Nation et libéralisme


Dialogue  entre Florentin Piffard (FP) en rouge (ses articles) , rédacteur sur Agoravox et Sylvain Reboul (SR en vert)


Sylvain Reboul

La question se pose de savoir si la notion de nation n'est pas pipée dès lors qu'elle oppose les nationalistes exclusifs et xénophobes de tous poils et ceux qui font de la nation l'ensemble des citoyens actuels ou futurs y compris donc ceux qui sont les immigrés et qui par leur travail et leurs impôts contribuent à l'économie et à la vie sociale.
La question du droit de vote aux étrangers immigrés, comme cela commence à se pratiquer pour les étrangers européens dans l'UE (je vote moi-même pour les élections locales et européennes en Allemagne) est décisive car ce droit de vote me semble faire de la nation un usage anti-nationaliste et permet par conséquent de distinguer les nationalistes exclusifs d'avec les démocrates qui font passer la citoyenneté avant, voire contre cette hypothétique et perverse sur le plan politique notion d'identité nationale.
Pourquoi donc, pour ceux qui se réclament de la citoyenneté universelle, continuer à faire encore usage de ce fantasme ou fiction politiques dont on sait qu'ils risquent pervertir la démocratie citoyenne en son contraire:l'affirmation d'une identité ethnique imaginaire dominatrice et donc contraire
aux droits de l'homme et du citoyen.
Citoyens français encore un effort si vous voulez être démocrates et refuser le terme même de nation en tant que catégorie politique ; laissez le aux
nationalistes xénophobes pour les combattre clairement.


Florentin Piffard

A vous suivre donc, "nationalistes xénophobes" est un pléonasme. La nation est
intrinsèquement xénophobe ?



SR

Je dis que c'est une notion piégée par le nationalisme et donc un piège pour les démocrates et qu'il vaut mieux, pour eux, parler de république comme ensemble des citoyens et/ou de pays légal, lesquels peuvent être cosmopolites et multi-culturels, que de nation.



FP

C'est donc bien la nation française, en tant que territoire délimité, possédant une histoire et une culture spécifique, qui est intrinséquement mauvaise et dont il faut se débarasser, au profit d'un espace indéfini et organisé par normes vides et purement formelles qui se contenteront de faciliter la consommation insensée d'Homo Oeconomicus jusqu'à ce qu'il en crève. Pas de passé, pas d'avenir.


SR

Mon passé culturel et historique n'est pas plus français qu'allemand ou grec..., dès lors que je pratique l'histoire de la pensée et de la philosophie, et cela n'a rien de purement formel comme vous pouvez le constater sur mon site...
Mon passé et donc mon histoire ne sont pas nationaux, comme probablement la vôtre et celle de tout esprit cultivé et ouvert. Le civilisation est universelle ou n'est qu'un crétinisme intellectuel de plus qui ne vaut pas mieux que celui des supporters d'une équipe de foot.


FP

La culture ne peut pas se passer de formes nationales.
De quel genre de "culture" l'Europe, organisée selon les principes du libéralisme politique et économique est-elle porteuse ? Que restera-t-il de la
"culture" quand vos principes libéraux, qui vident de toute substance les formes politiques, qui refusent la moindre hiérarchisation des cultures qui pourrait être avancée au nom d'une fin politique que nous pourrions juger bonne auront complètement triomphés ? Le tout est égal qui sous-tend le libéralisme politique est mortifère et mène à la mort de la grande culture à laquelle la nation française vous a un jour donné un accès. Parce qu'un professeur croyait en la valeur de ce qu'il vous enseignait. Il ne s'agissait pas que de normes juridico-économiques vides. Et vous voulez refuser cela à vos enfants au nom d'une égalité de toutes les cultures ?
Pour s'affranchir de ses limites nationales et devenir citoyen du monde encore faut-il que ces limites existent ! C'est parce qu'il existe des frontières que les différences existent et qu'elles peuvent être surmontées. La frontière est une condition nécessaire et non suffisante pour la persistance de ces fameuses  différences dont on nous rebat les oreilles sans se rendre compte qu'elles ont besoin de substance pour exister.
Mais si vous avez peur de la Nation, pourquoi ne vous méfiez-vous pas de la République ? La république romaine (le modèle de nos révolutionnaires) soumettait ses voisins de la plus atroce des façons (sans parler de l'esclavage et du droit de vie et de mort sur ses sujets du Pater familias). Au 20ème siècle la république est une forme politique qui a connu des avatars assez criminels (URSS, RPC qui a mis en 1949 sur le même plan toutes ses nationalités et qui aujourd'hui développe un concept de développement "scientifique" qui se rapproche de votre libéralisme vide et anti-religieux, pardon pour les  redondances).


