Les retraites et la solidarité des générations 

Certains journalistes d’opinion et hommes politiques de l’actuelle majorité semblent s’étonner que les jeunes « pourraient » et puissent déjà rejoindre le mouvement de protestation contre la réforme des retraites imposée par le gouvernement. 

Ils prétendent que les séniors actuels et prochains, seuls, auraient intérêt à préserver les âges légaux actuels du départ à la retraite( 60 et 65ans), les plus jeunes, non encore stabilisés sur le marché de l’emploi, seraient selon eux les premières victimes de ce maintien : ils devront payer plus en tant qu’actifs moins nombreux pour entretenir les retraités inactifs de plus en plus nombreux. L’un d’entre-eux, Éric le Boucher, va même jusqu’à penser que les plus jeunes devraient contre-manifester contre les les opposants, à la réforme des plus âgés . Cet étonnement de leur part mérite que l’on s’étonne à notre tour de leur étonnement feint ou réel.

C’est en effet mal connaître ou ne pas vouloir connaître la situation des jeunes aujourd’hui que de ne pas comprendre que la précarité est le seul avenir qu’il est réaliste pour eux d’envisager et que de ce fait ils ne peuvent compter ni sur une retraite par répartition suffisante ni, encore moins, sur une retraite par capitalisation. Le seul espoir qu’il leur reste, en vue de leur retraite, est donc une réforme qui , d’une part, prenne en compte ces aléas des parcours professionnel auxquels ils seront soumis et qui d’autre part élargisse le financement des retraites à l’ensemble des revenus du travail, du capital , voire, des actuels retraités eux-même. Sans être hostiles à un allongement de la durée des cotisations, ils souhaitent que, à bon droit, cet allongement soit fonction de la pénibilité, car ils savent que leurs parents et grand-parents engagés dans des professions usantes et épuisantes, physiquement et intellectuellement, voire moralement, sont hors d’état de travailler dans ces métiers après 60 ou 65 ans. Ils savent aussi que les entreprises sont le plus souvent empressées de se débarrasser des employés qu’elles jugent, parfois,à juste titre, moins performants et moins rentables à partir d’un certain âge : 55 voire 5O ans) .Ils sont donc conscients que l’augmentation de l’âge légal de la retraite ne fera que faire supporter les coûts de cet allongement au régime de la sécurité sociale et/ou du chômage qu’ils devront aussi financer, alors que le chômage est aussi le danger permanent qui les menace...Derrière ’apparente contradiction d’intérêt entre moins et plus âgés se cache, dans l’expérience familiale des premiers, une solidarité plus profonde entre les générations : celle qui se noue face au chômage de masse et à la précarité que rien ne peut, dans l’évolution de leur situation, pouvoir réduire ou compenser.

Plus profondément encore, cette solidarité des plus jeunes avec les plus âgés leur est indispensable . Leur situation précaire exige que les plus âgés déjà à la retraite, leurs parents et grands parents, contribuent à leur entretien, voire à leur investissement (ex : accès à un logement indépendant) en tout cas les soutiennent et c’est ce que ceux-ci font très largement : comment les plus jeunes pourraient-ils (contre) manifester en faveur d’une réforme qui rendrait ce soutien plus difficile ou plus lointain ? La famille, dans un contexte très défavorable, à moyen , voire à long terme, est alors le seul lieu où une solidarité concrète et immédiate peut efficacement se manifester. Nous ne sommes plus en mai 68 : les perspectives des jeunes ne sont plus liées à l’euphorie d’un monde nouveau qui leur était promis, en terme de progrès des libertés personnelles contre des traditions familiales répressives, dès lors qu’ils ont aujourd’hui et d’abord dans leur famille, même et surtout sur le plan sexuel et amoureux, la quasi totalité des libertés qu’ils réclamaient à l’époque et que leur parents, après 68, leur ont généralement reconnues . Le combat d’aujourd’hui n’est plus le même : il est devenu celui que toutes les générations parmi les salariés doivent livrer contre un système qui tend à les priver tous, au même titre, de sécurité sociale, laquelle est la condition d’une égale liberté authentique dans la cité, ainsi que des moyens réels de l’exercer.

Cette analyse, que chacun peut faire dans son entourage immédiat, nous oblige à voir dans une idéologie qui prétendrait opposer les jeunes et les plus âgés face à la réforme sarkosienne de la retraite, au mieux, une vision dépassée du conflit des générations, au pire un mensonge pervers pour diviser et affaiblir l’opposition contre ce qui apparaît, à juste titre, aux yeux des plus et moins jeunes, comme un recul social majeur, entérinant , sans même résoudre le problème du financement, le chômage et la précarité comme seule perspective de la jeunesse. 


Les jeunes manifestent moins pour leur future retraire à laquelle ils ne ne pensent et ne croient guère que pour celle de leurs parents car ils savent dès maintenant qu’ils auront besoin d’eux en cas de coup dur.

Si l’on ne comprend pas cette réaction des jeunes, comme tout à fait rationnelle dans leur situation réelle, c’est que l’on ne comprend pas ce que génère nécessairement la précarité : l’attitude qui consiste à privilégier le présent et le futur immédiat face à un futur lointain dépourvu d’un avenir dans lequel leur serait assuré la sécurité et le progrès qu’ils estiment mériter grâce à leur travail ; il font donc plus confiance en leurs parents encore préservés de la précarité par le système de retraite par répartition.

Ils ont raison dès lors leur situation ne leur laisse pas d’autre alternative : chaque jour ils font l’expérience que le capitalisme mondialisé dérégulé et les gouvernements à sa solde et à celle des plus riches sont dépourvus du sens de la justice !


"Le capitalisme mondialisé est une réalité à prendre en considération, un fait que personne ne peut nier, que cela plaise ou pas. Par conséquent la France ne peut à elle seule décider que cette mondialisation n’existe pas et s’asseoir dessus."

1) je parle de capitalisme financier dérégulé, lequel domine largement l’économie réelle ; cela signifie que l’urgence ne soit pas à le réguler dans l’intérêt même d’un capitalisme civilisé et "socialisé". Ce qui veut dire un capitalisme qui ne sacrifie pas le court-terme au long terme, la société et les individus au profit immédiat.

2) Dans un tel capitalisme du très court terme et qui met tous les salariés et les jeunes en état d’insécurité totale (chômage, précarité) , le long terme ne peut être ni une perspective crédible ou raisonnable, ni une stratégie viable, pour les plus et les moins jeunes ; c’est pourquoi les plus jeunes se battent aussi pour le maintien des solidarité familiales et donc pour la sécurité sociale et les retraites qui en font partie de leurs parents (y compris dans les familles recomposées), seule encore crédible dans une société dans laquelle les inégalités et donc les injustices et le mépris des moins favorisés s"affirment cyniquement.

3) je constate que vous ne connaissez pas les propositions de Thomas Piketty pour réformer les régimes de retraites, ni même celle du PS. http://www.alternatives-economiques.fr/thomas-piketty----pour-un-droit-a-la-retraite-plus-lisible-et-plus-equitable-_fr_art_846_49165.html

Le 13/10/2010