Marx, mort ou vif?


L'oubli de la pensée de Marx est paradoxal : jamais sa vision des contradictions du capitalisme n' a été autant validée par l'actualité et portant très peu de commentateurs, même parmi les plus éclairants, n'y font plus référence, comme si le désastre des ex-pays prétendument socialistes et réellement totalitaires avait disqualifié une pensée dont ces régimes étaient pourtant la trahison mortelle.

 

La crise actuelle du capitalisme, en effet, met en cause, à l'évidence, le système capitaliste dans son fondement même, à savoir la recherche sans limite du profit par l'exploitation forcenée des forces productives et des ressources naturelles, la spoliation financière appelée par euphémisme spéculation. C'est préciséemnet cela qui était au cœur même des analyses de Marx dans le Capital. D'où les deux questions :

 

Quels sont les points de la critique que fait Marx fait du capitalisme qui nous permettent de comprendre la crise, y compris morale et politique, dans laquelle nous nous enfonçons. ? Et pourquoi cette critique ne suffit pas à penser une sortie révolutionnaire crédible à celle-ci, voire en quoi l'idée même d'une révolution post-capitaliste, sauf dérive totalitaire anti-libérale sur le plan économique et social et antidémocratique sur le plan politique, est-elle impensable ?

 

Rappelons schématiquement, les critiques que Marx fait du capitalisme développé pour en justifier l'actualité face à la crise actuelle. Marx considère :

 

  1. qu'il est un système qui , sauf par l'innovation et par le monopole, voire par le monopole de l'innovation, mais qui ne sont plus aujourd'hui possibles aujourd'hui , tend à la réduction du taux de profit du fait de la concurrence aujourd'hui mondialisée.

  2. que la baisse du taux de profit provoque, pour préserver les profits la hausse tendancielle du taux d'exploitation par la baisse des salaires moyens, par la délocalisation de la production et même de la recherche et développement en des régions du monde où le coût de la force de travail est plus bas, par la précarisation de l'emploi et le chômage de masse

  3. que cette baisse du taux de profit (retour sur investissement) tend elle-même à faire passer la spéculation financière de l'économie casino mondialisée et le crédit comme une source de profit autonome prédatrice de l'économie productrice de réelles richesses

  4. que le crédit, via le gonflement de la bulle financière généré par cette économie financière spéculative, tend à maintenir les profits à très court terme, mais s'avère catastrophique à long terme, dès lors que les salariés ne pourront plus rembourser les crédits et payer les intérêts afférents, ce qui remet en cause l'équilibre de l'offre et de la demande, du fait de l'augmentation du taux d'exploitation. Les marchandises produites ne trouvent plus assez de preneurs solvables sur le marché mondial, sauf à accroitre le coût de la force de travail et les salaires dans les pays dits émergeant, ce qui fera à nouveau baisser le taux d'exploitation et donc le taux de profit moyen. C'est la fameuse contradiction -centrale dans le pensée critique du capitalisme de Marx - entre le niveau de productivité des forces productives toujours plus coûteuses en investissements et les rapports sociaux de production. Cette contradiction entrainant un chômage endémique élevé, facteur croissant d'exclusion du marché de l'emploi et donc du marché tout court, génère une tendance à la surproduction dans l'économie réelle compensée à court terme par l'économie financière spéculative au prix d'une catastrophe systémique bancaire et financière, mais aussi économique dont les états eux-même seront les victimes, dès lors que les dettes privées individuelles et bancaires et les dettes publiques sont ou tendent à devenir, une seule et même dette généralisée.


Cette domination de la plus-value dégagée par la spéculation financière sur l'économie réelle et le gonflement de la dette met l'ensemble de l'économie en danger mortel, principalement par le fait de l'hégémonie de plus en plus exclusive du court-terme sur le long terme: consommer pour des consommateurs mal-payés afin d'assurer temporairement l'équilibre de l'offre et de la demande tout de suite grâce au crédit dit facile et exiger 15% par an de retour sur investissement pour les investisseurs deviennent la norme , or l'économie réelle suppose du temps et l'argent investi selon un rentabilité de 4 Ou 5, voire sans rentabilité immédiate , à long terme pour innover et développer et vendre des biens et des services utiles.

