De Descartes à Benoît XVI ou de l’impossibilité de concilier rationnellement foi et raison

Benoît XVI prétend nous (re)faire le coup classique de sauver la foi au nom de la raison et la raison au nom de la foi. Mais, pour ce faire, il lui faut faire l’impasse sur le fait que la preuve rationnelle de l’existence de Dieu que l’on attribue à tort ou à raison à Descartes a été contestée par Pascal, au nom de la foi, et par Kant, au nom de la raison. Qu’en est-il de cette prétendue réconciliation du point de vue de l’histoire réelle, de Descartes à Pascal et Kant, du conflit bien réel entre la philosophie rationnelle et la révélation ?

Descartes pouvait penser, par le recours au doute méthodique, que la pensée pouvait être ontologiquement une substance indépendante de l’étendue ou du corps et du cerveau. Selon lui, je peux penser que je n’ai point de corps, mais je ne peux penser que je ne pense pas et, tant bien même la pensée que je n’ai point de corps serait fausse, il reste vrai que je pense. Ainsi la pensée serait donc première par rapport au corps du fait que mon corps ne peut exister pour moi qu’en tant que je pense vraiment ou faussement qu’il existe et que la pensée est, en cela et par soi, irréfutable dans son indépendance par rapport au corps. Ceci veut dire que pour Descartes on ne peut penser la dépendance de la pensée par rapport au corps dès lors que cette prétendue dépendance dépendrait ontologiquement de la pensée que j’en ai et que par conséquent cette pensée se contredirait elle-même. Nous serions dans la contradiction bien connue du menteur avoué qui affirme qu’il ment. S’il dit vrai il dit faux et s’il dit faux il dit vrai.

Ceci dit si la pensée, lorsqu’elle pense le corps, peut se tromper, y compris quant à la pensée (croyance et non pas savoir) de l’existence objective (indépendante) de ce dernier, rien ne dit que lorsqu’elle pense le corps et le monde, voire les autres, elle ne se trompe pas toujours en croyant que ceux-ci existent en dehors de la pensée du sujet qui les pense. La pensée serait alors dans un doute radical, sauf à affirmer que rien n’existe en dehors d’elle et que le monde extérieur à elle n’est que sa création ex-nihilo, Dieu compris. Cette affirmation condamnerait la pensée à ne pas pouvoir sortir d’elle-même (solipsisme) et à ne rien dire du monde extérieur ni de Dieu qui puisse correspondre, selon la définition classique de la vérité, à un objet réellement existant. Elle pourrait affirmer tout et le contraire de tout sur n’importe quoi, sauf que la pensée existe et est la seule substance existante par soi. La vérité des choses lui échapperait définitivement. L’affirmation du doute deviendrait à ce point radicale qu’elle conduirait au scepticisme intégral. Rien de ce que la pensée peut penser en dehors d’elle-même ne pourrait être vrai. La certitude de la vérité de la pensée de l’existence indépendante de la pensée conduirait donc à l’impossibilité de toute vérité objective !

 

Refusant cette pente fatale, Descartes réinvente la preuve ontologique, sans sortir de la pensée, de l’existence de Dieu comme fondement de la vérité d’une pensée qui peut penser le corps et le monde extérieur comme réellement existants. C’est ce qu’il est convenu d’appeler la preuve ontologique de l’existence de Dieu que, à la suite de Descartes lui-même dans sa correspondance, on peut résumer de la manière suivante : si je pense que Dieu est parfait, cette idée de perfection ne peut exclure l’existence objective de Dieu, laquelle existence est une perfection, sauf à se contredire ; donc Dieu existe par définition en tant qu’il est par définition parfait.

