Si par libéralisme politique on entend pluralisme, pluralité des partis politiques et des syndicats, liberté d'opinion et d'expression dans le respect de la personne et de la vie privée d'autrui, suffrage universel et principe "un homme (ou une femme!) = une voix", alors l'affaire semble entendue : comment pourrait-on ne pas être libéral ? Le libéralisme politique est victime de son succès et a dû, sur le plan sémantique, céder la place au terme "démocratie" une fois levée l'hypothèque de "démocraties populaires" qui rimaient avec Parti Unique, élections contraintes et privation de toute liberté d'expression comme du libre accès à l'information.
Là dessus nous sommes d’accord
Et pourtant : le libéralisme me semble
bel et bien miné par une contradiction interne, qu'il est à
mon sens dans l'incapacité de réduire, à plus forte
raison de résoudre.
Le libéralisme repose, on l'oublie trop
souvent, sur une certaine conception de l'homme, bien précise, sur
une certaine anthropologie. Cette anthropologie consiste à penser
l'homme comme essentiellement
tourné vers le commerce et les échanges,
l'homme
serait un animal qui travaille pour avoir quelque chose à échanger,
et pour, via cet échange, trouver à satisfaire tant ses besoins
fondamentaux que ses désirs individuels ou collectifs. La guerre,
le conflit ne seraient donc que des pis allers auxquels n'auraient recours
que les infortunés dans l'incapacité d'obtenir par échange
contractuel la satisfaction de leurs besoins et de leurs désirs.
Or l'histoire ne nous montre-t-elle pas, a contrario, que les hommes aiment
la guerre (comme l'écrivait Bataille), en dépit de ce qu'il
peut dire ou prétendre là-contre ? N'y a-t-il pas une propension
agonale, conflictuelle, inscrite au coeur même de l'être humain,
une propension peut-être indéracinable (comme le pensait Hobbes
qui fonde le politique en prenant en compte cette propension indéracinable,
qui correspond à ce que F. Fukuyama, à la suite de Platon,
appelle le "thymos" : le coeur, le courage, la propension à se mesurer
à ses semblables) ?
Tout échange n’est pas un commerce : l’échange amoureux n’est pas la prostitution et le libéralisme ne limite pas ses analyses et propositions au commerce marchand ; même pour les libéraux historiques tel Hume et A.SMITH qui distinguent plusieurs types de jeux et de sentiments sociaux et relationnels ; pour ma part je ne vois aucune raison « d’interdire » au nom du libéralisme des échanges non-marchands entre des personnes consentantes donc libres de décider et de négocier la nature, les modalités et les objectifs de leurs relations. Donc tu ne vois de contradiction qu’au nom d’une vision réductrice et fallacieuse (inconséquente) du libéralisme que je refuse à bon droit. J’ajoute que pour moi le rapport à la marchandise n’est pas l’expression unique et privilégiée du désir ; tout désir n’est pas de consommation ; mais tout désir est toujours du désir de l’autre et de soi comme objet/sujet du désir, avec ou sans marchandise… (Voir Hegel : phénoménologie de l’Esprit ; désir et reconnaissance). Tout désir porte donc une dimension éthique et rationnelle à l’autre et à soi (conscience de soi et reconnaissance); même le désir « marchandisé »
D’accord le désir est toujours conflictuel et à prétention dominatrice voire violente et (auto) destructrice et dès lors que tout désir est aussi expression de la pulsion de mort (Freud) (dissociative) et/ou de la tendance spontannée à l’insociabilité (Kant), inhérente (selon Kant reprenant en cela Hobbes) à la conscience toujours valorisante de soi, qu’est la passion vaniteuse (Hobbes), en effet irréductible (sauf extase mystique, autre version de la pulsion de mort qui abolirait la « conscience de soi » pour soi (Sartre)?). Mais cette pulsion narcissique exclusive (de mort) est mortelle pour soi et les autres et doit impérativement être soumise à la pulsion de vie et/ou de sociabilité sous la forme d’une agressivité plus ou moins altruiste et compétitive non-violente (ex : le sport) en vue de satisfaire (relativement) le désir socialisable de reconnaissance et d’amour de soi par la médiation de l’amour et de l’estime des autres. Nul ne peut survivre à la haine et au mépris des autres (et donc de soi). C’est dire que l’ambivalence est le moteur du désir ; domination/échange, possession/amitié ; égoïsme exclusif/égoïsme altruiste (non exclusif), amour de soi/amour propre (Rousseau) etc.. oblige à une régulation éthique de nos relations de désir qui ne prétend(rait) pas résoudre les conflits et les contradictions( illusion religieuse) entre les sujets mais qui tend(rait)(corps et esprit, voire érotique) de soumettre Thanatos (pulsion de mort dissociative et auto-destructive) à Eros( pulsion de vie associative et contractuelle et auto-constructive, selon des procédures symboliques et expressives pragmatiques dont le dialogue et ses exigences éthiques font partie. Le dialogue suppose le conflit toujours régulé mais jamais dépassé. Le conflit articulé sur l’échange symbolique et/ou de plaisir et de joies et non sur fond de violence (physique et morale) destructrice de possibilité de la relation vivante et auto-constructrice de soi.
