La question du pouvoir du juge d'instruction et l'idée républicaine


La question que met en lumière l'affaire d'Outreau  réside bien dans le pouvoir exorbitant qu’accorde la procédure au juge d’instruction dès lors que cette procédure dite "inquisitoire" exclut ou minimise les droits de la défense. On ne peut se prévaloir de fait qu’un suspect pourrait être coupable pour faire litière de principe de son innocense présumée dès lors que la preuve de sa culpabilité n’est pas établie.

Compter sur le seul juge pour mettre en oeuvre ce principe, c’est faire de ce juge non un homme, mais un dieu (ou son représentant direct) qui pourrait être juste tout en étant, en sa personne, à la fois juge et partie ( à charge plus qu’à décharge). C’est en cela que le droit procéduriel français est l’héritier d’une justice de type religieux et peut sembler à juste titre attentatoire aux droits de l’homme indissociables du droit de la défense des individus contre l’état et ceux qui en exercent l’autorité.

On peut donc dire sans trop d’exagération que La république française n’est devenue laïque qu’en attribuant à l’état les prérogatives divines de l’église catholique dont le mode normal de fonctionnement est monarchique et non pas démocratique.

Le formalisme-alibi du juge Burgos signale cet héritage dans le droit, mais aussi le fait que sur une question ultra-sensible, la pédophilie, le juge d’instruction a tendance à se prémunir contre le risque d’être déjugé par l’opinion en refusant aux suspects le bénéfice de l’innocence qui suppose que l’on instruise à décharge autant qu’à charge. On aboutit alors au paradoxe suivant : Le pouvoir sans trop de limite du juge d’instruction devient par cela même très sensible aux passions collectives. Ce paradoxe n’est qu’apparent. Tout pouvoir excessif est menacé par la démagogie pour se donner une image de légitimité.

Le système français est donc par cette affaire condamné comme l’est l’idée républicaine confondue avec une religion civile.

Le 24/01/06


L’aveu de culpabilité devrait être récusé en tant que preuve de culpabilité: un tel aveu peut être extorqué ou la conséquence d’une crise psychologique personnelle; l’aveu ne peut être qu’un indice ou témoignage subjectif, lequel doit être confronté à des éléments objectifs validés. Le fait est que la garde à vue a essentiellement pour but d’obtenir l’aveu, c’est pourquoi la présence active de l’avocat en tant que défenseur pour instruire à décharge n’est pas, à ce stade de la procédure, requise.

Le paradoxe de l’aveu comme finalité conclusive de la procédure, dans le cadre d’une procédure inquisitoire, est qu’elle crée les conditions de cet aveu en un jeu de rôle pervers (qui détourne de la recherche de la vérité) dans lequel l’inculpé est incité à se déclarer coupable pour bénéficier de la clémence du juge.

C’est très exactement une reprise de la démarche inquisitoriale qui exigeait l’aveu du péché mortel d’hérésie pour sauver la justice divine de tout soupçon et pour éviter au présumé coupable d’être condamné à être brûlé vif en place publique. Etant entendu qu’en faisant condamner des innocents, Dieu reconnaîtrait et sauverait les siens après leur mort pour avoir concouru par leur aveu à sa gloire.

S’il n’ y a plus de Dieu, ni de salut post-mortem, le gloire de la république et de sa justice exige néamoins, pour être sauves, l’aveu en tant que la preuve de culpabilité par excellence. Ce par quoi la vision française de la république et de sa justice reste profondément religieuse.

Le 24/01/06


Question: "Peut-on admettre que la restriction des pouvoirs du juge d'instruction s'accompagne de la protection de délinquants.?"

Cette notion de "protection du délinquant" me paraît déplacée: comment savoir si l'inculpé est ou non délinquant avant que d'être jugé et que les faits criminels aient été instruits à charge et à décharge?

Le principe même qui veut qu'un inculpé soit présumé innocent avant que les preuves de sa culpabilité soient établies implique une limitation du pouvoir du juge à instruire à sens unique, car il est difficile à un homme de ne pas présumer coupable celui qu'il soupçonne et qui ne peut lors de la procédure d'instruction être défendu par qui que ce soit d'autre. C'est accorder à un homme le pouvoir surhumain d'instruire à décharge un autre homme qu'il soupçonne nécessairement dès lors qu'une procédure a été engagée contre celui qui a été inculpé.

Si cela signifie que, dans certains cas, un coupable peut échapper à la sanction, cela veut dire que la justice s'est trompée et que cette injustice de fait éventuelle est le prix à payer pour préserver les innocents d'une sanction arbitraire qui serait, si elle est rendu possible par le droit, une injustice du droit lui-même.

Nous avons donc le choix entre une injustice factuelle et une injustice principielle et du point de vue du droit libéral (qui doit défendre les libertés individuelles) le choix me paraît limpide: la justice en droit suppose la possibilité de l'injustice factuelle. À moins pour le juge de se prendre pour Dieu le père!
Le 29/01/06


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