés à tous et si tant est que tous pourraient le (re)connaître comme le vrai Bien face aux désirs sensibles, tous n'en ont pas le désir et préfèrent toujours l'illusion jouisseuse à la vérité et à la justice universelle qui définissent la souverain bien. C'est pourquoi le cité idéale doit être fondée sur une stricte hiérarchie des âmes: seuls les philosophes peuvent prétendre au juste gouvernement et soumettre les autres au pouvoir supérieur de la raison quitte à utiliser pour ce faire, l'éducation disciplinaire, la force et la ruse. La démocratie ne pourrait être juste que si tous pouvaient devenir philosophes et que tous les hommes soient égaux en cette qualité humaine supérieure. Or cette supposition est contraire à l'expérience qui nous montre que la plupart des humains, comme des prisonniers dans une caverne, sont plongés et piégés par les fausses images qui accompagnent les désirs de paraître et de puissance. Les humains ne sont pas égaux devant le recherche et la pratique de la sagesse. Tout au plus faudrait-t-il , selon Platon, éduquer les enfants à la justice et à la discipline contre les passions en les arrachant aux influences toujours délétères de leur famille, sans pouvoir être assurés qu'ils n'y succombent pas à leur tour.

Or Platon lui-même a fait l'expérience de l'échec -échec dont il fait le récit dans le lettre VII- de toute tentative de concilier les contraintes du pouvoir politique et l'exigence de sagesse en vue du Bien commun. Ne pouvant faire qu'un philosophe, dans les conditions des luttes politiques partisanes, ne s'empare du pouvoir, il a tenté auprès d'un futur tyran, Dion neveu de Denis de Syracuse l'ancien, qui avait avait appelé le philosophe pour parfaire éducation de son neveu, de convertir ce dernier à la sagesse. Il semble avoir réussi en ce qui concerne Dion, sauf que ce dernier ne put partager le pouvoir qu'occupait Denys II. Dion fut mis à mort sur ordre de Denys II. Cette tentative de Platon d'instaurer une tyrannie, transformée en monarchie philosophique, échoua et failli coûter la liberté, voire la vie au philosophe sur l'ordre de Denis II qui se disait pourtant son disciple et amoureux de la philosophie, mais ne pouvait supporter, dans le cadre de sa lutte sans merci pour le pouvoir, que ce maitre en philosophie tente d'agir pour une réconciliation entre lui et Dion en vue de la paix civile et du Bien commun. Quand Platon s'interroge sur la motivation politique du philosophe à exercer le pouvoir en vue de la justice il doit avouer que ce n'est pas par goût du pouvoir, qu'il déteste au fond, car trop contraire à la sagesse, mais parce qu'il déteste encore plus être gouverné par un tyran nécessairement injuste. Exercer un pouvoir monarchique absolu est incompatible avec l'amour de la connaissance et de la justice pour elles même. Il ne peut y avoir de pouvoir juste dans une cité injuste et le pouvoir du philosophe n'est pas tel qu'il puisse s'imposer à des citoyens victimes de leurs passions.

C'est cette contradiction que Rousseau a tenté de surmonter, dans "le contrat social", en s'interrogeant sur les conditions contractuelles d'une société dépassionnée dans laquelle les citoyens pourraient être, sans effort ou contrainte extérieurs, vertueux . La proposition de Rousseau est d'abolir toute domination sociale de l'homme par l'homme de telle sorte qu'en obéissant à la loi qui exprimerait, non la volonté d'un seul, ou d'une minorité, mais de tous, chacun n'obéisse qu'à lui-même. Mais si la vertu citoyenne ne peut être forcée par le haut, peut-elle se construire par le bas, démocratiquement? Si oui à quelles conditions et dans quelles limites?

Rousseau , contrairement à Platon, refuse l'idée d'une inégalité « naturelle » entre les humains. Son argument est non pas empirique mais théorique, en cela que cet auteur révoque l'expérience des inégalités sociales et politiques existantes faussement interprétées par la grande majorité des hommes comme naturelles. Il tente, tel le physicien qui suppose l'existence du principe d'inertie en l'absence de toute force agissante , ce qui est contraire à toute expérience directe , de développer une expérience de pensée novatrice: celle qui consiste à se demander si un hypothétique état de nature pourrait être hiérarchique alors que toute hiérarchie est toujours socialement produite et institutionnellement construite. Un tel état serait précisément a-social et donc sans hiérarchie sociale. Nous savons que la hiérarchie sociale varie dans ses formes, ses critères et son intensité d'une société à l'autre. Sauf à supposer que seules les sociétés très inégalitaires dont nous avons l'expérience proche seraient réellement humaines, ce qui reviendrait à déclarer les sociétés dites différentes ou primitives moins inégalitaires, comme inhumaines ou animales, il faut donc nous résoudre à admettre que les inégalités ne sont pas naturelles mais artificielles.. Or affirmer avec raison que les hommes sont naturellement égaux, dès lors qu'il serait absurde ou contradictoire de prétendre le contraire, c'est du même coup faire place à la possibilité théorique d'une société qui transformerait cette égalité naturelle en une égalité civile. C'est là le but du contrat social, selon notre auteur, dont la principe de base est simple: chacun doit abdiquer de tous ses biens entre les mains, si l'on ose dire, de l'ensemble, de telle sorte que nul ne puisse se croire dépossédé au profit d'un autre et qu'il puisse retrouver, par la médiation de tous, la jouissance des seuls biens qui soient suffisants pour sa vie et sa sécurité sans avoir à dépendre de quelqu'un d'autre et sans que personne ne dépende de lui.