A cet égard, la compétition
économique joue-t-elle un rôle de dérivatif suffisant
pour détourner la totalité du
courant qui porte l'homme au combat, à
la guerre ? L'enjeu de cette question est ni plus ni moins que la question
de la fin de l'histoire : si la propension humaine au conflit trouve tout
entière à s'épancher dans la compétition économique,
alors oui, comme le pense Fukuyama, nous sommes bien à la fin de
l'histoire depuis l'effondrement du modèle soviétique, et
la démocratie libérale à l'occidentale n'a plus de
concurrent en termes de modèles politiques et économiques.
Le commerce disait Montesquieu, par sa logique même, est exclusif de la guerre (Kant dira la même chose) pour une bonne raison : le vendeur ne peut vouloir la mort ou la spoliation de son client sans arrêter l’échange et se disqualifier en tant que vendeur; mais il peut chercher à vaincre un concurrent sans pour autant prétendre sérieusement le détruire définitivement sinon il s’offrirait lui-même à cette destruction définitive ; le jeu commercial est par définition ouvert : chacun peut croire que, vaincu, il pourra devenir vainqueur. En ce sens le commerce et l’économie compétitive ressemble au sport (d’où la référence sportive et à ses règles éthiques dans le langage économique). Et le sport est un guerre symbolique (sans mort) qui, en effet sublime au profit du dynamisme relationnel socialisant des échanges, le désir de détruire l’autre. Fin de l’histoire ? Oui et non. La menace de violence indifférenciée ne sera jamais vaincue et tout peut basculer même dans la barbarie et l’auto-destruction généralisée mais le pire n’est pas sûr et ce que l’on peut dire c’est que, pour l’éviter, il faudra(it) une régulation mondiale du jeu économique démocratisant les relations de pouvoirs ; en cela la démocratie mondiale et ses présupposés éthiques ( normatifs et non pas réels) libéraux sont l’horizon indépassable de la civilisation universelle en voie de mondialisation au travers des échanges, nopn seulement de marchandises mais d’idées, de valeurs et de référents symboliques: Les droits de l’homme, non seulement dans leur définition formelle, mais dans leurs conditions réelles sont bien la seule fin souhaitable, voire convenable de l’Histoire. Laquelle en nous est en rien garantie, en effet.
Mais pourquoi est-il permis d'en douter ?
1. Le libéralisme ne veut connaître
que les seuls individus, et fonder à partir d'eux seuls la société
et l'Etat. Cette position, si elle est favorable au maintien des libertés
individuelles, n'en est pas moins unilatérale, elle ne veut voir
qu'un seul côté des choses, et s'expose ainsi à la
contradiction du communautarisme, qui a beau jeu de rappeller que le citoyen
n'est pas seulement un individu, ne se rattache pas directement à
l'Etat, mais est aussi membre d'une famille, d'une classe sociale, éventuellement
d'une corporation, d'une minorité ethnique, d'une appartenance religieuse,
idéologique, etc. L'individu n'a pas que des intérêts
individuels à défendre. Que l'on soit hostile ou favorable
au communautarisme, que l'on le considère comme une chance, un correctif
salutaire ou comme une menace, peu importe : le fait est que le libéralisme
se "découvre" bien sur ce flan là.