SR

Je le regrette pour vous: je vis aussi bien en Allemagne qu'en France.
Je ne suis pas pour autant relativiste, au sens je ne pense pas que toutes les idées se valent, mais je sais que la pensée de Descartes n'est pas plus
française que Hollandaise ou Allemande et que ses lettres à Hobbes, Elisabeth la princesse palatine, ou Christine de Suède sont un témoignage comme son "Discoursde la Méthode" que toute pensée créatrice est nécessairement cosmopolite et que les frontières ne constituent en rien le dynamisme d'une culture, bien au contraire. La culture civilisationnelle est toujours trans-frontralière, comme l'affirme Descartes dans le texte le plus célèbre de la philosophie "française" (rendu référence quasi-obligatoire en terminale).C'est la leçon de toute notre histoire culturelle et particulièrement des philosophes des Lumières qui sont l'honneur universel de l'histoire mondiale de la culture et non pas seulement et encore moins principalement ou "principiellement " de notre histoire nationale.

.

FP

Ne regrettez rien, votre bonheur à vivre en Allemagne ne m'enlève rien et ne contredit nullement ce que j'avance. La renaissance fut d'abord italienne, les lumières françaises (même s'il y en eu d'écossaises), le romantisme allemand.
Chacun de ces mouvements sont nés dans une culture donnée, toutes européennes. Cela a n'a aucune importance ? Je remarque par ailleurs que vous ne répondez rien sur le nihilisme intrinsèque du libéralisme.



SR

Le libéralisme politique et philosophique, qu'il ne faut pas confondre avec la dictature de capitalisme financier dérégulé (qui est de fait plutôt
mercantiliste), n'est en rien nihiliste puisqu'il affirme les droits de l'homme et du citoyen comme principes fondateurs de la vie publique et privée.
Le libéralisme est une éthique de la vie et une philosophie politique qui s'affirme comme indispensable pour réduire le risque de la violence (et il n'y
en a pas pire violence que celle du dogmatisme religieux politique ou nationaliste qui prétend à affirmer des valeurs, et des vérités transcendantes
substantielles auxquelles il faudrait se soumettre sans condition ou aveuglément) et promouvoir l'initiative des individus sociaux.
Vous semblez ne pas bien connaître la philosophie libérale. Je vous renvoie à mon site sur cette question ; vous y trouverez
nombre de textes d'auteurs classiques de références.


FP

Je ne sais si le ton professoral, limite méprisant, que vous adoptez ici, et qui ne me semble aucunement justifié par la superficialité des truismes que vous alignez ici, est très libéral.
Les droits, et puis quoi ?



SR

J'ai déjà répondu aux adversaires du libéralisme en leur demandant quelle était cette philosophie anti-libérale qui serait démocratique et pluraliste ; ils ne m'ont jamais répondu. Peut-être vous sentez-vous capable de le faire à leur place ?
Les droits de l'homme ne font pas à eux seuls la politique car c'est la politique qui doit permettre de les développer concrètement et de mettre en
oeuvre leurs conditions matérielles et juridiques. Donc à la question: droits de l'homme et puis quoi ? En terme de but de la vie publique rien d'autre... Il se suffisent à eux-mêmes, mais en terme de vie privée, c'est l'amour et/ou l'amitié .. dans la liberté ; la justice n'est pas l'amour ou l'amitié mais ceux-ci présupposent donc les droits de l'homme comme une condition idéale nécessaire, sinon suffisante, de la vie éthique et politique.
Je confirme donc: en tant que libéral "droitdelhommiste" je ne suis ninihiliste, ni relativiste.