Ainsi un tel contrat idéal égalitaire, chez Rousseau, est une fiction rationnelle dont la fonction est de révéler l'origine réelle des inégalités entre les hommes: celle-ci si elle n'est pas naturelle, réside dans le droit institué à et de la propriété privée. La propriété privée est en effet, pour l'auteur, un droit institué par les nantis pour en exclure les autres afin de préserver la paix civile à leur profit en interdisant toute revendication qui pourraient remettre en cause ce droit exclusif d'user et d'abuser de ce dont il sont reconnus comme seuls et uniques propriétaires. Ce qui est paradoxal est que les exclus de la propriété privée renoncent à leur droit naturel et commun sur la terre et ses biens et se soumettent pour leur propre survie, à ce droit qui les asservit aux plus riches, au travail à leur service, en tant qu'esclaves ou salariés , en tout cas en tant qu'employés (ce qui veut dire être « ployés » sous la domination d'un autre) . Cette soumission au pouvoir des propriétaires transformés en exploiteurs des non-possédants repose sur la domination politique et militaire qui elle-même ne peut se maintenir qu'en faisant croire aux dépossédés qu'ils ne sont tels que par leur infériorité naturelle qu'elle soit héréditaire ( modèle aristocratique à l'époque de Rousseau) ou individuelle ( modèle dit démocratique ou méritocratique à notre époque). Comment une telle croyance dans la supériorité naturelle des dominants a-t-elle pu dominer la conscience des dépossédés, transformés en des esclaves? Deux facteurs peuvent être invoqués:


  1. La religion qui tout à la fois justifie cette hiérarchie prétendument naturelle (tout pouvoir vient de Dieu, Saint Paul) en tant qu'ordre divin garant de l'ordre social et qui promet aux dépossédés, à la condition qu'il se soumettent aux dominants, le vie éternelle au paradis dans lequel tous les justes seront égaux, voire où les pauvres, à la condition qu'il ne se révoltent pas, seraient sauvés en priorité.

  2. Le désir des dépossédés de s' identifier par délégation ou transfert à la seule puissance à laquelle ils puissent prétendre dans le cadre faussement rassurant, car autoritariste et répressif des libertés individuelles , celle d'un maitre et d'un appareil armé de contrôle et de force à sa solde , qui leur impose une obéissance sans condition. Mieux vaut un ordre prévisible et somme toute sécurisant que l'incertitude conflictuelle et angoissante du chaos et de la violence généralisée.


Nous sommes en effet obligés de constater que dans l'histoire, y compris récente, la démocratie n'est pas nécessairement populaire. Dans les périodes de crises et de tensions sociales graves les plus défavorisés, les pauvres, les dominés, les exclus de la vie économiques, les humiliés, bref les perdants dans un jeu social dont ils n'ont pas les clés, cherchent souvent et d'abor leur salut dans la dictature nationaliste, nationale socialiste ou communiste, voire religieuse sous l'autorité incontestable d'un chef de guerre disposant d'un pouvoir sans limites ni contre-pouvoirs contre des ennemis boucs-emissaires extérieurs ou intérieurs. Le peuple d'en bas majoritaire, si tant est qu'on puisse le définir comme uni quant à ses intérêts économiques et politiques, n'est pas spontanément démocrate mais communautariste et autoritariste par peur panique du chaos social dont il se sent victime, puisqu'en tant qu'individu isolé, il se sent désespérément impuissant. Il est alors très souvent xénophobe par peur de perdre l'image valorisée collective de soi qu'il vit comme le ciment identitaire ou ethnique indispensable à une unité compensatoire au regard des humiliations sociales qu'il subit . De même les plus défavorisés sont souvent sexistes, hommes et femmes, par peur de la dissolution des rôles familiaux qui détruirait le semblant de pouvoir qui reste aux hommes sur les femmes et par crainte de celle de l'ultime solidarité, celle de la famille, sur laquelle ils croient pouvoir compter pour survivre physiquement et socialement à leur déréliction. Le père patriarcal dans la famille et le monarque divin ou républicain dans la société paraissent comme les conditions d'un ordre social qui menace de se déliter à leurs dépens. La misère sociale conduit à désirer être soumis au pouvoir; à désirer le pouvoir qu'exerce un chef auquel chacun peut s'identifier en communion avec les autres de telle si sorte qu'à la faiblesse individuelle soit substituée le sentiment d'une puissance collective irresistible.

Ainsi le désir de puissance contrarié des dominés se trouve capté par et dans le désir de pouvoir des dominants qui font de la comparaison et de la compétition entre les uns et les autres, dans le cadre d'une hiérarchie entre les dominés entièrement manipulée par ces derniers et à leur profit exclusif, le stimulant du désir de puissance et de reconnaissance de soi de chacun des dominés dans le cadre d'une reconnaissance collective . Ce désir de reconnaissance se transforme en passion narcissique à la fois individuelle et collective où chacun ne vit plus que pour obtenir, sous les regard de ses semblables proches, une image de soi valorisante exclusive de toute différences étrangères selon les seuls critères et codes symboliques identitaire d'un peuple ethnique homogène, critères posés comme incontestables. Le désir de puissance du dominé, acculé à l'impuissance, se mire dans celui des autres sous la domination unificatrice du désir de pouvoir absolutisé du dominant.

