Toute autorité réelle doit combiner
l’efficacité
et la légitimité pour s’imposer durablement sans devoir
utiliser
la violence terroriste permanente:
- Sans autorité morale, justifiée au nom des valeurs
fondatrices du lien social, l’autorité formelle est une
autorité
légale mais illégitime et donc menacée par une
résistance
plus ou moins violente. Plus elle recoure à la terreur pour
s’opposer
à cette résistance plus elle perd de son autorité,
y compris légale.
- Sans moyens et usage de moyens de contrainte ou de sanction violents
légalisés, une autorité, même
légitime,
est vite mise en situation d’échec par son incapacité
à
imposer des arbitrages entre des intérêts divergents,
d’autre
part elle devient incapable de faire respecter l’ordre
nécessaire
à la mise en œuvre des objectifs communs, au maintien des
conditions
hiérarchiques du fonctionnement et de la reproduction de
l’organisation
et au respect des contrats privés. Sa légitimité
est
alors compromise et donc, tout à la fois, son efficacité
et sa justification.
La combinaison entre les moyens et les sources de
légitimité
du pouvoir sont plus ou moins efficaces, car les moyens sont plus ou
moins
compatibles avec les fins et les valeurs fondatrices de cette
légitimité.
· La violence terroriste aveugle, purement humaine et apolitique
(illégale) est sans légitimité et ne
confère
aucune autorité, mais un simple pouvoir ponctuel
d’éliminer,
de contraindre ou d’intimider.
· La violence religieuse illimitée peut être
efficace
auprès d’une population de croyants dès lors que cette
violence
est présentée comme l’expression de la volonté
sacrificielle
et salvatrice de Dieu, en vue du salut de la communauté
purifiée
des différences qui s’opposent à sa réconciliation
fusionnelle. Tout pouvoir théocratique dispose, par
définition,
d’un droit illimité d’user de la violence, à moins qu’il
n’ait fait de la non-violence universelle une valeur sacrée.
· La violence traditionnelle est ritualisée, et à
ce titre, fortement contrôlée et orientée vers les
ennemis de la communauté ou des victimes émissaires
dûment
ciblés. Le groupe détourne ainsi la tentation de la
violence
indifférenciée et autodestructrice pour faire de cette
violence
justifiée et symboliquement " ajustée " la condition du
renforcement
de son unité ; son efficacité dépend de la
capacité
des dirigeants à se référer à des mythes
fondateurs
est au passé identitaire de la communauté.
· La violence rationnelle est légalisée ; elle
applique la loi pénale graduée selon un code de sanctions
précis que chacun connaît ; elle accorde au suspect le
droit
de se défendre ainsi que de faire appel d’une sanction ou d’un
jugement
dont la légalité et le contenu peuvent être
réexaminés
: c’est pourquoi la peine de mort est problématique ; elle
interdit,
en l’absence de jugement dernier divin (Dieu reconnaîtra les
siens
!), tout recours ou révision du procès et de la sanction.
Son efficacité est durable et dissuasive : le pouvoir est
reconnu
comme nécessaire, y compris de ceux qui violent la loi. La
violence
rationalisée et légalisée est pacificatrice, au
point
de ne plus être perçue comme violence humaine mais comme
un
contrainte quasi-naturelle ; La force de la loi s’oppose à la
loi
de la force.
· La violence démocratique est en général
légale mais peut, dans des situations de crise politique,
devenir
illégale, lorsque la légalité n’apparaît
plus
comme légitime et lorsque les droits fondamentaux du peuple
semblent
bafoués. Elle se limite habituellement au juste
nécessaire
pour rendre la vie sociale possible dans le respect des libertés
individuelles différenciées. La démocratie, pour
ce
faire, sépare les pouvoirs législatifs, exécutifs
et judiciaires de telle sorte que le pouvoir limite le pouvoir au
profit
des libertés des citoyens. L’efficacité de la violence
démocratique
est toujours tributaire d’un débat entre citoyens sur sa
légitimité,
ce qui fait du pouvoir démocratique un pouvoir faible à
court
terme et fort à long terme si les conditions sociales sont
favorables
: égalité des chances, progrès et
sécurité
sociale pour tous. Le pouvoir démocratique est par essence
paradoxal
puisqu’il soumet les dirigeants au contrôle des dirigés
qui
peuvent régulièrement les remplacer : à la limite,
les dirigeants sont dirigés par ceux qu’ils dirigent au risque
de
rendre impossible toute continuité de direction ; c’est pourquoi
le jeu démocratique est toujours soumis à un encadrement
politique (les partis) et technocratique (les experts) quand ce n’est
pas
à l’autorité monarchique, bien qu’élective, d’un
président
élu pour sept ans.