 En ce sens toutes les analyses critiques que fait Marx du capitalisme, de son injustice fondamentale, à avoir l'exploitation maximale de l'homme par l'homme, sont confirmées et tous les commentateurs critiques du capitalisme et de la crise ne font rien d'autres que de reprendre à leur compte tels ou tels éléments de cette critique, sans le dire. et il est vain de croire qu'il pourrait devenir juste par lui-même. Pour quoi donc un tel silence?

Il semble bien qu'il soit l'effet de l'effondrement des prophéties de Marx sur la fin nécessaire ou inéluctable du capitalisme, effondrement dû à 'échec de toutes les révolutions anti-capitalistes ou prétendument socialistes qui ont engendré des régimes monstrueux, qui se sont réclamés du dépassement du capitalisme pour justifier la destruction des droits et des libertés par la répression sans limite des oppositions à la dictature de la bureaucratie d'état.

Ce sont les pronostics révolutionnaires de Marx qui sont la source des limites de sa pensée. Quels sont-ils ? En quoi reposent-t-il sur des croyances politiques illusoires, voire mythiques ?

Plusieurs croyances non réfléchies par Marx, sauf en quelques analyses historiques dont il ne tire aucunes conséquences générales ont nourri le marxisme politique en son temps et après lui, marxisme qui lui ont fait dire à la fin de sa vie, en un ultime sursaut de lucidité, que « tout ce qu'il savait c'est qu'il n'était pas marxiste »...

  1. sa croyance en l'automaticité d'une révolution prolétarienne et en une loi quasi naturelle de l'histoire qui mettrait à bas le capitalisme et avec lui les droits de l'homme dont la droit de propriété des moyens de production et le droit d'entreprendre lié à l'économie de marché, et la démocratie qualifiés de bourgeois pour faire place à un socialisme transitoire, sous la forme de la dictature temporaire du prolétariat. Dans l'esprit de Marx cette dictature instaurerait les conditions d'une société sans classe, car sans exploitation ni domination de l'homme par l'homme, et donc ferait naitre le communisme instaurant l'égalité sociale et les libertés individuelles intégrales et non pas seulement formelles, sans un état ou instance de pouvoir politique de domination de l'homme par l'homme,.Tout état pour Marx en effet ne peut être que la dictature d'une classe sur une autre. Le fin des classes entrainerait, selon lui, le fin de la lutte des classes et donc le dépérissement de l'état au profit d'une simple administration technique et rationnelle des biens et des services distribuant à chacun selon ses besoins.

  2. son espoir en une révolution mondiale qui impliquerait une solidarité de classe de tous les exploités sur la planète faisant fi des différences nationales et religieuses, voire des intérêts divergents, le plus souvent vécus comme contradictoires, des différentes populations du monde et des différentes couches sociales et populations à l'intérieur qui ne peuvent pas être réduites et que l'histoire n'a pas réduite, au contraire de ce qu'il le pensait, en deux classes conscientes de soi aux intérêts et valeurs clairement antagonistes et inconciliables.

  3. la croyance que la politique et l'économie serait toujours et partout convergentes dans le sens révolutionnaire souhaité par lui, alors que le nationalisme idéologique et/ou le communautarisme religieux et les unions sacrées entre les classes qu'ils génèrent font que cette convergence n'a rien d'automatique, mais qu'elle est généralement, pour le moins, spontanément impossible. Il a méconnu ainsi la puissance fusionnelle et identitaires des mythes idéologiques, aujourd'hui relayés pas le consumérisme exacerbé par l'idéologie dominante du bonheur « commercial » individualiste (les hypermarchés, dimanches compris débordent de clients pendant que les églises se vident), sur la conscience des exploités et des dominés le plus souvent endettés, qui va le plus souvent à l'encontre de la conscience de soi unificatrice de la libération révolutionnaire pour laquelle il militait. Et cela s'est fait, en effet, au prix du développement quasi-illimité du crédit donc de la dette qu'elle soit privée ou publique (c'est la même), d'où la crise financière dans la quelle nous sommes. L'oubli de l'idéologie et de la conscience désirante des hommes, comme facteurs d'illusions et comme forces motrices autonomes de l'histoire par rapport aux rapports de production et/ou de classes, est au centre de la dérive dite marxiste, lequel oubli, dénié, a fait un retour pathologique dans la propagande politique monolytique par le parti unique au pouvoir absolu, de forme quasi-religieuse la plus exacerbée, dans les pays totalitaires prétendument marxistes, où toute déviance, à défaut de pouvoir utiliser la menace de l'enfer et la promesse du paradis dans l'au-delà, était interdite et réprimée par le sang et le goulag,.