Rousseau , conscient de la corruption de l'amour de soi en amour propre exclusif que génère l'inégalité sociale par la médiation du désir de pouvoir des dominants, mais dont l'origine réside dans l'impuissance des dominés compensée par la soumission aux premiers, a construit cette fiction de l'égalité naturelle entre les hommes pour défaire ce naturalisme idéologique et mystificateur inégalitaire qui prétend justifier la domination de l'homme par l'homme. Par l'artifice du contrat social qu'il propose, il Rousseau rend possible et pensable l'institution entre tous d'une égalité civile ou civique qui abolirait toute les inégalités fondées sur l'hypocrisie et le mythe mensonger d'une paix civile fondée sur le droit inégalitaire à la propriété et au pouvoir qu'elle confère. Il a donc par là tenté de ruiner l'idéologie aristocratique dominante à son époque en faisant de chacun, dans le cadre de l'expression d'une volonté générale et du bien commun, la source démocratique (le peuple fait la loi au nom et au profit du peuple tout entier uni en lui-même par uni volonté authentiquement générale ) et donc légitime du droit. Cette légitimité et le contenu juste du contrat social serait fondatrice d'une éducation citoyenne qui éliminerait tout risque compétitif dans le jeux des passions humaines et ferait que les citoyens seraient spontanément vertueux. Un tel contrat égalitaire suppose néanmoins -et Rousseau en est très conscient- une véritable conversion morale du peuple -nous dirions aujourd'hui une révolution culturelle-, si tant est que la peuple ne soit pas déjà trop corrompu par la misère et les inégalités, devenu par la force des habitudes, une seconde nature, pour l'accomplir.

L'égalité civile serait pour Rousseau par elle même vertueuse en cela qu'elle maintiendrait les deux sentiments spontanés ou naturels que de l'amour de soi et de la pitié naturelle en harmonie, laquelle pitié n'est rien d'autre que la prolongation spontanée de l'amour de soi dans la reconnaissance des autres comme semblables ou égaux à soi,. L'inégalité sociale et la compétition symbolique et réelle pour le pouvoir qu'elle entraine est la véritable source de la divergence entre le premier désir et le second en transformant et en pervertissant l'amour de soi en amour propre ou exclusif, voire en haine jalouse des autres, individus ou populations. Ainsi ce qui fonde philosophiquement la vertu citoyenne (la solidarité entre tous dans la conscience du bien commun) c'est bien l'idée fictive de nature humaine telle qu'on peut l'inférer de l'égalité primitive tout aussi fictive. Mais que celles-ci soient fictives ne les disqualifie en rien, car elle peuvent seules fonder rationnellement d'une possible limitation de la sensibilité humaine dans un cadre social solidaire qui fasse échec à la violence et à la domination. L'égalité des droits et des propriétés est la condition suffisante de la réduction du désir de puissance perverti par l'inégalité en désir tyrannique de pouvoir sur les autres et au désir de soumission symétrique de soumission ou d'aliénation à ce désir de puissance. C'est par l'inégalité sociale que le désir du dominant devient l'expression et le modèle du désir des dominés et que ces deux désirs au fond sont les deux faces sont d'un seul et même désir narcissique exprimés en deux rôles différents générateurs l'un de l'autre et constitutifs d'un jeu de pouvoir inégalitaire mutuellement consenti.

Mais ce qui est problématique dans la position de Rousseau, c'est la question de savoir comment il serait possible de passer des sociétés réellement injustes qui, selon ses critères, sont quasiment toutes les sociétés existantes dans le monde, à des sociétés plus justes ou moins injustes. Lui-même considère que les hommes vivant dans les grandes sociétés inégalitaires sont, nous venons de la voir, trop corrompus pour désirer fonder la vie commune sur un contrat aussi strictement égalitaire. Leur désir est devenu trop irréversiblement égoïste pour redevenir vertueux . Tout au plus peut-il envisager que de très petites sociétés fermées sur elle-même et encore proche de l'égalité primitive dans la distribution de la propriété privée seraient capable d'un effort volontaire en vue d'une rupture non-violente vers l'égalité citoyenne. Or ces sociétés n'existent pas hors du fantasme qui est mis en spectacle en de rares contrées encore isolée de plus ne plus transformées en réserve pour touristes ou de spectateurs en proie à la nostalgie d'un passé mythique révolu.

Cette impuissance à incarner pacifiquement un idéal utopique est le défaut majeur de toute prétention philosophique à redéfinir réellement les sociétés politiques. la position de Rousseau ne s'inscrit dans aucune stratégie politique réaliste de transformation sociale, voire les répudie toutes à l'avance qu'elles soient réformistes ou révolutionnaires comme n'étant que des illusions stériles ou catastrophiques. Rousseau lui-même s'est jugé incapable d'éduquer ses propres enfants selon la vertu et a choisi, à ce qu'il dit, de les abandonner. « Que ne me suis-je marié ? écrit-il à Mme de Francueil qui l’interrogeait sur l’abandon de ses cinq enfants. Demandez à vos injustes lois, Madame. C’est l’état des riches, c’est votre état qui vole au mien le pain des mes enfants. » Les révolutionnaires français ont cru s'inspirer de Rousseau, au nom de l'égalité citoyenne, pour refonder radicalement une société vertueuse dans lequel l'égoïsme et l'infini puissance du désir de domination aurait disparu, mais ils ont fait capoter leur révolution dans la terreur et la domination sanglante de leur propre désir de domination, au nom de la vertu et de la liberté. À vouloir changer les désirs humains considérés comme radicalement pervertis, on aboutit nécessairement à la répression le plus extrême, au massacre de masse et à la négation des libertés individuelles pourtant formellement constitutives des droits de l'homme et du citoyen dont Robespierre se réclamait. Si l'homme naturel est une fiction théorique, ce que Rousseau reconnaît tout à fait, vouloir faire de cette fiction le principe fondateur d'un nouvel ordre social réel est une absurdité, dès lors que toute société existante survit toujours dans les habitus et traditions, religieuses ou non, des individus qui la compose: tout citoyen est le résultat d'une éducation, or les éducateurs eux-même sont très loin d'être vertueux car ils héritent tous de l'ancienne société et de ses perversions. « Qui va éduquer les éducateurs dans une société injuste? » S'interroge Kant. Disons que ces perversions de la sensibilité sont, comme le savait Kant, sinon dans le contenu de leur enseignement, dans celui de leurs comportements réels et c'est ces derniers qui servent d'exemples éducatifs et non pas les paroles qui sont vite jugées, par les éduqués, en cas de contradictions entre leurs paroles et leurs actes, hypocrites et menteuses. C'est pourquoi le projet éducatif de Rousseau entend sortir les enfants hors de la société réelle et de ses influences pernicieuses afin de les éduquer contre elle en vue, non pas d'une société réellement existante ou réellement possible, mais d'une société imaginaire composée d'individus imaginaires.