FP

Le libéralisme refuse de se poser la question suivante: Qu'est-ce que la vie bonne ?
La démocratie dans le sens plein du terme ne doit pas se contenter de définirdes procédures ou de rechercher de nouveaux droits. La philosophie est un processus et l'homme oriente son action selon des fins qu'il juge bonnes. Je vous le demande: le bien existe-t-il ? Sinon, n'êtes vous pas nihiliste ? Si oui, ne faut-il pas le rechercher ?
Et pourquoi ne serait-ce pas le rôle de la communauté politique de le faire ? Réservez-vous ce bien à la sphère privée, c'est à dire en clair à ceux qui
auraient les moyens culturels ou personnels de le rechercher ? D'accord donc: les droits dans le public, et dans le privée vous dites: l'amour
et l'amitié. Mais pourquoi donc ? Et pourquoi pas la haine ? N'est-ce pas mon droit si c'est mon choix ? Si la haine me fait du bien, pourquoi ne serait-elle pas bonne dans le privée. Je veux consacrer ma vie à la haine, selon votre libéralisme mon choix de vie est tout aussi bon et indiscutable que celui de mère Thérésa, à la condition de ne pas nuire à autrui.
Nous ne pouvons nous passer d'une discussion sur ce qu'est la vie bonne. La séparation du public et du privée est excellente, mais il n'en reste pas moins que la communauté politique peut et doit avoir une opinion sur ce qu'est la vie bonne. La démocratie bourgeoise nous disait que le mariage entre un homme et une femme était une bonne chose pour la société, et que le mariage entre deux hommes n'avait aucun sens (de fait on ne se posait même pas la questions). Au nom du sacro-saint principe de l'égalité des droits le libéralisme nous dit que le mariage d'un homme avec un homme est tout aussi légitime que le mariage d'un  homme et une femme. Le libéralisme de-substantialise le monde commun et le livre à l'extension indéfinie du domaine des droits. Mais les droits s'opposent aux droits dans un chaos grandissant.
Mon programme donc si vous en voulez un impliquerait la possibilité d'une discussion sur ce qu'est la vie bonne, conçue comme une éthique collective s'appliquant à chacun et qui déborderait le dispositif libéral.
Il y a une sorte d'hypocrisie dans le libéralisme tel qu'il se déploie dans ledomaine politique. On fait comme si la culture n'existait pas et qu'elle ne
conditionnait pas nos comportements. Si la civilité, l'éducation que nous devons à nos pères et mères n'existait pas le monde serait tout simplement invivable.
Ces "valeurs" n'ont aucune place dans le monde libéral qui vous semble vivable, alors qu'il ne le serait tout simplement pas si le monde commun s'organisait seulement selon ces principes. Quelle place pour la politesse par exemple ? Je pense que vous etes d'accord sur le fait qu'un monde sans politesse serait invivable. Pourtant, qui nous oblige selon la société libérale à dire bonjour madame lorsque nous entrons dans une boulangerie et à dire merci lorsque nous recevons notre pain ? Rien ni personne et pourtant nous le faisons heureusement tous, gratuitement. Nous le devons à la culture et à l'éducation qui n'ont aucune place dans votre monde libéral.
Il faut en outre marquer les limites de ce dispositif. Le culte des droits et du consentement organisé par le libéralisme n'est pas à l'origine un projet de  société c'est une ruse de nature religieuse (c'est à dire sociale) pour différer la violence (voyez Hobbes). Le libéralisme s'octroie une position d'extériorité qui met toutes les "religions" à distance, mais c'est cette position d'extériorité que l'on peut qualifier à bon droit (!) de religieuse ou de
transcendante. Puisque je ne suis pas transcendant je mérite de m'imposer à tous! Voilà le paradoxe du libéralisme !


SR

Votre vie bonne n'est pas nécessairement la mienne et vous n'avez aucun droit de décider pour moi ce de qui détermine le contenu de mon désir d'être heureux. Toutes les possibilités sont ouvertes: la philosophie, l'amour durable, la sexualité, l'art, le sport, la politique en tant qu'activité spécialisée, le commerce etc..
La seule chose qui nous est interdite, c'est d'imposer aux autres une domination plus ou moins violente au nom de notre vision personnelle de la vie bonne ; le mal, par contre est facilement universellement définissable, c'est la souffrance physique et psychologique (humiliation), la violence sous toutes ses formes ; pour le reste, libre à chacun de se réaliser dans le cadre du droit universel qui consiste à respecter le même droit chez les autres au bonheur.
Le libéralisme autorise ce qui n'est pas interdit, mais n'oblige pas à être heureux de telle manière ou de telle autre ; dès lors que l'égoïste, si cela est
possible, ne prétend pas dominer les autres et jouir de leur souffrance, il n'y a aucune bonne raison de lui dicter sa conduite en vue de son propre bonheur tout au plus peut-on discuter avec lui pour qu'il réfléchisse sur la qualité du bonheur qu'il prétend trouver en l'absence d'amour et de réciprocité affective ; c'est en tout cas son affaire et non la nôtre. Toute autre position est totalitaire en cela qu'elle prétend décider pour tous et au nom de tous du désir de chacun. Or les hommes sont divers et leur vision concrète du bonheur dans leur relation au monde et aux autres et surtout à eux-mêmes aussi.
Toutes les expériences politiques anti-libérales ont aboutit au désastre que l'on sait ; à savoir au génocide ou au crime de masse ; c'est le leçon
irréductible du XXème siècle.


