Marx et le fétichisme


Première forme du fétichisme : le fétichisme de la marchandise


Marx et le fétichisme : Le fétichisme est le fait de croire à la vérité objective de ses propres représentations alors même que ces représentations sont chargées d'un contenu symbolique subjectif et/ou le résultat de l'action humaine. Le fétichisme est la manifestation de la croyance inconsciente d'elle-même, religieuse ou non, dans l'existence d'objets dont la valeur pour les humains , considérés, à tort ou à raison, comme réels, ne dépend que de ces objets, alors qu'elle est le produit de l'imagination ou du travail humains ; cela vaut pour Dieu création humaine imaginaire devenue créateur salvateur des humains, comme de ce que Marx appelle le fétichisme de la marchandise qui consiste à croire que la valeur marchande d'un objet est une propriété de cet objet sans voir que cette prétendue propriété est le résultat d'un processus de production fondé sur le travail humain et ou de sa signification imaginaire symbolique, produits par le cerveau humain.


L'argent :


L’argent me procure l’aliment et la chaise de poste, c’est-à-dire qu’il transforme mes vœux d’êtres de la représentation qu’ils étaient, il les transfère de leur existence pensée, figurée, voulue, dans leur existence sensible, réelle ; il les fait passer de la représentation à la vie, de l’être figuré à l’être réel. Jouant ce rôle de moyen terme, l’argent est la force vraiment créatrice”[3 Dans le même temps l’argent aliène et abstrait toute chose en la réduisant à son tour au statut de simple représentant de sa propre puissance : l’argent “moyen et pouvoir de convertir la représentation en réalité et la réalité en simple représentation, transforme tout aussi bien les forces essentielles, réelles et naturelles de l’homme en représentation purement abstraite et par suite en imperfections, en chimères douloureuses, que d’autre part il transforme les imperfections et chimères réelles, les forces essentielles réellement impuissantes qui n’existent que dans l’imagination de l’individu en forces essentielles réelles et en pouvoir”[4].

l’argent est “la confusion et la permutation universelle de toutes choses, donc le monde à l’envers”[5]. »


Représentant matériel de la richesse générale, l’argent ne devient réel qu’en étant jeté de nouveau dans la circulation (...). Dans la circulation, il n’est jamais réel que pour autant qu’on le cède. Si je veux le retenir, il s’évapore dans ma main, devient un simple fantôme de la richesse. Le faire disparaître, c’est le seul moyen de l’assurer en tant que richesse[8]


"la double détermination de l'argent dans la circulation est contradictoire : à savoir, d'une part servir de simple moyen de circulation, auquel cas il est une simple médiation qui disparaît ; et en même temps servir de réalisation des prix, forme sous laquelle il s'accumule"[10].

"Le thésaurisateur est le martyr de la valeur d'échange, saint ascète juché sur sa colonne de métal"[14], un contemplatif en quelque sorte, le capitaliste est un prosélyte qui ne reste pas en repos et "c'est en fanatique de la valorisation pour la valorisation qu'il contraint sans ménagement l'humanité à la production pour la production"[15].

Dès lors, le fétichisme n’est plus pour Marx l’illusion monétaire, mais le résultat nécessaire du règne de la marchandise et des effets qu’il engendre dans la conscience des échangistes, par suite, le principal obstacle à la construction d’une économie politique digne de ce nom.

Le fétichisme sera donc ultimement redéfini par Marx comme le fait de croire que les relations entre les hommes sont en réalité des relations entre les choses.

Pour comprendre le fétichisme selon marx  « nous devons nous échapper vers les zones nébuleuses du monde religieux. Dans ce monde-là (réel) les produits du cerveau humain semblent être des figures autonomes, douées d’une vie propre, entretenant des rapports les unes avec les autres et avec les humains. Ainsi en va-t-il dans le monde marchand des produits de la main humaine. J’appelle cela fétichisme, fétichisme qui adhère aux produits du travail dès lors qu’ils sont produits comme marchandises, et qui, partant, est inséparable de la production marchande” Le capital