De plus distinguer pour les opposer l'homme naturel et l'homme socialement perverti est un non sens théorique et pratique. Tout homme comme le savait Aristote est un animal social et/ou politique, le naturaliser c'est le déshumaniser. Le projet rousseauiste de société égalitaire vertueuse est non seulement utopique mais inhumain. C'est ce qu'a pratiquement et historiquement démontré toutes les tentatives de changer l'homme dans le cadre d'une révolution politique et culturelle radicalement égalitariste. C'était du reste l'avis de Rousseau lui-même: toute révolution juste pour lui est impossible: toute révolution est radicalement violente et donc injuste et on ne peut pas faire de cette injustice l'acte fondateur d'une justice quelconque.. Ainsi la terreur révolutionnaire, à diverses époques et dans divers pays, a aussi était le fruit de cette méconnaissance de Rousseau par les révolutionnaires qui a abouti à vouloir confondre un projet philosophique et un projet politique jusqu'à promouvoir l'usage de la violence organisée la plus extrême pour combler un écart irréductible: celui entre un idéal et une réalité qui s'y refuse et le trahit toujours.

Contrairement à l'interprétation courante, Rousseau n'était ni un révolutionnaire, ni réellement un progressiste, ni même tout à fait en cela un philosophe des lumières, au contraire par exemple d'un Diderot, ou d'un Condorcet. Il était profondément pessimiste, voire réactionnaire vis-à-vis d'une évolution sociale progressiste, libérale et individualiste.

Les deux utopies philosophiques, celle de de la juste hiérarchie et celle de de l'égalité parfaite sont ou deviennent dans les faits totalitaires dès lors qu'elles prétendent supprimer réellement les effets du désir narcissique. Elles sont totalitaires et terroristes en cela qu'elles exigent la soumission totale jusque dans dans le vie privée qui tend selon leur intention philosophique à être annihilée . Cette soumission est exigée soit au philosophe, détenteur du monopole de la raison, soit à une volonté générale introuvable, sinon par son incarnation dans l'état qui pourrait en son nom condamner, y compris à mort, quiconque serait considéré comme trop passionnément attaché à son désir propre de reconnaissance et de distinction. S'affirmer dans la consommation frénétique ostentatoire et le luxe est pour ces deux philosophes le comble de la dégradation éthique.

Cependant, la vision idéale de la politique de ces deux philosophes doit nous alerter contre les dérives possibles de l'idée républicaine ou démocratique, pervertie en simple compétition pour le pouvoir et la domination, en cela leurs positions restent vivantes et intellectuellement indispensables pour nous mettre en garde contre la démagogie tyrannique en démocratie (Platon) et contre les effets des inégalités sociales potentiellement violentes et liberticides (Rousseau).


Qu'en est-il aujourd'hui?


La réalité de nos jours, chez nous, c'est le capitalisme triomphant qui se réclame paradoxalement de la démocratie, du pouvoir du peuple, au travers de la généralisation de la recherche du profit personnel, de l'enrichissement, de la consommation, de la propriété, comme l'expression de la valeur suprême de la liberté,; non seulement dans la vie économique, mais dans les relations humaines en général, au point que l'on a pu dire que nos sociétés toutes entières et pas seulement leur économie était devenues marchandes. Platon et Rousseau, sauf à vivre sur une planète imaginaire inhumaine et invivable, n'ont rien à nous dire sur la question de savoir comment vivre le mieux ou le moins mal possible et agir dans notre société pour la rendre moins injuste et dont on ne voit plus du tout qu'elle en serait l'alternative révolutionnaire après les crimes de masse et l'effondrement et de toutes les utopies communistes égalitaristes. La capitalisme a gagné et tous les jours gagne sur la planète. De quoi est faite cette victoire? Du triomphe de la consommation comme expression de la puissance infinie de désirer, et ce faisant de l'affirmation du droit sans limites au bonheur, transformé en impératif éthique.

Qu'est ce qui nous permet de comprendre l'irrésistible marche en avant du capitalisme et de son idéologie libérale identifié à l'idéal démocratique? Rien d'autre que la fin des grande religions qui ouvrait au désir infini la perspective du salut post-mortem. Le désir de s'accomplir dans l'amour de soi ici et maintenant sans le rêve consolateur d'un dieu aimant dans et pour l'éternité est le ressort des comportements des individus que l'on dit modernes.

