Texte de Hume sur la causalité, la  liberté et le droit de punir



« Le seul objet propre de la haine ou de la vengeance est une personne, une créature douée de pensée et de conscience, et quand des actions criminelles ou nuisibles excitent cette passion, c'est seulement par leur relation à la personne, ou leur connexion à cette personne. Les actions elles-mêmes, par leur nature même, sont temporaires et périssables, et si elles ne proviennent pas d'une cause dans le caractère et la disposition de la personne qui les a réalisées, ces actions ne peuvent ni rejaillir sur son honneur, si elles sont bonnes, ni le couvrir d'infamie, si elles sont mauvaises. Les actions en elles-mêmes peuvent être blâmables, elles peuvent être contraires aux règles de la moralité et de la religion, mais la personne n'en est pas responsable; et comme elles ne proviennent pas de quelque chose en elle de durable et de constant, ni ne laissent quelque chose de cette nature derrière elles, il est impossible que cette personne puisse, à cause d'elles, devenir l'objet d'une punition ou d'une vengeance. Selon ce principe, donc,  pour qui nie la nécessité et par conséquent les causes, un homme est aussi pur et innocent après avoir commis le plus horrible crime qu'au premier moment de sa naissance; et son caractère n'est concerné en rien par ses actions puisqu'elles n'en sont pas dérivées, et la malignité des unes ne peut pas être utilisée comme une preuve de la dépravation de l'autre. »

Introduction:

Le droit pénal justifie la sanction au nom de la responsabilité du sujet qui à commis un délit ou un crime. Mais la responsabilité définit le fait de répondre pour une personne d’un acte dont elle la cause (imputation juridique) et elle en est la cause parce qu’elle a été jugée libre de le commettre. Donc ne peut être sanctionnable (punissable) qu’un individu qui est coupable et responsable, c’est à dire considéré comme conscient et libre  de choisir de commettre ou non son acte au moment des faits qui lui sont imputés. Or cette idée de causalité et de liberté est pour le moins problématique et on le voit dans les procès : la responsabilité du sujet est souvent l’objet principal de débat indécidable d’une manière rationnelle. Dans ce texte Hume considère qu’il s’agit d’un faux débat fondé sur tout à la fois une idée fausse de la causalité et une illusion, celle de la liberté qui ne peut que se retourner contre l’idée même de culpabilité: si un individu est supposé libre au moment des faits alors il est autre l’instant d’après et redevient innocent ; il n’est donc plus au nom même de la liberté dont on se réclame pour le punir, punissable. L’auteur de l’acte lui-même a disparu avec l’acte puisqu’il est libre et donc change à chaque instant.
Mais tout d’abord selon Hume la question de la causalité et donc de l’imputabilité elle-même ne va pas de soi : tout acte criminel suppose une relation entre deux personnes et les actes de l’une peuvent être liés (connectés) à ceux de l’autre ; celui qui agit peut-être aussi celui qui, dans son action, pâtit de l’autre; L’acte peut être causé par la victime plus que par celui qui en est l’agent.

Cette double critique (de la causalité et de la liberté) apparaît comme scandaleuse, au regard du droit civil et pénal actuel. Elle mérite donc qu’on fasse l’analyse des arguments et des concepts du texte, ne serait-ce pour répondre et, si possible, sauver l’idée de responsabilité et de punition qu’elle justifie, idées qui semblent nécessaire à la paix civile,  c’est à dire à l’administration de la justice pénale qui en est la garante.

1) Analyse du texte

   1-1 Analyse globale du texte :
    1) Hume affirme tout d’abord que celui qui se venge est toujours victime d’un autre en tant que cet autre est une personne qui à eu l’intention de commettre le crime dont est victime celui qui se venge et donc que cette vengeance n’est que l’effet d’un crime, acte délibéré commis par l’objet de la vengeance et non l’effet de celui qui se venge.
    2) Par conséquent les actions de vengeances sont ponctuelles et, en tant qu’elles ne sont pas liées au caractère constant de celui qui se venge, celui-ci ne peut en être tenu personnellement pour responsable et donc coupable ; son honneur est alors sauf. Les actions peuvent être socialement blâmables mais la personne ne pourrait pas être blâmée et donc ne pourrait être punie ou objet de vengeance à son tour, même si ces actions sont contraires à l’ordre social et religieux.
    3)Seule donc une action qui serait l’effet d’un caractère constant de celui qui le commet peut être punissable, car le sujet est alors cause de son acte; or si l’on refuse cette connexion nécessaire entre acte et caractère au nom de la liberté du sujet humain, on détruit tout autant, sinon plus, l’idée de responsabilité : chacun se retrouve à chaque instant innocent d’un crime qu’un autre que lui-même (ou un autre lui-même) a commis, puisqu’à chaque instant le fait d’être supposé libre de ses actes (sans cause caractérielle constante) implique qu’il puisse changer à chaque instant et dont être (redevenir) innocent comme au premier jour de sa naissance.
    
