Vie et mort du patriarcat

La question des femmes et de leur statut dans les sociétés traditionnelles ne peut se comprendre que dans le cadre de la question de la famille comme mode de reproduction sociale obligatoire laquelle implique ou exige le certitude quant la filiation et quant à la circulation des femmes entre les clans familiaux pour lier ces clans en cette forme obligatoire de solidarité inter-clanique que constitue la tribu. C’est cette tradition qui est aujourd’hui mise en cause par la modernité, la question est donc de avoir si cette mise en cause est justifiée et donc politiquement nécessaire pour accéder à une société plus démocratique et libérale, si donc le féminisme est un facteur ou non de progrès.

La famille patriarcale, dans toutes les sociétés pré-modernes, est la base de la constitution du lien social sur un fond tribal de solidarité automatique qui met en jeu la circulation des biens matériels et culturels entre les générations, elle même indissociable de celle des femmes entre clans familiaux. C'est pourquoi, dans les sociétés traditionnelles, les liens de parenté sont au fondement de l'ordre social et la famille est la condition de la sociabilité, c'est-à-dire de la socialisation ou de l'intégration éducative des enfants au sein de l'ordre social.

C'est pourquoi la famille patriarcale qui consacre le pouvoir exclusif des hommes sur les femmes dans la société est nécessaire pour assurer cette filiation indispensable sur les plans économique et social dans la mesure où la paternité, au contraire de la maternité, est toujours problématique.Si les femmes sont libres sexuellement, la paternité devient plus problématique, c'est pourquoi les maris, actuels ou futurs, doivent assurer leur pouvoir exclusif sur leurs épouses : aucun homme ne peut avoir cette assurance, sans un contrôle étroit sur sa femme et le confinement de celle-ci dans l'espace domestique où ce contrôle peut être facilement assuré par pères, frères ou maris. Dans les cas extrêmes c'est l'excision ou l'infibulation et, dans une moindre mesure, la virginité des femmes avant mariage et la condamnation exclusive de l'adultère des femmes (lapidation ou prostitution honteuse réputée infertile ou asociale du fait de l'exclusion des bâtards de toute lignée clanique), qui peut enfin garantir la certitude de la paternité.

Mais ce pouvoir patriarcal se justifie aussi par les faits, d'une part, que seules les femmes peuvent biologiquement tomber enceintes et nourrir leurs enfants en bas âge et que d'autre part, ne pouvant être au four et au moulin, elles doivent, pour assurer cette fonction reproductrice, laisser les hommes maîtres du pouvoir économique, social, politique et militaire qui conditionne la vie domestique et la survie de l'ordre social face aux autres sociétés ou groupes étrangers. N'oublions pas que la conquête virile commence par le fait que le conquérant doit (voire se donne le droit de) soumettre par le viol ou le mariage forcé les femmes du groupe social conquis pour casser, interrompre ou détourner les liens de filiation de ce dernier à son profit, mais aussi pour convaincre le vaincu et se convaincre lui-même de sa puissance supérieure, naturelle et divine, à savoir sexuelle et raciale.

Cette domination des femmes par les hommes, en effet, se donne toujours des fondements religieux imaginaires (et toutes les religions, comme machines d'un pouvoir idéologique constitutif de l'ordre politico-social sont toutes plus ou moins sexistes et misogynes), dès lors que, pour toutes les religions, sexes naturels ou biologiques et genres ou statuts sociaux confondus sont inséparables d'une ordre divin sacré (intouchable) qui fonde, dans l'éternité de la tradition ancestrale mythique, l'ordre social, son autorité sur les esprits (légitimité) et sa pérennité. L'être naturel et l'être divin, comme l'homme dieu et le dieu homme, ne font qu'un pour toutes les religions qui s'efforcent de confondre nature et puissance surnaturelle afin de cristalliser ou pétrifier les liens sociétaux et d' interdire la possibilité :

  1. de l'ouverture de l'espace politique à une contestation permanente des relations de pouvoir entre les sexes, transformés, par la religion sur-naturalisée, c'est-à-dire une religion où la nature est divinisée, en genres sociaux statutaires figés, car rendus incontestables dans l'imaginaire sexuel devenu, par la définition immobiles et inégalitaire des genres sociaux. (ce pourquoi il ne faut pas confondre le sexe biologique ou l'inclination sexuelle personnelle avec un genre social statutaire)

  2. de la mise en cause conséquente des rapports de filiation et de circulation des femmes entre clans qui conditionnent la reproduction des alliances tribales ou inter-claniques stables.

Or nul doute que le patriarcat est, dans nos démocraties, partout en crise, car il est délégitimé dans ses fondements religieux et naturalistes. Les genres ne définissent plus en droit, sinon en fait, les statuts quant aux rôles économiques, sociaux et politiques, voire militaires, des hommes et des femmes. Au nom des droits universels ou égaux des hommes et des femmes, l'égale liberté de chacun, quel que soit son sexe et/ou sa sexualité est affirmée comme une exigence fondamentale de la démocratie politique. La laïcité, à savoir la séparation en droit, sinon en fait, de l'état et de l'ordre politique et social par rapport à la religion, ainsi que la part grandissante des femmes dans le vie économique, mais aussi et surtout le pouvoir technique absolu que les femmes ont conquis, grâce à la contraception et à l'avortement légal, sur leur reproduction, ont rendu nécessaire et irréversible la contestation du patriarcat qui n'a plus les conditions en droit et en fait de s'exercer sans résistance et sanctions légales.