    Partout dans le monde, la marche du capitalisme met, comme l'affirmait déjà Marx, l'humanité en mouvement. Est-ce par la contrainte, est-ce par l'universalité du désir de consommer des fétiches de l'amour narcissique qu'elle stimule ? L'une et l'autre, car aucune contrainte, aucune influence durable de la publicité ne pourrait être aussi efficace, si elle ne correspondait  pas à une part structurelle de l'humaine condition. Qu'est-ce qui, dans le capitalisme marchan(t)d, exprime et détermine la libération de la puissance du désir humain universel? Chacun le voit : l'argent comme équivalent général de tout bien et service est le moyen universel du désir de consommer comme la forme la plus immédiate et la moins complexe de l'expression du désir humain comme désir narcissique de soi par rapport au désir mimétique et rival des autres. Le désir humain est, en effet, dans toutes les cultures et sous différentes formes, rivalité mimétique : chacun ne désire que ce qui est l'objet du  désir de l'autre en une compétition indispensable à l'affirmation de soi (prestige). Le désir illimité des biens prétendument matériels que nous exprimons, au delà de nos besoins naturels et nécessaires, comme disait Platon en le désignant comme artificiel et superflu, ne sont que des biens symboliques exprimant des valeurs collectives auto-valorisantes Les biens les plus désirables sont les objets de luxes, rares et cher et donc auto-gratifiants; Ce sont tous des biens symboliques de positions statutaires enviables qui manifestent et rendent possible un pouvoir objectif et subjectif sur les autres. En cela ils sont, si l'on veut, essentiellement spirituels , mais la supériorité du capitalisme est d'attiser sans cesse cette rivalité mimétique en donnant à chacun l'espoir de s'approprier réellement cette image valorisante de soi que confère les biens de consommation (pensons à la mode) , et les positions de pouvoir pour servir le désir insatiable d'être et de paraître. Ce n'est pas un hasard si les biens les plus désirables dans un contexte où sont satisfaits les besoins " vitaux ", voire parfois à leurs dépens, sont ceux qui nous permettent de nous représenter aux autres et à nous-mêmes, à nous mettre en scène : maison, vêtements, bijoux, télé, caméscope, ordinateur, Internet, voyages, produits de beauté, produit culturels, selon les codes symboliques du (des) milieu(x) dans le(s)quel(s) nous jouons notre vivante comédie humaine.

    Cette libération du désir qu'opère l'idéologie libérale capitaliste met en jeu et en scène l'infini en acte (en marchant-d) de sa puissance immanente, au contraire des religions traditionnelles qui détournaient celle-ci vers un point focal transcendant fixe et toujours virtuel - Dieu  infiniment bon et juste et la vie éternelle - pour mieux le brider, le canaliser, le soumettre et le contrôler . Les hyper-marchés dont l'ouverture la dimanche nous est promise sont les nouveaux temples de la modernité capitaliste et démocratique : pas de rituel de contrition, pas d'inégalité de statut, pas de sacrifice. Chaque client est présenté comme un roi dont la puissance, son pouvoir d'achat (travailler plus pour gagner plus) et sa valeur dépendent du contenu idéalement sans limite de son porte-monnaie, ne serait qu'en espérant gagner au loto. Rien à voir avec un devoir moral dans cette affaire : seuls sont nécessaires le droit et l'éthique du commerce fondés sur un contrat négociable entre des intérêts mutuels. La capitalisme est par définition amoral et individualiste. En cela il est libéral : Il ruine, comme le disait Marx, toute les allégeances impératives communautaires et les relations traditionnelles. Il universalise le jeu du désir tout en évitant la violence ouverte qui bloquerait les échanges commerciaux ; il substitue l'échange (compétitif) réciproque sur fond d'équivalence à la guerre ouverte (Montesquieu) ; sauf exceptionnellement lorsque ces intérêts vitaux sont en jeu, face à la violence de ceux qui se sentent exclus du marché et sont tentés d'en ouvrir un autre la marché ilégal de la drogue, plus lucratif encore que la marché légal . Cela n'a rien d'étonnant: la drogue réalise au plus prêt le caractère addictif de la consommation marchande.
  
Or le capitalisme n'a rien d'un régime idéal, car un idéal est par définition inexistant (à moins de croire en Dieu et à la cité céleste): il génère sa violence propre et ses contradictions; car, contrairement aux dires de certains de ses épigones, il ne fonctionne ni démocratiquement, ni à l'équilibre :

    1) Il produit sans cesse les inégalités dont il a besoin pour faire du profit. Inégalités entre ceux qui possèdent  (l'argent, le savoir, le pouvoir d'expertise technique et économique) et les autres et par conséquent les inégalités entre ceux qui disposent des moyens de faire usage de la consommation et les autres qui marchent derrière, voire leur courent après en vain, jusqu'au moment où il ne trouvent plus le jeu plaisant et n'hésite plus à faire usage de la violence et du commerce illégal ou semi-légal (drogue, prostitution, armes) pour faire valoir leur droit au marché, à la reconnaissance, voire au prestige. Or ces contradictions font courir un danger permanent de transformer le jeu marchan(t)d en règlements de comptes violents entre mafias ; il est donc nécessaire au capitalisme de soumettre les rapports économiques à des règles de droit sociaux (en vue d'une certaine redistribution et d'une plus grande égalité des rapports de force) pour faire paraître la partie jouable par tous, d'autant qu'il doit constamment conquérir de nouveaux marchés. Il ne peut donc se dispenser à plus ou moins long terme d'une régulation politique et démocratique des échanges.

    2) Il oppose constamment les désirs à court terme , qu'il privilégie, aux désirs à long terme qu'il sacrifie, les intérêts financiers de quelques uns, aux intérêts économiques et sociaux du plus grand nombre, la satisfaction illimitée des désirs au besoin de jouir de conditions de vie écologiquement supportables.

 Mais cela condamne-t-il le capitalisme pour autant ? Cela nous conduit-il a obliger les individus à renoncer à leur désir de consommer au nom de la justice et/ou du principe de responsabilité par la peur d'une catastrophe écologique annoncée? (c'est, on le sait, une tentation chez Hans Jonas)?  
Non, car
1)Autant leur interdire de désirer ce qui peut, à tort ou a raison, leur apparaître comme l'expression de leur droit au bonheur et à la liberté

2) Toutes les expériences qui prétendaient administrer centralement l'économie par la politique ont échoué ; elles sont nécessairement inefficaces : aucune planification centralisée des échanges ne peut répondre à la puissance multiforme du désir humain et adapter à priori l'offre à la demande ; en cela le marché est le meilleur régulateur possible des relations entre les désirs et les intérêts individuels. Et d'autre part ces expériences aboutissent nécessairement via la fusion entre le pouvoir économique et la pouvoir politique à la corruption généralisée et au  totalitarisme dans la volonté de l'état de soumettre le désir individuel à des normes morales et idéologiques supérieures. La
liberté de désirer et de penser (religion cléricale et/ou laïque, avec ou sans Dieu) est indissociable de l'idée démocratique.

