Relations de pouvoirs, suite2

1-3) L’autorité réelle : efficacité et légitimité du pouvoir.
 

Toute autorité réelle doit combiner l’efficacité et la légitimité pour s’imposer durablement sans devoir utiliser la violence terroriste permanente:
- Sans autorité morale, justifiée au nom des valeurs fondatrices du lien social, l’autorité formelle est une autorité légale mais illégitime et donc menacée par une résistance plus ou moins violente. Plus elle recoure à la terreur pour s’opposer à cette résistance plus elle perd de son autorité, y compris légale.
- Sans moyens et usage de moyens de contrainte ou de sanction violents légalisés, une autorité, même légitime, est vite mise en situation d’échec par son incapacité à imposer des arbitrages entre des intérêts divergents, d’autre part elle devient incapable de faire respecter l’ordre nécessaire à la mise en œuvre des objectifs communs, au maintien des conditions hiérarchiques du fonctionnement et de la reproduction de l’organisation et au respect des contrats privés. Sa légitimité est alors compromise et donc, tout à la fois, son efficacité et sa justification.

La combinaison entre les moyens et les sources de légitimité du pouvoir sont plus ou moins efficaces, car les moyens sont plus ou moins compatibles avec les fins et les valeurs fondatrices de cette légitimité.
· La violence terroriste aveugle, purement humaine et apolitique (illégale) est sans légitimité et ne confère aucune autorité, mais un simple pouvoir ponctuel d’éliminer, de contraindre ou d’intimider.
· La violence religieuse illimitée peut être efficace auprès d’une population de croyants dès lors que cette violence est présentée comme l’expression de la volonté sacrificielle et salvatrice de Dieu, en vue du salut de la communauté purifiée des différences qui s’opposent à sa réconciliation fusionnelle. Tout pouvoir théocratique dispose, par définition, d’un droit illimité d’user de la violence, à moins qu’il n’ait fait de la non-violence universelle une valeur sacrée.
· La violence traditionnelle est ritualisée, et à ce titre, fortement contrôlée et orientée vers les ennemis de la communauté ou des victimes émissaires dûment ciblés. Le groupe détourne ainsi la tentation de la violence indifférenciée et autodestructrice pour faire de cette violence justifiée et symboliquement " ajustée " la condition du renforcement de son unité ; son efficacité dépend de la capacité des dirigeants à se référer à des mythes fondateurs est au passé identitaire de la communauté.
· La violence rationnelle est légalisée ; elle applique la loi pénale graduée selon un code de sanctions précis que chacun connaît ; elle accorde au suspect le droit de se défendre ainsi que de faire appel d’une sanction ou d’un jugement dont la légalité et le contenu peuvent être réexaminés : c’est pourquoi la peine de mort est problématique ; elle interdit, en l’absence de jugement dernier divin (Dieu reconnaîtra les siens !), tout recours ou révision du procès et de la sanction. Son efficacité est durable et dissuasive : le pouvoir est reconnu comme nécessaire, y compris de ceux qui violent la loi. La violence rationalisée et légalisée est pacificatrice, au point de ne plus être perçue comme violence humaine mais comme un contrainte quasi-naturelle ; La force de la loi s’oppose à la loi de la force.
· La violence démocratique est en général légale mais peut, dans des situations de crise politique, devenir illégale, lorsque la légalité n’apparaît plus comme légitime et lorsque les droits fondamentaux du peuple semblent bafoués. Elle se limite habituellement au juste nécessaire pour rendre la vie sociale possible dans le respect des libertés individuelles différenciées. La démocratie, pour ce faire, sépare les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires de telle sorte que le pouvoir limite le pouvoir au profit des libertés des citoyens. L’efficacité de la violence démocratique est toujours tributaire d’un débat entre citoyens sur sa légitimité, ce qui fait du pouvoir démocratique un pouvoir faible à court terme et fort à long terme si les conditions sociales sont favorables : égalité des chances, progrès et sécurité sociale pour tous. Le pouvoir démocratique est par essence paradoxal puisqu’il soumet les dirigeants au contrôle des dirigés qui peuvent régulièrement les remplacer : à la limite, les dirigeants sont dirigés par ceux qu’ils dirigent au risque de rendre impossible toute continuité de direction ; c’est pourquoi le jeu démocratique est toujours soumis à un encadrement politique (les partis) et technocratique (les experts) quand ce n’est pas à l’autorité monarchique, bien qu’élective, d’un président élu pour sept ans.

