Texte de Hume sur la
causalité,
la liberté et le droit de punir
« Le seul objet propre de la haine ou
de
la vengeance est une personne, une créature douée de
pensée
et de conscience, et quand des actions criminelles ou nuisibles
excitent
cette passion, c'est seulement par leur relation à la personne,
ou
leur connexion à cette personne. Les actions elles-mêmes,
par
leur nature même, sont temporaires et périssables, et si
elles
ne proviennent pas d'une cause dans le caractère et la
disposition
de la personne qui les a réalisées, ces actions ne
peuvent
ni rejaillir sur son honneur, si elles sont bonnes, ni le couvrir
d'infamie,
si elles sont mauvaises. Les actions en elles-mêmes peuvent
être
blâmables, elles peuvent être contraires aux règles
de
la moralité et de la religion, mais la personne n'en est pas
responsable;
et comme elles ne proviennent pas de quelque chose en elle de durable
et
de constant, ni ne laissent quelque chose de cette nature
derrière
elles, il est impossible que cette personne puisse, à cause
d'elles,
devenir l'objet d'une punition ou d'une vengeance. Selon ce principe,
donc,
pour qui nie la nécessité et par conséquent les
causes,
un homme est aussi pur et innocent après avoir commis le plus
horrible
crime qu'au premier moment de sa naissance; et son caractère
n'est
concerné en rien par ses actions puisqu'elles n'en sont pas
dérivées,
et la malignité des unes ne peut pas être utilisée
comme
une preuve de la dépravation de l'autre. »
Introduction:
Le droit pénal justifie la sanction au nom de la
responsabilité
du sujet qui à commis un délit ou un crime. Mais la
responsabilité
définit le fait de répondre pour une personne d’un acte
dont
elle la cause (imputation juridique) et elle en est la cause parce
qu’elle
a été jugée libre de le commettre. Donc ne peut
être
sanctionnable (punissable) qu’un individu qui est coupable et
responsable,
c’est à dire considéré comme conscient et
libre
de choisir de commettre ou non son acte au moment des faits qui lui
sont
imputés. Or cette idée de causalité et de
liberté
est pour le moins problématique et on le voit dans les
procès
: la responsabilité du sujet est souvent l’objet principal de
débat
indécidable d’une manière rationnelle. Dans ce texte Hume
considère
qu’il s’agit d’un faux débat fondé sur tout à la
fois
une idée fausse de la causalité et une illusion, celle de
la
liberté qui ne peut que se retourner contre l’idée
même
de culpabilité: si un individu est supposé libre au
moment
des faits alors il est autre l’instant d’après et redevient
innocent
; il n’est donc plus au nom même de la liberté dont on se
réclame
pour le punir, punissable. L’auteur de l’acte lui-même a disparu
avec
l’acte puisqu’il est libre et donc change à chaque instant.
Mais tout d’abord selon Hume la question de la causalité et donc
de
l’imputabilité elle-même ne va pas de soi : tout acte
criminel
suppose une relation entre deux personnes et les actes de l’une peuvent
être
liés (connectés) à ceux de l’autre ; celui qui
agit
peut-être aussi celui qui, dans son action, pâtit de
l’autre;
L’acte peut être causé par la victime plus que par celui
qui
en est l’agent.
Cette double critique (de la causalité et de la liberté)
apparaît
comme scandaleuse, au regard du droit civil et pénal actuel.
Elle
mérite donc qu’on fasse l’analyse des arguments et des concepts
du
texte, ne serait-ce pour répondre et, si possible, sauver
l’idée
de responsabilité et de punition qu’elle justifie, idées
qui
semblent nécessaire à la paix civile, c’est
à
dire à l’administration de la justice pénale qui en est
la
garante.
1) Analyse du texte
1-1 Analyse globale du texte :
1) Hume affirme tout d’abord que celui qui se venge
est
toujours victime d’un autre en tant que cet autre est une personne qui
à
eu l’intention de commettre le crime dont est victime celui qui se
venge
et donc que cette vengeance n’est que l’effet d’un crime, acte
délibéré
commis par l’objet de la vengeance et non l’effet de celui qui se
venge.