Il convient de bien distinguer deux plans ; celui
des faits et celui des normes. Nul ne prétend que les hommes ne
nouent pas des relations attachantes dans les faits , voire qu’ils n’en
aient pas besoin ; mais la position libérale ce contente d’affirmer
que cet attachement doit relever des choix individuels et non pas être
imposé aux individus malgré et contre leur désir et/ou
volonté. Il s’agit d’un postulat régulateur pour éviter
la domination et la violence justifiée au nom de la communauté
sur ses prétendus membres qui n’en seraient que les esclaves plus
ou moins consentant dès qu’ils leur appartiendraient ; sur ce point
la question des femmes est particulièrement éclairante…Si
l’individu a des intérêts collectifs à défendre
c’est qu’il les reconnaît comme sien et qu’il reste libre en tant
qu’individu de les récuser. Le communautarisme est subordonné
à l’individualisme éthique et non l’inverse et n’est tolérable
qu’à ce titre (voir problème de l’excision et/ou de l’enseignement
religieux). Tout communautarisme négateur du droit des individus
à la liberté d’appartenance et de penser est incompatible
avec les fondements de démocratie et de la nature normative
(et non pas réelle ; tacite dit Kant)) contractuelle de l’association
politique (voir le débat sur la nature du contrat social chez Hobbes,
Spinoza, Rousseau et Kant, B.Constant). Le libéralisme n’a donc
rien à dire sur la manière dont les individus s’attachent
ou non les uns aux autres, sauf à refuser la violence et la domination
comme mode régulateur de cet attachement. La contradiction que tu
crois voire (à mon avis à tort) vient du fait que tu opposent
des jugements de réalité à des jugements de valeurs
et que tu prétends peut-être implicitement soumettre l’éthique
à la réalité sociale, empiriquement constatable
des relations humaines. Le libéralisme est un point de vue éthique
et normatif (une croyance régulatrice) non un savoir, ni une analyse
anthropologique de la réalité sociale et/ou psychologique
des relations humaines; mais ce faisant et là est la finesse, cette
distinction éthique/mœurs permet une libération critique
réelle des individus par rapport aux symboliques holistes et contribue
à forger un autre mode de relation interpersonnelles plus libéral
et de conscience de soi dans ses relations aux autres (voir les relations
intra-familiales et/ou amoureuses, voire religieuses) ; ainsi se produit
une dynamique sociale, sinon irrésistible du moins efficace en vue
de l’idéal régulateur démocratique que nous partageons
sur la plan politique (voir le début de ton texte)(Mais peut-être,
j’espère sur d’autres).
On ne peut plus oublier, après Hegel, que
l'individu coupé de sa famille, de sa classe sociale, de son inscription
dans l'histoire, serait une pure abstraction qui n'aurait ni désirs,
ni intérêts à défendre. De tels individus seraient
purement et simplement interchangeables, ne sauraient
quel contenu donner à leur liberté, et devraient alors voir
leur désir pourvu d'un objet de l'extérieur, à leur
insu (René Girard) : chacun ne désirerait qu'en imitation
du désir de l'autre, des autres. Critique plus grave encore : les
individus ainsi réduits à eux-mêmes, à leur
plus simple expression, seraient complètement atomisés, seuls
face à la puissance écrasante de l'Etat et des pouvoirs financiers.
Une société, opposée
radicalement à une communauté d'appartenance,
serait purement atomisée, ce qui, comme Hannah Arendt l'a montré,
fait le lit d'un pouvoir totalitaire sur le plan politique.
Le libéralisme (authentique) ne réduit
rien puisqu’il laisse libre les individus de nouer les relations d’attachement
et d’intérêts collectifs qu’ils désirent il se refuse
simplement à imposer une modèle d’appartenance non contractualisé
(able) ; en cela je ne suis pas d’accord avec Hegel et le rôle divin/rationnel
qu’il confie à l’Etat qui pour lui, a toujours raison contre les
individus et même les corporations (celles-ci servant de médiations
de l’état Vis-à-vis des individus et/ou de l’universel vis-à-vis
des particuliers) Mais, comme tu le sais, Hegel n’était pas particulièrement
un démocrate.