    3 questions se dégagent de cette analyse globale
    En quoi et pourquoi la vengeance est-elle le fait de celui dont on se venge et non de celui qui se venge?
    Qu’est-ce que le caractère, en quoi est-il le fondement de la responsabilité ?
    En quoi l’idée de libre-arbitre est–elle un fondement absurde de la sanction ?

1-2   Analyse conceptuelle

1-2-1 En quoi et pourquoi la vengeance est-elle le fait de celui dont on se venge et non de celui qui se venge ?

« Le seul objet propre de la haine ou de la vengeance est une personne, une créature douée de pensée et de conscience, et quand des actions criminelles ou nuisibles excitent cette passion, c'est seulement par leur relation à la personne ou leur connexion à cette personne. Les actions elles-mêmes, par leur nature même, sont temporaires et périssables, et si elles ne proviennent pas d'une cause dans le caractère et la disposition de la personne qui les a réalisées, ces actions ne peuvent ni rejaillir sur son honneur, si elles sont bonnes, ni le couvrir d'infamie, si elles sont mauvaises. Les actions en elles-mêmes peuvent être blâmables »

Explication : Le désir vengeance et la haine sont des passions naturelles qui affectent tous les hommes et donc ne peuvent être considérées comme des caractéristiques distinctives entre eux susceptibles de fondé un jugement moral particulier sur telle ou telle personne ou une hiérarchie morale entre les individus. De plus un acte de vengeance et de haine est toujours déclenché par ceux qui en sont l’objet, ce sont des comportements réactifs et ont pour cause le sentiment d’humiliation subie de la part d’un autre homme à qui l’on peut prêter la conscience, c’est à dire l’intention de nuire ; un événement naturel ne peut nuire avec intention et n’appelle aucun sentiment de vengeance car il ne met pas en cause l’amour que chacun se porte à lui-même : l’événement nuisible ne vise personne ; il s’abat sur chacun par hasard. Au contraire l’humiliation ne peut provenir que d’un être conscient qui met en cause l’amour de soi et l’image positive que chacun se fait de sa valeur propre, lesquels sont des sentiments naturels fondamentaux de l’homme en tant qu’il est conscient de lui-même : « la passion naturelle de l’homme disait déjà Hobbes est la vanité ». Donc la haine n’est pas un trait de caractère mais un comportement universel du à un acte subi comme humiliant, dès lors qu’il a été délibéré et désiré par celui dont on veut se venger ; c’est si vrai que nous ne désirons pas nous venger de quelqu’un qui par accident nous a fait du mal mais il faut qu’il ait pensé et désiré nous faire du mal et c’est cette pensée qui est humiliante et non sa conséquence nuisible. Ainsi ces actions de vengeance et de haine ne mettent en rien en cause l’être même singulier de celui qui s’y livre, mais d’abord le fait qu’il ait subi une humiliation insupportable au regard d’une passion naturelle irrésistible : l’amour de soi. La raison ne peut rien contre la passion chez Hume, car elle est sans puissance propre et sans autonomie, elle est toujours au service d’une passion et de l’expérience sensible intérieure qu’est le plaisir (pour l’accroître) et de la douleur (pour la supprimer) et d’abord celle fondamentale qui fait que chacun cherche à se valoriser et être reconnu comme valeur par les autres pour se sentir heureux, c’est à dire content de lui-même. Mais si la personne qui se venge ne peut être blâmable, ses actions non plus, car elles ne sont que des conséquences spontanées irrésistibles dont elle n’est pas la cause et donc dont elle n’est pas responsable car elle ne peut en répondre dès lors qu’elles ne sont qu’une réaction naturelle involontaire (non désirée au départ) à un acte volontairement humiliant. N’importe qui ferait de même s’il était offensé; il n’est donc pas question de condamner un individu qui fait un acte plus subi que désiré que quiconque aurait fait à sa place, car à ce compte la nature humaine serait coupable et non tel ou tel individu. Un individu n’est donc responsable que d’un acte dont il est la cause première et cette cause ne peut être que son caractère constant ou en tout cas durable propre. Il faut donc se poser la question de la nature du caractère comme cause d’actes qui ne seraient pas que des réactions ponctuelles aux circonstances.