Dans l’entreprise, non démocratique et qui ne peut
l’être,
mais dans laquelle, chez nous, l’esprit de la démocratie ne peut
totalement être laissé au vestiaire, la violence
réelle
et symbolique s’exerce par le licenciement plus ou moins légal,
sinon légitime, et l’usage de la menace de licenciement. Deux
cas
sont à distinguer :
· Lorsqu’il s’agit d’un licenciement justifié
légalement
pour faute professionnelle, cette violence est légitime ou
considérée
comme telle, à condition que les droits de la défense du
" licenciable " soient respectés.
· Lorsqu’il s’agit d’un licenciement prétendument
économique,
il n’est pas et ne peut être considéré comme
légitime
par le personnel dès lors que celui-ci se sent victime d’une
situation
dont il n’est pas responsable et d’une sanction qu’il n’a pas
mérité
; tout au plus la décision de la direction peut-elle être
interprétée par le personnel comme la conséquence
d’une réalité objective quasi-naturelle ; mais encore
faudrait-il
qu’il soit convaincu par ses dirigeants que ce licenciement est
imposé
par les circonstances et non pas pour maintenir ou accroître les
profits des investisseurs et améliorer la carrière et les
revenus des dirigeants, ce qui est le plus souvent le cas. L’argent,
s’il
est objet de désir individuel ne fonde aucune valeur
générale,
sauf pour des puritains qui croient voir dans la fortune un signe
d’élection
morale et religieuse. L’argent divise ; il n’a donc aucune
légitimité
politique.
La légitimité du pouvoir légal, dans les
entreprises,
dès lors qu’il repose sur l’argent et la finalité du
profit
particulier, est par essence problématique ; elle dépend
de l’attitude de la direction et de l’encadrement et de la
régulation
du conflit entre le capital et le travail (compromis social) et du type
de management, autoritaire et coercitif ou participatif, voire
cogéré
(Allemagne). Si elle ne peut être acquise a priori, elle exige un
travail politique et rhétorique permanent qui doit joindre les
paroles
aux actes pour persuader, sinon convaincre des bons sentiments du
pouvoir
de la direction et des investisseurs pour développer
l’entreprise,
améliorer sa rentabilité au service de tous, maintenir et
créer des emplois. Rude tâche qui exige un charisme
à
toute épreuve !
La compétence des dirigeants ne peut valoir comme source de
légitimité qu’à la condition d’être mise,
(au
moins apparemment) au service de tous et non pas des seuls
intérêts
des investisseurs, ce qui ne va pas nécessairement de soi. Le
management
peut agir soit par l’usage de la crainte ou de l’espoir de gain
individuel
(motivations primaires), soit par la mise en œuvre d’un esprit de
coopération
en vue d’une gratification collective et personnelle, réelle ou
symbolique : salaires élevés, assurance de l’emploi,
promotions
transparentes, conditions de travail moins pénibles, autonomie,
esprit d’équipe et surtout la reconnaissance (motivations
secondaires).
N’oublions pas que la motivation de l’employé la plus efficace
en
terme de qualité, c’est le bonheur ou satisfaction personnelle
et
altruiste de se reconnaître dans un travail socialisé
valorisant.
A ne compter que sur les motivations primaires, le risque est de voir
se
développer une démotivation qui mettrait en cause la
qualité
du travail, des conflits dommageables pour l’esprit de
coopération
et une méfiance généralisée
génératrice
de comportements de sabotage masqués. La rentabilité de
l’entreprise
serait alors pour le moins compromise, quelques soient les mesures
techniques
prises ; à moins de remplacer systématiquement les hommes
par des machines, ce qui est peut-être en train de se passer en
effet.
2) Le pouvoir informel et
les
luttes de pouvoirs.