Mais si le patriarcat est politiquement mort, son cadavre, au travers de traditions de moins en moins capables d'assurer une autorité religieuse sacrée consensuelle (sans religion le sens du sacré se perd inexorablement), bouge encore. Et cela en particulier sous la forme d'un machisme pulsionnel agressif, voire physiquement (1femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon) ou psychologiquement extrêmement violent et de la discrimination à l'accès aux fonctions de pouvoir économique et politique. Le candidature à la présidence de la République de Ségolène Royal chez qui le féminisme anti-machiste est clairement affirmé, a brutalement ressuscité les réactions d'horreur et les insultes les plus traditionnelles dans l'espace politique français, encore idéologiquement conditionné par la loi salique, y compris chez nombre de dirigeants de gauche, vis-à-vis des femmes qui exercent la pouvoir ou y prétendent. Rappelons qu'il a fallu attendre la fin de le deuxième guerre mondiale, plus de 150 ans après la révolution française, pour que les femmes conquièrent le droit de vote, contre la droite et la gauche majoritairement unies, sous la troisième république, dans leur refus de voir les femmes participer à la vie citoyenne.

Ainsi, si la cadavre du patriarcat bouge encore, il convient alors, pour l'achever, d'être féministe en ce qui concerne les relations de pouvoir, pour assurer, dans les faits, l'égalité réelle entre les hommes et les femmes, jusqu'au moment où de théorique et d'idéale, cette égalité légale deviendra pratique, c'est-à-dire traditionnelle, sans pour autant être religieuse, sur le seul fondement intégré par chacun quels que soient son sexe biologique et/ou sa sexualité vécue, des droits universels de l'homme, libérés des droits divins et de la différenciation traditionnelle et religieuse , hiérarchique et statutaire, des genres..

L'avenir de la démocratie, chez nous, comme en Tunisie et partout dans le monde, se joue d'abord sur cette question de la place des femmes dans la cité et de leur égalité réelle avec les hommes.


Réponse à une question: Comment comprendre une domination comme une nécessité vécue par ceux qui la subissent? Comment comprendre la servitude volontaire?

1) Cette nécessité de la domination patriarcale , comme nécessité sociale et technique dans l’impossibilité technique et sociale de dissocier sexualité et reproduction, s’exprime précisément au travers de son universalité et procède justement de ce que le survie dans les sociétés traditionnelles ne laissait pas le choix aux femmes d’échapper à la domination patriarcale afin d’ assurer la filiation et la transmission des biens entre les générations, c’est à dire la reproduction de l’ordre social.

2) Les femmes elles-même étaient (sont) , dans les sociétés traditionnelles, convaincues de cette impossibilité d’échapper à la domination patriarcale et n’avaient (n’ont) même pas l’idée, sinon le désir, qu’elles pouvaient, sans mettre la société, leur vie et celle de leurs enfants en danger, vouloir s’en libérer, d’autant plus que la religion était sur ce plan terrorisante quant à l’au-delà (enfer etc..) et ici-bas (mépris, voire sanctions sociales mortelles). Allons plus loin : le grande majorité d’entre elles étaient (sont) plutôt fières et se sentaient (sentent) valorisées de participer, sous cette domination patrarcale, à la fonction qui leur était faire de préserver la stabilité de la famille, base fondamentale de la société et de sa reproduction. Comment alors expliquer que ce sont les mères qui "obligent" (et non pas forcent : une obligation n’est pas forcément vécue comme une contrainte ) les filles à accepter l’excision dont elles font la condition de la fidélité sexuelle ? Sinon qu’elles étaient (sont) ont convaincue que la domination patriarcale sexuelle et la fidélité qui en est la condition étaient ( sont) des valeurs qui les valorisent.

3) Une idéologie dominante ne domine que lorsqu’elle reçoit l’accord des dominé(e)s (lire à ce sujet de la servitude volontaire de La Boétie) et que cette domination leur semble justifiée pour elle(s) même (leur reconnaissance sociale génératrice de l’estime de soi) . Ainsi le simple soldat sait , sauf à se mettre en danger mortel face à l’ennemi, qu’il doit obéir aveuglement à sa hiérarchie et que cette obéissance lui sera reconnue et récompensée, comme constituant le facteur et le marqueur essentiel de sa valeur sociale personnelle.

4l La liberté individuelle, c’est à dire le désir d’autonomie, ne s’improvise(nt) pas : il(s) suppose(nt) des conditions sociales, techniques, idéologiques et éducatives favorables (ex : la contraception, l’avortement le rôle des femmes dans le vie économique, la laïcité, la démocratie politique, l’idée des droits universels de l’homme et du citoyen. La modernité libérale, constitutive du désir d’autonomie, est le résultat d’une longue histoire et elle est à son tour la condition d’une évolution, difficile à inventer dans ses modalités et donc plus ou moins dramatique dans ses effets , de la famille, de sa recomposition en faveur de l’autonomie personnelle (ex : la monoparentalité, la dite .homoparentalité etc..).

La morale collective ou l’éthique personnelle traditionnelles changent avec la société moderne qui fait, en droit sinon en fait, du changement démocratique et égalitaire son irréversible horizon de sens.

La parité est-elle nécessaire?

L' humanisme théorique va se trouver en difficulté face aux inégalités entre les hommes et les femmes, de fait et non de droit, si l'on  refuse de faire valoir la parité pour les corriger par la loi et cela jusqu’au moment où cette cette égalité de droit deviendra réelle. Seul un féminisme "temporaire" peut combattre efficacement le machisme patriarcal hérité des sociétés traditionnelles. C’est ce que montre l’exemple des sociétés du nord de l’Europe...

Le droit doit précéder les faits pour les transformer dans un sens humaniste . C’est précisément le rôle de la loi de la parité, en ce qui concerne la question des inégalités entre les hommes et les femmes qui n’ont précisément plus de justification sociétale fonctionnelle, mais restent idéologiquement prégnants chez les hommes, voire chez les femmes, inconsciemment, sinon consciemment..



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