"le matérialisme grossier des économistes qui considèrent les rapports sociaux de production qu'entretiennent les hommes et les déterminations que reçoivent les choses, en tant qu'elles sont subsumées sous ses rapports, comme des propriétés naturelles des choses, est en même temps un idéalisme tout aussi grossier, un fétichisme qui attribue aux choses des relations sociales comme autant de déterminations qui leur seraient immanentes et, du coup, les mystifie"

Dans la première partie de mon ouvrage, j’ai indiqué comment le travail qui repose sur l’échange privé est caractérisé par le fait que le caractère social du travail se “représente” comme “property” des choses - à l’envers ; qu’un rapport social apparaît comme un rapport de choses entre elles (des produits, valeurs d’usage, marchandises). C’est cette apparence que notre fétichiste prend pour quelque chose de réel”

les rapports des producteurs dans lesquels sont pratiquées ces déterminations sociales de leurs travaux prennent la forme d’un rapport social entre les produits du travail”


l’identité des travaux humains prend la forme matérielle de l’objectivité de valeur identique des produits du travail”[



Mais le fétichisme n'est pas seulement l'effet illusoire dans la conscience des individus des rapports de production, mais, aussi et surtout, il est la condition nécessaire de leur mise en œuvre par la reproduction régulée par le droit commercial et celui de la propriété de ces mêmes rapports par les acteurs collectifs qui entrent en jeu dans leur fonctionnement normal et durable. Il est donc, à la fois l'effet d'une réalité sociale, dont les acteurs n'ont pas, en tant que telle conscience, mais aussi une réalité constitutive de l'existence pérenne de cette réalité  matérielle sociale (les rapport de production comme rapport d'exploitation de l'homme, par l'homme). L'illusion devient alors aussi autoréalisatrice de ses conditions sociales objectives. C'est ce que Marx appelle parfois, en une formule paradoxale, la force matérielle, même lorsqu'elles sont illusoires, des idées. Il ne suffit donc pas pour lui de critiquer le fétichisme pour le voir disparaître, il convient de détruire ces conditions sociales objectives en montrant les contradictions qu'elles génèrent chez et pour ceux qui sont exploités dans le cadre de ces rapports sociaux et qui donc ont un intérêt objectif à les transformer radicalement.

Il faut donc admettre que Marx n'est pas seulement un matérialiste qui verrait dans la conscience un épiphénomène, un simple reflet, de la réalité sociale objective que sont les rapport de production dont elle n'a pas une conscience vraie, il est aussi idéaliste en cela que, pour lui, la conscience sur-détermine cette réalité même en s'institutionnalisant dans la religion, le droit et la prétendue science de l'économie, voire de l'histoire, de la politique et de l'art.



Deuxième forme du fétichisme : le nationalisme.


« Dans la forme, mais nullement dans le fond, la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie revêt tout d’abord un caractère national. Il va sans dire que le prolétariat de chaque pays doit en finir, avant tout, avec sa propre bourgeoisie… Les communistes ne se distinguent des autres partis prolétariens que sur deux points : 1- dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils font valoir et mettent en avant les intérêts communs de tous les prolétaires, sans considération de nationalité. 2- Dans les différentes phases de la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie, ils représentent toujours l’intérêt du mouvement dans son ensemble On a, en outre, reproché aux communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur prendre ce qu’ils n’ont pas. En premier lieu, le prolétariat doit conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe nationale, se constituer lui-même en tant que nation. Par cet acte, il est, par conséquent, encore national lui-même en tant que nation, quoique nullement dans le sens bourgeois. Les particularités et contrastes nationaux des peuples disparaissent de plus en plus en même temps que se développe la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l’uniformité de la production industrielle et des conditions d’existence qui en résultent. Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus radicalement encore Au moment où l’antagonisme des classes à l’intérieur des nations aura disparu, les conflits entre les nations disparaîtront à leur tour. »

La nation, selon Marx, est le résultat du fractionnement temporaire des sociétés capitalistes qui tentent, chacune d'elle, de mobiliser le prolétariat dans le cadre d'un intérêt commun imaginaire créé par elle et l'état qu'elle se donne (qui n'est jamais pour Marx que la machine, même sous la forme d'une démocratie apparente, de la dictature de la bourgeoisie), mais qui n'est réellement que celui de l'intérêt particulier de la bourgeoisie nationale opposé à celui de leurs prolétaires et de leurs travailleurs, contre d'autres intérêts bourgeois. Il n' y a de nation pour les travailleurs que par la conquête du pouvoir (dictature du prolétariat) afin d'éliminer la domination politique et l'exploitation économique de leur bourgeoisie nationale pour ensuite réaliser ce que le capitalisme s'emploie déjà partiellement à faire : l'abolition des frontières nationales, laquelle doit précipiter la construction d'un communisme universel, seul objectif réaliste travailleurs pour se libérer de l'exploitation.