Dans l’entreprise, non démocratique et qui ne peut l’être, mais dans laquelle, chez nous, l’esprit de la démocratie ne peut totalement être laissé au vestiaire, la violence réelle et symbolique s’exerce par le licenciement plus ou moins légal, sinon légitime, et l’usage de la menace de licenciement. Deux cas sont à distinguer :
· Lorsqu’il s’agit d’un licenciement justifié légalement pour faute professionnelle, cette violence est légitime ou considérée comme telle, à condition que les droits de la défense du " licenciable " soient respectés.
· Lorsqu’il s’agit d’un licenciement prétendument économique, il n’est pas et ne peut être considéré comme légitime par le personnel dès lors que celui-ci se sent victime d’une situation dont il n’est pas responsable et d’une sanction qu’il n’a pas mérité ; tout au plus la décision de la direction peut-elle être interprétée par le personnel comme la conséquence d’une réalité objective quasi-naturelle ; mais encore faudrait-il qu’il soit convaincu par ses dirigeants que ce licenciement est imposé par les circonstances et non pas pour maintenir ou accroître les profits des investisseurs et améliorer la carrière et les revenus des dirigeants, ce qui est le plus souvent le cas. L’argent, s’il est objet de désir individuel ne fonde aucune valeur générale, sauf pour des puritains qui croient voir dans la fortune un signe d’élection morale et religieuse. L’argent divise ; il n’a donc aucune légitimité politique.
La légitimité du pouvoir légal, dans les entreprises, dès lors qu’il repose sur l’argent et la finalité du profit particulier, est par essence problématique ; elle dépend de l’attitude de la direction et de l’encadrement et de la régulation du conflit entre le capital et le travail (compromis social) et du type de management, autoritaire et coercitif ou participatif, voire cogéré (Allemagne). Si elle ne peut être acquise a priori, elle exige un travail politique et rhétorique permanent qui doit joindre les paroles aux actes pour persuader, sinon convaincre des bons sentiments du pouvoir de la direction et des investisseurs pour développer l’entreprise, améliorer sa rentabilité au service de tous, maintenir et créer des emplois. Rude tâche qui exige un charisme à toute épreuve !
La compétence des dirigeants ne peut valoir comme source de légitimité qu’à la condition d’être mise, (au moins apparemment) au service de tous et non pas des seuls intérêts des investisseurs, ce qui ne va pas nécessairement de soi. Le management peut agir soit par l’usage de la crainte ou de l’espoir de gain individuel (motivations primaires), soit par la mise en œuvre d’un esprit de coopération en vue d’une gratification collective et personnelle, réelle ou symbolique : salaires élevés, assurance de l’emploi, promotions transparentes, conditions de travail moins pénibles, autonomie, esprit d’équipe et surtout la reconnaissance (motivations secondaires). N’oublions pas que la motivation de l’employé la plus efficace en terme de qualité, c’est le bonheur ou satisfaction personnelle et altruiste de se reconnaître dans un travail socialisé valorisant. A ne compter que sur les motivations primaires, le risque est de voir se développer une démotivation qui mettrait en cause la qualité du travail, des conflits dommageables pour l’esprit de coopération et une méfiance généralisée génératrice de comportements de sabotage masqués. La rentabilité de l’entreprise serait alors pour le moins compromise, quelques soient les mesures techniques prises ; à moins de remplacer systématiquement les hommes par des machines, ce qui est peut-être en train de se passer en effet.
 
 

2) Le pouvoir informel et les luttes de pouvoirs.
 

