par Sylvain Reboul,
enseignant de philosophie
Publié le samedi 15 janvier 2005 dans "Le Mague" http://www.lemague.net
suivi d'un dialogue avec Monsieur Alexandre Delvalle, essayiste.
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Face à la faiblesse de leurs arguments politiques, les adversaires de l’adhésion de la Turquie à l’Europe utilisent des arguments géographiques, historiques et culturels sans se demander si ces arguments ont une quelconque valeur pour l’avenir et du point de vue d’une conception démocratique de la politique . Ce faisant il font en effet comme si le passé suffisait à décider du futur, comme si, en somme l’histoire était impossible, voire devait être interdite , afin de rester fidèle à une idée mythique de soi-même.
En quoi leurs
argumentation politique est-elle faible ? On peut pour manifester
cette
faiblesse lui opposer trois critiques de fond : 1) La Turquie est
déjà
économiquement, et militairement en Europe par toute une
série
d’accords privilégiés qui l’associe aux décisions
les plus importantes
et en fait un partenaire de l’Union Européenne du point de vue
des
échanges économiques, des investissements, de la
défense et de la
sécurité etc.. 2) Leur
seul argument politique est alors d’affirmer que la Turquie n’est
acquise ni à la laïcité, ni aux droits de l’homme,
ni aux soi-disant
valeurs de la démocratie et ne le sera jamais, alors même
qu’elle fait
de continuels efforts dans ce sens, sous la double pression majoritaire
des populations vivant en Turquie et de l’Union européenne sous
la
promesse formelle de son. Cette exigence de laïcité et de
reconnaissance du génocide arménien
perpétré par un état Turc antérieur
au régime actuel est d’ailleurs un préalable dont ont
été dispensés
d’autres états antérieurement intégrés. 3) Cette intégration
sous
condition de la Turquie, en effet, lui a été promise
à plusieurs
reprises par l’Union Européenne sous la condition de se
soumettre aux
exigences politiques sus-dites et on ne voit pas ce qui justifierait
politiquement que cette promesse soit trahie alors que la Turquie les
accepte. Conscients de la faiblesse de leurs arguments politiques, les adversaires de l’intégration de la Turquie n’hésitent pas à avancer celui de la géographie physique. Mais on se demande ce que cette dernière vient faire dans un débat politique, comme si l’idée de frontières prétendument naturelles avait un sens « autre » que politique. D’une part il y a confusion entre un état et une union d’états, mais surtout, d’autre part, nos frontières sont toujours celles qui nous sont internationalement reconnues et/ou qui délimitent des territoires dont les populations vivent ou acceptent de vivre sous un même espace politico-juridique ; ainsi La Martinique ou La Réunion font partie du territoire français sans continuité territoriale.. Quant aux arguments historiques et culturels ils ont tous comme point commun de refuser ce qu’il peut y avoir de nouveau dans le processus en cours, à savoir la construction d’une espace politique multiculturel dans lequel aucune culture ne peut prétendre être identifiée comme une essence éternelle permanente, mais où toutes ont évoluées et évoluent en s’influençant les unes les autres et cela d’autant plus, dans le cas de la Turquie, que cette influence est revendiquée par elle comme lui étant politiquement nécessaire depuis le début du XXème siècle. Un tel argument ethnique est de type métaphysique, voire religieux, donc anhistorique et infra-politique. Oubliant nos propres histoires, il s’oppose là encore au principe démocratique qui fait de la laïcité pluraliste et de la décision démocratique les seuls critères à prendre en considération pour fonder une convergence et une union politique consentie par tous. Il prétend faire de la vision du passé illusoire d’une union chrétienne prétendument homogène le critère de la construction de l’avenir et de faire d’un mythe passéiste le moteur de