Tant que le prolétariat ne sera pas rendu conscient du fétichisme de la nation dont il est victime et qui n'est que la représentation imaginaire par lequel il croit partager des intérêts commun avec sa bourgeoisie nationale, il ne pourra que concourir à la domination qu'il subit...mais la bourgeoisie et le système capitaliste ne cessent de se trans-nationaliser et en devenant mondiaux pose, à terme, la nécessité d'une révolution planétaire, dans la quelle l'illusion de la patrie doit et va disparaître.



« L'émancipation prolétarienne ne peut être qu'un fait international, si vous tâchez d'en faire un fait simplement français, vous la rendez impossible. »


Troisième forme du fétichisme



Marx et les droits de l'homme



Considérons un instant ce qu'on appelle les droits de l'homme; voyons ces droits sous leur forme authentique, sous la forme qu'ils possèdent chez leurs révélateurs, les Américains du Nord et les Français ! Ce sont pour une part, des droits politiques, des droits qui ne peuvent être exercés qu'en association avec autrui. Leur contenu, c'est la participation à la communauté, plus exactement à la communauté politique, à la vie de l'État. Ils rentrent dans la catégorie de la liberté politique, dans la catégorie des droits civiques qui, comme nous l'avons vu ne présupposent en aucun cas l'abolition inconditionnelle et positive de la religion, ni, par conséquent, du judaïsme. Il nous reste à examiner l'autre partie des droits de l'homme, les droits de l'homme dans la mesure où ils sont différents des droits du citoyen.

Au nombre de ces droits, on trouve la liberté de conscience, le droit d'exercer le culte de son choix. Le privilège de la foi est expressément reconnu, soit comme un droit de l'homme, soit comme la conséquence d'un des droits de l'homme, la liberté.

L'incompatibilité de la religion avec les droits de l'homme est si peu incluse dans la notion des droits de l'homme qu'au contraire le droit d'être religieux, de l'être à sa convenance et de pratiquer le culte de sa religion particulière, figure en toutes lettres parmi les droits de l'homme. Le privilège de la foi est un droit universel de l'homme.

On distingue les droits de l'homme comme tels des droits du citoyen. Quel est cet homme distinct du citoyen ? Nul autre que le membre de la société civile. Pourquoi le membre de la société civile est-il nommé "homme", homme tout court; pourquoi ses droits sont-ils dits droits de l'homme? Comment expliquons-nous ce fait ? Par la relation entre l'État politique et la société civile, par la nature de l'émancipation politique.

Avant tout, nous constatons que ce qu'on appelle les "droits de l'homme", les droits de l'homme distingués des droits du citoyen, ne sont autres que les droits du membre de la société civile, c'est-à-dire de l'homme égoïste, de l'homme séparé de l'homme et de la communauté. Laissons parler la constitution la plus radicale, la constitution de 1793

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Art. 2. "Ces droits, etc. (les droits naturels et imprescriptibles) sont l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété."
 

En quoi consiste la liberté?

Art. 6 "La liberté est le pouvoir qui appartient à l'homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui", ou, d'après la Déclaration des droits de l'homme de 1791 : "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui."

Ainsi, la liberté est le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Les limites dans lesquelles chacun peut se mouvoir sans préjudice pour autrui sont fixées par la loi, comme les limites de deux champs le sont par le piquet d'une clôture. Il s'agit de la liberté de l'homme, comme monade isolée et repliée sur elle-même. Pourquoi, d'après Bauer, le juif est-il inapte à obtenir les droits de l'homme ? "Tant qu'il reste juif, la nature bornée qui fait de lui un juif l'emportera sur la nature humaine qui devrait l'unir aux autres hommes, et le séparera des non-juifs."