Une organisation est vivante parce qu’elle est traversée par des contradictions et qu’elle est capable de les utiliser pour survivre, se reproduire et se développer, dans un environnement changeant qui impose des contraintes et des opportunités qu’il faut comprendre et saisir. Parmi ces contradictions celles qui affectent les relations de pouvoirs sont au centre de sa capacité d’adaptation et de renouvellement.
· Un système de pouvoir trop formellement rigide démotive les acteurs, car aucun ne peut y inscrire de stratégie de réussite personnelle et décourage l’innovation et la lutte des idées et des initiatives qui lui sont nécessaires .
· Un jeu de relations de pouvoir peu formalisé ou trop conflictuel aboutit à la paralysie, à l’irresponsabilité, à la démission, voire à l’éclatement et à la mort de l’organisation
· Un pouvoir formel qui renonce à faire usage de son autorité et laisse les acteurs faire à leur guise ou selon leurs habitudes produit les mêmes résultats.
 

Entre ces trois écueils, il convient de comprendre, pour pouvoir en faire bon usage, les relations ambiguës, voire ambivalentes qui se nouent entre le pouvoir formel et les pouvoirs informels.
Rappelons que j’appelle pouvoir informel un pouvoir d’influence rhétorique qui vise à persuader ou à convaincre que le rhéteur détient un savoir et un savoir faire bénéfique à ceux à qui il s’adresse et qu’à se titre il doit être écouté et entendu ; il vise à ce que ceux-ci lui fassent confiance et se regroupent autour de lui pour réaliser leurs fins particulières individuelles et collectives plus ou moins cohérentes avec celles de l’organisation définies par le pouvoir formel. Si le pouvoir formel a pour mission de définir la politique générale de l’organisation, de la faire mettre en œuvre par les acteurs et de la leur faire respecter en contrôlant leurs pratiques et leurs résultats, les pouvoirs informels ont pour objectif de permettre aux différents acteurs de faire valoir, dans ou contre le cadre du pouvoir formel, leurs intérêts privés, individuels ou collectifs. Il convient pour comprendre et mesurer l’espace de jeu entre le pouvoir général et les pouvoirs particuliers de s’interroger sur les rapports possibles entre les intérêts soi-disant communs et les intérêts privés.

2-1) Buts privés et but commun
 

Le but commun de toute organisation est toujours de survivre, de se reproduire et de se développer en partenariat ou en concurrence par rapport à d’autres organisations ; dans une entreprise capitaliste, ce but passe obligatoirement par l’amélioration de sa rentabilité à plus ou moins long terme. Or ce plus et ce moins de rentabilité et de durée de prise en compte pour son évaluation (mis à part l’exercice légal et fiscal annuel) est l’enjeu d’un conflit, au sommet et à la base, entre les investisseurs, la direction et les employés. Un fort investissement en recherche, par exemple, peut faire baisser la rentabilité réelle immédiate mais générer à long terme une rentabilité éventuelle supérieure. Les investisseurs peuvent privilégier le court terme par rapport au long terme ou l’inverse et, comme ce sont eux qui détiennent le pouvoir formel en dernière instance, leur décision affecte les acteurs des recherches qui peuvent y être favorables ou non selon leurs intérêts spécifiques. Plus généralement une décision de réduction des coûts de la force de travail par des compressions de personnel ou des réductions de salaires réels sera contestée par le personnel qui se considérera victime de mesures pourtant justifiées par la direction au nom de la lutte contre la concurrence et de l’accroissement des parts de marché pour préserver les chances de survie de l’entreprise au bénéfice de tous. Soyons clairs sur ce point : afin d’accroître à plus ou moins long terme la rentabilité d’une entreprise, choisir a priori, , entre réduire les coûts de la force de travail et améliorer sa productivité organisationnelle et qualitative, entre une flexibilité interne et une flexibilité externe est indécidable, sauf à privilégier tel type d’intérêt particulier à telle date par rapport à telle autre. Les objectifs de la direction, quelques soient ses compétences reconnues, ne sont donc jamais considérés par les différents acteurs comme les seuls capables d’assurer le but commun de l’entreprise. Ce décalage provient du fait que la meilleure voie n’est et ne peut jamais être la seule ; là comme ailleurs " la pensée unique " n’est qu’un procédé rhétorique utilisé par la direction pour persuader fallacieusement que ses décisions valent pour tous et sont " incontournables ", car imposées par la conjoncture et les intérêts de survie de l’organisation.
Contre cette réduction mystificatrice, les acteurs s’organisent pour faire entendre d’autres discours et mettent en jeu des pratiques qui visent à exploiter, à détourner ou à faire échec aux objectifs de la direction. Ils tentent de convaincre l’ensemble des acteurs mais aussi, en démocratie où sont en principe reconnus les droits du travail, l’opinion et les pouvoirs publics, qu’ils défendent les intérêts communs de l’organisation et doivent pour cela faire valoir leurs intérêts spécifiques comme nécessaires à la réalisation optimale de ceux-là. Un but perçu comme commun n’est donc qu’une alliance politique négociable qui " syncrétise " plus qu‘elle ne " synthétise " des objectifs différents voire contradictoires à la faveur de compromis plus ou moins boiteux et provisoires. Pourquoi provisoires ? Parce que, nous l’avons vu, une entreprise capitaliste ne peut fonder la légitimité de ces décisions ni sur la religion (encore que certaines sectes/entreprises tentent de s’y employer) ni sur la démocratie mais sur une vague référence à une mythologie fabriquée de bric et de broc, mi-technocratique, mi-traditionnelle et identitaire (culture d’entreprise). Les objectifs de la direction sont toujours, menacés d’apparaître pour ce qu’ils sont : l’expression des intérêts du capital plus ou moins contradictoires avec ceux personnel, surtout dans les périodes de vaches maigres ou de forte concurrence sur le marché de l’emploi.
Les objectifs privés s’avancent masqués derrière des justifications d’ordre général et varient selon la position hiérarchique et les ambitions des uns et des autres acteurs. Tous développent des stratégies de pouvoir informel que je vais tenter de conceptualiser et de classer.