2. Le libéralisme repose, outre sur une anthropologie, sur un postulat quant à la nature des sociétés humaines. Les sociétés ne sont pas des constructions, fruits de la raison, de l'application de la raison à l'organisation de la coexistence des hommes (objet traditionnel de la politique depuis au moins Aristote), mais relèvent d'un ordre spontané, qui s'impose peu à peu de lui-même, sans qu'il ait besoin d'être compris et voulu par qui que ce soit (qu'il s'agisse de partis politiques ou de simples individus). Un tel ordre spontané serait infiniment plus complexe que n'importe quelle organisation sociale conçue par la raison humaine. Toute société humaine, en se complexifiant, évoluerait insensiblement vers une organisation libérale tant sur le plan politique qu'économique, toute autre forme d'organisation politique (fondée par exemple sur un plan) étant vouée à une lente disparition en raison de son inadéquation, de son inadaptation à une société de plus en plus complexe.
Non le libéralisme ne dit rien sur la nature humaine, sauf argument confus et inconséquent chez certains qui « «métaphysisent» en le naturalisant leur position, mais sur un idéal régulateur des relations humaines sur le plan politique ; lui-même du reste facteur d’évolution de cette prétendue nature anthropologique. La nature a toujours bon dos et se laisse faire des enfants dans le dos par la culture sans rien dire ; et pour cause)
Or :
- sur l'idée que les sociétés
seraient de plus en plus complexes : les anthropologues et les ethnologues
ont re,duu justice à cette idée en lui tordant le cou : les
sociétés dites "primitives" ne sont pas moins complexes que
les sociétés dites modernes, même si elles ne qsont
pas, à l'instar des sociétés modernes, des sociétés
de masse. Lévi-Strauss par exemple, pour ne citer que lui, a montré
que les sociétés dites primitives ne pouvaient nous paraître
simples qu'à raison de notre
ignorance de la complexité des lois qui
règlent les échanges matrimoniaux par exemple.
Simples/complexes, ne sont pas pour moi des termes pertinents s’ils sont des termes descriptifs: la question est de comprendre en quoi la gestion des relations humaine par chacun et les institutions politiques et/ou religieuses et idéologiques (comme machines de pouvoir) est plus problématique dans une société libérale et pluraliste que dans un société « traditionaliste » et religieuse, idéologiquement plus ou moins totalitaire (voir le contrôle uniformisant de la sexualité et de la vie dite « privée » dont le terme même et sa distinction avec le vie publique y sont méconnus, sinon inconnus)
- Si les libéraux avaient raison, il ne
faudrait à aucun prix "vendre la mèche", le jeu d'autorégulation
du marché fonctionnant d'autant mieux que personne ne s'en avise.
Or tous les intellectuels libéraux consacrent toute leur oeuvre
à nous expliquer comment, selon le libéralisme, ça
"marche".Ils nous jurent leurs grands dieux que la main est invisible,
et l'instant d'après, ils nous montrent le dessous des cartes,
comme si ils avaient eu, malgré tout, accès au "vrai" fonctionnement
social et économique. Outrent qu'ils se meuvent dans la même
contradiction que Rousseau écrivant un livre pour expliquer qu'il
faut brûler tous les livres, ils exposent
ce qui est censé resté caché aux hommes au risque
de faire capoter toute l'affaire...
Les libéraux dont tu parles ne sont, en
effet que des faux naïfs inconséquents et de réels mystificateurs
qui cachent sciemment que l’auto-régulation économique «
just » est un leurre dans un cadre inégalitaire du point
de vue même des libertés de tous: Sans l’état et les
droits sociaux cette auto-régulation conduit nécessairement
au monopole, au déséquilibre et à la domination donc
à « la liberté du renard libre dans le poulailler libre
(Marx) », à la destruction de la confiance (essentielle) pour
tout acteur économique, voire et à la violence sociale, politique
ou criminelle. C’est pourquoi le seul libéralisme est social-démocrate,
en cela qu’il doit soumettre l’économie contractuelle (donc, en
cela libérale) aux exigences éthiques régulatrices
des relations de désirs entres les individus afin que nul ne se
sente radicalement exclu et humilié dans le jeu de la compétition
sociale et des relations d’exploitation/coopération qu’elles instituent.
C’est non seulement une nécessité érhique mais aussi
fonctionnelle du point de vue de la survie du capitalisme : Toute société
ne peut se maintenir qu’en se justifiant du point de vue des intérêts
sinon communs, du moins mutuels des individus qui la compose. Un capitalisme
sauvagement auto-régulé est injustifiable et donc à
terme démocratiquement ou violemment ou condamné(able.)