Une organisation est vivante parce qu’elle est traversée par
des contradictions et qu’elle est capable de les utiliser pour
survivre,
se reproduire et se développer, dans un environnement changeant
qui impose des contraintes et des opportunités qu’il faut
comprendre
et saisir. Parmi ces contradictions celles qui affectent les relations
de pouvoirs sont au centre de sa capacité d’adaptation et de
renouvellement.
· Un système de pouvoir trop formellement rigide
démotive
les acteurs, car aucun ne peut y inscrire de stratégie de
réussite
personnelle et décourage l’innovation et la lutte des
idées
et des initiatives qui lui sont nécessaires .
· Un jeu de relations de pouvoir peu formalisé ou trop
conflictuel aboutit à la paralysie, à
l’irresponsabilité,
à la démission, voire à l’éclatement et
à
la mort de l’organisation
· Un pouvoir formel qui renonce à faire usage de son
autorité et laisse les acteurs faire à leur guise ou
selon
leurs habitudes produit les mêmes résultats.
Entre ces trois écueils, il convient de comprendre, pour
pouvoir
en faire bon usage, les relations ambiguës, voire ambivalentes qui
se nouent entre le pouvoir formel et les pouvoirs informels.
Rappelons que j’appelle pouvoir informel un pouvoir d’influence
rhétorique
qui vise à persuader ou à convaincre que le
rhéteur
détient un savoir et un savoir faire bénéfique
à
ceux à qui il s’adresse et qu’à se titre il doit
être
écouté et entendu ; il vise à ce que ceux-ci lui
fassent
confiance et se regroupent autour de lui pour réaliser leurs
fins
particulières individuelles et collectives plus ou moins
cohérentes
avec celles de l’organisation définies par le pouvoir formel. Si
le pouvoir formel a pour mission de définir la politique
générale
de l’organisation, de la faire mettre en œuvre par les acteurs et de la
leur faire respecter en contrôlant leurs pratiques et leurs
résultats,
les pouvoirs informels ont pour objectif de permettre aux
différents
acteurs de faire valoir, dans ou contre le cadre du pouvoir formel,
leurs
intérêts privés, individuels ou collectifs. Il
convient
pour comprendre et mesurer l’espace de jeu entre le pouvoir
général
et les pouvoirs particuliers de s’interroger sur les rapports possibles
entre les intérêts soi-disant communs et les
intérêts
privés.
2-1) Buts privés et
but
commun
Le but commun de toute organisation est toujours de survivre, de se
reproduire et de se développer en partenariat ou en concurrence
par rapport à d’autres organisations ; dans une entreprise
capitaliste,
ce but passe obligatoirement par l’amélioration de sa
rentabilité
à plus ou moins long terme. Or ce plus et ce moins de
rentabilité
et de durée de prise en compte pour son évaluation (mis
à
part l’exercice légal et fiscal annuel) est l’enjeu d’un
conflit,
au sommet et à la base, entre les investisseurs, la direction et
les employés. Un fort investissement en recherche, par exemple,
peut faire baisser la rentabilité réelle immédiate
mais générer à long terme une rentabilité
éventuelle
supérieure. Les investisseurs peuvent privilégier le
court
terme par rapport au long terme ou l’inverse et, comme ce sont eux qui
détiennent le pouvoir formel en dernière instance, leur
décision
affecte les acteurs des recherches qui peuvent y être favorables
ou non selon leurs intérêts spécifiques. Plus
généralement
une décision de réduction des coûts de la force de
travail par des compressions de personnel ou des réductions de
salaires
réels sera contestée par le personnel qui se
considérera
victime de mesures pourtant justifiées par la direction au nom
de
la lutte contre la concurrence et de l’accroissement des parts de
marché
pour préserver les chances de survie de l’entreprise au
bénéfice
de tous. Soyons clairs sur ce point : afin d’accroître à
plus
ou moins long terme la rentabilité d’une entreprise, choisir a
priori,
, entre réduire les coûts de la force de travail et
améliorer
sa productivité organisationnelle et qualitative, entre une
flexibilité
interne et une flexibilité externe est indécidable, sauf
à privilégier tel type d’intérêt particulier
à telle date par rapport à telle autre. Les objectifs de
la direction, quelques soient ses compétences reconnues, ne sont
donc jamais considérés par les différents acteurs
comme les seuls capables d’assurer le but commun de l’entreprise. Ce
décalage
provient du fait que la meilleure voie n’est et ne peut jamais
être
la seule ; là comme ailleurs " la pensée unique " n’est
qu’un
procédé rhétorique utilisé par la direction
pour persuader fallacieusement que ses décisions valent pour
tous
et sont " incontournables ", car imposées par la conjoncture et
les intérêts de survie de l’organisation.