2-2) Pouvoir informel et stratégies.

On peut classer ces différentes stratégies du moins vers le plus d’opposition apparente vis à vis du pouvoir formel selon leur but et leur méthode.

2-2-1) La stratégie du bernard-l’ermite
Elle vise pour l’acteur à s’installer dans les différentes positions du pouvoir formel pour y faire son nid, sous la protection d’un statut et des prérogatives qu’il autorise. L’ambition n’est pas sa motivation dominante mais la sécurité ; il s’agit pour lui de s’immerger le plus possible dans un rôle qui lui garantit une survie maximale et éventuellement des perspectives de promotion à l’ancienneté. Il aime faire correctement son travail, résiste à toute innovation des méthodes et refuse les initiatives risquées ; il aime la routine et les procédures qui ont fait leur temps et leurs preuves. Il va tout mettre en œuvre pour démontrer à ses supérieurs en parole et en actes que le changement est dangereux, techniquement et politiquement ; il est l’allié d’un pouvoir traditionnellement fort et prévisible, mais résiste, sans en avoir l’air, par le recourt à son savoir-faire habituel, à l’introduction de nouvelles méthodes et de nouveaux rapports entre les acteurs impliquant plus d’autonomie et d’initiative de leur part. Il rigidifie le fonctionnement de l’organisation en le bureaucratisant par l’usage indiscutable de la compétence immuable ou du métier dont il se fait l’héritier et le défenseur soupçonneux. Il applique fait appliquer les consignes en les vidant de toutes marges d’interprétation. Son mot d’ordre (c’est le cas de le dire) est : chacun son métier et les vaches seront bien gardées.

2-2-2) La stratégie de l’araignée.
Elle cherche à conquérir le pouvoir formel en s’appuyant sur les acteurs à même de peser sur les décisions en tissant des réseaux informels d’opposants potentiels et en unifiant les points de vue pour disjoncter le pouvoir formel de sa base d’application, la paralyser et, sans forcement l’éliminer, le vider de ses fonctions actives en le parasitant. Sa rhétorique s’appuie sur la nécessité du changement pour préserver les chances de l’organisation et sur les promesses de promotions des acteurs du réseau ; elle peut très bien aller de pair avec le maintien symbolique et la flatterie de ceux qui occupent le pouvoir formel afin d’éviter des conflits ouverts plus difficilement contrôlables ; ceux-ci ne sont plus que des coquilles vides de toute substance active, le pouvoir réel leur échappe et nourrit les ambitions des membres du réseau jusqu’au moment favorable où ceux-ci les ferrons disparaître de la scène et pourront les remplacer sans crise, légalement.