2) Par conséquent les actions de vengeances
sont
ponctuelles et, en tant qu’elles ne sont pas liées au
caractère
constant de celui qui se venge, celui-ci ne peut en être tenu
personnellement
pour responsable et donc coupable ; son honneur est alors sauf. Les
actions
peuvent être socialement blâmables mais la personne ne
pourrait
pas être blâmée et donc ne pourrait être punie
ou
objet de vengeance à son tour, même si ces actions sont
contraires
à l’ordre social et religieux.
3)Seule donc une action qui serait l’effet d’un
caractère
constant de celui qui le commet peut être punissable, car le
sujet
est alors cause de son acte; or si l’on refuse cette connexion
nécessaire
entre acte et caractère au nom de la liberté du sujet
humain,
on détruit tout autant, sinon plus, l’idée de
responsabilité
: chacun se retrouve à chaque instant innocent d’un crime qu’un
autre
que lui-même (ou un autre lui-même) a commis,
puisqu’à
chaque instant le fait d’être supposé libre de ses actes
(sans
cause caractérielle constante) implique qu’il puisse changer
à
chaque instant et dont être (redevenir) innocent comme au premier
jour
de sa naissance.
3 questions se dégagent de cette analyse
globale
En quoi et pourquoi la vengeance est-elle le fait de
celui
dont on se venge et non de celui qui se venge?
Qu’est-ce que le caractère, en quoi est-il le
fondement
de la responsabilité ?
En quoi l’idée de libre-arbitre est–elle un
fondement
absurde de la sanction ?
1-2 Analyse conceptuelle
1-2-1 En quoi et pourquoi la vengeance est-elle le fait de celui
dont
on se venge et non de celui qui se venge ?
« Le seul objet propre de la haine ou
de
la vengeance est une personne, une créature douée de
pensée
et de conscience, et quand des actions criminelles ou nuisibles
excitent
cette passion, c'est seulement par leur relation à la personne
ou
leur connexion à cette personne. Les actions elles-mêmes,
par
leur nature même, sont temporaires et périssables, et si
elles
ne proviennent pas d'une cause dans le caractère et la
disposition
de la personne qui les a réalisées, ces actions ne
peuvent
ni rejaillir sur son honneur, si elles sont bonnes, ni le couvrir
d'infamie,
si elles sont mauvaises. Les actions en elles-mêmes peuvent
être
blâmables »
Explication : Le désir vengeance et la haine sont des
passions
naturelles qui affectent tous les hommes et donc ne peuvent être
considérées
comme des caractéristiques distinctives entre eux susceptibles
de
fondé un jugement moral particulier sur telle ou telle personne
ou
une hiérarchie morale entre les individus. De plus un acte de
vengeance
et de haine est toujours déclenché par ceux qui en sont
l’objet,
ce sont des comportements réactifs et ont pour cause le
sentiment
d’humiliation subie de la part d’un autre homme à qui l’on peut
prêter
la conscience, c’est à dire l’intention de nuire ; un
événement
naturel ne peut nuire avec intention et n’appelle aucun sentiment de
vengeance
car il ne met pas en cause l’amour que chacun se porte à
lui-même
: l’événement nuisible ne vise personne ; il s’abat sur
chacun
par hasard. Au contraire l’humiliation ne peut provenir que d’un
être
conscient qui met en cause l’amour de soi et l’image positive que
chacun
se fait de sa valeur propre, lesquels sont des sentiments naturels
fondamentaux
de l’homme en tant qu’il est conscient de lui-même : « la
passion
naturelle de l’homme disait déjà Hobbes est la
vanité
». Donc la haine n’est pas un trait de caractère mais un
comportement
universel du à un acte subi comme humiliant, dès lors
qu’il
a été délibéré et
désiré
par celui dont on veut se venger ; c’est si vrai que nous ne
désirons
pas nous venger de quelqu’un qui par accident nous a fait du mal mais