Contre cette réduction mystificatrice, les acteurs s’organisent
pour faire entendre d’autres discours et mettent en jeu des pratiques
qui
visent à exploiter, à détourner ou à faire
échec aux objectifs de la direction. Ils tentent de convaincre
l’ensemble
des acteurs mais aussi, en démocratie où sont en principe
reconnus les droits du travail, l’opinion et les pouvoirs publics,
qu’ils
défendent les intérêts communs de l’organisation et
doivent pour cela faire valoir leurs intérêts
spécifiques
comme nécessaires à la réalisation optimale de
ceux-là.
Un but perçu comme commun n’est donc qu’une alliance politique
négociable
qui " syncrétise " plus qu‘elle ne " synthétise " des
objectifs
différents voire contradictoires à la faveur de compromis
plus ou moins boiteux et provisoires. Pourquoi provisoires ? Parce que,
nous l’avons vu, une entreprise capitaliste ne peut fonder la
légitimité
de ces décisions ni sur la religion (encore que certaines
sectes/entreprises
tentent de s’y employer) ni sur la démocratie mais sur une vague
référence à une mythologie fabriquée de
bric
et de broc, mi-technocratique, mi-traditionnelle et identitaire
(culture
d’entreprise). Les objectifs de la direction sont toujours,
menacés
d’apparaître pour ce qu’ils sont : l’expression des
intérêts
du capital plus ou moins contradictoires avec ceux personnel, surtout
dans
les périodes de vaches maigres ou de forte concurrence sur le
marché
de l’emploi.
Les objectifs privés s’avancent masqués derrière
des justifications d’ordre général et varient selon la
position
hiérarchique et les ambitions des uns et des autres acteurs.
Tous
développent des stratégies de pouvoir informel que je
vais
tenter de conceptualiser et de classer.
2-2) Pouvoir informel et stratégies.
On peut classer ces différentes stratégies du moins vers le plus d’opposition apparente vis à vis du pouvoir formel selon leur but et leur méthode.
2-2-1) La stratégie du bernard-l’ermite
Elle vise pour l’acteur à s’installer dans les
différentes
positions du pouvoir formel pour y faire son nid, sous la protection
d’un
statut et des prérogatives qu’il autorise. L’ambition n’est pas
sa motivation dominante mais la sécurité ; il s’agit pour
lui de s’immerger le plus possible dans un rôle qui lui garantit
une survie maximale et éventuellement des perspectives de
promotion
à l’ancienneté. Il aime faire correctement son travail,
résiste
à toute innovation des méthodes et refuse les initiatives
risquées ; il aime la routine et les procédures qui ont
fait
leur temps et leurs preuves. Il va tout mettre en œuvre pour
démontrer
à ses supérieurs en parole et en actes que le changement
est dangereux, techniquement et politiquement ; il est l’allié
d’un
pouvoir traditionnellement fort et prévisible, mais
résiste,
sans en avoir l’air, par le recourt à son savoir-faire habituel,
à l’introduction de nouvelles méthodes et de nouveaux
rapports
entre les acteurs impliquant plus d’autonomie et d’initiative de leur
part.
Il rigidifie le fonctionnement de l’organisation en le bureaucratisant
par l’usage indiscutable de la compétence immuable ou du
métier
dont il se fait l’héritier et le défenseur
soupçonneux.
Il applique fait appliquer les consignes en les vidant de toutes marges
d’interprétation. Son mot d’ordre (c’est le cas de le dire) est
: chacun son métier et les vaches seront bien gardées.
2-2-2) La stratégie de
l’araignée.