Mais au cœur de la reproduction du capitalisme, l'exigence démocratique de sa régulation politique s'impose. Or celle-ci passe par l'expérience des menaces, des souffrances et des dégâts (parfois catastrophiques), et des luttes sociales qu'elles génèrent pour que cette exigence devienne désirable pour la majorité des individus, y compris par ceux qui profitent directement des avantages du capitalisme : on peut regretter que l'expérience négative seule permette la prise de conscience de cette exigence, mais en l'absence d'une idéologie unanime qui définirait unanimement le bien , la souffrance et la peur, seules, invitent à la prudence dans l'expression de la puissance infinie de nos désirs. Les contradictions du capitalisme exige un encadrement, un encastrement, juridique et politique démocratique international de son fonctionnement pour ne pas déboucher sur des crises de surproduction et des dettes que Marx a très bien analysées, sur la violence entre les nantis et les autres , sur le totalitarisme. révolutionnaire et/ou réactionnaire et sur la destruction de notre environnement indissociablement naturel et humain

Il est donc stérile et même dangereux pour les libertés et la paix, de croire que l’on peut résister au capitalisme en refusant cette évolution généralisée et libérales (libératrice) mondiale, des échanges et des valeurs qui les soutendent, au nom de formes dépassée, limitées et exigeant la soumission inconditionnelle des individus au groupe ( car toujours liées à des symboliques communautaristes exclusives particulières), car le capitalisme met en scène la réalisation imaginaire actuelle du désir humain individualisé dans ce qu’il a d’universel, non dans le ciel mais ici, sur terre, non après la mort, mais maintenant.
Il est néanmoins faux de croire que le capitalisme « sauvage » (sans règles, sans impôts ni droits sociaux) est viable. À l’heure où tous les hommes voient tous les hommes vivre et désirer et désirent ce que les autres ont et qu’ils n’ont pas (encore), notre seule chance de parvenir à la paix est non pas dans un retour en arrière qui supposerait l’impossible et peu souhaitable séparation des cultures, mais dans « l’inventer » d’une démocratie internationale visant à réguler les échanges économiques et symboliques pour ne pas exclure du jeu du désir universalisé la majorité des humains. Un capitalisme social internationalisé donc moins inégalitaire est seul, à terme, un capitalisme qui marche et/ou qui ne s'auto-détruit pas dans la crise financière générée par l'endettement généralisé exorbitant, dévoyé par une spéculation prédatrice dont la cupidité est sans limite, endettement pourtant nécessaire pour réduire l'écart, dû aux inégalités sociales et l'exploitation du travail par le capital, entre production et consommation, entre l'offre et la demande . Les révoltes, le, terrorisme religieux ou non, les guerres civiles et les catastrophes écologiques annoncées sont l'horizon du capitalisme sauvage, anonyme et irresponsable, mondialisé

    Qu'il y ait d'autres modalités d'expression plus riches (dont l'égoïsme est plus altruiste) du désir narcissique, de l'amour de soi que ceux de la production et de la consommation , du pouvoir gratifiant et ostentatoire sur les autres que confère l'argent et dont le culte de la richesse n'est qu'une des expressions possibles dans le contexte d'un capitalisme généralisé dominant, j'en conviens tout à fait. Ces autres expressions que sont l'amour, l'amitié, l'art, cependant ne relèvent plus, selon moi, dans le monde globalisé d'aujourd'hui, , de la seule vie économique et sociale publiques, mais de la vie privée. Le sentiment de la solidarité ainsi que le désir de préserver un environnement viable sont à l'articulation entre la vie privée et la vie publique, car le premier implique la justice au profit des plus défavorisés, donc la réduction des inégalité sociales et le désir d'un environnement sain et agréable pour tous exige une régulation politique forte face à la recherche du profit privé? Ces modalités d'expression du désir ego-altruiste implique la réduction de la part du temps consacrée à la vie publique (professionnelle, économique) au profit de la vie privée, libérée de la contrainte économique. La vie économique et politique doit être soumise en dernier ressort au droit à une vie privée digne et gratifiante. C'est là l'impératif libéral le plus conséquent, dont du reste, le capitalisme tente de profiter en permanence, en s'efforçant de le corrompre, pour le soumettre la loi du profit dans les industrie des loisirs et du tourisme. À chacun de nous de faire en sorte que cela ne s'opère pas totalement aux dépens de l'essentiel : la relation gratuite, non marchande, érotique et esthétique aux autres. À chacun d'entre nous de ne pas faire de notre loisir une simple affaire de consommation.

Toute autre position, me semble-t-il, qui prétendrait, au nom d’idéologies particulières (religieuses ou politiques) dépasser la capitalisme serait vouée à l’échec et à la violence totalitaire en cherchant à y mettre définitivement fin ou à le dépasser pour promouvoir une société sans contradictions de classes, réconciliée et donc sans état. Le capitalisme est devenu universel car, dans le jeu social, il met en scène, comme je l'ai dit, après l'effondrement des idéologies religieuses (l'extrémisme terroriste religieux n'est que l'effet et le prix à payer de cet effondrement) l’universel du désir humain (et ses contradictions) sans faire intervenir de médiation transcendante particulière (Dieu ou la Morale ou l'état du peuple tout entier). L’argent et les droits démocratiques sont des médiateurs immanents suffisants. Pour le reste, l'amour l'amitié, la création, contentons nous de défendre nos droits à la vie privée et à la gratuité comme une forme plus authentique et plus conviviale du désir narcissique de chacun dans son rapport réciproque au désir des autres.