 

On peut rétorquer que cette preuve n’en est pas vraiment une, car la cohérence de la pensée ne dit rien sur la réalité de son objet. Ce sera la critique qu’adresse Kant à cette prétendue preuve : on ne peut conclure de l’idée à la réalité de son objet qui pourrait, même cohérente, n’être une pure illusion de l’esprit qui pense que Dieu est parfait. Rien ne permet d’assurer, sinon une définition idéale et toujours discutable, que Dieu est parfait et qu’il existe à ce seul titre. Toute définition est en soi susceptible d’être arbitraire ou sans fondement objectif quant à la réalité de ce qu’elle affirme. Et du reste Pascal déjà avait vu que derrière cette prétendue preuve il n’y a que la foi et non la raison pure. Dieu reste une vérité du cœur (ou du désir de ne pas mourir) et non de la raison. Une révélation mystique (et donc un mystère) et non un objet rationnel démontrable. La preuve de Descartes ne serait qu’une rationalisation sophistique d’une vérité plus haute que la raison, voire irrationnelle, dès lors qu’on en manifeste les difficultés logiques internes que l’on appelle les mystères (trinité, résurrection, immaculée conception, etc.). Le Dieu de Descartes est pour Pascal le Dieu des philosophes et donc un Dieu de raison et à ce titre toujours discutable, non un Dieu d’amour qui puisse sauver les hommes de la mort par amour, non le Dieu de la foi, mais un « Deus ex-machina » pour fonder la vérité de la connaissance objective comme vérité absolue, ce qu’elle ne peut pas être dès lors qu’elle ne peut être qu’expérimentale, c’est-à-dire relative à l’expérience, comme l’avait établi Pascal à propos du vide et de l’équilibre des pressions et Galilée à propos de la chute des corps.

 

Mais si l’existence de Dieu relève de la révélation et non de la raison , elle est aussi attaquable par la raison en tant que possible illusion, et devient un objet de dispute, comme n’importe quel objet de dispute, sans avoir l’expérience comme critère de validité et de détermination de son objet, selon ce que dira Hume. La croyance en Dieu est donc précisément désacralisée ; elle tombe instantanément de son piédestal religieux dogmatique et cultuel. La prétendue preuve rationnelle de l’existence de Dieu démystifie et désacralise la religion et introduit le ver philosophique du doute dans le fruit de la vérité révélée absolue. Le conflit entre foi et raison ressurgit aussitôt : il faut que la raison abdique de son pouvoir de démonstrativité ou de preuve ontologique pour que la vérité de la foi, comme croyance absolue de la vérité absolue de l’existence de Dieu, puisse s’affirmer, y compris contre elle, comme l’avait compris Pascal. Si Kant lui-même prétendait sauver la foi sur le plan pratique par le recours à la croyance en Dieu comme postulat (et non pas vérité de savoir) nécessaire selon lui pour rendre possible la morale absolue de l’impératif catégorique qui consiste à faire son devoir absolument ou sans condition par devoir, il ne pouvait prétendre à la vérité de cette croyance et donc à la possibilité indiscutable, pour des hommes sensibles et désirants, de la pratique d’une morale du sacrifice de soi (de son bonheur) au devoir aussi exigeante.

 

Ce qui semble en effet avoir échappé à Benoît XVI (ce que je ne pense pas, mais il évite le problème pour la mauvaise raison que l’on sait, à savoir « rétablir le thomisme, pourtant défait par la modernité, qui fait de la raison la servante de la foi), c’est ce mouvement vers la modernité auquel nous introduit le débat entre Descartes d’un côté et Pascal et Kant de l’autre ; débat qui devrait lui interdire d’affirmer que foi et raison seraient rationnellement complémentaires et non en position de conflit latent ou ouvert sur le terrain de la connaissance et au-delà de l’éthique. Sa tentative de sauver la soumission de la raison à la foi et de rationalisation réciproque de la foi est vouée à l’échec : telle est la leçon de la modernité. Cette leçon ne doit pas seulement se cantonner à la connaissance, mais aussi à la morale et à l’éthique dès lors que la prétendue connaissance religieuse de la vraie morale est tout aussi rationnellement discutable que celle de la vraie connaissance. L’éthique, pas plus que la politique, ne peuvent se réclamer d’une vérité divine transcendante pour s’imposer, sans conflit rationnel possible, à la société.