1-2-2 Qu’est-ce que le caractère, en quoi est-il le fondement de la responsabilité ?
« Les actions en elles-mêmes peuvent être blâmables, elles peuvent être contraires aux règles de la moralité et de la religion, mais la personne n'en est pas responsable; et comme elles ne proviennent pas de quelque chose en elle de durable et de constant, ni ne laissent quelque chose de cette nature derrière elles, il est impossible que cette personne puisse, à cause d'elles, devenir l'objet d'une punition ou d'une vengeance »
Explication : Il faut donc distinguer les actions, même contraire à la moralité et à la religion mais dont les agents ne sont pas responsables ; car elles sont l’effet temporaire d’actes humiliants subis et les actions dont l’agent est la cause et donc l’auteur, qui procèdent de sa nature propre et cette nature c’est, dit Hume, son caractère. La caractère c’est une tendance à agir dans le sens de la bienveillance ou de la malveillance dont on a, chez un individu, l’expérience habituelle. Il se reconnaît par le caractère répétitif et indépendant des relations particulières aux autres des actions du sujet et on peut s’attendre à que ce que l’individu bienveillant ou malveillant agisse toujours de la même manière à l’avenir avec n’importe qui. Il apparaît comme cause et responsable par l’effet de cette répétitivité expérimentale de même qu’une cause est reconnue par le fait qu’il s’ensuit toujours le même effet, le caractère est donc lié à une connexion plus ou moins constante entre tel ou tel individu et le type d’action bonne ou mauvaise qu’il fait. Or si on ne peut punir un individu dont les actions ne sont que des réactions irrésistibles à un mal intentionnel subi du fait d’un autre, on peut, voire on doit punir quelqu’un qui se montre toujours malveillant et nuisible aux autres, ne serait-ce que l’empêcher de nuire à nouveau ou pour le contraindre, sinon à changer de nature caractérielle, au moins à faire que cette nature ne s’exprime plus avec autant de nuisance, partiellement contredite par cette autre cause constante de nos actions qu’est la peur de la mort et de l’emprisonnement ; La punition et le blâme exploitent en effet ces passions naturelles que sont, même chez les criminels, la peur de la mort, l’amour de soi et de la liberté, afin de faire échec au moins partiellement au caractère nuisible propre de l’individu malveillant. La punition est une technique de conditionnement du comportement analogue à un système physique mécanique artificiel car la nature de la causalité chez les hommes et dans la nature n’est pas différente : il n’y a que des relations de succession dans le temps plus ou moins constantes et si la causalité comme connexion nécessaire n’existe pas dans les choses mais dans l’esprit, il faut bien admettre qu’il y a une régularité habituelle dans les relations phénoménales et que cette régularité est seule susceptible de nous convaincre d’une loi de causalité et donc de la responsabilité du sujet quant à son caractère propre et de nous permettre de contrecarrer ce mauvais caractère par un jeu de forces et de causes contraires. Mais inversement louer un bon caractère est aussi une technique de renforcement par l’amour de soi des régularités comportementales utiles aux autres et à la société qui peuvent être temporairement mises en difficulté par des circonstances et des actes intentionnels dommageables à l’amour de soi. Ainsi pour Hume tous les comportements humains sont l’effet de cause externes et/ou internes (passions) de la même manière que les comportements des animaux, même si l’amour de soi est une passion proprement humaine, l’idée même de libre arbitre est absurde : en quoi et pourquoi cette idée, si tant est qu’elle ait un sens ne peut-elle pas fonder le droit de punir, contrairement au principe même du droit pénal dit libéral?