Or le droit humain de la liberté n'est pas fondé sur l'union de l'homme avec l'homme, mais au contraire sur la séparation de l'homme d'avec l'homme. C'est le droit de cette séparation, le droit de l'individu borné, enfermé en lui-même.

L'application pratique du droit de l'homme à la liberté, c'est le droit de l'homme à la propriété privée.

En quoi consiste le droit de l'homme à la propriété privée ?

Art. 16 (Constitution de 1793) "Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie."

Par conséquent, le droit de l'homme à la propriété privée, c'est le droit de jouir de sa fortune et d'en disposer à son gré, sans se soucier d'autrui, indépendamment de la société c'est le droit de l'intérêt personnel. Cette liberté individuelle, tout comme sa mise en pratique constituent la base de la société civile. Elle laisse chaque homme trouver dans autrui non la réalisation, mais plutôt la limite de sa propre liberté. Mais ce qu'elle proclame avant tout, c'est le droit, pour l'homme, de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.
 

Restent les autres droits de l'homme, l'égalité et la sûreté.

L'égalité, dépourvue ici de signification politique, n'est rien d'autre que l'égalité de la liberté définie plus haut, à savoir : chaque homme est considéré au même titre comme une monade repliée sur elle-même. La Constitution de 1795 définit la notion de cette égalité conformément à sa signification:

Art. 3 (Constitution de 1795) : "L'égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse."
 

Et la sûreté?

Art. 8 (Constitution de 1793) "La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés."

La sûreté est la plus haute notion sociale de la société civile, la notion de police d'après laquelle la société toute entière n'existe que pour garantir à chacun de ses membres la conservation de sa personne, de ses droits, de ses propriétés. C'est dans ce sens que Hegel nomme la société civile : "l'État du besoin et de la raison"

Par la notion de sûreté, la société civile ne s'élève pas au-dessus de son égoïsme. La sûreté, c'est plutôt l'assurance de son égoïsme.

Ainsi, aucun des prétendus droits de l'homme ne s'étend au-delà de l'homme égoïste, au-delà de l'homme comme membre de la société civile, savoir un individu replié sur lui-même, sur son intérêt privé et son caprice privé, l'individu séparé de la communauté. Bien loin que l'homme ait été considéré, dans ces droits-là, comme un être générique, c'est au contraire la vie générique elle-même, la société, qui apparaît comme un cadre extérieur aux individus, une entrave à leur indépendance originelle. Le seul lien qui les unisse, c'est la nécessité naturelle, le besoin et l'intérêt privé, la conservation de leur propriété et de leur personne égoïste.

Il est déjà mystérieux qu'un peuple, qui commence à peine à s'affranchir, à renverser toutes les barrières séparant les divers membres du peuple, à fonder une communauté politique, que ce peuple proclame solennellement les droits de l'homme égoïste, séparé de son prochain et de la communauté (Déclaration de 1791), et renouvelle même cette proclamation à un moment où l'on réclame impérieusement le dévouement le plus héroïque, seul capable de sauver la nation, au moment où le sacrifice de tous les intérêts de la société civile est mis à l'ordre du jour, et où l'égoïsme doit être puni comme un crime (Déclaration des droits de l'homme, etc., de 1793). Ce fait devient encore plus mystérieux quand nous voyons que les émancipateurs politiques réduisent la citoyenneté, la communauté politique, à un simple moyen pour conserver ces prétendus droits de l'homme, que le citoyen est donc déclaré serviteur de l'homme égoïste, que la sphère où l'homme se comporte en être communautaire est rabaissée à un rang inférieur à la sphère où il se comporte en être fragmentaire, et qu'enfin ce n'est pas l'homme comme citoyen, mais l'homme comme bourgeois qui est pris pour l'homme proprement dit, pour l'homme vrai.

"Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme." (Déclaration des droits, etc., de 1791, art. 2.) "Le gouvernement est institué pour garantir à l'homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles." (Déclaration, etc., de 1793, art. 1.).