 

Face à ce combat douteux de Benoît XVI contre la liberté de la raison vis-à-vis de la foi dans tous les domaines et y compris contre elle, il est bon de revenir à l’histoire de la philosophie dont pourtant il se réclame pour rétablir la laïcité dans son droit à faire de la raison critique, sur le plan social et plus encore politique, le seul juge de la valeur de nos savoirs et de nos croyances éthiques.

De l’illusion religieuse

Commentaires et précisions: 
Doute, foi et vérité

Est douteux ce qui ne peut être démontré ou prouvé comme vrai et qui pourtant est présenté comme tel. Ce n’est donc pas uniquement sur le contenu d’une proposition (ex. "Dieu existe en dehors de ma pensée ou de mon imagination) que porte le doute que sur le fait que l’on affirme comme vrai ce contenu sans pouvoir en apporter la preuve pouvant avoir valeur pour le non-croyant et c’est cet écart entre le prétendue vérité du contenu et l’impuissance à l’établir comme telle qui constitue l’illusion métaphysique.

Celle-ci n’est donc pas une simple erreur, mais une proposition non démontrable prise comme une vérité indiscutable et fondamentale. ce que fait le pape lorsqu’il affirme que l’existence de Dieu est plus qu’une simple croyance subjective indémontrée mais qu’elle est l’objet d’une révélation (foi) qui en fait une vérité indémontrable objective, comme si l’intensité de la foi suffisait sur le plan rationnel à établir la vérité de son contenu, ce qui est proprement absurde.

De deux choses l’une en effet:


- soit la vérité de la proposition qui affirme que l’existence objective de Dieu est rationnellement démontrable, alors une réconciliation entre la foi dans cette existence et la raison est non seulement possible mais impérative.


- soit elle ne l’est pas, alors il est fallacieux et vain de prétendre que la raison peut renforcer la foi, sauf à faire d’elle une simple auxiliaire (servante) de son contenu dogmatique dès lors qu’elle se refuserait à l’interroger quant à sa validité, mais ce serait refuser la rôle critique de la raison . ce qui est proprement irrationnel.

Dira-t-on que la raison doit se limiter à lutter contre les débordements plus ou moins fanatiques et violents de la foi, sans en contester le contenu ?

Mais alors ce serait la raison qui devrait se faire juge de la foi et de ses modes d’expression et elle ne pourrait être simplement à son service, dès lors que l’on ne peut distinguer la foi en une vérité absolue sacrée et incontestable des pratiques qu’elle génère puisque ces pratiques se réclament de cette dernière. C’est la croyance dans l’absoluïté de la vérité universelle divine qui est source de fanatisme plus ou moins violent.

C’est dire que la raison ne connaît aucune limite à son pouvoir critique, y compris de la foi, de son contenu et de ses modes d’expression, sauf à renoncer à ce pouvoir face à l’autorité prétendue, car indémontrable de la révélation, laquelle suppose toujours l’existence réelle de Dieu hors de la pensée du croyant, à savoir sa vérité universelle.

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Du statut de la preuve ontologique chez Descartes

Descartes a donné, pour sortir du doute méthodologique (donc de soi comme sujet du doute radical), de la preuve d’Anselme la forme d’une preuve quasi (onto)logique et une portée comme fondement de la possibilité de la connaissance rationnellement vraie. Ce qui n’était pas le propos d’Anselme. Chez Anselme la foi est première et dernière, chez Descartes le sujet est premier et sa foi ne peut seule le conduire à la vérité scientifique sans que l’existence objective de Dieu soit établie en raison.