1-2-3 En quoi l’idée de libre-arbitre est–elle un fondement absurde du droit de punir?
« Selon ce principe, donc, pour qui nie la nécessité et par conséquent les causes, un homme est aussi pur et innocent après avoir commis le plus horrible crime qu'au premier moment de sa naissance; et son caractère n'est concerné en rien par ses actions puisqu'elles n'en sont pas dérivées, et la malignité des unes ne peut pas être utilisée comme une preuve de la dépravation de l'autre.»
Explication : Pour Hume l’idée de libre-arbitre ne repose sur aucune expérience : elle affirme en effet que l’homme, contrairement aux animaux serait capable, à tout moment, de choisir en dehors de toute cause ou passion de se comporter d’une manière ou d’une autre, et ainsi  qu’il pourrait grâce à sa volonté raisonnable résister à quelque passion que ce soit , car il lui suffirait d’en décider pour le pouvoir. En cela cette liberté de choix serait une cause première, cause d’elle-même, c’est à dire une cause sans cause et donc arbitraire car la capacité de choisir supposée entre obéir à la raison bonne ou à la passion mauvaise n’aurait aucun motif ni cause antérieure. Une telle cause est donc d’essence métaphysique et en cela elle ne renvoie à aucune habitude expérimentale et à aucune connexion régulière de cause et effet ; elle donc une idée vide et sans objet d’expérience déterminable. On peut même dire qu’elle est contraire à l’expérience la plus générale : chacun est capable de s’attribuer des motifs passionnels pour expliquer ses actions et est capable d’en attribuer de semblables aux autres (sympathie affective spontanée) ; cela est même indispensable pour se fier aux autres et prévoir ou prévenir leurs comportements dans telle ou telle situation. On aurait tout à craindre d’autrui si l’on pouvait supposer que ses actions sont sans cause régulière : il pourrait même brutalement nous tuer sans aucun motif, alors que jusqu’à lors son comportement à notre égard était bienveillant. Aussi bien avec les humains qu’avec les choses et les animaux on ne peut vivre si l’on ne se réfère pas à l’habitude expérimentale de l’enchaînement régulier des causes et des effets qui seuls nous permettent de croire que le futur peut nous être favorable et que l’on peut éviter les dangers. L’idée de libre-arbitre est par nature angoissante et nul, même celui qui y croit en théorie, ne peut, dans la pratique, en faire usage dans les rapports qu’il entretient avec les autres, car chacun serait pour chacun et en permanence un inconnu qui pourrait, à chaque instant, se révéler être un ennemi mortel. Dans ces conditions l’idée de libre-arbitre est contradictoire avec celle de constance du caractère, voire avec l’idée même d’identité : chacun pourrait à tout moment se choisir autre ; or pour Hume le moi n’a pas d’autre réalité que celle qu’établit l’esprit en tant que croyance probable à partir des relations régulières de cause à effet habituelles et c’est cela seulement qui définit pour l’esprit de chacun le caractère d’un individu et permet à chacun de connaître suffisamment les autres pour savoir comment se comporter à leur égard. Supposer qu’il n’y aucune connexion nécessaire entre le caractère expérimenté d’un individu et ses actes, c’est supposer que chacun est à chaque instant un autre et donc que celui qui est l’auteur d’un crime disparaîtrait avec son crime pour devenir immédiatement  un autre à volonté, et par conséquent serait aussi innocent qu’un nouveau-né du crime dont il est accusé. On ne peut punir quelqu’un que si on le tient  pour responsable de son acte après comme avant l'avoir commis et donc que si l’on juge qu’il est resté le même et on ne peut le juger tel que s’il n’est pas libre, c’est à dire si l’on peut établir une connexion entre son caractère habituel et cet acte.
Conclusion : on ne peut punir un individu si son acte est l’effet d’une cause extérieure mais aussi et même plus s’il est supposé libre de l’avoir commis ou non car alors cette liberté de choix le rend irresponsable dans la durée car toujours autre qu’il était et donc perpétuellement innocent des actes commis antérieurement.