l’histoire, ce qui est là encore contraire à nos principes. Tous ces arguments sont donc au fond empruntés à une vision politique pré-démocratique de la politique et il y a une contradiction à vouloir faire de cette vision un argumentaire contre l’élargissement de l’espace démocratique européen à la Turquie. Reste l’argument de l’Europe puissance. Pour les adversaires de l’adhésion de la Turquie, en effet, celle-ci affaiblirait l’union politique en vue d’une politique de puissance face aux USA, Japon, Chine, Russie etc...Mais là encore tout dépend de ce que l’on entend par puissance : s’il s’agit de la puissance guerrière et conquérante d’un empire impérial économique agressif et politiquement répressif de la diversité des populations et de leurs aspirations sous la domination d’un pouvoir central despotique, cet argument pourrait être pris en considération , mais s’ il s’agit d’une puissance de paix, donc de pacification des conflits nationalistes ethniques pour éliminer le risque de guerre à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace politique européen dans le respect des aspirations légitimes de chaque population, l’élargissement ne peut avoir de frontières a priori. L’Europe élargie à fait jusqu’à présent la preuve de sa puissance pacificatrice et rien ne dit que son élargissement ultérieur à la Turquie l’affaiblirait sur ce point, sauf recours, (in)justement, à une stratégie impériale et guerrière de puissance qui semble extrêmement dangereuse dans le processus de mondialisation des échanges en cours et de par l’existence d’ armes de destruction massive qui mettent en péril la survie de l’humanité toute entière, sans parler des problèmes écologiques qui exigent une collaboration pacifique de tous les états pour être traités et dont une Europe pacifique élargie pourrait donner l’exemple. On peut s’étonner que, mis à part le (trop ?) franc du collier Philippe de Villiers, les adversaires du principe de l’adhésion de la Turquie n’aillent pas jusqu’au bout de leur position en déclarant, d’accord en cela avec les intégristes islamiques turcs, que la Turquie ne peut faire partie de l’Union européenne, bien qu’une partie de la population dans l’EU actuelle soit déjà d’origine musulmane, parce qu’une grande partie de sa population est déclarée telle, mais ce manque signe justement la faiblesse de leur argumentation : ils n’osent tout simplement pas car cela serait faire l‘aveu de cette faiblesse et manifesterait trop violemment le retour refoulé de cette position, à savoir une vision religieuse, donc au sens moderne de la politique, anti-politique de la politique. Dire non à la Turquie c’est donc nous trahir aux deux sens du mot : trahir au sens de dévoiler notre vision religieuse de la politique et trahir notre principe de laïcité et nos promesses. Monsieur
Alexandre Delvalle,
essayiste L’accusation de "trahison est plutôt radicale et déplacée. Par ailleurs, il faudrait déjà prouver que les arguments politiques des défenseurs des intérêts européens sont si faibles que vous le dites. Le dire est une simple affirmation dans la mesure où le refus de la candidature turque est motivé surtout et justement par des arguments politiques puissants (rapports de force au Parlement européen, hétérogénéité géostratégique, opposition Europe-Puissance Europe zone atlantiste de libre-échange, nécessité de définir des frontières viables et précises de l’Europe, etc) , et c’est pour cela que des européens convaincus comme Bayrou ou Giscard sont totalement contre l’adhésion turque. Inversement, nombre de partisans de l’adhésion sont adeptes d’une conception anglosaxonne, purement géoéconomique et atlantiste de l’Union européenne et escomptent définitivement dénaturer le projet géopolitique européen en ouvrant la boite de Pandore de l’adhésion vers l’Orient. Rocard l’explique de la façon la plus cynique mais la plus claire. Bien cordialement, mes arguments à moi et à mes amis de l’UMP et de l’UDF (différents des souverainistes) sont sur mon site internet alexandredelvalle.com