  4. la croyance que le développement infini des forces productives induira un socialisme et une économie automatiquement respectueux des conditions écologiques nécessaires et durables à la vie pacifique dans le monde. La crise écologique, le réchauffement climatique et les catastrophes que les sciences de l'environnement nous annoncent nous rappellent que tout doit être fait pour que ce progrès soit contrôlé à l'échelon mondial, afin qu'ils ne conduisent pas tout simplement à la violence extrêmes entre populations pour l'accès aux ressources primaires que sont la terre, l'eau, la mer, l'énergie, l'air etc, sans parler des ressources secondes. Un telle destruction de l'environnement, une telle violence guerrière ou terroriste, à l'époque des armes de destructions massives disséminées, pourrait, au bout du compte, déboucher sur l'auto-destruction de notre espèce. Penser que socialisme et écologie sont indissociables est une erreur anthropologique fondamentale , c'est méconnaitre le désir de chacun comme concurrentiel au désir des autres, lequel en tant qu'amour comparatif et compétitif de soi, est au cœur des motivations humaines individuelles et collectives. Individualisme personnel ou collectif et liberté sont indissociables et rien ne peut rendre nécessaire la sagesse qu'exige le respect des équilibres écologiques et de l'homme par l'homme ; sinon la conscience politique et l'éducation citoyenne. L'individu n'est pas spontanément écologue. Il ne peut le devenir que s'il prend conscience dans le malheur et le désastre des limites du progrès et de ce que l'on appelle la croissance, dans la logique inégalitaire du profit privé. Si ce n'est pas une régulation du capitalisme qui rendra efficace le souci écologique, c'est la catastrophe écologique qui rendra universellement désirable, sauf suicide généralisé, cette régulation. La peur est et sera le seul régulateur en dernière instance de l'hybris suicidaire du désir spontanément infini.


Nous en sommes aujourd'hui à tenter de penser d'une manière critique une crise systémique du capitalisme globalisé avec les termes de Marx qui sont, dans leur généralité, économiquement confirmés, mais sans pouvoir présenter l'alternative politique qu'il envisageait. Nous sommes conduits alors à soumettre les dérives du capitalisme prédateur, aux exigences de la démocratie formelle et des droits des hommes individuels et sociaux comme universels en droit et de la nécessaire contrainte écologique vis-à-vis du développement économique. Cette vision ne peut prétendre dépasser ou mettre fin au capitalisme par une révolution qui serait nécessairement violente et donc abolirait les formes même de la démocratie, comme le savait du reste Marx ainsi qu'à l'économie de marché qui est spontanément tournée vers la satisfaction illimité des désirs qu'elle stimule et produit en permanence, or l situation est telle qu'elle qu'elle semble échapper à toute régulation politique par les états et les instituions internationales plus ou moins démocratiques qui restent à construire. Ce que l'on appelle la voie réformiste ou la régulation du capitalisme passe par la mise en œuvre d'institutions démocratiques nationales et internationales, est alors, à la fois, la plus problématique et la seule possible, sauf à recourir à l'illusion nationaliste protectionniste xénophobes, sous des formes autoritaires, populistes ou totalitaires


Restaurer la conscience politique et le combat démocratiques et la confiance dans la politique pour la vie et l'égalité à l'échelon mondial , au delà de toute forme de nationalisme, est donc la seule voie permise. Elle est pour le moins précaire et surtout elle représente un défi qui peut être facilement perdu pour faire face au désastre généralisé à l'heure des armes de destruction massives et de l'énergie atomique, à savoir la fin « l'humanité », terme à prendre dans les deux sens, biologique et éthique.


Le capitalisme, livré à lui-même, sans contre-feux politiques, est ce qu'il est : le triomphe de la cupidité c'est à dire de la libre expression du désir de s'affirmer face au monde et les autres et à leurs dépens. C'est à la politique non pas de le rendre moral mais moins immoral dans ses effets sur les sociétés et les individus. Le justice , la, paix civile et les biens publics relèvent de la politique démocratique et/ou de ce qu'il en reste et de rien d'autre. 

 

C'est pourquoi il nous faut défendre et élargir les conquêtes des droits démocratiques et sociaux et qu'il nous faut combattre le prétendu néo-libéralisme qui n'est que le faux-nez de la dictature sans partage du capital financier sur et aux dépens de la production de biens et de services réels pour tous.


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