il
faut qu’il ait pensé et désiré nous faire du mal
et
c’est cette pensée qui est humiliante et non sa
conséquence
nuisible. Ainsi ces actions de vengeance et de haine ne mettent en rien
en
cause l’être même singulier de celui qui s’y livre, mais
d’abord
le fait qu’il ait subi une humiliation insupportable au regard d’une
passion
naturelle irrésistible : l’amour de soi. La raison ne peut rien
contre
la passion chez Hume, car elle est sans puissance propre et sans
autonomie,
elle est toujours au service d’une passion et de l’expérience
sensible
intérieure qu’est le plaisir (pour l’accroître) et de la
douleur
(pour la supprimer) et d’abord celle fondamentale qui fait que chacun
cherche
à se valoriser et être reconnu comme valeur par les autres
pour
se sentir heureux, c’est à dire content de lui-même. Mais
si
la personne qui se venge ne peut être blâmable, ses actions
non
plus, car elles ne sont que des conséquences spontanées
irrésistibles
dont elle n’est pas la cause et donc dont elle n’est pas responsable
car
elle ne peut en répondre dès lors qu’elles ne sont qu’une
réaction
naturelle involontaire (non désirée au départ)
à
un acte volontairement humiliant. N’importe qui ferait de même
s’il
était offensé; il n’est donc pas question de condamner un
individu
qui fait un acte plus subi que désiré que quiconque
aurait
fait à sa place, car à ce compte la nature humaine serait
coupable
et non tel ou tel individu. Un individu n’est donc responsable que d’un
acte
dont il est la cause première et cette cause ne peut être
que
son caractère constant ou en tout cas durable propre. Il faut
donc
se poser la question de la nature du caractère comme cause
d’actes
qui ne seraient pas que des réactions ponctuelles aux
circonstances.
1-2-2 Qu’est-ce que le caractère, en quoi est-il le fondement
de
la responsabilité ?
« Les actions en elles-mêmes
peuvent
être blâmables, elles peuvent être contraires aux
règles
de la moralité et de la religion, mais la personne n'en est pas
responsable;
et comme elles ne proviennent pas de quelque chose en elle de durable
et
de constant, ni ne laissent quelque chose de cette nature
derrière
elles, il est impossible que cette personne puisse, à cause
d'elles,
devenir l'objet d'une punition ou d'une vengeance »
Explication : Il faut donc distinguer les actions, même
contraire
à la moralité et à la religion mais dont les
agents
ne sont pas responsables ; car elles sont l’effet temporaire d’actes
humiliants
subis et les actions dont l’agent est la cause et donc l’auteur, qui
procèdent
de sa nature propre et cette nature c’est, dit Hume, son
caractère.
La caractère c’est une tendance à agir dans le sens de la
bienveillance
ou de la malveillance dont on a, chez un individu, l’expérience
habituelle.
Il se reconnaît par le caractère répétitif
et
indépendant des relations particulières aux autres des
actions
du sujet et on peut s’attendre à que ce que l’individu
bienveillant
ou malveillant agisse toujours de la même manière à
l’avenir
avec n’importe qui. Il apparaît comme cause et responsable par
l’effet
de cette répétitivité expérimentale de
même
qu’une cause est reconnue par le fait qu’il s’ensuit toujours le
même
effet, le caractère est donc lié à une connexion
plus
ou moins constante entre tel ou tel individu et le type d’action bonne
ou
mauvaise qu’il fait. Or si on ne peut punir un individu dont les
actions
ne sont que des réactions irrésistibles à un mal
intentionnel
subi du fait d’un autre, on peut, voire on doit punir quelqu’un qui se
montre
toujours malveillant et nuisible aux autres, ne serait-ce que
l’empêcher
de nuire à nouveau ou pour le contraindre, sinon à
changer