Réponse
de Sylvain Reboul "(rapports de force au Parlement européen, hétérogénéité géostratégique, opposition Europe-Puissance Europe zone atlantiste de libre-échange, nécessité de définir des frontières viables et précises de l’Europe, etc)" 1) L'argument du rapport des forces au parlement européen présuppose que les intérêts seraient a priori divergents entre les uns et les autres et surtout que ces divergences resteraient stables sur tous les sujets ce qui est, déjà aujourd’hui, faux et le sera davantage dans l’avenir ; quant à la divergence entre les riches et les pauvres, il est nécessaire qu'elle puisse s'exprimer pour promouvoir la réduction les écarts socio-économiques. Réduction dont nous avons déjà besoin pour réduire le risque de délocalisation qui procéde aussi de cet écart du fait des conditions sociales très hétérogènes entre les états membres et surtout non-membres (mais déjà économiquement intégrés ; cas de la Turquie) de l’Union Européenne. 2) Le débat Europe puissance, Europe de libre échange, qu’il ne convient pas d’appeler atlantique est un faux débat car d’une part il ne peut y avoir d’Europe Unie,quelqu’elle soit, sans libre échange des marchandises des capitaux et des hommes (c’est la base indispensable) et que d’autre part la puissance de l’Europe ne sera ni le fruit de son unité politique sur tout les sujets (l’Europe ne sera pas et n’a pas l’ambition de devenir un super-état) , ni surtout une puissance impériale aggressive uniifiée ; ce qui fait la force politique de l’Europe c’est et ce sera a diversité et sa capacité de négocier sur fond de cette diversité même en vue d’une pacification des conflits et de mise en convergence diversifiée (Europe à la carte, ce qui est déjà la situation actuelle) des décisions politiques. Vous révez d’une Europe puissance impossible, voire politiquement contraire à le réalité européenne. Je préfère développer ce qui existe déjà et donc ce qui est possible et selon moi souhaitable : une Europe force de paix du fait de sa diversité même et non de guerre (qui suppose en effet une unité de commandement sur tout impossible). 3) L’hétérogénéité géostratégique est un fait de passé, non de l’avenir à construire, ; ce fait est à transformer progressivement par et dans l’Union Européenne dès lors que les candidats à l’entrée à l’UE désirent cette homogénisation. Cet argument fait du futur l’otage d’un passé à la fois réel et mythique en voie de transformation. (Que dire à ce sujet des rapports géo-stratégiques entre la France et l’Allemagne depuis des siècles) 4) D’une part, s’il y a une leçon de l’histoire, c’est qu’aucune frontière politique n’est précisément délimitée ou délimitable à l’avance (ex : l’Alsace et la Lorraine) et qu’il n’est pas de soi-disant frontières naturelles sans construction politique. D’autre part tout dépend de la volonté des acteurs qui veulent, aux conditions de droit et de démocratie qe vous savez, adhérer à l’UE. Et ce d’autant plus que l’Europe n’est pas et ne sera pas dans un avenir prévisible un état uni...Les frontières européennes ont été et seront nécessairement ouvertes à de nouvelles adhésions volontaires (ex : l’Ukraine). Donc, selon mon analyse, en effet de philosophie
politique, il ne reste aux adversaires de l’adhésion de la
Turquie qu’à
invoquer l’argument culturel, c’est à dire religieux ; or
cet argument
est d’une part contraire au principe de laïcité et d’autre
part préjuge
que les membres de l’Europe devraient tous se reconnaître comme
chrétiens, ce qui n’est pas le cas (il y a de moins en moins de
baptisés catholiques ou protestants en France, si tant est que
la
baptème décide encore de l’orientation religieuse des
baptisés et de
plus en plus de personnes "d’origine" musulmane) et préjuge de
ce que
sont et seront religieusement et politiquement les turcs dans l’avenir.