FP

Si la guerre des dieux est inéluctable quel Léviathan empêchera les hommes de se massacrer ? Moi je ne vois que l'US ARMY.
La déclaration universelle des droits de l'homme, combien de divisions ?
Autant pour Bush, le conservateur religieux.
Les critiques du libéralisme sont, pour vous, nécessairement soit des fascistes, soit des communistes sanguinaires ! Vous donnez là un bel exemple de tolérance.
A vrai dire, il me semble plutôt qu'avec de tels arguments c'est vous qui plombez le débat ! Car c'est bien vous qui vous livrez à une criminalisation de l'ennemi, alors qu'a priori nous débattons et que pas plus que vous nous ne défendons une forme quelconque de totalitarisme. Nous nous contentons de souligner les impasses du libéralisme sans développer une criminalisation paranoïaque de l'adversaire
politique. Cette criminalisation de l'ennemi est au contraire assez typique de l'empire du bien triomphant tel qu'il trouve à s'exprimer chez les esprits les plus simples à Washington et que vous rejoignez sans vous en rendre compte apparemment. Puisque nous sommes gentils et tolérants nos ennemis sont nécessairement sataniques ! Une théologie politique assez sommaire que l'on peut semble-t-il développer tout en se déclarant anti-religieux !
Il semble évident au contraire qu'il ne suffit pas de se déclarer contre la violence et pour la tolérance pour éviter le recours à la violence ! Un peu plus  de prudence et de sens politique serait indiqué ! Certaines "démocraties libérales" donnent la preuve chaque jour aujourd'hui que les droits de l'homme sont compatibles avec l'exercice de la violence. Comment en serait-il autrement ? Même pour les "libéraux" l'État est en droit d'exercer la violence. Votre culte du consentement n'y change rien, même dans les régimes les plus libéraux la coercition reste une possibilité de l'action de l'État qui dispose du monopole de l'exercice de la violence légitime.  On se passe du consentement des pédophiles pour leur interdire d'user des enfants comme bon leur semble, même si certains considèrent peut-être qu'à partir du moment où le consentement est mutuel la société n'aurait rien à redire.
Contester-vous la légitimité de cet interdit ? et l'inceste ? est-il légitime s'il s'agit de deux adultes consentants ? Sommes-nous fascistes parce que nous considérons avec horreur un inceste entre un père et sa fille par exemple, quand bien même il s'agirait de deux adultes consentants ?


SR

Vous confondez tout: le violence qui concerne des activités criminelles qui remettent en question le droit libéral et la prétendue violence qui s'exerce
pour défendre les libertés. Dans un cas force doit rester à la loi (libérale) contre ses ennemis ; il s'agit alors de défendre nos libertés par la force qui,
dès lors, n'est plus de la violence au sens propre du mot (elle ne viole pas les droits humains) puisque justement elle devient légitime (ce qui ne veut pas dire nécessairement légale)
La liberté de pensée en particulier, dès lors qu'elle n'appelle pas à détruire les lois libérales et les droits de l'homme et du citoyen, doit être défendue par la force publique si besoin est. Une démocratie qui ne se défend pas par la force contre ses ennemis se condamne elle-même.
Vouloir détruire le pluralisme et les libertés d'entreprendre régulées (y compris pour des motifs écologique et/ou de santé publique) au nom d'une vision du bien supérieure obligatoire  me paraît lourd de danger pour la liberté individuelle.
Je demande que l'on se prononce clairement sur la question de savoir en quoi on peut s'estimer démocrate lorsqu'on prétend édifier une morale, la sienne , en morale d'état obligatoire ! Tant qu'on n'aura pas répondu sur ce point, je refuse de prolonger la discussion. Nous savons ce qu'il en est des prétendues révolutions culturelles imposées par l'état.
Selon moi il; faut éviter l'amalgame entre la pédophilie, l'homosexualité, l'inceste etc.. La sexualité entre  deux adultes consentant n'est pas un délit,
ce qui est interdit c'est leur mariage (jusqu'à présent), comme pour les soi-disant homosexuels (nous sommes tous sexuellement différents et donc tous hétéros), mais jusqu'à quand ?...
Si vous êtes contre la mariage homosexuel ou l'inceste entre deux adultes consentants, c'est votre droit pour vous-mêmes, mais personne ne vous oblige à les pratiquer, vous rester libre, c'est comme pour l'avortement: nul ne peut exiger qu'une femme avorte si elle n'en pas le désir. Votre droit est préservé.
Ne faites de vos interdits moraux particuliers une obligation pour les autres qui ne les partagent pas. C'est une exigence fondamentale dans une société pluraliste et laïque (non théocratique).
Par contre les enfants ne sont pas majeurs... Et doivent être éduqués sous la tutelle d'adultes pour accéder aux conditions de leur autonomie. Ce qui implique que la pédophilie est une violence, compte tenu de leur état de mineur et du fait qu'il serait alors dominés et non pas éduqués en vue de leur liberté future.


