La question du sujet
 
 

Le notion de sujet est paradoxale: elle signifie que l'individu est assujetti à ces conditions biologiques, culturelles et symboliques, politico-sociales et psychologique (expériences relationnelles personnelles) d'existence, mais  qu'il est capable de les dépasser pour en faire des projets innovant, pour en faire des conditions d'initiative (autonomie) et de renouvellement de soi et de ses relations au monde et aux autres. Comment traiter cette apparent paradoxe? Faut-il comme l'affirment de nombreux philosophe distinguer le sujet empirique et le sujet transcendantal? Mais ce dernier est-il autre chose qu'une construction conceptuelle idéale et donc irréelle?

Le sujet assujetti est toujours bricolé, c'est à dire produit par intétiorisation plus ou moins conscientes et réfléchies des expériences socialement et psychologiquement déterminées qu'il éprouve dans les relations aux autres qui l'ont "marqué" contradictoirement: qui ont fait rupture par rapport à ses expériences antérieures et qui l'ont obligé à se reconstruire. Q'en est-il, alors, du sujet bricoleur?

Il est désir d'être, producteur d'images de soi relativement crédibles, c'est à dire relativement contrôlables qui se construisent et se reconstruisent, voire se mettent en scène, à l'épreuve de projets "extériorisants" et relationnels pour tenter de s'y reconnaître positivement. Nulle transcendance réelle là dedans: seulement le désir de se poser, comme valeur, issue de la conscience de soi médiée par celle des autres (Voir Hegel) dans ce que l'on fait vis-à-vis et par la médiation des autres qui contribuent à nous fournir les éléments de ce bricolage. La réflexion rationnelle (elle même acquise) aide à fixer les acquis provisoire, à déconstruire les traces ou les attachements inadaptés aux expériences nouvelles en les relativisant, bref à se reconstruire comme sujet actif individué un peu plus cohérent: Pas de sujet transcendantal réellement existant, dont Kant ne faisait qu'une représentation vide dont l'existence réelle est, sinon inconcevable, du moins inconnaissable, le "Je" n'était pour lui qu'une supposition (postulat) commode, d'allure grammaticale et de visée morale (la liberté), sans contenu réel déterminable. Mais cette supposition vide ne peut être source d'action réelle, c'est pourquoi il convient de définir le sujet comme puissance de désir, seule force motivante et donc agissante en vue du bonheur (contentement de soi-même)

Etre sujet réel c'est donc être sujet de désir en acte (puissance d'agir disait Spinoza) et c'est se produire et se reproduire sans cesse comme acteur de sa vie et l'image de soi qu'elle génère en bricolant plus ou moins rationnellement les éléments contradictoires des conditions qui nous ont déterminées. Cela est décevant. Mais il y a deux manières de faire usage de cette déception: l'une qui veut la fuir dans la recherche fantasmée de l'absolu qui nous sauvera définitivement du relatif, du temps et de la mort; or l'absolu ne peut être, si tant est qu'il soit, que dans l'au-delà de la vie. L'autre qui en fait une source, toujours problématique, de projets vitaux réalistes dont on peut évaluer la réussite objective (empiriquement testable), pour soi et les autres, ici-bas.
Qu'en est-il dans ses conditions de l'unité du sujet comme sentiment d'identité qui accompagne ses actes? Elle ne serait, à mon sens, que l'effet de la  mémoire comme conscience synthétisante, désirante, donc active et dynamique, de soi et du monde, comme durée continue et qualitativement hétérogène remémorative des expériences plutielles et contradictoires qu'elle oublie, conserve, reproduit et transforme en permanence. Reste à connaître le fonctionnement de la mémoire dans son rapport avec la conscience de soi: beau programme de recherche pour les sciences neuro-cognitives!


Le moi et le soi
Chacun n'existe comme un être autonome-sujet (un soi pour soi), que par ce qu'il se projète en ce qu'il fait de ses expériences et des rôles multiples qu'il joue, encore faut-il qu'il accomplisse avec quelque succès ce qu'il désire faire pour se construire et se reconnaître en ce qu'il fait de lui dans ses rapports aux autres et à lui-même (conscience critique de soi) et pour cela la cohérence de ses projets et la régulation de ses désirs sont indispensables. Le moi éthique comme sujet n'est ni donné de l'extérieur, ni soumis au chaos du moi psychologique spontané, il est produit par la régulation ethique et raisonnable de ses désirs et expériences spontanément contradictoires (disons opposées) qui n'a de réalité qu'en tant qu'elle s'inscrit dans ses actions trasformatrice de son rapport au monde, aux autres et à lui-même en cela qu'elles manifestent sa puissance d'action. Chacun n'est (existe) que sa puissance (conatus) et n'existe que par elle.

Ainsi le  "je" comme sujet existenciel  (à distinguer du seul pronom grammatical) n'est pas vide; il est plein de toutes les expériences, désirs et activité réelles et possibles vécues ou imaginées par une conscience qui perdure dans le temps en tant qu'elle mémorise continument. Si vous perdez la mémoire vous perdez le sentiment de votre identité et le sens passé, du présent et de futur en tant qu'il sont vôtres et n'aurez de cesse de la chercher par la médiation de ceux qui vous ont connu avant; sans du reste pouvoir la retrouver sans recouvrer votre mémoire (an)intérieure. Le "je" n'est donc rien sans la faculté d'imaginer et de s'imaginer dans le temps. Quant au moi il n'est rien d'autre que cette construction imaginaire qu'est la conscience de soi comme puissance mémorisée et mémorisante de sentir, de désirer, d'imaginer, de réléchir  et donc d'agir sur le monde, les autres et soi pour soi même dans notre relation aux autres (reconnaissance de soi).
Il ne faut donc pas confondre le sens grammatical des mots "je" ou "mon" ou "moi" qui n'implique aucun contenu existentiel déterminé et le je-sujet psychologique comme conscience de soi. Celui qui perd "sa" ou mieux "la" mémoire perd aussi le sens existenciel du "je" mais pas le sens grammatical, dès lors qu'il conserve la possiblité de (d'en) parler. Seul le premier peut être défini comme constitutif de sentiment du moi-je. L'amnésique justement souffre de cette perte et de cette dissociation psychologiquement irréductible chez lui entre les deux sens du mot '"je".
Le moi comme je et le soi ne sont pas la même chose: l'un est sujet de l'action , l'autre est objet; ainsi agir sur soi c'est se dédoubler entre un je sujet (moi je) et un je objet (soi-je); ce dédoublement est au coeur de la conscience humaine en tant qu'elle est réfléchie ou capable de réflexivité.
S.Reboul, Le 25/04/04


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