2-2-3) La stratégie du castor.
Elle s’efforce de réaménager constamment l’organisation et son environnement par une activité multiple et difficilement contrôlable en prenant des initiatives formellement permises jusqu'à rendre le terrain méconnaissable et le pouvoir formel impuissant face à la mise en œuvre de stratégies des acteurs de plus en plus autonomes. Elle revendique l’enthousiasme des acteurs et leur motivation auto-valorisante pour s’adapter au changement nécessaire à l’amélioration des performances et de la réactivité de l’entreprise ; elle inscrit sa rhétorique dans l’éthique coopérative et prône le management participatif et les conduites transversales de projets (hors, voire anti-hiérarchiques) comme la seule voie du succès ; c'est une vision sinon prophétique du moins missionnaire de l’entreprise qui domine le discours rhétorique de cette stratégie qui cherche à mobiliser tout le monde ouvertement dans le cadre de réunions multifonctionnelles fréquentes, parfois journalières.
Le pouvoir formel se voit rapidement débordé et ne peut plus exercer qu’un vague pouvoir d’arbitrage et d’animation symboliques

2-2-4) La stratégie du crabe.
Il s’agit de détourner la politique de la direction vers des directions individuelles latérales difficilement détectables ; l’acteur fait semblant de jouer le jeu, mais exploite toutes les marges de manoeuvre dont il dispose pour se dérober au contrôle et faire ses petites affaires tranquillement ; aucune idéologie n’est nécessaire, au contraire moins on fait de vagues, mieux cela vaut. L’influence est comportementale ; cette attitude a l’immense avantage de se diffuser quasi naturellement et donc ne nécessite aucun effort de mobilisation collective.

2-2-5) La stratégie du coucou-pirate .
Elle vise à se nourrir de la substance du pouvoir formel et de mettre ses propres œufs dans son nid ; elle combine toutes les stratégies ci-dessus, selon les moments et les circonstances.

2-2-6) La stratégie de la meute de chiens.
Elle consiste à contre attaquer le pouvoir formel de front en l’acculant à la défaite par l’encerclement organisé de sa position et le refus collectif d’obéir à ses directives, dont les intentions sont auparavant disqualifiées et déligitimés aux yeux du personnel et de l’opinion. Elle exerce un chantage à la destruction de l’organisation au nom de la justice sociale confondue avec les intérêts ligués du personnel. Cette stratégie peut être combinée avec celle de la participation sous condition, dans le cadre d’une négociation qui implique la mise en jeu d’un rapport des forces explicite. Qu'elle soit révolutionnaire ou réformiste cette stratégie doit jouer pour être efficace sur le chantage à l’explosion incontrôlable et le glissement entre la visée réformiste et la volonté révolutionnaire doit être toujours instrumentalisé par la rhétorique comme possible.

2-3) Jeux politiques et gestion des relations de pouvoirs.

2-3-1) L’économie libérale et l’impasse politique.
Face à ces stratégies informelles, ceux qui dispose du pouvoir formel dans une entreprise libérale/capitaliste sont obligés d’utiliser la persuasion afin de faire admettre par le plus grand nombre que les décisions prises le sont dans l’intérêt de l’entreprise et de la majorité du personnel. Mais l’efficacité de ce type de discours se trouve immédiatement annulée dès lors que les actes semblent le démentir : licenciement en cascade, déplacement d’office, délocalisation, externalisation de services ; alors que l’entreprise fait des bénéfices. La pratique de l’exclusion semble être devenu de la part de la direction, un mode normal de gestion ; chacun se sent en permanence menacé, vit dans une précarité aussi moralement insupportable que le chômage.
Pour s’opposer à toutes les stratégies informelles et oppositionnelles il peut aussi tenter de mettre en place un réseau d’espionnage occulte et une tactique de division et de désinformation systématique ; il entre alors dans les jeux du pouvoir informel et perd alors toute possibilité d’user d’une quelconque autorité morale et toute stratégie d’influence de l’ensemble du personnel, plus ou moins charismatique, tourne à l’échec. La compétence économico-financière est disqualifiée parce qu’inhumaine ; les hommes ne se sentent plus considérés que comme des ressources exploitables et jetables. Un tel pouvoir formel s’affirme comme profondément injuste ; la violence réelle ou symbolique s’installe sans partage. Mais c’est le rapport de confiance inhérent à l’idée même de contrat qui se trouve alors détruit. Le jeu politique est inefficace, les conflits deviennent incontrôlables. C’est dire que l’économie ne crée aucun lien politique, si la politique (démocratique) ne vient lui imposer des règles sociales, elle tend même à le détruire et, ce faisant à détruire ses conditions éthiques de possibilité. Que faire pour éviter l’impasse ?