FP

La violence légitime n'est plus de la violence ? Vous êtes encore plus manichéen que je le supposais. Un homicide légitime n'est donc plus un homicide. Il faut donc en conclure qu'une blessure « légitime » suffit à guérir la blessure. Ce n'est plus de philosophie c'est de la thaumaturgie cher St Sylvain ! Et tout ça par la grâce de la pensée libérale !
Pour ce qui concerne l'inceste, je n'ai jamais dit que l'inceste était un délit, j'ai dit qu'il était naturel de le trouver horrible, comme le suicide ou plein
d'autres choses qui ne tombent pas sous le coup de la loi, comme l'absence de politesse. Je dis aussi que la société a implicitement un point de vue sur ces choses, et que déclarer que ces choses sont du ressort de la vie privée c'est implicitement mettre tous les comportements sur le même plan. Un nihilisme moral absolu ! Pour vous si je comprends bien ce que vous écrivez à demi-mot, le mariage entre un père et sa fille devrait être autorisé, comme le mariage entre deux hommes pour la simple raison que cela ne nuit apparemment à personne. Vous êtes donc pour l'autorisation d'un mariage entre un père et sa fille, ou un père et tous ses enfants si tout le monde est d'accord. C'est bien cela ? Et les enfants ? Au nom de quoi violerait-on leur consentement ? Les laissera-t-on libres de ne pas aller à l'école s'ils jugent que c'est leur droit de ne pas y aller ?


SR

J'ai l'impression que vous me cherchez une mauvaise querelle, ma morale n'est en effet pas la vôtre ;elle est libérale et non-violente (ce qui est la même chose); quand la police utilise la force , ce n'est pas à proprement parlé de la  violence; car elle ne viole pas le droit de chacun, elle le défend
Vous n'avait aucune autorité transcendante pour m'imposer votre morale ni même celle dont vous prétendez qu'elle est celle de tout le monde ; ma vie privée n'appartient ni à vous ni aux autres et tant que je ne fais violence à personne vous pouvez la juger à votre convenance, mais votre droit s'arrête là: il ne peut aller jusqu'à la sanction pour m'imposer votre éthique de vie. Ce qui vous semble anti-naturel n'est rien d'autre que la projection de vos préjugés traditionnels que je ne suis pas obligé de partager ...
Mais je vous crois assez perspicace pour répondre à ma place aux arguments que je pourrais vous objecter.
PS: je vais vous faire une confidence: je suis marié depuis 40 ans père de 2 enfants et grand père de 5, j'ai enseigné la philosophie plus de 38 ans à la satisfaction générale et continue de la faire bénévolement. Je participe depuis 95 à la vie d'une entreprise familiale que mon épouse à repris pour éviter des licenciements. Mais ce n'est pas pour ces raisons que j'interdirais aux autres de vivre autrement que moi et de faire d'autre choix éthiques ou religieux (je suis athée).
Un conseil: Faites de même et vous serez plus détendu, et moins râleur ou vitupérant, pour bien-vivre avec les autres et vous-mêmes ! C'est aussi cela la sagesse philosophique


FP

La police utilise la force et pas la violence ? Ces arguties linguistiques nesont pas dignes d'un philosophe. Si c'est tout ce que vous avez à m'opposer, le débat est terminé. Sinon, vous me dites en substance que vous êtes heureux de vivre, et bien je vous en félicite. J'apprécie par ailleurs l'ironie qui consiste pour un libéral à se proposer en modèle.
Pour ma part, je ne crois pas "vitupérer" plus que cela, rassurez-vous. C'est seulement que je trouve le spectacle de la bêtise satisfaite trop délectable  pour ne pas manifester ma joie lorsqu'il nous est proposé complaisamment sur ce site où ailleurs. Je ne parle pas de vos propos naturellement. Les miens vous paraissent peut-être parfois un peu vifs, mais c'est que je suis tout à mon plaisir de pouvoir débattre avec un libéral conséquent. Les apories de la doctrine qu'il défend n'en apparaissent que plus clairement. Merci donc.


SR

Je connais aussi bien, sinon mieux que vous, les contradictions du libéralisme, comme vous pouvez le constater dans mon étude et dans nombre de commentaires que j'ai écrits sur AV sur le sujet, mais cela n'implique pas qu'un régime anti-libéral que vous appelez de vos vœux sans le définir, soit la solution des ces contradictions. Du reste le libéralisme n'est en rien univoque ; divers courants de la droite à la gauche le traverse, au point qu'aux USA libéralisme et gauche se confondent.
C'est seulement en France que sont confondus ultra-libéralisme financier (qui est du despotisme économique anti-libéral sur le plan politique) et libéralisme politique et philosophique. Par manque de culture ouverte sur l'extérieur et surtout par la prégnance d'une vision idéologique pseudo-marxiste de la pensée politique.
On peut aussi chercher à résoudre les contradictions de la vie (et la vie en tant que telle est contradictoire puisqu'elle se conclut par la mort
inéluctable, du moins jusqu'à présent !) en supprimant la vie, voire tout désir vivant (ex: le bouddhisme). On peut aussi traiter les contradictions de la
liberté par la dictature et comme je ne sais pas de quel régime non-libéral vous vous réclamez, je ne peux en discuter sur le fond. La pensée libérale