de nature caractérielle, au moins à faire que cette
nature
ne s’exprime plus avec autant de nuisance, partiellement contredite par
cette
autre cause constante de nos actions qu’est la peur de la mort et de
l’emprisonnement
; La punition et le blâme exploitent en effet ces passions
naturelles
que sont, même chez les criminels, la peur de la mort, l’amour de
soi
et de la liberté, afin de faire échec au moins
partiellement
au caractère nuisible propre de l’individu malveillant. La
punition
est une technique de conditionnement du comportement analogue à
un
système physique mécanique artificiel car la nature de la
causalité
chez les hommes et dans la nature n’est pas différente : il n’y
a
que des relations de succession dans le temps plus ou moins constantes
et
si la causalité comme connexion nécessaire n’existe pas
dans
les choses mais dans l’esprit, il faut bien admettre qu’il y a une
régularité
habituelle dans les relations phénoménales et que cette
régularité
est seule susceptible de nous convaincre d’une loi de causalité
et
donc de la responsabilité du sujet quant à son
caractère
propre et de nous permettre de contrecarrer ce mauvais caractère
par
un jeu de forces et de causes contraires. Mais inversement louer un bon
caractère
est aussi une technique de renforcement par l’amour de soi des
régularités
comportementales utiles aux autres et à la société
qui
peuvent être temporairement mises en difficulté par des
circonstances
et des actes intentionnels dommageables à l’amour de soi. Ainsi
pour
Hume tous les comportements humains sont l’effet de cause externes
et/ou
internes (passions) de la même manière que les
comportements
des animaux, même si l’amour de soi est une passion proprement
humaine,
l’idée même de libre arbitre est absurde : en quoi et
pourquoi
cette idée, si tant est qu’elle ait un sens ne peut-elle pas
fonder
le droit de punir, contrairement au principe même du droit
pénal
dit libéral?
1-2-3 En quoi l’idée de libre-arbitre est–elle un fondement
absurde
du droit de punir?
« Selon ce principe, donc, pour qui
nie
la nécessité et par conséquent les causes, un
homme
est aussi pur et innocent après avoir commis le plus horrible
crime
qu'au premier moment de sa naissance; et son caractère n'est
concerné
en rien par ses actions puisqu'elles n'en sont pas
dérivées,
et la malignité des unes ne peut pas être utilisée
comme
une preuve de la dépravation de l'autre.»
Explication : Pour Hume l’idée de libre-arbitre ne repose
sur
aucune expérience : elle affirme en effet que l’homme,
contrairement
aux animaux serait capable, à tout moment, de choisir en dehors
de
toute cause ou passion de se comporter d’une manière ou d’une
autre,
et ainsi qu’il pourrait grâce à sa volonté
raisonnable
résister à quelque passion que ce soit , car il lui
suffirait
d’en décider pour le pouvoir. En cela cette liberté de
choix
serait une cause première, cause d’elle-même, c’est
à
dire une cause sans cause et donc arbitraire car la capacité de
choisir
supposée entre obéir à la raison bonne ou à
la
passion mauvaise n’aurait aucun motif ni cause antérieure. Une
telle
cause est donc d’essence métaphysique et en cela elle ne renvoie
à
aucune habitude expérimentale et à aucune connexion
régulière
de cause et effet ; elle donc une idée vide et sans objet
d’expérience
déterminable. On peut même dire qu’elle est contraire
à
l’expérience la plus générale : chacun est capable
de
s’attribuer des motifs passionnels pour expliquer ses actions et est
capable
d’en attribuer de semblables aux autres (sympathie affective
spontanée)
; cela est même indispensable pour se fier aux autres et
prévoir
ou prévenir leurs comportements dans telle ou telle situation.