Elle cherche à conquérir le pouvoir formel en s’appuyant
sur les acteurs à même de peser sur les décisions
en
tissant des réseaux informels d’opposants potentiels et en
unifiant
les points de vue pour disjoncter le pouvoir formel de sa base
d’application,
la paralyser et, sans forcement l’éliminer, le vider de ses
fonctions
actives en le parasitant. Sa rhétorique s’appuie sur la
nécessité
du changement pour préserver les chances de l’organisation et
sur
les promesses de promotions des acteurs du réseau ; elle peut
très
bien aller de pair avec le maintien symbolique et la flatterie de ceux
qui occupent le pouvoir formel afin d’éviter des conflits
ouverts
plus difficilement contrôlables ; ceux-ci ne sont plus que des
coquilles
vides de toute substance active, le pouvoir réel leur
échappe
et nourrit les ambitions des membres du réseau jusqu’au moment
favorable
où ceux-ci les ferrons disparaître de la scène et
pourront
les remplacer sans crise, légalement.
2-2-3) La stratégie du castor.
Elle s’efforce de réaménager constamment l’organisation
et son environnement par une activité multiple et difficilement
contrôlable en prenant des initiatives formellement permises
jusqu'à
rendre le terrain méconnaissable et le pouvoir formel impuissant
face à la mise en œuvre de stratégies des acteurs de plus
en plus autonomes. Elle revendique l’enthousiasme des acteurs et leur
motivation
auto-valorisante pour s’adapter au changement nécessaire
à
l’amélioration des performances et de la
réactivité
de l’entreprise ; elle inscrit sa rhétorique dans
l’éthique
coopérative et prône le management participatif et les
conduites
transversales de projets (hors, voire anti-hiérarchiques) comme
la seule voie du succès ; c'est une vision sinon
prophétique
du moins missionnaire de l’entreprise qui domine le discours
rhétorique
de cette stratégie qui cherche à mobiliser tout le monde
ouvertement dans le cadre de réunions multifonctionnelles
fréquentes,
parfois journalières.
Le pouvoir formel se voit rapidement débordé et ne peut
plus exercer qu’un vague pouvoir d’arbitrage et d’animation symboliques
2-2-4) La stratégie du crabe.
Il s’agit de détourner la politique de la direction vers des
directions individuelles latérales difficilement
détectables
; l’acteur fait semblant de jouer le jeu, mais exploite toutes les
marges
de manoeuvre dont il dispose pour se dérober au contrôle
et
faire ses petites affaires tranquillement ; aucune idéologie
n’est
nécessaire, au contraire moins on fait de vagues, mieux cela
vaut.
L’influence est comportementale ; cette attitude a l’immense avantage
de
se diffuser quasi naturellement et donc ne nécessite aucun
effort
de mobilisation collective.
2-2-5) La stratégie du coucou-pirate .
Elle vise à se nourrir de la substance du pouvoir formel et
de mettre ses propres œufs dans son nid ; elle combine toutes les
stratégies
ci-dessus, selon les moments et les circonstances.
2-2-6) La stratégie de la meute de
chiens.
Elle consiste à contre attaquer le pouvoir formel de front en
l’acculant à la défaite par l’encerclement
organisé
de sa position et le refus collectif d’obéir à ses
directives,
dont les intentions sont auparavant disqualifiées et
déligitimés
aux yeux du personnel et de l’opinion. Elle exerce un chantage à
la destruction de l’organisation au nom de la justice sociale confondue
avec les intérêts ligués du personnel. Cette
stratégie
peut être combinée avec celle de la participation sous
condition,
dans le cadre d’une négociation qui implique la mise en jeu d’un
rapport des forces explicite. Qu'elle soit révolutionnaire ou
réformiste
cette stratégie doit jouer pour être efficace sur le
chantage
à l’explosion incontrôlable et le glissement entre la
visée
réformiste et la volonté révolutionnaire doit
être
toujours instrumentalisé par la rhétorique comme
possible.
2-3) Jeux politiques et gestion des relations de pouvoirs.
2-3-1) L’économie libérale et l’impasse politique.
Face à ces stratégies informelles, ceux qui dispose du
pouvoir formel dans une entreprise libérale/capitaliste sont
obligés
d’utiliser la persuasion afin de faire admettre par le plus grand
nombre
que les décisions prises le sont dans l’intérêt de
l’entreprise et de la majorité du personnel. Mais
l’efficacité
de ce type de discours se trouve immédiatement annulée
dès
lors que les actes semblent le démentir : licenciement en
cascade,
déplacement d’office, délocalisation, externalisation de
services ; alors que l’entreprise fait des bénéfices. La
pratique de l’exclusion semble être devenu de la part de la
direction,
un mode normal de gestion ; chacun se sent en permanence menacé,
vit dans une précarité aussi moralement insupportable que
le chômage.