2-3-2) Quelques pistes pour gérer les conflits politiques dans l’entreprise.
Les relations de pouvoir et les jeux politiques sont ingérables s'ils restent occultes, ou s’ils sont niés. Il vaut mieux un pouvoir d’influence formalisé et organisé (partis, syndicats etc.) avec qui une négociation donnant/donnant avec le pouvoir formel est possible, même si elle met en scène le conflit selon des procédures conventionnelles contraignantes, que de refuser les organisations oppositionnelles en prétendant qu’elles sont à l’origine des conflits ; c’est prendre l’effet pour la cause; sans syndicats, nous risquons la révolte destructrice et jusqu’au-boutiste, Car aucune médiation politique n’existe plus pour rendre possible un éventuel compromis.
La cogestion conflictuelle des entreprises reste à mon avis à l’ordre du jour : les difficultés actuelles en Allemagne tentent, à mon sens, à en prouver l’efficacité plutôt que le contraire. L’inscription de l’économie dans l’espace politique, social et éthique est indispensable pour quiconque privilégie le rapport des hommes entre eux plutôt que celui des hommes aux choses ; la seule stratégie qui vaille à terme dans les relations humaines reste la stratégie gagnant/gagnant dans laquelle la défaite ne peut et ne doit être qu’un stimulant provisoire en vue de l’amélioration de la qualité de la vie ensemble.
C’est à la politique de fixer un cadre à l’économie, humainement supportable pour tous; celle-ci, quoiqu’en disent certains économistes myopes, n’est qu’un aspect, pas forcément ni définitivement le plus important, des relations humaines. Il nous faudra bien un jour nous poser la question : quelles finalités sociales et privées, voire intimes, les hommes devront-ils se donner, sans activités économiquement contraintes, lorsque le temps libre absorbera l’essentiel du temps de vivre ?
Nos esclaves modernes que sont les machines informationnelles feront que les relations humaines seront plus politiques et érotiques qu’économiques ; ce qu’elles ont toujours été sans le savoir . Les relations de désirs apparaîtront telles qu’elles ont toujours été : des relations du désir au désir ; du désir de soi dans le désir des autres. Les humains devront alors tenter de vivre ensemble d’une manière plus intelligente et créatrice, sans avoir besoin de passer et de perdre l’essentiel de leur temps à se mesurer pour du fric et des objets fétiches. Qu’en sera-t-il alors des relations de pouvoir ?
2-3-3) Vers la domination du pouvoir informel sur le pouvoir formel et la dissolution de ce dernier.
Le pouvoir, avons-nous dit, a partie liée aux relations de désir, car tout désir est désir de sinon du pouvoir ; il est illusoire et donc dangereux de souhaiter la fin des relations de pouvoir, autant les rendre les plus flexibles possible pour que chacun puisse prétendre au bonheur en en jouant et en se jouant d’elles.
Dans la mesure où certaines d’activités formellement contraintes survivront, et pour ceux qui " aiment ça ", le pouvoir formel restera nécessaire ; mais en l’absence de légitimité stable, il apparaîtra comme un jeu parmi d’autres, aussi fictif qu’un jeu théâtral, bien que techniquement plus efficace dans le cas d’une organisation qui vise comme son objectif premier de se conserver de se reproduire le plus longtemps possible. Mais les acteurs n'accepteront de jouer cette comédie que dans la mesure où ils penseront y trouver, symboliquement et/ou financièrement, leur compte...Les règles, les rôles et les enjeux de cette comédie/jeu seront en permanence contestés et devrons périodiquement être renégociés ; mais, il me semble, que personne ne pourra et ne devra plus prétendre que ce jeu de pouvoir est l’expression d’une quelconque inégalité naturelle et/ou sociale supposée invariante sans se voir immédiatement disqualifié, voire ridiculisé, comme on le voit déjà en politique (ex : les guignols de l’info.); comme au théâtre les rôles pourraient être redistribués selon les exigences des différents scénarios. Nous voyons déjà se développer cette transformation dans la gestion de production par projets. Un signe qui ne trompe pas est l’emploi généralisé du terme acteur pour désigner les membres de l’organisation et plus largement tout partenaire d’une transaction. Personne ne pourra plus accrocher à tel ou tel rôle le sens et la valeur " permanentés " de son être, si ce n’est en un temps limité et à la condition d’être à tout moment capable de jouer d’autres rôles dans le jeu de pouvoir, voire d’autres jeux, y compris ceux des partenaires. Chacun devra se sentir virtuellement compétent de changer de rôle. Quant à la question de savoir qui et comment les rôles seront distribués, des procédures cogérées finiront par s’imposer, dès lors qu’aucunes autres ne paraîtront acceptables aux acteurs. Les relations de pouvoir informelles seront alors au centre du fonctionnement du pouvoir formel.
En ce qui concerne les activités ludiques collectives, non soumises aux contraintes économiques, mais socialement indispensable pour occuper le temps de loisir et répondre au désir de socialisation constitutif de toute recherche personnelle du bonheur (réseaux associatifs, clubs de loisirs...), Elles feront dominer les relations informelles de pouvoir et d’influence ; car aucun pouvoir formel ne pourra s’imposer aux acteurs sans leur accord constant qu’il lui faudra obtenir par la rhétorique et la qualité du service rendu. La qualité vécue des relations de désirs en sera le seul fondement ; ce qui obligera à définir et à respecter des règles éthiques de réciprocité pour que ces jeux relationnels ne soient pas à somme nulle, ce qui provoquerait leur rejet immédiat ; les relations humaines ne seraient plus que des relations sportives, culturelles, esthétiques et érotiques et perdraient toute finalité économique ; ce dont on n’aurait aucune raison de se plaindre : en l’absence d’un Dieu au ciel (salut post-mortem) et sur terre (l’argent) que nous resterait-il que de nous aimer et de nous exprimer pour le plaisir en des relations de pouvoir informelles indéfiniment réversibles?