Toute doctrine est aporétique, nous savons cela depuis l'origine de la philosophie (Socrate).La question est de savoir que faire des apories du
libéralisme qui traversent la pensée libérale dans sa diversité conflictuelle.
Faut-il renoncer à l'autonomie et restaurer la puissance de la religion, de la tradition ou d'un état anti-libéral, ou convient-il de prendre appui sur ces
apories objectives pour renforcer l'autonomie des individus dans un cadre régulateur pacifiant ?
Je ne prends pas ma vie comme modèle, je fais l'inverse pour vous montrer que l'on peut être libéral et s'imposer un discipline de vie et des valeurs ou principes d'action généreux sans prétendre les imposer aux autres comme valant universellement et encore moins souhaiter que l'état ou l'église les imposent par le truchement de la terreur nécessairement anti-libérale et négatrice des droits fondamentaux des individus.
Sur ce point nous avons un authentique désaccord: la violence criminelle, n'est pas le force au service du droit libéral. Cette dernière est pacifiante et la première est dominatrice. La force répressive de la Police et la violence des gangsters ou criminel ne sont pas équivalentes ou interchangeables, sauf dans un état de non-droit !
La police dans un état de droit n'est pas une bande ou une mafia.


FP

Vous opposez mécaniquement la tradition et le libéralisme, la religion et l'autonomie comme s'il ne pouvait exister une tradition libérale et une religion de l'autonomie. Vos schémas de pensée qui consistent à opposer machinalement le camp des lumières au camp de la réaction sont obsolètes. La modernité puisqu'elle n'a plus aucun obstacle auquel s'opposer est en train de se détruire elle-même. Le souci louable d'autonomie et de liberté personnelle par exemple qui passe, comme vous le notiez justement plus haut, par une éducation qui même "libérale", exige une forme de contrainte exercée sur les enfants, est remise en cause par la disparition de fait (et malgré les invocations rituelles de nos gouvernants) du concept d'autorité qui ne trouve aucune base solide dans la pensée libérale. Sans autorité, comment une éducation qui viserait à établir l'autonomie des personnes est-elle pensable ? Or c'est le mouvement même de la modernité qui détruit les moyens qui pourraient permettre de mettre en place les objectifs qu'elle s'est fixée. Je ne suis pas sûr que ces apories soient facilement surmontables en faisant de la surenchère libérale comme vous le proposer. Se dire libéral aujourd'hui c'est souffler dans le sens de la tempête au lieu de proposer de (faibles) abris à ceux que cette tempête est sur le point de balayer: les plus faibles, ceux qui ont le moins de « capital culturel ».
Agiter le spectre de la réaction ou des totalitarismes alors qu'aucune menace objective de cet ordre n'existe vous permet de rejouer la scène du grand résistant face à des périls imaginaires, alors que les périls bien réels auxquels nous sommes confrontés proviennent justement d'un manque d'esprit critique face aux effets dévastateurs d'une logique libérale livrée à elle-même.
Est-ce la gauche de la gauche aujourd'hui qui déstabilise la société française ? Est-ce le catholicisme revanchard auquel vous m'associez (et qui n'existe plus que dans votre fantasme) ? Ou est-ce autre chose ?

Le progrès s'est abîmé dans un processus que plus personne ne contrôle, et la modernité livrée à elle-même est en train de s'autodétruire. La démocratie est devenue une religion politique et ses critiques sont traités comme les impies du Moyen-âge, possédés par des démons qu'il s'agirait d'exorciser: fascisme, stalinisme, religion d'état. Mais ces démons sont des fantômes, des fantasmes de la modernité qui de fait est à elle-même son propre ennemi. La religion chrétienne a cru triompher du paganisme et voyait dans les pratiques magiques une « superstition ». Les libéraux aujourd'hui qui ont mis une fois pour toute leur fauteuil dans le sens de l'histoire reprennent à leur compte ce schéma et vouent aux gémonies tous ceux qui ne sacrifient pas au culte de la déesse du progrès. Mais cette déesse est
une idole qui n'exerce plus ses effets. Chacun voit bien au fond que le culte du progrès est un culte mort.
Je suis plus fidèle que vous à l'esprit des Lumières si je plaide aujourd'hui pour la voix au chapitre d'une critique en profondeur et sans a priori moral dela modernité. Et c'est pour cela aussi qu'il n'y a rien de plus de délétère pour notre société moderne que de coller à ses critiques des étiquettes infamantes du type terroriste, réactionnaire ou apprenti dictateur.