C’est pourquoi c’est la preuve (onto)logique de Descartes qui a été le point de départ du débat philosophique avec Pascal et Kant etc...Tout dépend si l’on prend au sérieux le doute cartésien comme effectivement radical ou si l’on n’en fait qu’une représentation rhétorique habile qui ne prouve rien d’autre que le contenu d’une foi préalable incontestable pour tenter de convaincre l’incroyant comme le suggère lui-même Descartes dans les "principes de la philosophie". Mais il y a plus: Descartes cherche à établir la vérité de la science comme indépendante de la théologie officielle (et cela contre les théologiens qui ont condamné Galilée) et cela l’oblige à prouver que Dieu existe en tant que condition de possibilité de la connaissance scientifco-mathématique et expérimentale (avec des réserves quant à cette dernière) qui, tout à la fois ,dépend de Dieu, mais nous délivre de cette dépendance vis-à-vis de la théologie, dans le but de faire progresser le savoir ! (Ouf)


Précision

1) j’avoue ne pas comprendre que l’on puisse douter tout en ayant la foi sans que ce doute rationnel ne mette la foi en doute ou en jeu, sauf à refuser a priori et du point de vue de la raison arbitrairement (et non pas du point de vue du désir ou comme le dit Pascal du coeur) de mettre en doute l’existence de dieu pour préserver l’essentiel de sa foi.

2) ce refus se fonde sur une révélation mystique dont la raison n’a aucune raison rationnellement suffisante de s’interdire de faire la critique.

3) Or cette révélation ne peut se présenter comme une vérité universelle (ou catholique), elle ne peut donc valoir comme vérité que contre le pouvoir critique de la raison.

C’est bien la critique que j’adresse à Benoit XVI : prétendre au nom de la réconciliation désirée par lui en tant chef de l’église catholique entre la foi et la raison interdire à la raison de refuser de croire à l’existence de Dieu comme en une vérité universelle.

Ce qui est au coeur de la position du pape et de Nicolas Sarkozy est de déclarer mauvais, tant du point de vue de la raison éclairée par la foi, que de la foi régulée par la raison, l’athéisme ; ce qui veut dire que la foi n’est pas contestable et que toute contestation par la raison de la foi (existence de dieu) comme vérité universelle (et non comme simple croyance particulière) est nécessairement mauvaise.

Cela ne fait pas de sa position une vérité raisonnable mais une simple croyance aussi discutable que celle de l’existence de Dieu ou que celle de la trinité ou de l’immaculée conception ou surtout que celle de l’infaillibilité pontificale. Infaillibilité qui, n’a de sens que pour celui qui y croit.

le 16/09/08

De l'irrationalité de la foi
La preuve ontologique est sophistique (elle prétend déduire l’existence réelle d’une définition idéale et arbitraire)

La preuve mathématique n’est pas valide car elle ne vaut que dans le cadre d’une axiomatique formelle déterminée et ne dit rien sur existence réelle de son contenu extra-mathématique (ou métaphysique) et ne peut rien en dire. Aucune axiomatique mathématique ne peut décider, dès lors qu’il y en a plusieurs possibles, de sa pertinence à propos d’un objet non-mathématique (ex: Dieu)

Il n’ y a pas de preuve possible d’une révélation, sauf à décider que tout délire sincère est vrai.

Pascal en vient à dire que ce qui fait la vérité de la foi chrétienne c’est l’invraisemblance de son contenu au regard de la raison. Il faut que Dieu existe pour expliquer que les hommes pendant des siècles aient pu croire de telles invraisemblances (trinité, mort réelle de jésus, résurrection etc.). Ce qui montre bien que la réconciliation de la foi et de la raison n’est pas pour demain et que quiconque y prétend ne peut le faire qu’en récusant le pouvoir critique de la foi par la raison !

Bref, la foi est par nature irrationnelle, puisqu’elle ne peut s’affirmer comme vérité universelle (ce que ne peut être pas une simple croyance subjective ou témoignage) que contre l’exigence rationnelle de la preuve hypothético-expérimentale objective à laquelle elle ne peut prétendre, ce qu’elle reconnaît par ailleurs en parlant de mystères pour qualifier ses dogmes fondamentaux.

le 17/09/08


L'illusion religieuse
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