Ainsi, au moment même où son enthousiasme juvénile est porté au paroxysme sous la poussée des circonstances, la vie politique déclare n'être qu'un simple moyen, dont le but est la vie de la société civile. Sa pratique révolutionnaire, est certes, en contradiction flagrante avec sa théorie. Tandis que, par exemple, la sûreté est déclarée un des droits de l'homme, la violation du secret de la correspondance est publiquement mise à l'ordre du jour. Tandis que la "liberté indéfinie de la presse" (Constitution de 1793, art. 122) est garantie comme la conséquence du droit de l'homme, de la liberté individuelle, la liberté de la presse est complètement anéantie, car "la liberté de la presse ne doit pas être permise lorsqu'elle compromet la liberté publique" ; en d'autres termes, le droit de l'homme à la liberté cesse d'être un droit quand il entre en conflit avec la vie politique, alors qu'en théorie la vie politique n'est que la garantie des droits de l'homme, des droits de l'homme individuel, et doit donc être suspendue dès qu'elle est contraire à son but, à ces mêmes droits de l'homme. Toutefois, la pratique n'est que l'exception et c'est la théorie qui est la règle. Quand bien même on voudrait considérer la pratique révolutionnaire comme l'exacte position de ce rapport, il resterait toujours à résoudre une énigme : pourquoi, dans la conscience des émancipateurs politiques, cette relation est-elle mise sens dessus dessous, et pourquoi la fin apparaît-elle comme le moyen et le moyen comme la fin ? Cette illusion d'optique de leur conscience serait toujours aussi énigmatique, à ceci près qu'il s'agirait alors d'une énigme psychologique, donc théorique.

L'énigme est facile à résoudre.

L'émancipation politique est en même temps la désagrégation de l'ancienne société sur laquelle repose l'État devenu étranger au peuple - le pouvoir souverain. La révolution politique, c'est la révolution de la société civile. Quel était le caractère de l'ancienne société ? Un seul mot la caractérise : la féodalité. L'ancienne société civile avait directement un caractère politique, c'est-à-dire que les éléments de la vie civile tels que la propriété ou la famille, ou le mode de travail, étaient promus, sous les formes de la seigneurie, des ordres et corporations, éléments de la vie dans l'État. Ils déterminaient, sous cette forme, le rapport de l'individu particulier au tout de l'État, c'est-à-dire son rapport politique, c'est-à-dire le rapport qui le sépare et l'exclut des autres éléments de la société. En effet, cette organisation de la vie du peuple n'éleva pas la propriété et le travail au rang d'éléments sociaux mais acheva plutôt de les séparer du corps de l'État pour en faire des sociétés particulières au sein de la société. Néanmoins, les fonctions et les conditions vitales de la société civile restaient encore politiques, tout au moins au sens de la féodalité, c'est-à-dire qu'elles isolaient l'individu de ce tout qu'est l'État; elles transformaient le rapport particulier entre sa corporation et l'État total en une relation générale de l'individu avec la vie du peuple, de même qu'elles changeaient son activité et sa situation civiles déterminées en une activité et une situation générales. En conséquence de cette organisation, l'unité de l'État, aussi bien que la conscience, la volonté et l'activité de l'unité politique, le pouvoir d'État général, apparaissent aussi nécessairement comme l'affaire particulière d'un souverain séparé du peuple et entouré de ses serviteurs.

La révolution politique qui renversa ce pouvoir souverain et promut les affaires de l'État au rang d'affaires du peuple, qui constitua l'État politique en affaire générale, c'est-à-dire en État réel, brisa nécessairement tous les ordres, corporations, jurandes, privilèges, qui étaient autant d'expressions de la séparation du peuple d'avec la communauté. Ainsi la révolution politique supprima le caractère politique de la société civile. Elle fit éclater la société civile en ses éléments simples, d'une part les individus, d'autre part les éléments matériels et spirituels qui forment la substance vitale de la situation civile de ces individus. Elle déchaîna l'esprit politique qui semblait s'être fragmenté, décomposé, dispersé dans les divers culs-de-sac de la société féodale; elle réunit les fragments épars de l'esprit politique, le libéra de la confusion avec la vie civile et le constitua en sphère de la communauté, de l'affaire générale du peuple dans l'indépendance idéale par rapport à ces éléments particuliers de la vie civile. Telles activités déterminées, telles situations spécifiques de la vie déclinèrent jusqu'à n'avoir plus qu'une importance purement individuelle. Elles ne formèrent plus la relation générale de l'individu au tout de l'État. L'affaire publique comme telle devint au contraire l'affaire générale de chaque individu, et la fonction politique la fonction générale de chacun.