- Que je sache, le suffrage universel, la
pluralité des partis politiques, la liberté de la presse
(etc.) ne se sont pas abattus sur l'Europe et l'Amérique du Nord
par l'opération du saint Esprit. Tous ces acquis sont le fruit de
luttes politiques. Ces institutions censées émerger "spontanément"
du simple cours des choses ont en fait été l'objet d'un combat
politique, ont été promues par des partis libéraux
en lutte contrre d'autres partis politiques (réactionnaires, conservateurs,
collectivistes par exemple). L'idée même d'un parti libéral
n'est-elle pas un contresens sur le libéralisme ? L'existence d'un
programme libéral n'est-elle pas la plus belle réfutation
du libéralisme ? Les institutions garantissant la liberté
politique des citoyens ont bien été pensées (Montesquieu,
Locke), désirées, voulues, avant de devenir réalité
dans un certain nombre de pays. Elles
n'émergent nullement de façon aveugle
d'un quelconque "ordre spontané".
- F. von Hayek, qui se qualifie lui-même
de "libéral intégral", nous jure ses grands dieux que la
min est invisible, mais le voici l'instant d'après nous sortant
de ses cartons une "philosophie de l'histoire" dont sa pensée n'a
nullement les moyens théoriques. Tous les régimes convergeraient
à terme vers un type de régime unique : les organisations
socio-politiques démocratiques libérales.
- Hayek est un pseudo-libéral non universaliste qui fait de l’inégalité un fait de nature et non de société : conséquence ; certains sont par nature destinés à subir, au nom de la liberté, la domination de ceux qui disposent des moyens du pouvoirs : le capital, le savoir et l’état; le seul problème c’est qu’il est impossible que ceux d’en bas acceptent longtemps cette argument. Hayek est politiquement inutilisable, dans une société libérale, sinon pour ceux, une infime minorité de profiteurs qui sont déjà convaincus car ils ont un intérêts particulier à l’être, le pensent sans le dire.. Même les capitalistes doivent se donner un image sociale pour légitimer leur pouvoir. Ne pas (vouloir ou désirer) voir cela est philosophiquement et politiquement une imbécillité ou une mauvaise foi irrationnelle géante qui fait litière de tous les textes et pensées fondatrices (y compris Machiavel).
- Or : il y a quelque chose de détestable
(je veux dire : de périlleux pour la démocratie) à
nous présenter l'avenir comme inscrit dans les astres, tout comme
il était détestable jadis de nous affirmer que la révolution
et la victoire historique du prolétariat étaient inéluctables
- (le choix politique se résumant
alors à mettre la main à la pâte, ou à subir
cette révolution à son corps défendant). Si l'avenir
est écrit quelque part, alors la volonté politique n'a plus
d'objet, il faut laisser les choses se faire d'elles-mêmes. Que chacun
vaque à ses petites affaires, se désintéresse de l'intérêt
commun, du bien commun qui prendront bien soin d'eux-mêmes tout seuls.
Paradoxalement, on touche ici à la parenté profonde du marxisme
et du libéralisme (ce n'est
pas impunément qu'ils s'enracinent dans
la même tradition anglo-saxonne: Adam Smith, Locke, Ricardo...)
: dans les deux cas, on prétend nous prophétiser l'avenir
au nom de lois inaccessibles au vulgaire, démobilisant, pour ne
pas dire discréditant, toute action politique, tout intérêt
de l'individu pour la chose publique.
- D’accord, c’est pourquoi il y a toujours un choix en démocratie, même capitaliste, entre plusieurs conceptions des rapports entre liberté individuelle et justice sociale (droite/gauche). Et des rapports entre économie privée et services publics
- Donc, la question est double :
a) les notions de parti libéral, de programme
libéral, sont-elles des
contradictions dans les termes ?
Sans autre précision ces notions sont vides
sinon qu’elles désignent l’espace
démocratique comme espace privilégié
de la vie politique ; ce qui ne suffit, à l'évidence,
pas à faire ni un parti, ni un programme, de gauche ou de droite
(républicains).
b) L'avenir des sociétés humaines est-il affaire de connaissance (une théorie le prenant pour objet est-elle susceptible d'être vraie ou fausse ?) ou de volonté politique ?
L’avenir politique est affaire de volonté et de vision politique ; mais telle ou telle position est plus ou moins susceptible de fonder vune démocratie « performante » et pacifiée.