2) Intérêt philosophique du texte

2-1 Liberté et responsabilité
La position de Hume renverse radicalement le thèse classique qui, depuis la christianisme, voit dans la liberté ou libre choix intérieur entre le bien et le mal le fondement de la responsabilité et donc du droit de punir : un individu qui n’a pas le choix vis-à-vis de ses actes, soit sous la contrainte extrême, soit sous le coup de la folie, est considéré comme innocent, car il n’est pas la cause mais l’effet de conditions et de pulsions irrésistibles : être entièrement déterminé c’est être irresponsable et donc innocent. Mais cette thèse repose sur une croyance indémontrable, voire contraire à l’expérience : celle qui affirme comme une réalité la capacité arbitraire de se déterminer soi-même en dehors de tout mobile déterminant, cette croyance est indissociable de celle de la volonté raisonnable de s’opposer au désir et passion. De plus le droit de punir suppose l’idée, pour Hume contradictoire avec celle de liberté et d’autodétermination, que c’est le même sujet libre qui subsiste avant et après son acte.
Or Il est clair que dans le cas du crime d’honneur, ce dernier étant le seul motif de la vengeance, car on ne venge jamais que son honneur bafoué et on ne hait que qui nous a humiliés, la responsabilité du sujet est plus ou moins mise hors jeu dès lors que la passion de l’honneur l’emporte sur tout autre désir et on le voit à ce qu’elle détermine le sujet à braver le risque de la mort, voire à accepter de mourir pour laver l’affront subi. Le vengeance et la haine sont donc les plus puissantes des passions humaines qui, de ce fait, soit met la raison hors jeu, soit la réduit à n’être qu’un instrument à son service (vengeance calculée devenant un plat qui se mange froid). La liberté du sujet est là explicitement compromise dès lors qu’il ne peut opposer à elles, ni une raison froide et sans motivation décisionnelle propre, ni, comme le supposait Descartes, une contre passion suffisante (ne serait-ce que la peur de mourir). En cela l’absence de libre arbitre sous l’emprise de la passion (et tout meurtre passionnel est un « crime d’honneur ») est même implicitement reconnu par notre droit pénal comme un motif de circonstance atténuante. Ainsi la liberté supposée du meurtrier au moment du meurtre est bien le seul motif qui justifie sa condamnation en tant que son meurtre est un  crime et qu’il est seul cause de ce crime donc criminel punissable.
Mais encore faut-il que cette cause libre supposée perdure dans ses effets criminogènes pour justifier un jugement  ultérieur et une condamnation soit définitive (peine de mort) soit durable (emprisonnement) : si nous n’avons plus affaire au même homme par le fait qu’il est libre donc susceptible de ne plus être criminel après avoir commis son crime et c’est bien ce qu’admet implicitement le droit pénal libéral actuel qui a interdit la peine de mort et qui admet que tout condamné a droit, après avoir payé sa faute, a ne plus être considéré comme un criminel et donc a être libéré et à se libérer de son crime, à se réhabiliter comme n’étant plus ici et maintenant criminel. On le voit la thèse de Hume est ici implicitement évoquée ; mais d’une manière indirecte et équivoque, en creux : aucun homme supposé libre, quelle que soit la gravité de son acte, ne peut être définitivement considéré comme criminel. Et une condamnation dont il est l’objet, ne peut être que provisoire et doit toujours lui laisser une chance de s’arracher à se faute. Hume ne fait que radicaliser cette option en affirmant que la liberté fait tomber l’idée même de criminalité permanente car elle défait ce qui peut y avoir de durable dans la causalité de l’acte commis. Ainsi aussi opposé qu’elle le semble à la thèse classique, la position empiriste de Hume  et donc opposée à l’idée de liberté métaphysique, trouve son prolongement dans le droit libéral de punir qui est fondé sur l’idée de l’indissociation entre liberté et responsabilité, aussi bien en ce qui concerne le problème des circonstances atténuantes qui remettent en question le pouvoir absolu  (inconditionné) de choisir totalement librement entre raison et passion qu’en ce qui concerne la question d’une criminalité permanente dès lors qu’un criminel supposé libre peut et dont être supposé être capable de redevenir non criminel après avoir purgé sa peine. Ce qui pose la question du statut de l’idée de libre-arbitre comme fondement du droit de punir