Toutefois, le parachèvement de l'idéalisme de l'État fut en même temps le parachèvement du matérialisme de la société civile. En secouant le joug politique, on se délivra du même coup des liens qui entravaient l'esprit égoïste de la société civile. L'émancipation politique fut, en même temps, l'acte par lequel la société civile s'émancipa de la politique, de l'apparence même d'un contenu général.

La société féodale se trouvait dissoute dans son fondement, dans l'homme, mais dans cet homme qui était réellement fondement de cette société, dans l'homme égoïste.

Cet homme, le membre de la société civile, est bien la base, la condition de l'État politique, et celui-ci le reconnaît comme telle dans les droits de l'homme.

En fait, la liberté de l'homme égoïste et la reconnaissance de cette liberté, c'est plutôt la reconnaissance du mouvement effréné des éléments spirituels et matériels qui constituent le contenu de sa vie.

C'est pourquoi l'homme ne fut pas libéré de la religion : il obtint la liberté des cultes. Il ne fut pas libéré de la propriété; il obtint la liberté de la propriété. Il ne fut pas libéré de l'égoïsme du métier, il obtint la liberté du métier.

La constitution de l'État politique et la désagrégation de la société civile en individus indépendants dont le rapport a pour base le droit, tout comme le rapport des hommes, sous les ordres et les corporations, fut le privilège - s'accomplissent en un seul et même acte. Mais l'homme en tant que membre de la société civile, l'homme non politique, apparaît nécessairement comme l'homme naturel. Les droits de l'homme apparaissent comme des droits naturels, car l'activité consciente se concentre sur l'acte politique. L'homme égoïste est le résultat passif, tout trouvé, de la société dissoute, objet de la certitude immédiate, donc objet naturel. La révolution politique dissout la vie civile en ses éléments constitutifs sans révolutionner ces éléments eux-mêmes et sans les soumettre à la critique. Elle se rapporte à la société civile, au monde des besoins, du travail, des intérêts privés, du droit privé, comme au fondement de son existence, comme à un principe exempt de toute justification, donc comme à sa base naturelle. Voilà enfin l'homme, membre de la société civile, qui s'affirme comme l'homme proprement dit, comme l'homme distinct du citoyen, car il est l'homme dans son existence immédiate, sensible et individuelle, tandis que l'homme politique n'est que l'homme abstrait, artificiel, l'homme comme personne allégorique, morale. L'homme réel n'est reconnu que sous l'aspect de l'individu égoïste et l'homme vrai que sous l'aspect du citoyen abstrait.

Voici comment Rousseau décrit, en termes justes l'homme politique en tant qu'abstraction :

"Celui qui ose entreprendre d'instituer un peuple doit se sentir en état de changer pour ainsi dire la nature humaine, de transformer chaque individu, qui par lui-même est un tout parfait et solidaire, en partie d'un plus grand tout dont cet individu reçoive en quelque sorte sa vie et son être, de substituer une existence partielle et morale à l'existence physique indépendante. Il faut qu'il ôte à l'homme ses forces propres pour lui en donner qui lui soient étrangères et dont il ne puisse faire usage sans le secours d'autrui."

Toute émancipation signifie réduction du monde humain, des rapports sociaux à l'homme lui-même.

L'émancipation politique est la réduction de l'homme, d'une part au membre de la société civile, à l'individu égoïste et indépendant, d'autre part au Citoyen, à la personne morale.