3. Enfin, pour porter la question jusqu'au coeur même de la théorie libérale : le libéralisme est-il une théorie falsifiable ?
Au sens de vérité théorique (Kant) sûrement pas (voir plus haut) ;au sens du bien vivre ensemble (vérité pragmatique) (réduction de la violence (physique et psychologique) accroissement de l’autonomie des individus et de leur coopération volontaire ou désirée) ni plus ni moins que pour tout principe régulateur : il faut juger sur pièce et le moins que l’on puisse dire c’est que les systèmes politiques et idéologiques non-libéraux n’ont pas fait la preuve de leur supériorité sur ce plan.
C'est K. Popper, le disciple le plus éminent
d'Hayek (discutable), qui a formulé l'exigence de falsifiabilité
pour toute théorie revendiquant un statut de vérité.
Une théorie qui ne se soumet pas au critère de falsifiabilité
(= qui est incapable ou refuse d'énoncer les conditions qui, si
elles étaient réunies, montreraient que la théorie
est fausse) ne peut prétendre être
vraie ou fausse : est dépourvue de valeur
de vérité, elle est vide, creuse, sans objet. (cela ne vaut
que pour des énoncés de vérité réalistes)
Or on ne voit pas très bien ce qui pourrait permettre de falsifier
le coeur de a théorie libérale. (Son effondrement dans l’extrême
violence, par impossibilité théorique et logique de réguler
démocratiquement ses contradictions internes ;or justement c’est
ce qui fait jusqu’à présent, la supériorité
expérimentale relative de la démocratie par rapport à
tout autre système politique : sa souplesse adaptative et régulatrice
de la violence ((« le pire régime politique à l’exception
de tous les autres »)
On pourra toujours arguer de l'histoire récente,
de l'effondrement du système soviétique. Mais cela n'est
pas probant : d'une part le communisme n'a pas disparu de la surface de
la terre (Chine, Cuba, Corée du Nord, partis politiques en occident...)
; d'autre part, rien ne garantit par avance (sauf pétition de principe)
que les Etats d'Afrique noire par exemple vont "converger" pour se rapprocher
toujours plus d'un système politico-économique prévalant
en occident. Dans la mesure où le
libéralisme n'avance aucune prédiction
sur la vitesse ou le rythme selon lequel toutes les sociétés
humaines vont se rallier au modèle libéral ; dans la mesure
où le libéralisme concède que des "régressions"
locales (un éloignement temporaire du modèle libéral
dont on sétait auparavant rapproché) sont possibles pour
une période donnée mais finie, le libéralisme est
par définition infalsifiable, il se présente comme un dogme
ou comme une pétition de principe : étant non falsifiable,
il est,
de l'aveu même de Popper, dépourvu
de toute valeur de vérité.
Au sens théorique (réaliste) oui mais pas au sens pragmatique : conformité réaliste à ce qui est politiquement souhaitable pour assurer réellement la promotion de tous et l’universalité des droits et des libertés.
N'étant ni vrai ni faux, il nous présente simplement un modèle plus ou moins désirable (et efficace), il laisse la place à l'action politique.
D’accord
A-t-on encore le droit de n'être pas libéral
dans une société libérale ?
Le libéralisme en tant que théorie
a pour vocation de promouvoir une pluralité que le combat libéral
ne peut que tendre à laminer (au faux sens réducteur dont
nous faisons la critique, oui, mais au sens rationnel du mot, non) . Pour
un libéral, comment peut-on ne pas être libéral ? Telle
est la limite sans appel du libéralisme.
Exact, "toute détermination est une négation"
a dit Spinoza, mais cette limite est aussi celle de la démocratie
: se défendre contre ses ennemis, démocratiquement si possible,
sinon par d’autres moyens (temporaires) est une exigence de la démocratie
: le démocratie est un choix déterminé donc limité
du désirable raisonné et raisonnable et rien d’autre
Et c’est déjà un argument pratiquement
suffisant
Conclusion : tu es contre le pseudo-libéralisme sauvage, moi aussi ; je suis pour un libéralisme civilisé et régulé dans le sens de la lutte contre les inégalités, toujours facteur de violences infra-politique ; et toi tu serais pour un système non-libéral? Si oui, je me demande lequel. Mais te connaissant, j’en doute…
Re-salut Sylvain,
Finalement, à la réflexion, j'ai
un peu plus développé mes réactions à ton texte.