SR

Je n'ai jamais prétendu que la liberté était la licence, je considère seulement que la seule limite à une liberté absolue qui n'est, en effet, qu'un fantasme contradictoire et autodestructeur, est le liberté des autres et les relations contractuelles que nous entretenons les uns aux autres, y compris les relations politiques de pouvoir.
C'est pourquoi je reconnais tout à fait l'autorité des lois libérales et celle des parents dans le mesure -et dans la mesure seulement- où elle s'exerce au profit de l'autonomie raisonnée et raisonnable des individus. Ce qui veut dire que toute allusion, telle que celle que vous faites, à une nature morale qui devrait déterminer les comportements humains dans les sphères publique et privée est anti-libérale, comme l'est tout recours à la tradition, religieuse ou non (mais elle ne vaut comme vérité sacrée pour le croyant que sur fond religieux) laquelle peut et doit être critiquée. Ce qu'on fait précisément fait les philosophes des Lumières.
Je ne suis pas comme vous catastrophiste et je mesure autant que vous les dangers d'une pseudo-liberté sauvage, mai je pense que ce n'est pas en opposant la tradition ou la prétendue nature, divine ou non, à laquelle je ne crois pas (et je ne suis pas le seul) à la liberté que l'on disciplinera la liberté sauf à lui imposer une domination que les individus tels qu'ils sont devenus par la faillite des religions autoritaires obligatoires et de la démocratie fondée surles droits de l'homme ne supporteraient pas.
Or je sais la tentation pour une certaine église de "respiritualiser", au nom du Dieu Unique,l'Europe, à commencer par la France, (Benoit XVI) et les institutions politiques, sur des questions clés telles que l'avortement, l'expérimentation sur les embryons humains, les droits des femmes et des
prétendus homosexuels etc.. Cette menace existe, car elle prend appui sur les préjugés religieux qui survivent, y compris dans notre société laïque. Sur une sacro-sainte tradition qui n'est désignée comme telle que par dérision. Et contre cette nécessaire dérision vos appels à une autorité qui ne se distingue pas de l'autoritarisme anti-libéral resteront ou impuissants ou menaçant pour nos libertés.
Par contre une autorité libérale est à construire et à promouvoir sur fond de relations régulées et pacifiée entre les individus (et les groupes, pour ceux qui croient appartenir à des groupes qui les identifient) et l'on ne peut le faire qu'en développant le sens de la seule liberté qui vaille: le liberté
non-violente (et non pas sans force publique) dans le respect des autres et de leurs droits.
On ne peut opposer à la fausse liberté déraisonnable que le liberté raisonnée et raisonnable du droit libéral et démocratique qui s'interdit le recours à quelque autorité transcendante que ce soit, si ce n'est celle, humaine et de ce fait immanente, de l'universalité des droits qu'il faut avec Kant appeler transcendantale et non pas transcendante.


FP

La critique de la modernité (ou de la pensée libérale, ce qui est en gros la  même chose) est plus que jamais nécessaire. Deux auteurs que vous connaissez sans doute et dont les oeuvres sont suffisamment subtiles pour leur éviter les étiquettes infamantes (même si l'un des deux est chrétien, ce qui ne suffira pas, je l'espère, à le discréditer à vos yeux) ont une actualité éditoriale importante. Il sont tous les deux membres du Centre de Recherches Politiques Raymond Aron qui dépend de l'EHESS comme l'auteur de l'ouvrage qui fut l'occasion de cet échange. Ces deux auteurs, je pense, même s'il furent traités il y a quelques temps de néo-réactionnaires par une petite main de la pensée li-li (pour parler comme l'excellent Pierre Hassner je crois), ne peuvent être taxés de complaisance pour le totalitarisme. Ils sont tous deux héritiers de Raymond Aron dont toute l'œuvre peut-être vue comme un point de vue critique porté non seulement sur les totalitarismes bien sûr, mais aussi sur la pensée libérale elle-meme (une pensée critique de l'intérieur). Ces deux auteurs sont Marcel Gauchet qui publie ces jours-ci deux livres importants: La Révolution  moderne et La crise du libéralisme, et Pierre Manent qui publie ces jours-ci également une "enquête sur la démocratie". Je pense que tout cela vous intéressera au plus haut point et légitimera peut-être dans votre esprit un point de vue critique sur le libéralisme.