On
aurait tout à craindre d’autrui si l’on pouvait supposer que ses
actions
sont sans cause régulière : il pourrait même
brutalement
nous tuer sans aucun motif, alors que jusqu’à lors son
comportement
à notre égard était bienveillant. Aussi bien avec
les
humains qu’avec les choses et les animaux on ne peut vivre si l’on ne
se
réfère pas à l’habitude expérimentale de
l’enchaînement
régulier des causes et des effets qui seuls nous permettent de
croire
que le futur peut nous être favorable et que l’on peut
éviter
les dangers. L’idée de libre-arbitre est par nature angoissante
et
nul, même celui qui y croit en théorie, ne peut, dans la
pratique,
en faire usage dans les rapports qu’il entretient avec les autres, car
chacun
serait pour chacun et en permanence un inconnu qui pourrait, à
chaque
instant, se révéler être un ennemi mortel. Dans ces
conditions
l’idée de libre-arbitre est contradictoire avec celle de
constance
du caractère, voire avec l’idée même
d’identité
: chacun pourrait à tout moment se choisir autre ; or pour Hume
le
moi n’a pas d’autre réalité que celle qu’établit
l’esprit
en tant que croyance probable à partir des relations
régulières
de cause à effet habituelles et c’est cela seulement qui
définit
pour l’esprit de chacun le caractère d’un individu et permet
à
chacun de connaître suffisamment les autres pour savoir comment
se
comporter à leur égard. Supposer qu’il n’y aucune
connexion
nécessaire entre le caractère expérimenté
d’un
individu et ses actes, c’est supposer que chacun est à chaque
instant
un autre et donc que celui qui est l’auteur d’un crime
disparaîtrait
avec son crime pour devenir immédiatement un autre
à
volonté, et par conséquent serait aussi innocent qu’un
nouveau-né
du crime dont il est accusé. On ne peut punir quelqu’un que si
on
le tient pour responsable de son acte après comme avant
l'avoir
commis et donc que si l’on juge qu’il est resté le même et
on
ne peut le juger tel que s’il n’est pas libre, c’est à dire si
l’on
peut établir une connexion entre son caractère habituel
et
cet acte.
Conclusion : on ne peut punir un individu si son acte est l’effet d’une
cause
extérieure mais aussi et même plus s’il est supposé
libre
de l’avoir commis ou non car alors cette liberté de choix le
rend
irresponsable dans la durée car toujours autre qu’il
était
et donc perpétuellement innocent des actes commis
antérieurement.
2) Intérêt philosophique du
texte
2-1 Liberté et responsabilité
La position de Hume renverse radicalement le thèse classique
qui,
depuis la christianisme, voit dans la liberté ou libre choix
intérieur
entre le bien et le mal le fondement de la responsabilité et
donc
du droit de punir : un individu qui n’a pas le choix vis-à-vis
de
ses actes, soit sous la contrainte extrême, soit sous le coup de
la
folie, est considéré comme innocent, car il n’est pas la
cause
mais l’effet de conditions et de pulsions irrésistibles :
être
entièrement déterminé c’est être
irresponsable
et donc innocent. Mais cette thèse repose sur une croyance
indémontrable,
voire contraire à l’expérience : celle qui affirme comme
une
réalité la capacité arbitraire de se
déterminer
soi-même en dehors de tout mobile déterminant, cette
croyance
est indissociable de celle de la volonté raisonnable de
s’opposer
au désir et passion. De plus le droit de punir suppose
l’idée,
pour Hume contradictoire avec celle de liberté et
d’autodétermination,
que c’est le même sujet libre qui subsiste avant et après
son
acte.
Or Il est clair que dans le cas du crime d’honneur, ce dernier
étant
le seul motif de la vengeance, car on ne venge jamais que son honneur
bafoué
et on ne hait que qui nous a humiliés, la responsabilité
du
sujet est plus ou moins mise hors jeu dès lors que la passion de
l’honneur
l’emporte sur tout autre désir et on le voit à ce qu’elle
détermine
le sujet à braver le risque de la mort, voire à accepter
de
mourir pour laver l’affront subi. Le vengeance et la haine sont donc
les
plus puissantes des passions humaines qui, de ce fait, soit met la
raison
hors jeu, soit la réduit à n’être qu’un instrument
à
son service (vengeance calculée devenant un plat qui se mange
froid).
La liberté du sujet est là explicitement compromise
dès
lors qu’il ne peut opposer à elles, ni une raison froide et sans
motivation
décisionnelle propre, ni, comme le supposait Descartes, une
contre
passion suffisante (ne serait-ce que la peur de mourir). En cela
l’absence
de libre arbitre sous l’emprise de la passion (et tout meurtre
passionnel
est un « crime d’honneur ») est même implicitement
reconnu
par notre droit pénal comme un motif de circonstance
atténuante.
Ainsi la liberté supposée du meurtrier au moment du
meurtre
est bien le seul motif qui justifie sa condamnation en tant que son
meurtre
est un crime et qu’il est seul cause de ce crime donc criminel
punissable.