Affirmer cet argument culturel, c’est verser dans la conception fausse
que les soi-disant identités culturelles seraient immuables et
forcément inconciliables. Or c’est la théorie du "choc
des
civilisations" que l’Europe justement au nom de ses principes se doit
de refuser et à vocation de combattre pour sa porre
sécurité. Votre position revient donc à refuser
l'avenir au nom d'un passé mythique. C'est une variante de la
métaphysique qui voit dans une origine largement imaginaire la
source d'une prétendue vérité historique immuable
des populations. Or justement l'histoire ne peut évoluer dans le
sens de la paix qu'en remettant en cause cette vision
métaphysique de (la non) l'évolution de l'humanité
. Il faut ajouter ceci qui, selon moi, relativise la position et les arguments des deux partis en question (UMP, UDF). Il sont en fait divisés sur le problème de l’adhésion de la Turquie et cette division est claire : ceux qui sont au gouvernement sont pour, ceux qui n’y sont pas sont contre. Il y a fort à parier que les adversaires en question changeraient d’avis s’ils étaient au gouvernement (par exemple, en nous disant que les promesses faites sont malheureusement (selon eux) irreversibles et que ne pas les tenir poserait plus de problème géostratégiques vis-à-vis des musulmans de monde entier et des américains que cela n’en résoudrait) et vice-versa. Nous avons un exemple de ce changement inverse : A. Juppé ; N. Sarkozy s’est, lui seul, exprimé contre lorsqu’il était au gouvernement, mais en sachant qu’il allait en sortir pour devenir président de l’UMP en vue des futures présidentielles "contre" J.Chirac (il faut bien se distinguer pour l’emporter). Que signifie donc une telle division ? Rien
d’autre,
selon moi, que ceci : Quand on est au gouvernement on est
contraint à
avoir une position responsable et quand on n’y est pas, mais qu’on
prétend y être, on est tenté par la
démagogie nationale populiste pour
l’emporter sur un adversaire qui s’y trouve et dont on veut prendre la
place. Je vous fais le pari que si N.Sarkozy devient président
de la
république, il s’alignera alors sur la position de J.Chirac et
de la
"totalité" des institutions européennes et qu’il
demandera aux français
alors, s’il est encore en place après deux mandats (10 ans), de
ratifier l’adhésion pour les motifs que j’ai
énoncés. D’ici là, il a
tout intérêt à prétendre le contraire...Qui
veut parier ? Procès
d’intention pour procès d’intention , la mien ne me paraît
pas le plus
absurde, quand on observe lucidement, comme la philosophe Machiavel, la
chose politique. Objection de BINGO Le deuxième sens de cette trahison c’est, selon vous, "trahir nos promesses". Mais quoi donc ? voilà que vous faîtes semblant de croire que le passé suffit à décider du futur, alors même que vous prêchez le contraire tout au long de votre article ? Question promesse, permettez-moi d’en rappeller une qui, elle, a été véritablement trahie. Dans une résolution de 1987, le parlement européen déclarait "que le refus de l’actuel gouvernement turc de reconnaître le génocide commis autrefois contre le peuple arménien par le gouvernement « jeunes Turcs ».. constitue un obstacle incontournable l’examen d’une éventuelle adhésion de la Turquie à la Communauté" Sylvain Reboul Vous commettez une erreur de raisonnement : l’histoire du passé n’engage pas l’avenir au contraire d’une promesse qui, précisément, a pour finalité de le pré-déterminer vis-à-vis de chacun des contractants , car elle reste présente et peut être recendiquée comme telle par celui à qui elle a été faite et cela jusqu’à sa réalisation. Vous semblez confondre engagement volontaire toujours présent et pesanteur d’un passé dépassé. Le premier a valeur juridique (voire morale) , pas l’autre. Quant à la question de la reconnaissance du génocide arménien elle reste une condition de l’adhésion et de la poursuite de la procédure qui y conduit, dès lors que le gouvernement turc n’a pas expressément refusé la possibilité de cette reconnaissance. Il n’y a donc aucune trahison formelle de la promesse de 1987. Disons qu’elle continue à faire partie du jeu des négociations, ce qui a toujours été le cas... La position de l'UMP e de l'UDF par S. Reboul