Qu'en est-il du désir de pouvoir en démocratie?
Il faut admettre que la démocratie dans une société inégalitaire est nécessairement toujours en proie à la tentation de la démagogie, puisqu'elle ne peut se dispenser de mettre en jeu des techniques de séduction pour agréger des majorité disparates d'électeurs consommateurs qui revendiquent un pouvoir d'achat et un sécurité sociale croissants.. Le peuple n'est pas un, il est multiplicité et diversité en mouvement de populations et de couches sociales aux intérêts plus ou moins divergents qui toutes exigent plus pour elles-même. Se réclamer d'un pouvoir populaire homogène et politiquement stable dans une société pluraliste et complexe est un mythe politico-religieux qui ne peut que déboucher sur le nationalisme ethnique et xénophobe. Pour limiter les effets d'aliénation ou de tyrannie majoritaire (Tocqueville) de la démocratie, il convient alors que le pouvoir limite le pouvoir comme le disait Montesquieu. Il est aussi nécessaire d'élargir la sphère autonome, dans l'état démocratique, des droits humains individuels et sociaux. il est indispensable de développer une éducation au débat critique citoyen pluraliste dès l'école. Enfin il est recommandé de permettre aux citoyens de contrôler leurs dirigeants par delà les élections, dans le cadre d'espaces publics de dialogue et d'échanges réels ou virtuels; ce ce que d'aucuns appellent le démocratie participative, seule susceptible de ré-insuffler un lien politique de solidarité vécue dans le cadre de la définition d'un bien commun, toujours négociable, donc toujours à reconstruire.
Si, comme je l'ai dit après d'autres, tout pouvoir corrompt, cette corruption concerne tout autant le dominant que le dominé en cela, nous l'avons dit, que le pouvoir produit une paranoïa liberticide chez l'un comme chez l'autre dans une fascination spéculaire réciproque qui anéanti le désir d'autonomie chez le dominant vis-à-vis de son désir insatiable et délirant de grandeur et chez le dominé en lui faisant désirer l'asservissement sans condition par l'identification à la personne du chef tout puissant. Le pouvoir démocratique n'échappe pas à la corruption, il est encore moins le pouvoir absolu d'un peuple uni introuvable, mais le pouvoir d'une majorité précaire d'électeurs de choisir et de révoquer ses dirigeants donc de limiter leur pouvoir dans le temps d'abord et et dans l'espace politique ensuite en lui opposant des contre-pouvoirs légaux pour permettre aux citoyens de manifester pacifiquement contre leurs dirigeants, de les critiquer dans les médias pour faire place à leur droit de les contester, y compris dans le rue, afin préparer les conditions de leur éviction pacifique. La démocratie est donc le seul régime qui, en maintenant la concurrence pacifique pour le pouvoir suprême en permanence ouverte, concilie les libertés individuelles ou désir de puissance de chacun avec le désir du pouvoir des dirigeants , ce qui leur interdit la tentation despotique. Mais il faut savoir que cette conciliation est précaire en cela qu'elle est toujours menacée par un danger mortel intérieur permanent: celui de la démagogie nationaliste ou xénophobe qui prétend, au nom de l'identité collective mythique du peuple, abolir tous les conflits et les différences ainsi que l'expression autonome et légale des droits individuels et sociaux. Tout dirigeant « populaire » est toujours menacé par la tentation de mettre tous les citoyens enfin unis sous sa férule et à son service en faisant de ce pouvoir le pouvoir transcendant et sans limite d'un chef suprême, transformé par les autres en objet de culte quasi-religieux , appelé culte de la personnalité.
Ainsi la domination politique en général, tout régimes politiques confondus, en tant que distribution inégalitaire du pouvoir n'est pas seulement l'effet d'un rapport de force ponctuel, car elle ne peut se stabiliser et s'institutionnaliser durablement que si elle domine la conscience et le désir du dominé en lui-même. Or elle ne peut dominer la conscience du dominé sans que le pouvoir de ses dirigeants lui apparaisse comme légitime et désirable et celui-ci ne peut devenir désirable que s'il se présente comme protectrice de l'ordre public et susceptible de concourir au progrès général . Or la domination, même stabilisée, peut toujours être l'enjeu de luttes pacifiques ou non entre des prétendants au pouvoir et risque toujours de provoquer la guerre civile. Aussi comme le dit Pascal, ne pouvant faire que la justice soit forte, car elle se heurterait à la puissance même de l'injustice et à celle de ceux qui désirent dominer, ainsi qu'au fait qu'imposer la justice par la force serait perçu comme injuste, les dominants n'ont de cesse de transformer leur puissance injuste en en juste puissance en la faisant apparaître telle par des procédures et des rituels arbitraux pacificateurs mais aussi en transformant réellement leur puissance en droit de telle sorte que cette puissance dominatrice soit perçue comme la condition de l'ordre civil pacifique et comme faisant échec au chaos et à la violence de tous contre tous, toujours menaçants.
Cela vaut-il pour la démocratie?
En sens idéal, non, car ce régime organise le légitimité du pouvoir politique en faisant des dominants les représentants des citoyens choisis par eux, au contraire des régimes monarchiques de droit divin dans lesquels le pouvoir transcende les sujets et s'impose à eux d'en haut. La justice, à savoir le fait que le gouvernement soit l'expression du pouvoir des citoyens sur eux-même devient alors réellement une juste force, la force d'une loi universelle au service du bien commun. Elle respecte en effet les droits égaux des citoyens, voire de tous les hommes, et soumet régulièrement les gouvernants au suffrage des gouvernés de telle sorte qu'en obéissant aux gouvernants chacun n'obéit qu'à la volonté de tous et donc de lui-même. La démocratie est en effet un paradoxe politique, en cela qu'elle prétend faire des dirigeants les serviteurs des dirigés et c'est pour cela qu'elle est toujours fragile et menacée par la démagogie