SR

Je suis sûr que les auteurs que vous citez seraient les premiers étonnés de  se découvrir anti-libéraux alors qu'ils tentent de montrer les limites d'un
libéralisme sans limite (qui n'est pas non plus le mien) qui ne pourrait aboutir  qu'à son auto-destruction afin de sauver le libéralisme en le régulant avec des moyens traditionnels ou non d'un nationalisme qui reste à définir qui me semble discutable dans le monde ouvert, globalisé, d'aujourd'hui; comme si par exemple la question écologique qui au centre de l'évolution de notre condition humaine pouvait être traitée sur un plan nationaliste! mais ce serait un autre débat...


FP

Rien ne m'irrite plus que ceux qui se précipitent sur l'appellation "libérale" que vous revendiquez pour s'acheter une vertu à bon compte, alors qu'eux mêmes ne renient en rien au fond vos présupposés dont il n'est pas si facile de se défaire .  Permettez moi d'ajouter ceci ici : Vous savez que Pierre Manent a écrit un ouvrage qui s'appelle "la raison des nations". Y a -t-il une opposition entre la pensée libérale et la nation? A cette question Manent répondrait non, je pense  et vous oui, si j'ai bien compris. Manent verrait plutôt au contraire la nation comme une condition d'existence de la pensée libérale, mais peut-être aussi comme une borne mise à l'extension indéfinie de cette même pensée.


SR

Il n'y a opposition à mon sens, quand on fait un usage "nationaliste exclusif" de la nation. On peut aussi en faire un usage libéral, mais cela devient un usage cosmopolitique au sens de Kant et cela exige une forte culture politique rationnelle. Ce qui n'est pas gagné! Ce pourrait être l'objet d'un autre débat: celui qui porte sur l'éducation "nationale" et non pas "nationaliste" des citoyens"


Non à la communauté de destin, oui à la citoyenneté ouverte à tous

Définir la nation comme une communauté de destin ,c'est  croire au destin, c’est à dire à un parcours personnel et historique que nous ne choisissons pas et qui nous est imposé par l’état. De même que les frontières dont on sait qu’elles n’existent que pour être franchies ou recomposées, y compris pour définir le territoire (et non la terre) national, que pour et par l’état en vue de s’assurer un contrôle indiscutable sur ses sujets, de même l’état veut par là exclure ceux et celles qui ne répondent pas aux critères juridiques d’appartenance qu’il impose.

On ne peut parler de communauté de destin sans accorder à l’état le monopole de la décision de savoir qui en fait (doit en faire) partie ou non, indépendamment du fait que nombre de nos concitoyens de fait et non de droit vivent dans le même espace public que soi.

C’est pourquoi cette approche de la nation est de fait et en droit nationaliste, à savoir exclusive des droits politiques de la citoyenneté de ceux qui sont considérées comme des étrangers, bien que vivant dans le même espace poltique que nous. La cité grecque d’Athène considérait les esclaves comme des non-grecs ou des barbares afin d’exercer sur eux une domination légale sans limite. Leur destin était scellé par leur origine. Le destin est-donc toujours une cloture et non pas une ouverture et c’est bien le sens des lois anti-immigrés du gouvernement actuel ,dès lors qu’il distingue identité nationale et immigration et qu’il fait de celle-ci une problème pour celle-là.

Ce qui peut faire bouger les choses, c’est justement d’ouvrir la nation à tous ceux qui vivent et expriment l’intention délibérée de vivre sur le territoire dit national, en tant qu’espace juridique de citoyenneté partagée. Ce que j’appelle, non communauté de destin, mais solidarité libérée de toute attache ethnique et cela vaut pour l’Europe dès lors qu’elle se dote de lois communes d’échanges et de citoyenneté.

Il est donc prudent de se méfier du terme de destin ; sauf à lui faire dire la contraire de ce qu’il signifie, le destin nous dirige et non l’inverse. Parler de destin collectif c’est soumettre les individus à ceux qui prétendent l’incarner au sommet de l’état. Du reste c’est l’état qui a fait de populations diverses une nation exclusive des différences culturelles, toujours mythique, qui prétend valoir que chacun se sacrifie pour elle et donc pour ceux qui la gouvernent au nom d’une prétendue union sacrée.

Le sacré en politique fait toujours de celle-ci une religion transcendante et par là est un danger permanent pour la démocratie pluraliste et pour tous ceux qui sont désignés par l’état qui s’arroge le monopole de de la délivrance de l’identité nationale comme des étrangers de l’intérieur monopole indissociable de celui de l’usage légal, à défaut d’être légitima au regard des droits de l’homme, de la violence contre eux, comme on le voit aujourd’hui dans l’affaire des sans-papiers.


Cette idée de violence générée par l’idée de nation comme identité statique et uniforme de certains individus (contre d’autres) est un fait partout vérifié et pas une opinion.

Cela s’est en effet toujours vérifié dans l’histoire des XIXème et du XXème siècles

Le 03/11/09



Nation et démocratie
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