Retour à la première page de "Relations de pouvoirs..."
Retour à la deuxième page de "Relations de pouvoirs..."

(Im)puissance et haine des autres

C’est un grand classique: quand on se sent victime de plus puissants que soi, contre lesquels aucun moyen de lutte efficace n’est disponible, on s’en prend à de plus faibles que soi qui jouent alors le rôle défouloir de souffre(s)-douleur(s) ou de boucs emmissaires; ce qui présente en outre l’avantage de se croire partie prenante de la puissance de ceux contre lesquels on ne peut rien et dont on est réellement victime.

L’union sacrée contre des immigrés misérables et qui n’ont guère de moyens de se défendre ou contre des ennemis intérieurs d’autant plus menaçants qu’il sont fantasmés, à plus forte raison s’ils sont facilement repérables par tel ou tel détail physique, confère une puissance compensatrice illusoire revalorisante et sans frais.

Le diabolisation des autres plus faibles que soi (étrangers, immigrés, sexuellemment différents etc..) est la marque infaillible de sa propre impuissance déniée et dans le même temps la cause de l’accroissement de cette impuissance par l’incapacité d’en prendre conscience dans l’illusion de participer à la puissance de ceux, plus puissants que soi, à qui on s’identifie. Cercle vicieux par lequel il est possible d’expliquer par là aussi bien le racisme, la xénophobie et le sexisme.
le 29/04/06


Retour à la page d'accueil