Tu peux aller voir en ligne sur mon site.
On n'est vraiment pas sur des positions très
éloignées. Je pense que tu n'as peut-être pas tout
à fait répondu à ce que j'appellerais pompeusement
mon paradoxe "pluralité principielle/monolithisme à l'arrivée".
Au nom du marché, peut-on ne pas déboucher sur la pensée
unique ? Cf. la phrase de Minc : "Ce n'est pas la pensée qui est
unique, c'est le réel". Ex. d'après moi de dogmatisme qui
identifie le réel et un modèle théorique pour le penser.
Et puis l'autre point sur lequel je te relance : peut-on vraiment ne pas
choisir entre pragmatisme et libéralisme ?
Cf le chapitre de mon cours Culture G. où
je les oppose. (avec l'utilitarisme en prime).
Il y a un 3è passage de ton texte que
je ne suis pas sûr de comprendresur le plan matériel : "l'auto
régulation économiste "just""
just = ajustée, efficace (rien de trop
et juste à temps) et équilibrée quant à
la satisfaction mutuelle des désirs:
que veux tu dire exactement ? Y a-t-il une coquille
dans ton texte ? (§ qui commence par "Les libéraux dont tu
parles...")
A bientôt,
Amicalement,
Jacques.
Il y a plusieurs modèles et variantes d'économie libérale plus ou moins sociale et plusieurs variantes du libéralisme: de celle qui refuse toute forme de solidarité sociale ( sécu, retraite, enseignement) et qui est libérale en parole mais socialement très dominatrice et exploiteuse en fait (et donc réellement anti-libérale au sens politique) à celles qui font de la solidarrité et des droits sociaux une condition de l'universalisation des droits et donc, à :mon sens, du libéralisme conséquent. Donc il n'y a pas de pensée libérale unique sauf pour qui prétendrait qu'un seul modèle de libéralisme, celui qui est le moins universalisable (selon moi) s'imposerait à tous, ce qui est pour le moins absurde. Ceci dit le conflit entre liberté individuelle et droits sociaux est au coeur de toute société démocratique politiquement libérale et ce conflit (droite/gauche), quant à sa régulation, est très complexe.
Le pragmatisme libéral se subdivise en
six variantes plus ou moins combinées et/ou opposées selon
des modalités de conflits/compromis très complexes:
1) une première opposition
partage celles qui opère d'une manière macroéconomique
ou globalisante et fait de la rationalité expérimentale globale
une rationalité pratique (succès des actions en vue d'objectifs
communs déterminables, quantifiables et démocratiquement
définis ) autonome (voir l'utilitarisme social) condition nécessaire
mais non suffisante des rationalités stratégiques des individus
et l'autre qui ne considère que le pragmatisme individuel (utilitarisme
efficace ndividuel) en prétendant en faire la base nécessaire
et suffisante de la rationalité globale.
2) Une seconde partage une pragmatisme
du court terme à un pragmatisme du long terme (quand prendre la
mesure du succès?)
3) une troisième oppose un pragmatisme
purement subjectif et qualitatif (le sentiment du bien-être, voire
du bonheur) à un pragmatisme objectif selon des marqueurs quantifiables
déterminés et communs.
En cela le choix politique est toujours
onvert.
C'est dire que si tout pragmatisme est utilitariste,
les différentes variantes de l'utilité ne sont pas forcément
pragmatiques: ne le sont que celles qui ne font pas intervenir le désir
d'absolu (religieux ou moral) comme condition nécessaire du bien-vivre.
Seule une éthique de responsabilité est pragmatique et non
une éthique de conviction (M. Weber), tout en étant au sens
large (subjectif) utile à ceux qui en sont ou se croient victimeset/ou
bénéficiaire, comme tu voudras...
Mais il convient d'introduire une réserve
très importante: quand une conviction est vécue comme
un impératif dogmatique (au mauvais sens du terme) qui s'impose
au autres, y compris à ceux qui ne la partagent pas, et quand elle
est contradictoire avec les droits universels de l'homme, elle devient,
en effet, insoluble dans le libéralisme et donc anti-démocratique
et cela est indépendant du fait qu'elle soit ou non soutenue par
une majorité de la population: la démocratie ne doit pas
être confondue avec la tyrannie de la majorité.