Pour s’opposer à toutes les stratégies informelles et
oppositionnelles il peut aussi tenter de mettre en place un
réseau
d’espionnage occulte et une tactique de division et de
désinformation
systématique ; il entre alors dans les jeux du pouvoir informel
et perd alors toute possibilité d’user d’une quelconque
autorité
morale et toute stratégie d’influence de l’ensemble du
personnel,
plus ou moins charismatique, tourne à l’échec. La
compétence
économico-financière est disqualifiée parce
qu’inhumaine
; les hommes ne se sentent plus considérés que comme des
ressources exploitables et jetables. Un tel pouvoir formel s’affirme
comme
profondément injuste ; la violence réelle ou symbolique
s’installe
sans partage. Mais c’est le rapport de confiance inhérent
à
l’idée même de contrat qui se trouve alors détruit.
Le jeu politique est inefficace, les conflits deviennent
incontrôlables.
C’est dire que l’économie ne crée aucun lien politique,
si
la politique (démocratique) ne vient lui imposer des
règles
sociales, elle tend même à le détruire et, ce
faisant
à détruire ses conditions éthiques de
possibilité.
Que faire pour éviter l’impasse ?
2-3-2) Quelques pistes pour gérer
les
conflits politiques dans l’entreprise.
Les relations de pouvoir et les jeux politiques sont ingérables
s'ils restent occultes, ou s’ils sont niés. Il vaut mieux un
pouvoir
d’influence formalisé et organisé (partis, syndicats
etc.)
avec qui une négociation donnant/donnant avec le pouvoir formel
est possible, même si elle met en scène le conflit selon
des
procédures conventionnelles contraignantes, que de refuser les
organisations
oppositionnelles en prétendant qu’elles sont à l’origine
des conflits ; c’est prendre l’effet pour la cause; sans syndicats,
nous
risquons la révolte destructrice et jusqu’au-boutiste, Car
aucune
médiation politique n’existe plus pour rendre possible un
éventuel
compromis.
La cogestion conflictuelle des entreprises reste à mon avis
à l’ordre du jour : les difficultés actuelles en
Allemagne
tentent, à mon sens, à en prouver l’efficacité
plutôt
que le contraire. L’inscription de l’économie dans l’espace
politique,
social et éthique est indispensable pour quiconque
privilégie
le rapport des hommes entre eux plutôt que celui des hommes aux
choses
; la seule stratégie qui vaille à terme dans les
relations
humaines reste la stratégie gagnant/gagnant dans laquelle la
défaite
ne peut et ne doit être qu’un stimulant provisoire en vue de
l’amélioration
de la qualité de la vie ensemble.
C’est à la politique de fixer un cadre à
l’économie,
humainement supportable pour tous; celle-ci, quoiqu’en disent certains
économistes myopes, n’est qu’un aspect, pas forcément ni
définitivement le plus important, des relations humaines. Il
nous
faudra bien un jour nous poser la question : quelles finalités
sociales
et privées, voire intimes, les hommes devront-ils se donner,
sans
activités économiquement contraintes, lorsque le temps
libre
absorbera l’essentiel du temps de vivre ?
Nos esclaves modernes que sont les machines informationnelles feront
que les relations humaines seront plus politiques et érotiques
qu’économiques
; ce qu’elles ont toujours été sans le savoir . Les
relations
de désirs apparaîtront telles qu’elles ont toujours
été
: des relations du désir au désir ; du désir de
soi
dans le désir des autres. Les humains devront alors tenter de
vivre
ensemble d’une manière plus intelligente et créatrice,
sans
avoir besoin de passer et de perdre l’essentiel de leur temps à
se mesurer pour du fric et des objets fétiches. Qu’en sera-t-il
alors des relations de pouvoir ?
2-3-3) Vers la domination du pouvoir informel sur le pouvoir formel
et la dissolution de ce dernier.
Le pouvoir, avons-nous dit, a partie liée aux relations de
désir,
car tout désir est désir de sinon du pouvoir ; il est
illusoire
et donc dangereux de souhaiter la fin des relations de pouvoir, autant
les rendre les plus flexibles possible pour que chacun puisse
prétendre
au bonheur en en jouant et en se jouant d’elles.