Mais encore faut-il que cette cause libre supposée perdure dans
ses
effets criminogènes pour justifier un jugement
ultérieur
et une condamnation soit définitive (peine de mort) soit durable
(emprisonnement)
: si nous n’avons plus affaire au même homme par le fait qu’il
est
libre donc susceptible de ne plus être criminel après
avoir
commis son crime et c’est bien ce qu’admet implicitement le droit
pénal
libéral actuel qui a interdit la peine de mort et qui admet que
tout
condamné a droit, après avoir payé sa faute, a ne
plus
être considéré comme un criminel et donc a
être
libéré et à se libérer de son crime,
à
se réhabiliter comme n’étant plus ici et maintenant
criminel.
On le voit la thèse de Hume est ici implicitement
évoquée
; mais d’une manière indirecte et équivoque, en creux :
aucun
homme supposé libre, quelle que soit la gravité de son
acte,
ne peut être définitivement considéré comme
criminel.
Et une condamnation dont il est l’objet, ne peut être que
provisoire
et doit toujours lui laisser une chance de s’arracher à se
faute.
Hume ne fait que radicaliser cette option en affirmant que la
liberté
fait tomber l’idée même de criminalité permanente
car
elle défait ce qui peut y avoir de durable dans la
causalité
de l’acte commis. Ainsi aussi opposé qu’elle le semble à
la
thèse classique, la position empiriste de Hume et donc
opposée
à l’idée de liberté métaphysique, trouve
son
prolongement dans le droit libéral de punir qui est fondé
sur
l’idée de l’indissociation entre liberté et
responsabilité,
aussi bien en ce qui concerne le problème des circonstances
atténuantes
qui remettent en question le pouvoir absolu
(inconditionné)
de choisir totalement librement entre raison et passion qu’en ce qui
concerne
la question d’une criminalité permanente dès lors qu’un
criminel
supposé libre peut et dont être supposé être
capable
de redevenir non criminel après avoir purgé sa peine. Ce
qui
pose la question du statut de l’idée de libre-arbitre comme
fondement
du droit de punir
2-2 Le libre-arbitre comme croyance
auto-réalisatrice
(principe régulateur) et droit de punir. L’idée de
libre-arbitre
n’est qu’une croyance et si on la considère comme une vraie, une
illusion.
Si Kant affirme qu’on ne peut démontrer ni qu’elle est fausse,
ni
qu’elle est vraie, sur le plan de la connaissance, sauf à verser
dans
l’illusion qu’il appelle transcendantale, on doit la considérer
comme
un postulat nécessaire de la moralité (raison pratique)
et
du droit pénal c’est à dire qu’on peut et doit penser que
l’homme
est un être libre en tant que sujet raisonnable et intelligible,
bien
qu’il soit déterminé en tant qu’être empirique et
sensible
; mais il ne nous dit pas comment articuler, après avoir
séparé
leur statut, ces deux affirmations. On peut penser alors que
l’idée
de libre-arbitre n’est qu’un principe (axiome) régulateur qui
vise
à mettre le sujet en état de se croire libre pour, autant
que
faire ce peut, se rendre responsable en tant que cause première
de
ses actes quant à leur valeur morale (voir sujet « tu dois
donc
tu peux »). Mais, on peut à l’expérience
légitimement
supposer que cette croyance ne vaut qu’en tant qu’elle est
auto-réalisatrice
et qu’elle provoque un sentiment dit de culpabilité plus ou
moins
permanent qui oblige le sujet qui veut rester digne, de s’interroger
sur
le sens moral de ses actions et du même coup d’opposer
à
telle ou telle passion mauvaise, le sentiment de sa dignité. Or
ce
sentiment n’est rien d’autre que l’amour de soi moralisé par
l’éducation
reçue, comme conditionnement social symbolique (voire religieux)
orientant
dans un sens altruiste le sentiment de sa propre valeur. Ainsi
l’idée
de libre-arbitre ne serait qu’une conditionnement éducatif
visant
à faire prendre conscience au sujet qu’il doit pour être
en
paix avec sa conscience et ainsi préserver l’amour de soi (voire
l’amour
de Dieu et des hommes pour soi pour les croyants) s’efforcer
d’éviter
de succomber à ses impulsions désirantes et passionnelles
nuisibles
aux autres et donc à lui-même (dégradation et
dévalorisation).