C'est seulement lorsque l'homme individuel, réel, aura recouvré en lui-même le citoyen abstrait et qu'il sera devenu, lui, homme individuel, un être générique dans sa vie empirique, dans son travail individuel, dans ses rapports individuels, lorsque l'homme aura reconnu et organisé ses forces propres comme forces sociales et ne retranchera donc plus de lui la force sociale sous l'aspect de la force politique; c'est alors seulement que l'émancipation humaine sera accomplie.



 le développement supérieur de l’individualité ne s’achète qu’à travers un procès historique dans lequel les individus sont sacrifiés »

La capital : « Ne règnent ici que la Liberté, l’Égalité, la Propriété et Bentham. Liberté ! Car l’acheteur et le vendeur d’une marchandise, par exemple de la force de travail, ne sont déterminés que par leur libre volonté. Ils passent contrat en tant que personnes libres, à parité de droits. Le contrat est le résultat final dans lequel leurs volontés se donnent une expression juridique commune. Égalité ! Car ils ne se rapportent l’un à l’autre qu’en tant que possesseurs de marchandise et échangent équivalent contre équivalent. Propriété ! Car chacun ne dispose que du sien. Bentham ! Car pour chacun d’eux il ne s’agit que de lui-même. La seule puissance qui les réunisse et les mette en rapport est celle de leur égoïsme, de leur avantage particulier, de leurs intérêts privés. Et c’est justement parce qu’ainsi chacun ne s’affaire que pour lui et personne ne s’occupe de l’autre, que tous, en conséquence d’une harmonie préétablie des choses ou sous les auspices d’une providence très futée, accomplissent seulement l’œuvre de leur avantage réciproque, de l’utilité commune, de l’intérêt global. »

« Entre des droits égaux c’est la violence qui décide. Et c’est ainsi que dans l’histoire de la production capitaliste, la réglementation de la journée de travail se présente comme la lutte pour les limites de la journée de travail. Lutte qui oppose le capitaliste global, c’est-à-dire la classe des capitalistes, et le travailleur global, ou la classe ouvrière. »


« le terrain où le droit pousse » est celui de « la propriété bourgeoise »





La critique de Marx vise essentiellement le fait que les droits de l’homme ont pour cœur l’intangibilité du droit de propriété. Même dans la Constitution de 1793, « l’application pratique du droit de l’homme de la liberté, c’est le droit de l’homme de la propriété privée » [26][26] K. Marx, La question juive, op. cit., p. 38 (trad..... La subordination des droits du citoyen aux droits de l’homme (distingué du citoyen) a pour traduction concrète la primauté du droit de propriété. La liberté comme « relation de l’homme avec l’homme » est alors recouverte par la liberté comme jouissance égoïste du propriétaire, « sans relation aux autres hommes, indépendamment de la société ». Le droit de propriété, comme « droit de l’égoïsme », annule les droits « relationnels » qui forment le contenu des « droits du citoyen »

Dépasser les droits de l’homme, dans ces conditions, c’est supprimer leur séparation d’avec les droits des citoyens, les « absorber » dans les droits politiques, tout en étendant les droits politiques à la totalité de la sphère sociale.



Droits de l'homme et droit de la propriété. Individualisme contre communauté disparition des intérêts de classe. Individu contractant- est isolé


Droits de l'homme comme mystification idéologique. Couverture pour masquer l 'exploitation de l'homme par l'homme. Fétichisme du droit comme masque de moyen de la pérennisation enchantée de l'exploitation et des rapprts de forces violents , sous couvert de liberté induividuelle


Droits formels et droits réels. La question le d l'égalité en droits



Droits poltiques démocratiques et dictature bourgeoise


Critique de Marx est à la fois nécessaire et insuffisante : le double face du droit : droit des individus et droits sociaux