Dans la mesure où certaines d’activités formellement
contraintes survivront, et pour ceux qui " aiment ça ", le
pouvoir
formel restera nécessaire ; mais en l’absence de
légitimité
stable, il apparaîtra comme un jeu parmi d’autres, aussi fictif
qu’un
jeu théâtral, bien que techniquement plus efficace dans le
cas d’une organisation qui vise comme son objectif premier de se
conserver
de se reproduire le plus longtemps possible. Mais les acteurs
n'accepteront
de jouer cette comédie que dans la mesure où ils
penseront
y trouver, symboliquement et/ou financièrement, leur
compte...Les
règles, les rôles et les enjeux de cette
comédie/jeu
seront en permanence contestés et devrons périodiquement
être renégociés ; mais, il me semble, que personne
ne pourra et ne devra plus prétendre que ce jeu de pouvoir est
l’expression
d’une quelconque inégalité naturelle et/ou sociale
supposée
invariante sans se voir immédiatement disqualifié, voire
ridiculisé, comme on le voit déjà en politique (ex
: les guignols de l’info.); comme au théâtre les
rôles
pourraient être redistribués selon les exigences des
différents
scénarios. Nous voyons déjà se développer
cette
transformation dans la gestion de production par projets. Un signe qui
ne trompe pas est l’emploi généralisé du terme
acteur
pour désigner les membres de l’organisation et plus largement
tout
partenaire d’une transaction. Personne ne pourra plus accrocher
à
tel ou tel rôle le sens et la valeur " permanentés " de
son
être, si ce n’est en un temps limité et à la
condition
d’être à tout moment capable de jouer d’autres rôles
dans le jeu de pouvoir, voire d’autres jeux, y compris ceux des
partenaires.
Chacun devra se sentir virtuellement compétent de changer de
rôle.
Quant à la question de savoir qui et comment les rôles
seront
distribués, des procédures cogérées
finiront
par s’imposer, dès lors qu’aucunes autres ne paraîtront
acceptables
aux acteurs. Les relations de pouvoir informelles seront alors au
centre
du fonctionnement du pouvoir formel.
En ce qui concerne les activités ludiques collectives, non
soumises
aux contraintes économiques, mais socialement indispensable pour
occuper le temps de loisir et répondre au désir de
socialisation
constitutif de toute recherche personnelle du bonheur (réseaux
associatifs,
clubs de loisirs...), Elles feront dominer les relations informelles de
pouvoir et d’influence ; car aucun pouvoir formel ne pourra s’imposer
aux
acteurs sans leur accord constant qu’il lui faudra obtenir par la
rhétorique
et la qualité du service rendu. La qualité vécue
des
relations de désirs en sera le seul fondement ; ce qui obligera
à définir et à respecter des règles
éthiques
de réciprocité pour que ces jeux relationnels ne soient
pas
à somme nulle, ce qui provoquerait leur rejet immédiat ;
les relations humaines ne seraient plus que des relations sportives,
culturelles,
esthétiques et érotiques et perdraient toute
finalité
économique ; ce dont on n’aurait aucune raison de se plaindre :
en l’absence d’un Dieu au ciel (salut post-mortem) et sur terre
(l’argent)
que nous resterait-il que de nous aimer et de nous exprimer pour le
plaisir
en des relations de pouvoir informelles indéfiniment
réversibles?
(Im)puissance et haine des autres C’est un grand classique:
quand on se sent victime de plus puissants que soi, contre lesquels
aucun moyen de lutte efficace n’est disponible, on s’en prend à de plus
faibles que soi qui jouent alors le rôle défouloir de
souffre(s)-douleur(s) ou de boucs emmissaires; ce qui présente en outre
l’avantage de se croire partie prenante de la puissance de ceux contre
lesquels on ne peut rien et dont on est réellement victime.
Le
diabolisation des autres plus faibles que soi (étrangers, immigrés,
sexuellemment différents etc..) est la marque infaillible de sa propre
impuissance déniée et dans le même temps la cause de l’accroissement de
cette impuissance par l’incapacité d’en prendre conscience dans
l’illusion de participer à la puissance de ceux, plus puissants que
soi, à qui on s’identifie. Cercle vicieux par lequel il est possible
d’expliquer par là aussi bien le racisme, la xénophobie et le sexisme.
le 29/04/06