2-2    Le libre-arbitre comme croyance auto-réalisatrice (principe régulateur) et droit de punir. L’idée de libre-arbitre n’est qu’une croyance et si on la considère comme une vraie, une illusion. Si Kant affirme qu’on ne peut démontrer ni qu’elle est fausse, ni qu’elle est vraie, sur le plan de la connaissance, sauf à verser dans l’illusion qu’il appelle transcendantale, on doit la considérer comme un postulat nécessaire de la moralité (raison pratique) et du droit pénal c’est à dire qu’on peut et doit penser que l’homme est un être libre en tant que sujet raisonnable et intelligible, bien qu’il soit déterminé en tant qu’être empirique et sensible ; mais il ne nous dit pas comment articuler, après avoir séparé leur statut, ces deux affirmations. On peut penser alors que l’idée de libre-arbitre n’est qu’un principe (axiome) régulateur qui vise à mettre le sujet en état de se croire libre pour, autant que faire ce peut, se rendre responsable en tant que cause première de ses actes quant à leur valeur morale (voir sujet « tu dois donc tu peux »). Mais, on peut à l’expérience légitimement supposer que cette croyance ne vaut qu’en tant qu’elle est auto-réalisatrice et qu’elle provoque un sentiment dit de culpabilité plus ou moins permanent qui oblige le sujet qui veut rester digne, de s’interroger sur le sens moral de ses actions  et du même coup d’opposer à telle ou telle passion mauvaise, le sentiment de sa dignité. Or ce sentiment n’est rien d’autre que l’amour de soi moralisé par l’éducation reçue, comme conditionnement social symbolique (voire religieux) orientant dans un sens altruiste le sentiment de sa propre valeur. Ainsi l’idée de libre-arbitre ne serait qu’une conditionnement éducatif visant à faire prendre conscience au sujet qu’il doit pour être en paix avec sa conscience et ainsi préserver l’amour de soi (voire l’amour de Dieu et des hommes pour soi pour les croyants) s’efforcer d’éviter de succomber à ses impulsions désirantes et passionnelles nuisibles aux autres et donc à lui-même (dégradation et dévalorisation). La punition ne serait alors que la sanction objective de cette exigence et le droit de punir serait le moyen par lequel l’idée de libre-arbitre pourrait, par le conditionnement qu’il opère objectivement, devenir empiriquement auto-réalisateur. Punir au nom de la fiction plus ou moins illusoire du libre-arbitre pour faire que chacun se croit libre et donc fasse un usage moral et non-violent de la passion universelle de l’amour de soi dans ses actes ici et maintenant. Cette interprétation tout à fait hétérodoxe car empiriste de Kant corrige un manque dans sa problématique : l’absence d’articulation logique, c’est à dire rationnelle, entre la nature libre en tant qu’être de raison et la nature déterminée en tant qu’être sensible de l’homme et cela dans une perspective empirique testable qui fait de l’éducation le seul moyen d’inscrire la moralité dans le désir du sujet. Encore faut-il que ce droit de punir ne considère pas un criminel comme définitivement tel et c’est bien en creux, mais retournée, la position de Hume. Le libre-arbitre serait donc une illusion provoquée utile à la moralité et le droit de punir ne serait que l’incarnation objective et objectivante de cette illusion provoquée dans la sensibilité du sujet comme moyen de conditionner et d’orienter l’amour de soi dans le sens de l’altruisme.

Conclusion :
Le débat virtuel entre la position empiriste de Hume et celle, métaphysique, de Kant à propos de la liberté comme fondement de la responsabilité et du droit de punir est complexe; car si Kant prétend faire de la liberté, comme libre-arbitre absolu (cause première), un postulat de la moralité et donc une vérité pratique, sans en faire une vérité théorique c’est, au fond, pour inscrire empiriquement l’exigence morale dans un cadre de culpabilisation si absolu que les sujets ne peuvent que se dire que leurs actions dépendent d’eux et d’eux seuls et donc s’obligent, si cela leur est possible, à renoncer à leur désirs mauvais en faisant appel au sentiment de leur dignité morale, voire de leur honneur; or Hume, s’il ne nierait pas l’effet empirique, avoué par Kant, d’une telle fiction métaphysique refuserait de considérer qu’elle rende rationnellement possible le droit de punir car elle méconnaît la dimension temporelle théorique de l’acte prétendument libre. Pour Hume cette contradiction, au fond, vient de la métaphysique elle-même qui ne peut articuler logiquement l’absolu et le relatif, l’éternité de la responsabilité d’une décision prise dans l‘absolu d’un liberté inconditionnée et la temporalité des actes qu’elle est censée produire. Pour échapper à de telles contradictions ; il conviendrait de refuser de penser la régulation des passions humaines sous l’autorité de fictions métaphysiques et reconnaître simplement que ne sont punissables que des individus dont on peut estimer que leur caractère constant est cause de leurs crimes. Mais, il est vrai, la question reste posée de savoir d’où viennent le caractère lui-même et la régularité constatée des effets qu’il est censé produire et donc aussi la question de savoir si l’individu est responsable de son caractère ou non ; mais, pour Hume, cette question est insoluble car y répondre obligerait à sortir du cadre de l’expérience pour verser dans la vacuité des problèmes métaphysiques. Mais une société peut-elle se passer de fictions métaphysiques, voire d’illusions quand on les croit vraies, (liberté, existence de Dieu, vie après la mort etc) pour modeler les comportements des individus en leur faisant intérioriser les exigences morales dans la mise en œuvre de leur désir de reconnaissance?  Je terminerais sur cette nouvelle question. En soulignant son aspect paradoxal : reconnaître un tel besoin c’est aussi démystifier de telles illusions et donc ruiner leur éventuelle efficace.

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