Il faut ajouter ceci qui, selon moi, relativise la position et les arguments des deux partis en question (UMP, UDF). Ils sont en fait divisés sur le problème de l’adhésion de la Turquie et cette division est claire : ceux qui sont au gouvernement sont pour, ceux qui n’y sont pas sont contre. Il y a fort à parier que les adversaires en question changeraient d’avis s’ils étaient au gouvernement (par exemple, en nous disant que les promesses faites sont malheureusement (selon eux) irreversibles et que ne pas les tenir poserait plus de problème géostratégiques vis-à-vis des musulmans de monde entier et des américains que cela n’en résoudrait) et vice-versa. Nous avons un exemple de ce changement inverse : A. Juppé ; N. Sarkozy s’est, lui seul, exprimé contre lorsqu’il était au gouvernement, mais en sachant qu’il allait en sortir pour devenir président de l’UMP en vue des futures présidentielles "contre" J.Chirac (il faut bien se distinguer pour l’emporter). Que
signifie donc une telle division ? Rien d’autre, selon moi, que
ceci :
Quand on est au gouvernement on est contraint à avoir une
position
responsable et quand on n’y est pas, mais qu’on prétend y
être, on est
tenté par la démagogie nationale populiste pour
l’emporter sur un
adversaire qui s’y trouve et dont on veut prendre la place. Je vous
fais le pari que si N.Sarkozy devient président de la
république, il
s’alignera alors sur la position de J.Chirac et de la "totalité"
des
institutions européennes et qu’il demandera aux français
alors, s’il
est encore en place après deux mandats (10 ans), de ratifier
l’adhésion
pour les motifs que j’ai énoncés. D’ici là, il a
tout intérêt à
prétendre le contraire...Qui veut parier ? Procès
d’intention pour
procès d’intention , la mien ne me paraît pas le plus
absurde, quand on
observe lucidement, comme la philosophe Machiavel, la chose politique.
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La question de l’adhésion de la Turquie ne doit être posée que dans les termes exacts qui conditionnent l’ouverture des pourparlers avec l’UE : accepte-t-elle ou non de se plier aux exigences de l’UE, concernant Chypre et la question arménienne et plus généralement celle qui concerne les droits de l’homme (femmes comprises) et des citoyens. Toute autre manière de polluer la question en mettant en avant des motifs religieux ou éthniques pour refuser par principe cette adhésion pleine et entière qu’elle nous demande est précisément contraire à l’esprit et à la lettre des textes européens. On ne peut accepter que la Pologne revendique son ancrage identitaire catholique (voir les dernières élections législatives dans ce pays et son attitude pour faire reconnaître par l’UE de son héritage chrétien) et refuser un pays qui ne se dit pas officiellement musulman au prétexte que la majorité de sa population le serait. L’UE n’est pas un club chrétien, elle est un espace démocratique à construire et cet espace ne peut être que laïc sinon l’UE renierait son histoire et sa valeur fondatrice de tolérance conquise de haute lutte, après des siècles de guerres de religion : entre la démocratie et la théocratie nous sommes contraints de choisir et nous avons déjà choisi en faisant de la laïcité un principe fondamental de notre démocratie ; ne l’oublions pas.
Refuser, par principe, l’adhésion de la
Turquie à l’UE, au nom d’une vision fixiste des identités
éthno-religieuses sans cesse démentie par l’histoire réelle des
populations, c’est trahir notre
parole et trahir nos valeurs démocratiques au profit de leurs pires
adversaires dans le monde que sont, aujourd’hui, les islamistes
extrèmistes..