La punition ne serait alors que la sanction objective de cette exigence
et
le droit de punir serait le moyen par lequel l’idée de
libre-arbitre
pourrait, par le conditionnement qu’il opère objectivement,
devenir
empiriquement auto-réalisateur. Punir au nom de la fiction plus
ou
moins illusoire du libre-arbitre pour faire que chacun se croit libre
et
donc fasse un usage moral et non-violent de la passion universelle de
l’amour
de soi dans ses actes ici et maintenant. Cette interprétation
tout
à fait hétérodoxe car empiriste de Kant corrige un
manque
dans sa problématique : l’absence d’articulation logique, c’est
à
dire rationnelle, entre la nature libre en tant qu’être de raison
et
la nature déterminée en tant qu’être sensible de
l’homme
et cela dans une perspective empirique testable qui fait de
l’éducation
le seul moyen d’inscrire la moralité dans le désir du
sujet.
Encore faut-il que ce droit de punir ne considère pas un
criminel
comme définitivement tel et c’est bien en creux, mais
retournée,
la position de Hume. Le libre-arbitre serait donc une illusion
provoquée
utile à la moralité et le droit de punir ne serait que
l’incarnation
objective et objectivante de cette illusion provoquée dans la
sensibilité
du sujet comme moyen de conditionner et d’orienter l’amour de soi dans
le
sens de l’altruisme.
Conclusion :
Le débat virtuel entre la position empiriste de Hume et celle,
métaphysique,
de Kant à propos de la liberté comme fondement de la
responsabilité
et du droit de punir est complexe; car si Kant prétend faire de
la
liberté, comme libre-arbitre absolu (cause première), un
postulat
de la moralité et donc une vérité pratique, sans
en
faire une vérité théorique c’est, au fond, pour
inscrire
empiriquement l’exigence morale dans un cadre de culpabilisation si
absolu
que les sujets ne peuvent que se dire que leurs actions
dépendent
d’eux et d’eux seuls et donc s’obligent, si cela leur est possible,
à
renoncer à leur désirs mauvais en faisant appel au
sentiment
de leur dignité morale, voire de leur honneur; or Hume, s’il ne
nierait
pas l’effet empirique, avoué par Kant, d’une telle fiction
métaphysique
refuserait de considérer qu’elle rende rationnellement possible
le
droit de punir car elle méconnaît la dimension temporelle
théorique
de l’acte prétendument libre. Pour Hume cette contradiction, au
fond,
vient de la métaphysique elle-même qui ne peut articuler
logiquement
l’absolu et le relatif, l’éternité de la
responsabilité
d’une décision prise dans l‘absolu d’un liberté
inconditionnée
et la temporalité des actes qu’elle est censée produire.
Pour
échapper à de telles contradictions ; il conviendrait de
refuser
de penser la régulation des passions humaines sous
l’autorité
de fictions métaphysiques et reconnaître simplement que ne
sont
punissables que des individus dont on peut estimer que leur
caractère
constant est cause de leurs crimes. Mais, il est vrai, la question
reste
posée de savoir d’où viennent le caractère
lui-même
et la régularité constatée des effets qu’il est
censé
produire et donc aussi la question de savoir si l’individu est
responsable
de son caractère ou non ; mais, pour Hume, cette question est
insoluble
car y répondre obligerait à sortir du cadre de
l’expérience
pour verser dans la vacuité des problèmes
métaphysiques.
Mais une société peut-elle se passer de fictions
métaphysiques,
voire d’illusions quand on les croit vraies, (liberté, existence
de
Dieu, vie après la mort etc) pour modeler les comportements des
individus
en leur faisant intérioriser les exigences morales dans la mise
en
œuvre de leur désir de reconnaissance? Je terminerais sur
cette
nouvelle question. En soulignant son aspect paradoxal :
reconnaître
un tel besoin c’est aussi démystifier de telles illusions et
donc
ruiner leur éventuelle efficace.
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