Mais en un autre sens, réaliste, la démocratie est une forme de le domination politique car, comme l'affirme Platon, les gouvernés n'ont pas spontanément conscience du bien commun. Ils sont en effet à la fois victimes et promoteurs de passions collectives, contradictoires et violentes, ce qui tend à faire des gouvernants élus ou cherchant à l'être des démagogues qui doivent flatter les passions populaires les plus irrationnelles et surtout apparaître comme au service de ces dernières et non pas au service de la justice et de la raison pour être élus
Faut-il, dans ces conditions, promouvoir la démocratie réelle qui risque surtout dans les périodes de tensions sociales extrêmes de se transformer en une tyrannie démagogique majoritaire ?
La seule supériorité de la démocratie sur les monarchies traditionnelles ou de droit divin réside non pas dans le seul suffrage dit populaire mais aussi et surtout dans les libertés politiques et personnelles qu'elle accorde aux gouvernés qui seules permettent de faire obstacle à la tyrannie majoritaire et à la démagogie des gouvernants ou aspirant à le devenir. Ces libertés doivent s'inscrire dans des droits égaux que seule une justice autonome par rapport au pouvoir exécutif peut faire respecter.. L'égalité des droits et la recherche d'un réelle égalité des moyens de les faire respecter en faveur de tous par le pouvoir en place sont, comme l'affirme Rousseau, les conditions d'un régime authentiquement juste, dans laquelle la domination, à savoir le pouvoir d'asservir, peut être transformer en un pouvoir de direction démocratique au service de l'intérêt public
Mais force est de constater que telle n'est pas la démocratie réelle . Celle-ci, aujourd'hui connait une crise profonde et peut-être mortelle car elle apparait aux citoyens de plus en plus comme un leurre au service d'intérêts financiers anti-démocratiques, vis-à-vis desquels elle est perçue comme au mieux impuissante, au pire à leur service exclusif. Un capitalisme irresponsable et prédateur de justes relations sociales est en train de détruire progressivement l'idéal démocratique au profit d'un cynisme sans règle ni limite, dans lequel la seule puissance est celle de l'argent roi et où les nouveaux maitres, appelés marchés financiers, dictent la loi de leurs intérêts particuliers, la loi du profit maximum, dans le plus total anonymat, au cœur d'institutions occultes incontrôlables. Cette décrédibilisation de l'idée démocratique donne jour, en particulier, au populisme qui tente, en flattant les angoisses et les ressentiments des citoyens, de retourner le suffrage universel contre les droits démocratiques individuels et sociaux au nom de l'idée de nation transformée en vecteur d'un nationalisme ethnique xénophobe et agressif, compensant par la haine des autres, le sentiment de déréliction que provoque, chez ses victimes, la cupidité évidente d'un capitalisme aveugle sur ces conséquences, car sourd à toute revendication de justice.
La démocratie ne pourra être sauvée en son idéal régulateur que sont les droits universels, individuels et sociaux des hommes, qu'en plaçant le capitalisme, y compris et surtout financier, et cela contre sa logique propre, sous la direction de règles mondiales, économiques et écologiques de justice. C'est alors que le désir du pouvoir en démocratie pourra être soumis à la loi égalitaire des droits et des devoirs y compris pour les dirigeants économiques et politiques . Ce désir de pouvoir devra alors être transformé par l'éducation, si tant est qu'elle soit encore possible dans l'océan de l'injustice régnante, chez eux mais aussi chez tous les citoyens, en désir de justice lequel suppose, avant tout, un désir de pouvoir sur soi, à l'encontre de la passion spontanée de dominer à son profit exclusif . Ce désir d'autonomie et de justice est le désir de sagesse que seule l'éducation à l'égalité citoyenne et au débat citoyen peut promouvoir; il est à la fois égoïste et altruiste. Égoïste en cela qu'il vise à satisfaire l'amour de soi en une image valorisante de soi générée par la reconnaissance des autres et altruiste en cela que sa satisfaction passe par l'action au service de relations de réciprocité ou de bienveillance aux autres. Ce désir de sagesse comme pouvoir de la raison sur les passions égocentriques est, selon tous les philosophes de l'antiquité, la philosophie elle-même , laquelle doit alors devenir l'affaire de tous, sauf à voir sombrer toutes nos espérances en un monde plus juste et plus solidaire. Il y faudra le plus probablement et malheureusement de grand malheurs collectifs et vécus comme tels pour restaurer l'idée de sagesse comme nécessaire à la vie démocratique.
Le condition du malheur général, du désastre, est malheureusement non-suffisante pour en sortir, sans un combat politique qui met l'idéal au service de la transformation de la réalité politique et sociale.
Ce combat politique ne doit pas se tromper de cible : si l'on admet qu'une révolution anti-capitaliste qui serait nécessairement violente et liberticide, sauf à supposer que la capitalisme capitulerait devant les élections sans faire usage de la force et de la démagogie, ne pourrait être de ce fait démocratique, il nous faut alors passer par la seule voie de la réforme du capitalisme pour tenter de rendre à la démocratie la crédibilité de son idéal, à la fois libéral et égalitaire.
Ce n'est pas gagné, au regard du retour du nationalisme xénophobe auquel on assiste aujourd'hui y compris au plus haut niveau de l'état. Vis-à-vis de la démagogie populiste, la course de vitesse est engagée..

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Relations de pouvoir et jeux du désir