S. Reboul, 18/10/05
La plupart des adversaires a priori de l'adhésion de la Turquie à l'UE raisonnent comme si le passé ne pouvait passer et comme s’il y avait une unité politique et sociale, voire culturelle en Turquie. Le passé et la situation politique présente de la Turquie sont transformées par leurs soins en un éternel présent ; or à ce titre L’Espagne et le Portugal, pour ne rien dire de l’Irlande du nord (catholique) du sud (conflit interreligieux) de la Suède (luthérienne) etc..ne pourraient aujourd’hui faire partie de l’UE.
Ils oublient la plupart du temps de dire que les turcs sont déjà économiquement et militairement en Europe et qu'on ne peut favoriser les évolutions politiques souhaitables que par la promesse de leur intégration politique et juridique. Ce qui est aussi notre intérêt, si l’on veut lutter à terme contre le dumping social ou l’économie mafieuse. Il me semble en effet absurde de vouloir soumettre un pays à nos règles communautaires sans qu’il ait le droit de participer à leur définition, dès lors qu’il fait déjà partie économiquement et militairement de l’Europe à titre de partenaire privilégié.
Exclure
par principe et a priori la Turquie de l’Europe est dogmatique :
nous
verrons bien ce qu’il en sera de son évolution sous la pression
de
l’UE. Quant au référendum en France ou ailleurs, un
sondage aujourd’hui ne fait pas un scrutin dans 10 ou 15 ans.
L’histoire ne se fait pas à coup d’immuables
préjugés aussi
justifiés soient -ils, elle se fait dans une volonté de
dépasser les
haines, les errements, les rancoeurs et et les crimes du passé,
à
condition pour ces derniers de les reconnaître. Regarder l'avenir
en lui tournant le dos est la plus détestable manière de
penser la politique.
Le 23/10/05
Le nationalisme laïc de Mustafa Kemal est l’héritier du nationalisme, en particulier français, du XIXème. Chaque état cultive ses mythes nationaux pour y puiser une légitimité "unifiante".
Face à la montée de la crise de l’état-nation providentiel, nous sommes aujourd’hui nous-mêmes confrontés à des réactions nationalistes reposant sur le mythe de la république (ou empire) morale perdue apportant la civilisation au monde (prétendus aspects positifs du colonialisme) et la nostalgie de ses grands hommes, Napoléon et De Gaulle compris (or selon moi en accord avec Tocqueville la démocratie individualiste, lorsqu’elle est bien installée, renonce nécessairement à l’héroïsme politique et ce renoncement est la condition de sa robustesse ; cf la Suisse)
La Turquie ne fait pas exeption à le règle qui veut qu’une population ne peut se reconnaître un destin commun que si elle se sent valorisée à travers des héros plus ou moins mythiques qui incarnent sa supposée grandeur.
Cette tendance peut devenir extrèmement, dangereuse à l’intérieur (dictature) et à l’extérieur (impérialisme) surtout lorsqu’elle interdit toute évolution vers la démocratie pluraliste et libérale (ce qui va nécessairement ensemble), dans une situation de crise provoquée par l’ouverture des échanges, non seulement économiques, mais culturels.
Cependant il n’y a pas plus de raisons de supposer que cette tendance soit plus irresistible en Turquie que chez nous dès lors que l’on donne à ce pays l’espoir de faire partie danbs un futur négocié et négociable du concert des états de droit, à commencer par l’UE qui n"impose pas seulement des règles du marché mais aussi des règles de droit homogènes.
Ce qui est par contre favorable au développement de la tendance nationale antidémocratique en Turquie c’est de lui fermer a priori la porte de l’Europe alors même qu’elle y est déjà intégrée économiquement (et même militairement).
Cela veut dire
ceci : la question n’est pas de savoir si la Turquie est mûre pour
faire partie de l’Europe, mais si l’on peut faire et quoi pour qu’elle
mûrisse dès lors qu’elle souhaite y adhérer à nos conditions. Si non
c’est son problème mais aussi le nôtre car cela voudrait dire qu’elle
mûrit dans un sens dangereux pour notre sécurité
S. Reboul, 19/01/06
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