Critique de la critique de Marx : le droit libéral est aussi affirmation d'un idéal égalitaire entre les individus et donc pas seulement l'expression d'un rapport des forces actuel : En tan qu'idéal régulateur, il est aussi au-delà de lui même, c'est à dire au-delà de ses lois et règles existantes et en deçà de lui même dans ses applications réelles et donc peut nourrir son auto correction permanente en terme de remise en question poltique et sociale, voire sociétale, de cet écart entre ce qu'il exige et son fonctionnement réel. Marx se situe du point de vue de d'une finalité : l'abolition de toute inégalité réelle dans une société communiste harmonieuse dans laquelle tout égotisme individuel aurait disparu. C'est fondamentalement méconnaître qu'il est dans la nature du désir humain d'être désir narcissique, de pour ; chaque sujet de se comparer pour se reconnaître comme valeur et donc de s'affirmer aux yeux des autres et à ses propres yeux comme, individuellement et collectivement valeureux, voire supérieurs à d'autres, en terme de pouvoir, d'avoir et de paraître La divergence d’intérêts entre les individus ne concerne pas seulement les oppositions de classes qui, n'en sont que des étayages institutionnels et symboliques relatifs, mais aussi qui fondamentalement dans toute formation sociale s'exprime dans une la compétition entre les désirs pour la reconnaissance, compétition qui prend telle ou telle forme selon les rapports sociaux existant et le mode de production qui les détermine. La position de Marx est eschatologique et donc religieuse et non pas scientifique , contrairement à ce qu'il prétendait. « Le communiste, disait-il, doit, non pas abolir la religion mais la réaliser sur terre ». C'est cette vision à la fois déterministe et eschatologique de l'histoire, comme si Marx avait fusionné les deux causes aristotélicienne, matérielle et formelle, sous une forme dialectique, avec la cause finale qui par nature commande toutes les autres, de par la logique d'un processus dialectique d'une révolution annoncée rendue nécessaire, voire inéluctable, par les contradictions du capitalisme . C'est cette vision qui porte en elle la mort du marxisme sinon celle de la pensée critique de Marx encore vivante dans ses analyses des contradictions du capitalisme.

C'est cette vision qui est probablement, sur le plan politique, responsable du totalitarisme étatiste qui s'est réclamé de lui, faisant du parti-état une église théologico-politique, au pouvoir absolu, chargée de réaliser ce destin glorieux et salvateur sur terre qu'est la révolution socialiste produisant un homme nouveau. Nous savons que cette Église, qui par un pouvoir quasi-divin, prétendant représenter la classe qui libérerait l'humanité du péché de l'exploitation de l'homme par l'homme s'est réellement constituée en classe dominante, voire hégémonique exerçant un pouvoir sans limite sur les individus qu'il s'agit de rendre, par la contrainte de la terreur, des serviteurs zélés de cette mission révolutionnaire : construire une société communiste dépourvus de tentations égoïstes  et donc spontanément coopérative dans laquelle l'état et le droit seraient du même coup sans fonction et disparaîtraient de la vie sociale, « dépériraient » dit Marx, sans avoir besoin d'être abolis  ! Nous savons que ce parti s'est en réalité transformé en machine de violence soumise au service des intérêts particuliers de pouvoirs et d'avoir de ses membres, à commencer par celui de son chef dont la culte de la personnalité a été érigé, comme, il se doit dans une telle structure totalitaire en rituel d’allégeance obligatoire suprême.


Quatrième forme de fétichisme.

Marx et la religion

Voici le fondement de la critique irréligieuse : c'est l'homme qui fait la religion et non la religion qui fait l'homme. A la vérité, la religion  est la conscience de soi et le sentiment de soi de l'homme qui, ou bien ne s'est pas encore conquis, ou bien s'est déjà de nouveau perdu. Mais l'homme, ce n'est pas un être abstrait recroquevillé hors du monde. L'homme c'est le monde de l'homme, c'est l'Etat, c'est la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, une conscience renversée du monde parce qu'ils sont eux-mêmes un monde renversé. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément cérémoniel, son universel motif de consolation et de justification. Elle est la réalisation chimérique de l'essence humaine, parce que l'essence humaine ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion, c'est donc, indirectement  lutter contre ce monde là, dont la religion est l'arôme spirituel.



   La misère religieuse est tout à la fois l'expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l'âme d'un monde sans coeur, de même qu'elle est l'esprit d'un état de choses où il n'est point d'esprit. Elle est l'opium du peuple.



    Nier la religion, ce bonheur illusoire du peuple, c'est exiger son bonheur réel. Exiger qu'il abandonne toute illusion sur son état, c'est exiger qu'il renonce à un état qui a besoin d'illusions. La critique de la religion contient en germe la critique de la vallée de larmes dont la religion est l'auréole. [...] La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique.