Qualité et justice des mineurs


Je traiterai dans mon intervention des rapports entre la notion complexe de qualité, les enjeux de votre mission, et les contradictions, voire, par hypothèse au regard de ces derniers, des conflits qui sont susceptibles d’ affecter la qualité de votre engagement et donc l’engagement de votre institution dans une démarche qualité. N’ayant fait aucune enquête, Je ne peux prétendre savoir ce qu’il en est concrètement de votre fonctionnement et il est possible, voire nécessaire, que ce que j’avance soit décalé par rapport au vécu des personnes qui y collaborent. Mais je pense précisément que ce décalage peut être source de réflexion et de discussion. Un regard extérieur philosophique sur les principes et les valeurs qui me semblent engagés dans les missions qui vous sont confiées peuvent toujours être bénéfiques à une remise en question féconde du fonctionnement de votre organisation. Il convient à cet égard de distinguer une vision technocratique et prescriptive de la qualité qui en escamote les fondements et celle, philosophique, qui commence par mettre à jour les contrariétés et les tensions de principes et de valeurs qui traversent et animent votre institution et ses missions. Pour, sinon les résoudre, du moins en faire le meilleur usage possible dans une perspective dynamique et évolutive en vue de trouver des orientations nécessaires pour mettre en place les compromis indispensables afin d’améliorer de son efficience..

Mon plan sera le suivant :

Les diverses dimensions de la notion de qualité

Qualité et éducation

Qualité et justice des mineurs

Qualité et l’engagement de la démarche qualité en interne.


Définition de la notion de qualité


Dans un texte des "ORGANON", Aristote souligne l'équivoque de la notion de QUALITE. Il dégage quatre significations groupées en deux catégories, à laquelle j’en ajouterai une supplémentaire

La première fait référence au discours et concerne l'objet: "J'appelle qualité ce en vertu de quoi un objet quelconque est dit être tel" Celle-ci est donc pour Aristote ce qui nous permet de nommer un objet ,de le classer selon son idée, d’après une ou plusieurs différences spécifiques. Un homme, par exemple, est nommé tel car il a la qualité d'être raisonnable et sociable; il s'agit bien d'un jugement ,mais il détermine, à tort ou à raison, la classe des hommes;  il n'affirme aucune évaluation subjective; par contre il va permettre de juger d'une manière rationnelle de la réalité et de la valeur fonctionnelle objectives des objets particuliers: Tel homme est-il de bonne qualité, répond-il à son essence? Est-il un bon citoyen, ce qu’il a pour fonction d’être. Sans qualité les choses et les êtres n'auraient pas de nature ni de réalité déterminée , ni de fonctions ou finalités et l'on ne pourrait même pas les nommer: le discours serait un bruit insignifiant et l'être un pur chaos innommable; aucun jugement objectif ne serait possible et aucun jugement de valeur ne pourrait être objectif. 

Mais cette notion de qualité qui définit l’être d’un objet de pensée, ce qui le définit en en compréhension par des caractères, des propriétés distinctives, est en permanence recouverte et parfois masquée par d’autres dimensions de son sens dont il est souvent difficile de la distinguer. Et je prendrai pour exposer clairement ces dimensions, des exemples qui vous concernent dans votre mission de requalification à la citoyenneté des jeunes délinquants.


Qualité première/qualité seconde qualité permanente et qualité temporaire.

Un jeune mineur n’est pas encore un homme adulte, car il est un adulte en devenir ou en puissance. Or il n‘est pas prédéterminé à devenir un adulte accompli bien intégré à la société, un bon citoyen respectueux des lois, car Il faut que les conditions de son éducation soient favorables à cette finalité . En cela il se distingue de l’animal qui est principalement un être de nature et non pas de culture et qui est spontanément ce qu’il doit être. Sa qualité première est d’être un homme conscient de soi et sociable, ce qui le distingue des autres animaux (animal politique), en cela il est, ai-je dit, un citoyen, mais la qualité première qu’est cette sociabilité peut être affectée par les manques dans son éducation. Celle-ci peut être défaillante ou pervertie, au point de le rendre inapte à la coopération sociale, au point de le rendre asocial ou criminel, un mauvais citoyen, voire un anti-citoyen.


Sa qualité première d’homme est-elle affectée par sa qualité seconde de criminel? Oui, si l’on considère qu’il est définitivement compromis dans son humanité jusqu’à la folie et la monstruosité, non, si l’on admet qu’il est conscient de la loi qu’il a violée (Nul n’est censé ignorer la loi), conscient de ses actes et donc responsable, en ce sens qu’il était libre de commettre ou non l’acte délictueux. Il peut alors en répondre devant la société et ses victimes. Il a conscience de sa culpabilité, dès lors qu’il a commis le mal volontairement en toute conscience de soi et qu’il sait qu’il mérite d’être puni et qu’il doit réparation à ses victimes. La qualité seconde que lui confère son crime est alors non liée à sa qualité première d’homme, mais à sa qualité seconde et temporaire de criminel. C’est son acte et sa décision qui en font un criminel, pas sa nature d’homme ou de non-homme (monstre) . Il peut alors être jugé comme capable de corriger sa qualité seconde de criminel pour s’en délivrer dès lors qu’il aura purgé sa peine. Il peut se réinsérer dans la société, comme lavé de son crime et se rétablir en tant qu’animal social coopératif respectueux de la loi…


Mais il va de soi que la société et la justice doivent l’apprécier à ce titre et ne pas le condamner définitivement à une vie asociale inhumaine et monstrueuse. Or cette appréciation est évidemment subjective. La société peut, à tort ou a raison, le considérer comme définitivement irrécupérable dans sa qualité humaine. Ses victimes peuvent être animées du désir de vengeance qui les pousse à ne pas lui reconnaître ce droit au rachat. Mais il peut aussi -et même à peu près toujours- y avoir un conflit d’une part entre le désir de vengeance des victimes et la peur qui génèrent un refus de leur part à le considérer comme humain, ce qui les pousse à le voir éliminé définitivement de la société, et d’autre part la justice qui doit, dès lors qu’elle a reconnu le criminel comme coupable, devoir préparer sa réinsertion dans le société, puisqu’elle ne peut le considérer comme définitivement criminel, sauf à entrer en contradiction avec le jugement de culpabilité qu’elle a énoncé. Ce qui veut dire que la liberté supposé du délinquant est un postulat juridique et non une vérité. Ainsi la justice ne peut, en effet, faire de sa qualité de criminel un qualité première sauf à se déjuger et admettre que cet individu n’était pas coupable, car non responsable de son acte. Elle est donc contrainte logiquement à en faire une qualité seconde.


Or il est clair que cette appréciation n’est pas totalement objective, elle est essentiellement, au pire une croyance subjective individuelle contestable, au mieux une décision rationnelle au regard du préjugé institutionnel subjectif collectif que le criminel est et doit être considéré comme responsable de son crime pour être jugé et puni! Quand il s’agit d’un jeune adolescent dont la responsabilité est affaiblie par les conditions défaillante d’éducation dont il a été victime, la question de sa responsabilité est encore plus problématique et la réponse plus subjective encore. Sa qualité de criminel entièrement coupable devient infiniment discutable, car l’appréciation de sa responsabilité est rationnellement impossible à établir objectivement . Il suffit de se poser la question de savoir si dans des conditions semblables chacun aurait pu résister à la tentation criminelle pour se rendre à l’évidence que la réponse ne va de soi.

D’où une deuxième dimension


Qualité objective/qualité subjective

Le crime peut être objectivement qualifié comme tel et la responsabilité du criminel objectivement établie dans la mesure où il n’est pas considéré comme fou, ou comme incapable de discernement, mais libre de ses actes. Cependant le crime peut être lui-même subjectivement apprécié comme plus ou moins grave.en fonction des circonstances.qui sont susceptibles de l’avoir plus ou moins poussé à le commettre. Ce que la justice appelle les circonstances atténuantes. Tout crime, pose la question non seulement de la qualité objectivement établie de l’acte en lui-même mais aussi celle de la qualité seconde du criminel qu’il faut plus ou moins sanctionner.


De plus une telle qualité seconde renvoie nécessairement à une valeur de bien et de mal qui définit non l’acte en lui même, mais l’idée subjective que l’on se fait du bien et du mal, Individuellement et/ou collectivement ; Pour les nazis, la Shoah n’était pas un crime, mais un acte de salut public afin de restaurer la pureté raciale du peuple allemand, considérée comme mortellement menacé par la présence d’une race inférieure. Pour les antinazis, la Shoah, à travers l’extermination des juifs, est un crime contre l’humanité toute entière. On voit là que les valeurs du bien et de mal sont subjectives et relatives. Un crime ou un délit est la violation d’une loi que l’on peut admettre collectivement comme subjectivement bonne. Ainsi ce que l’on appelle un crime d’honneur peut être jugé comme une juste vengeance dès lors que l’acte sanctionne une faute, par exemple l’adultère commis par une femme, qui fait honte à toute la famille, en cela qu’elle met en cause la valeur du mariage en relation avec a certitude de la filiation et donc la pérennité et l’honneur de toute la famille qui est la cellule de base de la société. La question centrale, en dernier ressort, pour juger de la qualité d’un acte criminel est celle de sa valeur indésirable ou non pour l’idée que l’on se fait du bien de la société. D’où la troisième et la plus importante dimension, celle de la qualité ou la valeur d’un acte et du fonctionnement d’un institution telle que la vôtre qui doit tout à la fois sanctionner un crime ou un délit et « corriger » (réparation, rééducation) le jeune qui l’a commis pour le réinsérer dans la société .


La Qualité entre l’être et la valeur


On voit alors que cette définition de la qualité oscille en permanence entre la réalité des choses et les normes qui en constituent les caractéristiques idéales, entre l'être des choses et ce que nous désirons qu'elles soient, leur devoir être, au risque souvent de les confondre. Une chose est de qualité quand elle répond à l'idéal que l'on s'en fait. La qualité d'un homme ou d'un processus éducatif s’apprécie en fonction du bien et du mal qu'il produit et provoque , pour lui et les autres et/ou que l'éducation qu'il a reçue lui permet ou l'incite à faire. Donc tout jugement sur la qualité d'un objet est un jugement de valeur qui exprime des normes sociales ou personnelles. Une valeur est toujours l'objet d'un désir collectif et donc correspond à ce qui peut satisfaire la société et/ou un groupe humain dans l'utilisation et le fonctionnement d'un objet, dans un comportement, dans une institution etc....Ainsi une valeur n'est jamais l'expression d'un désir seulement personnel, car elle est toujours référée à des désirs partagés et un idéal commun, auxquels chacun est appelé à s'identifier par ses actes pour être reconnu, voire récompensé. Mettant en jeu nos désirs collectifs, la qualité est donc un jugement subjectif et non pas objectif. Elle ne décrit pas ce qu'est la chose, mais ce qu'elle vaut pour des sujets humains. Un homme peut être courageux quand il résiste à la peur et se bat pour l'emporter en mettant sa vie en danger, mais cela ne fait pas de ce courage une qualité sociale, s'il est mis au service du crime, sauf à faire de ce crime un beau crime, selon les normes des criminels (Mesrine et la beauté du crime) . La qualité et les jugements de qualité sont donc variables d'un groupe à l'autre, et les valeurs partagées peuvent se contredirent dans une société pluraliste et libérale, mais aussi chez un même sujet et chacun est toujours en train d'arbitrer entre des valeurs contradictoires pour juger de la qualité. « On ne désire pas une chose parce quelle est belle ou bonne en elle-même, disait Spinoza, mais on la juge qualitativement telle, parce qu'on la désire ». Un même acte peut paraître glorieux pour les valeurs dominantes d'une société telles qu'elles sont inscrites dans les lois et au contraire méprisables par et pour des groupes qui contestent les lois et l'ordre social existants. De plus une même chose peut mettre en jeu une multiplicité de qualités qui ne sont pas nécessairement cohérentes entre elles, qui, peuvent même être en conflit ouvert, ce qui rend problématique tout jugement global sur la qualité d'un comportement individuel, d'une institution ou d'un objet. Ce qui fait qu'une qualité nous apparaît comme appartenant à l'objet, comme objective, et non pas comme une projection subjective de nos désirs, c'est que cette projection sur l'objet est tellement partagée qu'elle semble procéder de l'objet lui-même. L'illusion de la vérité est provoquée par la communauté des croyances générée par nos désir collectifs. La pub se sert en permanence de cette illusion pour vendre ses produits. Rien de plus communicatifs que des désirs sociaux dès lors que chacun peut se sentir lui-même valorisé dans cette communauté par les valeurs qu'il partage avec le plus grand nombre, ce que les américains appellent le « mainstream ». Les symboles que sont les objets ainsi qualifiés, deviennent ceux de la valeur de chacun de nous, comme s'il s'agissait d'une propriété objective de l'objet lui-même. C'est ce que Marx appelait le fétichisme de la marchandise mais aussi des individus et ces institutions dont l'image publique incarne ces valeurs communes.


Qu’en est-il de la qualité de l’éducation, de ses valeurs et des contradictions qui l’affectent dès lors que celle-ci est indispensable pour qu’un sujet se socialise positivement ?


Qualite et éducation.


Éduquer un enfant c’est tout d'abord lui apprendre à obéir à la loi du groupe et de la société , à s’y soumettre sans condition, avant même qu’il puisse en comprendre le sens : Exemple la propreté et l’hygiène corporelles. C’est le premier acte de socialisation plus ou moins forcé imposé à l’enfant par la famille qui exerce un véritable chantage affectif au moins latent pour qu’il s’y conforme le plus tôt possible et nous savons que lorsqu’un enfant fait ses besoins sur lui il n’est pas admis à l‘école qui est, dans notre société la deuxième structure éducative socialisante. Ainsi Kant écrit dans ses « Réflexion sur l’éducation »

« la discipline éducative transforme l’animalité en humanité »[3]. .« l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation »[4] ll doit être éduqué » pour devenir un homme capable d'autonomie vis-à-vis des autres et de ses propres pulsions.  « celui qui n’est pas cultivé est brut, celui qui n’est pas discipliné est sauvage . En ce qui concerne la discipline, d’abord corporelle, Il ajoute : « La sauvagerie est l’indépendance à l’égard de toutes les Lois. La discipline soumet l’homme aux lois de l’humanité, et commence à lui faire sentir la contrainte des Lois. Mais cela doit avoir lieu de bonne heure. ... Nous devons donc nous accoutumer de bonne heure à nous soumettre aux préceptes de la Raison. Quand on a laissé l’homme faire toutes ses volontés pendant sa jeunesse et qu’on ne lui a jamais résisté en rien, il conserve une certaine sauvagerie pendant toute la durée de sa vie. Il ne lui sert de rien d’être ménagé pendant sa jeunesse par une tendresse maternelle exagérée, car plus tard il n’en rencontrera que plus d’obstacles de toutes parts, et il recevra partout des échecs lorsqu’il s’engagera dans les affaires du monde » Toute éducation d’un enfant est donc essentiellement, au début de la vie, après qu’il ait passé le stade de nourrisson , un dressage contraignant exercé par des adultes surpuissants sur des enfants impuissants qui doivent céder à la domination des premiers pour devenir pleinement humains, c’est à dire raisonnables et délivrés de l’emprise de leurs seuls besoins et désirs . Il est nécessaire alors de corriger la nature spontanée pour qu’elle et l’enfant se soumettent à la raison et à la société : Il faut faire en en sorte que le nourrisson devienne un enfant et ensuite un élève en voie de socialisation et donc d’humanisation. Ce qui apparaît le paradoxe de toute éducation, c’est le fait que l’enfant pour devenir un homme adulte capable d’autonomie dans la vie en société doit d’abord être contraint à se soumettre à ses lois. Ainsi « la première époque chez l’élève est celle où il doit faire preuve de soumission et d’obéissance passive ; la seconde celle où on lui laisse, mais sous des lois, faire déjà un usage de la réflexion et de sa liberté. La contrainte est mécanique dans la première époque ; elle est morale dans la seconde »[  « Il est possible que l’éducation devienne toujours meilleure et que chaque génération, à son tour, fasse un pas de plus vers le perfectionnement de l’humanité ; car c’est au fond de l’éducation que gît le grand secret de la perfection de la nature humaine »[12].

« Il faut dans l’art de l’éducation transformer le mécanisme en science » C’est par l’acquisition des lois et la conscience de ces lois dans leur valeur morale, pour les autres et donc lui-même que l’enfant peut accéder à la capacité, selon Kant , de soumettre ses pulsions à des règles qui vont lui permettre de se maîtriser et de faire valoir ses désirs propres dans la société.


La vraie liberté n’est donc pas la licence ou la soumission aux passions, mais réside dans la volonté raisonnable qui seule fait d’un homme un être moral et social , un citoyen capable d’obéir par lui même aux règles de raison qu’il acquise en lui-même et non plus seulement par la contrainte menaçante extérieure.  «  Si l’on veut former un bon caractère, il faut commencer par écarter les passions. L’homme doit à l’endroit de ses penchants prendre l’habitude de ne pas les laisser dégénérer en passions, et apprendre à se passer de ce qui lui est refusé. » Sans éducation, c’est à dire sans passage de la contrainte extérieure à la conscience de ses obligations intériorisées vis-à-vis des autres, l’enfant éprouve la tentation de vivre selon ses pulsions destructrices et de compenser cette impuissance radicale, face aux adultes, dans une révolte destructrice et auto-destructrice, d'autant plus violente qu'elle trouve souvent sa justification et sa valorisation dans le groupe des jeunes criminels (la bande) auquel il peut se lier pour former une contre société dont il apprend les codes et les pratiques criminelle, particulièrement en prison, nous y reviendrons.


L’éducation est donc un processus qui combine et passe de la discipline et de la contrainte extérieure à l’apprentissage intériorisé de règles, justifiées par la raison universelle, qui permet à l’enfant de vivre d’une manière autonome, telle qu’en obéissant à ses obligations morales intériorisées, il n’obéit qu’à lui-même.



L’éducation doit, selon Kant, poursuivre quatre objectifs :

1. discipliner les hommes ; chercher à empêcher que ce qu’il y a d’animal en eux n’étouffe ce qu’il y a d’humain ; 
2. cultiver l’homme ; la culture comprend l’instruction et les divers enseignements ; 
3.
le rendre prudent la prudent c’est à dire, faire en sorte qu’il sache vivre dans la société de ses semblables de manière à se faire aimer et avoir de l’influence. Ce qui s’appelle le rendre civilisé
4.
Enfin l’éducation doit avoir pour fin ultime de le rendre moral , à savoir disposer de la capacité d’agir sous la conduite des principes universels de la raison. Selon les célèbres formules de notre auteur  formulées dans la critique de la raison pratique

Agis seulement d'après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle2. »


Mais ce que ne nous dit pas Kant, c’est la condition qui permet à l’enfant d’accepter sans se révolter la contrainte éducative extérieure, en tant qu’elle vise à réduire son désir et ses pulsions par la menace de sanction et la punition, lorsque il a commis une faute au regard de la loi qui lui est imposée. Il ne précise pas que le raison ne peut être éduquée sans le désir qu’a l’enfant de s’estimer et de s’aimer lui-même à travers cette contrainte peu ou prou humiliante car elle fait peser le risque de ne plus être aimé ou d’être méprisé, c’est à dire dépourvu de valeur aux yeux des adultes.


La réponse est pourtant évidente : il faut que l’enfant se sente aimé, non seulement malgré le contrainte humiliante, mais à cause d’elle. Il faut que les parents lui manifestent assez de reconnaissance pour qu’il sente que la contrainte parentale est constitutive de l’amour qu’il se porte à lui-mêmeet qu’il ne peut s’aimer lui même que par la médiation de l’amour de ses parents qui s’exprime par cette menace et cette contrainte éducative. Il est nécessaire que cette humiliation vis-à-vis de son désir narcissique devienne une condition pour s’aimer lui-même. Il faut qu’il croit que cette contrainte est pour son bien en cela qu’il y trouve une gratification narcissique personnelle par la médiation de l’amour des ses parents Une éducation qui ne s’adresserait qu’à la raison, sans faire intervenir le désir ou l’amour de soi de celui qui est éduqué et le désir aimant de l’éducateur de l’éduquer pour le rendre meilleur -et donc plus aimable encore- ne peut que se retourner contre son but : faire que la loi lui devienne aimable en cela que son respect le valorise à ses propres yeux. Faire que la loi d’extérieure devienne intérieure à son propre désir narcissique , ce qui veut dire qu’il l’a fasse sienne en l’intériorisant comme un motif de gratification dans l’amour qu’il se porte. Toute autre attitude éducative, sans l’amour des éducateurs, ne peut que lui faire détester la loi


Un enfant ne peut supporter la contrainte humiliante de la loi que s’il se l’approprie et l’intériorise et il ne peut se l’approprier que si son l’obéissance à la loi devient la condition pour obtenir la reconnaissance positive, sous la forme de la bienveillance et de l’amour gratuits, mais pourtant qu’il pourrait perdre, de ses parents. Toute l’éducation passe par ce paradoxe du désir de l’enfant : se savoir aimer à priori pour s’aimer lui-même, tout en sachant qu’il pourrait perdre cet amour en refusant de se soumettre à la loi qui humilie son narcissisme. Il faut qu’il se sente aimé et donc s’aimer, contre son désir spontané de la toute puissance. On peut aller plus loin encore : l’enfant doit sentir que sa personne gagne en puissance sur lui-même, en acceptant de réduire son désir de toute puissance sur le monde, par l’effet de l’amour qu’il se porte à lui-même qui passe par celui que lui manifeste ceux qui l’éduquent

Donc l’éducation repose sur deux exigences : celle de la loi et la consciences des obligations qu’elle implique et celle de l’amour des parents comme condition de l’estime de soi.


Or dans la mission qui vous est confiée il ne s’agit pas d’amour parental. On ne peut donc exiger des éducateurs qui ne sont pas leurs parents, qu’ils aiment les jeunes qui leur sont confiés, comme s’ils étaient leurs propres enfants. Et cela d’autant moins qu’il doivent incarner une institution froide et impersonnelle qui ne dispense, a priori, aucun amour particulier. D’où je conclus que leur mission est impossible, sauf si l’enfant est confié par vous à une famille tout à la fois aimante et porteuse de la loi . Cette famille peut être la sienne, mais à la condition que ses parents soient rééduqués en tant qu’éducateurs aimant. C’est pourquoi, contrairement à ce que dit Aristote, sans amour des parents, au moins adoptifs, l’état, comme l’incarnation autoritaire du seul intérêt général, ne peut éduquer les enfants que par la médiation de l’amour des parents, biologiques, comme on dit, ou adoptifs (et tout parent doit être au moins adoptif) . Mais cet amour doit apparaître comme partagé par l’éducateur qui doit intervenir dans le processus de la rééducation d’un mineur délinquant. Mission difficile, mais alors pas totalement impossible si l’éducateur se met au service de l’amour des parents en le partageant et, en cela, être accepté par eux et donc par l’enfant. L’éducateur doit donc être le médiateur et l’assistant de la famille primaire ou d’accueil entre elle et le jeune et ne peut et ne doit pas croire se substituer à elle.


Qu’en est il alors des défaillances de l’éducation et de leurs conséquences


Les défaillances d’une éducation sont dues à trois causes possibles :

1) Le refus des adultes qui en ont la charge de s’opposer aux désirs spontanés de l’enfant en croyant par là les rendre plus libres et/ou avoir la paix

2) Éduquer les enfants en fonction des seules règles familiales et de ses buts particuliers, contraires aux règles de la société

3) Soumettre les enfants à une autorité violente purement répressive qui les humilie et les rend inapte à accepter quelque principe moral que ce soit, hors une contrainte ou menace permanente de sanction.


Ces trois causes ont toutes pour effet de rendre l’enfant incapable de maîtrise de soi, de ses désirs, dans le cadre des rapports sociaux qu‘il entretient avec les autres et la société en général. Mais c’est trois causes relèvent de conditions difficilement conciliables. Celles qui associent l’amour et de l’autorité. Le premier pousse à l’indulgence vis-à-vis du désir des enfants et nous savons que ces derniers sont capables d’exercer un chantage affectif très important sur leurs parents pour qu’ils accèdent à leurs désirs, la seconde exige de limiter le désir des enfants et de le punir lorsqu’ils transgressent les lois. Toute éducation ratée procède d’une excès d’amour qui rend impossible chez lui la maîtrise de ses désirs et d’acceptation des contraintes ou d’un excès d’autorité qui réduit l’enfant à craindre en permanence la violence physique et/ou morale. Or la violence morale est la plus traumatisante dans la mesure où elle provoque un sentiment d’humiliation générateur de violence sur les autres et/ou de dépression narcissique qui conduit à la dépréciation de soi et au désir suicidaire et aux conduites à risque. Lesquels affectent très souvent les adolescents.


Comment alors traiter le cas des jeunes délinquants  dont l’éducation a été défaillante ?

Qu'est ce que punir ? Qu'est-ce que rééduquer ? Est-ce facilement compatible ?

Qu’est ce qu’une justice pénale de qualité appliquée à des jeunes ?


 " Si quiconque refuse d'obéir à la volonté générale, on l'y forcera, ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera à être libre" dit Rousseau dans le « Contrat social, selon une formule volontairement paradoxale ». La punition est donc selon lui une souffrance ou une contrainte qui visent à remettre un citoyen adulte dans la cadre de la volonté générale à laquelle il doit obéir pour être authentiquement libre dans la société juste. la liberté authentique présuppose la contrainte de l'éducation et l'usage de la sanction, voire de la privation momentanée de la liberté physique sauvage, pour libérer le citoyen, en tant que partie prenante de la société civile et de ses lois qui sont l'expression d'une volonté générale qui est, elle-même, le résultat d'un contrat social selon lequel en participant également à la définition de la loi, chacun en obéissant à la volonté générale, n’obéit qu'à lui-même .


Or surgit là un problème : un enfant n’a pas participé à la la définition de la loi et il n’est pas pleinement responsable de ses actes, si son éducation a été défaillante et qu’il a commis un délit, ce n’est certainement pas de sa faute. Peut-on alors rationnellement le punir ?


Si la contrainte de la sanction n'est qu'un moyen qui permet à qui a violé la loi de devenir ou de redevenir un citoyen responsable de lui, encore faut-il que cette sanction soit comprise comme telle par l’enfant et le jeune. la liberté civique, ai-je dit, n'est pas spontanée, elle doit être éduquée car, avant d'être un adulte, chacun est un enfant et fait spontanément un mauvais usage de sa liberté, c'est à dire un usage passionnel, un usage tyrannique, du fait qu’ il est encore soumis à la dictature de ses pulsions. La liberté spontanée est donc pour Rousseau contradictoire avec la liberté citoyenne. Celle-ci est du ressort de la famille et de l'état. Ce qui déjà ne va forcément de soi, car la famille peut être défaillante et peu soucieuse du bien commun et de la loi. Ainsi Aristote écrit : « A ses diverses phases, l'éducation des enfants s'avère un des premiers soins du législateur. Personne ne le conteste. La négligence des Cités sur ce point leur nuit infiniment. Partout l'éducation doit se régler sur la forme du gouvernement. Chaque état a ses mœurs qui lui sont propres et d'où dépendent sa conservation et même son établissement. Ce sont les mœurs démocratiques qui font la démocratie et les oligarchiques qui font l'oligarchie. Plus les moeurs sont bonnes, plus l'est aussi le gouvernement. D'ailleurs, comme tous les talents et arts ont leurs essais préliminaires qu'il faut avoir faits et auxquels il faut s'être habitué pour en exécuter ensuite facilement les opérations et les ouvrages, il en faut user de même pour la vertu et en faire l'apprentissage. Comme il n'y a qu'une même fin commune à tout l'Etat, il ne doit y avoir qu'une même institution pour tous les sujets ; et elle doit se faire, non en particulier, comme cela se pratique aujourd'hui, où chacun prend soin de ses enfants qu'il élève à sa fantaisie et en telle science qu'il lui plaît ; elle doit se faire en public. Tout ce qui est commun doit avoir des exercices communs. Il faut, d'ailleurs, que tout citoyen se persuade que personne n'est à soi, mais que tous appartiennent à l’état, dont chacun est une partie ; qu'ainsi le gouvernement de chaque partie doit naturellement se modeler sur le gouvernement du tout. »


 C'est pourquoi c'est à l'état selon Aristote, c'est çà dire à l'autorité suprême chargée de l'intérêt général dans la société, de pourvoir à l'éducation des enfants en déléguant ce pouvoir aux familles soumises à son contrôle, mais aussi en l'exerçant lorsque les famille sont défaillantes ou en sont incapables. On voit la radicalité de la position d'Aristote : les enfants appartiennent à l'état et non aux familles et en appartenant à l'état, en tant que futurs citoyens, ils s'appartiennent réellement à eux-mêmes, car ils deviennent des animaux politiques, maîtres de leurs désirs et de leur comportements et peuvent alors participer pleinement et librement à la vie commune. Les familles, par contre, n'ont en charge et n'ont le plus souvent conscience que de leurs intérêts particuliers et non celui du tout de la société. Soit elles n'éduquent pas l'enfant et le laissent à l'état sauvage et déraisonnable, à l'état asocial et donc anti-social, c'est à dire dans un état proprement inhumain pire que celui des bêtes sauvages qui ont un instinct naturel fort pour limiter leur besoins. Soit elles éduquent leurs enfants pour leur bien à elles contre l'intérêt général, en leur inculquant le seul souci de leur égoïsme familial, ce qui contrevient non seulement à la société toute entière, mais aussi au futur adulte qui ne peut alors devenir pleinement citoyen, mais risque de devenir un danger pour les autres et pour lui-même.


Toute éducation est donc répressive de l'instinct et des désirs spontanés et dans une société divisée en familles poursuivant des intérêts en conflit, c’est pourquoi toute éducation doit relever de la mission régalienne de l'état pour préserver la société du crime et préserver l'enfant devenu adulte de la tentation criminelle. On peut néanmoins concevoir et comme je l’ai dit précédemment, nécessaire que l'éducation civique soit un prolongement de l'éducation familiale, mais à condition que la famille soit elle-même porteuse des valeurs citoyennes qui concernent l'ordre commun et soit exemplaire à cet égard.. Mais on ne peut confier l'éducation à la famille sans que celle-ci fasse la preuve de sa capacité à relayer les obligations et les interdits qui constituent l'ordre civil, sans qu'elle soit une médiation de l'état dans l'éducation des enfants. Il y a nécessairement, même dans ce cas, une rupture nécessaire entre la liberté naturelle du désir et la liberté civile socialisée. L'éducation constitue le moment de cette rupture par laquelle l'enfant est arraché à l'état d'enfance et arraché à la seule tutelle particulière et égocentrique de sa famille .Lorsque l’éducartion est défaillante et que le jeune commet un un délit, il revient à l’état de punir et de tenter de définir les conditions pour un rééducation d’un jeune.


Qualité et justice « rééducative ».


À quelles conditions une éducation ou rééducation re-qualifiante du jeune délinquant, au regard des valeurs de la société, est-elle possible? Quels sont les objectifs de toute démarche qualité pour une institution comme la vôtre. Peut-on la mesurer, selon quels critères cohérents ? Pour cela il convient de définir l'éducation et la punition . Que nous dit le définition légale de la mission de la justice des mineurs ?


Selon un fapport officiel de 2013, « L’objectif de le justice des mineurs, introduit pas la loi de 1990, est que le mineur s’engage à réaliser une mesure d’aide ou de réparation à l’égard de la victime ou dans l’intérêt de la collectivité. Alors que la justice tutélaire ne s’adresse qu’à la personne du mineur, la justice restaurative met en relation le mineur, la victime et leur environnement social. La mesure doit être acceptée par le mineur et par la victime quand celle-ci est directement concernée. C’est donc à une nouvelle conception de la justice pénale qu’invite cette mesure : une justice pénale qui requiert l’adhésion et l’engagement des personnes concernées. C’est également une nouvelle conception de la justice des mineurs, qui se tourne autant vers la victime et la société que vers le mineur. »


Pour cela il nous faut penser l'articulation entre la punition et la réparation en vue de la rééducation du mineur et de sa réinsertion dans la société civile qui implique son adhésion aux valeurs de cette dernière comme condition de sa responsabilité de futur d'adulte, car l'on doit admettre que la cause profonde de l'acte criminel du mineur est moins sa responsabilité personnelle que le fait qu'il n'ait pas bénéficié d'une éducation de cette responsabilité civile et donc qu'il n'a pu être éduqué aux règles d'usage de la liberté civile.


La punition est toujours une souffrance ou une contrainte qui visent à remettre un citoyen dans la cadre de la loi à laquelle il doit obéir pour être authentiquement libre dans une société libre et égalitaire en droit. Mais nous sommes au cœur du paradoxe  que nous avons signalé : la liberté authentique présuppose la contrainte de l'éducation et l'usage de la sanction, voire de la privation momentanée de la liberté physique, pour libérer le citoyen, en tant que partie prenante de la société civile et de ses lois qui sont l'expression d'une volonté générale qui est, elle-même, le résultat d'un contrat social selon lequel en participant également à la définition de la loi, chacun en obéissant à la volonté générale, n’obéit qu'à lui-même. Or, comme je l’ai dit, un enfant n’a pas participé à la la définition de la loi et il n’est pas pleinement responsable de ses actes, si son éducation a été défaillante. Peut on alors, rationnellement le punir ? Si La contrainte de la sanction n'est qu'un moyen qui permet à qui a violé la loi de devenir ou de redevenir un citoyen responsable de lui, encore faut-il que cette sanction soit comprise comme telle par l’enfant et le jeune. Si la liberté spontanée est le contraire de la liberté civile, celle-ci est du ressort de la famille et de l'état. Ce qui déjà ne va forcément de soi, car la famille, peut être défaillante et peu soucieuse du bien commun et de la loi.


Quelle doit être la qualité d’un éducateur de justice et de l’institution dont il relève?


En quoi une justice des mineurs de qualité exige-t-elle un engagement personnel et collectif particulier de son personnel ? Qu'est ce que la qualité d'un éducateur judiciaire , dépend -elle seulement de la qualité formelle voire quantifiable de l'institution qui l'emploie ?


Le principe de base de la justice des mineurs est selon un rapport officiel du ministère de la justice en 2013 :

« La continuité entre la sanction et l’éducation Ainsi peu à peu, la sanction a été intégrée dans l’objectif d’éducation des mineurs dans le cadre des nouvelles mesures. A côté du développement des placements plus contraignants, le nombre de mesures de contrôle judiciaire a doublé en dix ans. Ce nouvel équilibre est nécessairement instable et appelle à une réflexion continue et partagée sur la finalité de l’éducation de ces adolescents dans notre société et les méthodes pour y parvenir. 12 La justice des mineurs, par sa finalité éducative, a un objectif premier, la sortie de la délinquance des adolescents dont elle est saisie. Elle a un objectif à plus long terme, leur donner la capacité de participer à la fois au renouvellement du monde dont ils seront les acteurs et à sa continuité. »


Si l'école concilie difficilement punition et récompense, si elle a tendance à rejeter et à discriminer les élèves en difficulté du fait souvent de la situation familiale, elle ne compense pas les carences éducatives, mais a tendance au contraire à les aggraver. Elle ajoute l'humiliation de l'échec scolaire à celle subie dans l'environnement proche de l'enfant. Et ce sont ces enfants dont vous avez la charge quand ils passent à l'acte illégal et violent ou lorsque vous pouvez savoir s'il sont en danger dans leur milieu familial et social en vue de prendre des mesures de prévention, au besoin en les sortant de ce milieu pour les confier, au moins provisoirement -et cela peut être vécu comme une violence insupportable, c'est à dire particulièrement humiliante, par le jeune et sa famille- à d'autres famille ou à les placer dans des centres éducatifs plus ou moins fermés, vécus comme un sanction disqualifiante ou dévalorisante.


Vous intervenez, en effet, lorsque, ni la famille, ni l'école, ni le milieu des copains, n'ont pu offrir au jeune une issue socialement positive, c'est à dire honorable pour lui, sauf sous la forme négative d'une contre-société qui valorise et honore des contre-valeurs et, parmi elle, celle de la violence comme valeur en soi et ultime pour se faire respecter. Celui-ci est alors tenté par la violence extrême qui est seulement régulée par la loi du groupe et la soumission à ses chefs, quitte à désirer prendre leur place, contre la société civile, ses lois et ses instituions et les autorités de toute nature qu'elle impose, surtout s'il trouve dans son environnement des copains en révolte contre les institutions qui eux compensent l'humiliation qu'il subit en lui présentant d'autres valeurs gratifiantes, pas seulement sportives, mais souvent criminelles ou délictueuses ; Ils’identifiera d’autant mieux d'autant mieux à ces contre-valeurs délictueuses qu'il y gagnera l'estime des autres auprès desquels il a pu s'imposer comme particulièrement courageux et violent pour se faire respecter.


Le désir de tous les désirs c'est, on ne le répétera jamais assez, celui qui, concerne la conscience de soi dont Aristote fait la qualité spécifique de l'homme, c'est le désir narcissique universel qu'il faut distinguer de l'ordre des besoins physiologiques ou visant des finalités naturelles ou sociales objectives limitées. Ce désir narcissique ordonne à sa loi qui est celle du plus fort ou du plus puissant ; Il suscite toute les espèces de désirs particuliers que sont : le désir de pouvoir, de paraître, d'agir, d'aimer pour être aimé etc., Il s'exprime sous des formes de l'orgueil, de l'honneur, de la fierté, de l'estime de soi, et affirme la puissance du sujet sur le monde et les autres par laquelle chacun peut se valoriser et jouir de l'amour de soi par la médiations du regard des autres. D'où l'extrême succès chez les jeunes des techniques de communication modernes qui leur permettent de se mettre en permanence en scène et en spectacle pour obtenir la reconnaissance gratifiante des autres indispensable à leur désir de satisfaire leur amour propre..


Votre tache face à la délinquance des jeunes qui vous sont confiés est donc, me semble-t-il, double, punir pour faire prendre conscience de la loi -et toute sanction, tout déplacement ou surveillance du jeune et de sa famille sont vécus comme une punition- et convertir à d'autres valeurs valorisantes, celle de la société dont l'institution judiciaire à pour fonction de faire respecter par la force. Mais il faut comprendre que ces deux objectifs sont toujours spontanément en conflit, voire contradictoires, car une punition est toujours une humiliation subie de plus qui vient s'ajouter à celles qui ont déterminé les comportements violents et que la résilience, comme conversion aux valeurs de la société et conversion de la conscience narcissique de soi en vue de favoriser une reconnaissance sociale de soi positive se présentent spontanément comme incompatibles. Il s'agit, dans cette tâche de rééducation, d'une véritable conversion de la relation à soi-même, comme objet/sujet d'amour.


Cette tache est-elle pour autant impossible ? La punition ne risque-t-elle pas d'enfermer le jeune dans la révolte contre l'humiliation qu'elle provoque ?


Peut-on supposer, comme semble le dire Kant avec beaucoup d'idéalisme, que le fait même d'être puni est déjà et peut déjà être pour lui le signe qu'on le respecte comme un homme responsable de ses actes et donc libre, qu'on le reconnaît comme un être qui contrairement aux animaux est capable d'avoir des droits et est conscient de ses devoirs vis-à-vis des autres et de la société ? La punition comme privation ou restriction de la liberté spontanée et l’humiliation narcissique qu'elle fait subir au jeune délinquant et le reconditionnement éducatif qui suppose à la fois distance et empathie affective sont-ils possibles ? La question de la résilience doit être posée dès lors que l'on cherche à réinsérer positivement le jeune dans le société civile. Que veut dire ce terme et dans quelles conditions cette résilience et l'usage de ce terme sont-ils adéquats?


On définit en effet la résilience comme la capacité de rebondir positivement après avoir vécu une situation, sinon désespérée, en tout cas profondément traumatisante vis-à-vis de laquelle le sujet se sent impuissant. En ce qui concerne la résilience d'un jeune victime de violence ce terme est pertinent dans la mesure où il n'a pas franchi le Rubicon du passage à l'acte criminel ou délictuel, ce qui témoigne qu'il a conservé assez de défense civique ou éthique pour justement ne pas se laisser entraîner dans la délinquance et accepter la rencontre et l'échange narcissique réciproque avec d'autres adultes lui permettant de reconstruire une image socialement valorisée et valorisante de lui-même.. Mais n'oublions pas qu'une intervention pour le protéger intervient le plus souvent tardivement pour des raisons évidentes de délai quant à la découverte de sa situation et à l'ouverture d'une procédure.


Cependant, lorsque ce passage à l'acte criminel s'est produit, le but des mesures rééducatives à son égard ne relèvent pas de la résilience mais d'un changement radical du rapport du jeune à lui-même, à ses copains et à la société. Il lui faut en effet renoncer à ses motifs antérieurs de fierté liés à l'intégration dans sa bande criminogène et donc renoncer à la gratification narcissique qu'il reçoit d'elle, pour adopter ceux de la société civile. Mais cela implique nécessairement que de nouveaux motifs de fierté, conformes aux valeurs de la société civile lui soient fournis et donc une nouvelle source de gratification narcissique. Qui peuvent les lui fournir dans le cadre de votre mission pour que le jeune soit susceptible d'accomplir en lui-même une telle révolution ou conversion intérieure ?

Une religion positive et non plus négative comme peut l'être l’offre de Daesh par exemple ?


On voit bien que cela ne peut être de l'ordre de votre mission, bien que cela a été le cas lorsqu'on confiait les jeunes délinquants à des congrégations religieuses ou des familles bien pensantes qui les soumettaient à la stricte observance des leurs interdits et de leurs obligations tout en tentant de les persuader qu'ils seraient alors récompensés par Dieu, après la mort. Mais Dieu et la croyance au paradis peuvent tout autant conduire aux attentats suicides et cette référence à la religion ne peut servir que dans un contexte non-laïc qui par nature échappe, plus ou moins, au contrôle d'un état laïc, mais surtout la religion ne peut jouer un rôle que sur des croyants et des convertis à la religion, ce qui n'a pas grand sens pour beaucoup de jeunes et ce n'est certainement pas la rôle de l'état et de ses institutions judiciaires que d' intervenir dans la conversion des non-croyants, sans que l'on puisse savoir de quelle religion il s'agit et quelle religion il faudrait que l'état favorise pour une telle conversion.

« Les sorties de délinquance, nous dit le apport de 2013, sont toujours la conjonction de deux mouvements dialectiques : à la fois l’usure de la rue, de la délinquance, et l’ouverture sociale vers d’autres statuts sociaux acceptables. Ces statuts sociaux acceptables ne sont pas forcément uniquement liés à l’emploi. C’est aussi la mise en couple. Ce sont des rencontres. Pour une partie d’entre eux, c’est la religion. Ce sont des statuts abordables, acceptables, dans lesquels ils peuvent se projeter ou en tout cas projeter une image d’eux-mêmes qui soit à leurs yeux plus favorable que leur position initiale. »


C'est dire que l'on ne peut compter pour rééduquer un jeune délinquant que sur un lien gratifiant symbolique affectif et identificatoire aux valeurs de la société civile entre le jeune et son ou ses éducateurs ou ses parents d'accueil, liens plus fort encore que ceux qui le lient à ses copains toxiques dont il faut le dissocier. Or ces éducateurs dépendent étroitement, dans leur légitimité légale et symbolique de rééducateurs, d'une institution judiciaire qui a puni le jeune et donc l'a, qu'elle le veuille ou non, humilié socialement en tant que coupable d'un manquement à l'ordre public et à la paix civile. Il faut que l'éducateur sépare autant que possible son rôle qui consiste à incarner positivement les valeurs civiques par rapport à celui qui le fait percevoir comme une courroie de transmission et de réalisation de la condamnation dont l'éducateur n'est pas responsable. Comment instaurer cette séparation symbolique avec l'institution qui punit et humilie tout en offrant au jeune de nouvelles gratifications narcissiques favorables à l'ordre public ? Cette difficulté ne peut me semble-il être traitée que si dans le fonctionnement de votre institution est accorée aux éducateurs une grande autonomie et suffisamment de temps laissé à chacun d'eux pour s'occuper des jeunes qui leur sont confiés. Or cela peut entrer réellement en contradiction par rapport à l'appareil hiérarchique formel qui constitue le service public et ce qu'il exige en terme de dépenses de l'argent public et de contrôle des coûts. Si votre institution hérite en partie des carences de l'éducation par la famille et l'école qui, elle, passe son temps à sélectionner avant même que de donner le goût et les moyens d'apprendre par plaisir, c'est à dire par la gratification du travail et des efforts accomplis, en vue d'une promesse trop souvent démentie de promotion sociale, la qualité de votre rôle de rééducateurs de la jeunesse ne peut être résumé en normes quantitatives et comptables, ni en faiseurs permanents de rapports et de bilans chiffrés et de contrôles externes, aveugles à la dimension précisément qualitative, au regard des relations de désirs que mettent en jeu vos interventions en interne et par rapport aux jeunes que le justice vous confie.


Il faut ici préciser un point qui me semble très important : l'assurance qualité valant dans une entreprise privée tournée vers la vente et le profit ne peuvent convenir à une institution du service public, car il y manque l'essentiel : le but ne se traduit dans aucun chiffre de vente, ni la qualité d'une relation seulement en nombre de réussites et d'échecs, mais en capacité de rencontrer le désir de ceux qui vous sont confiés dans une relation de confiance durable. La qualité de votre service est, parce ce qu'elle est essentiellement globale et subjective et surtout parce qu'elle est liée à la contradiction que j'ai analysée entre punition et récompense, humiliation et gratification, échappe par nature à une vision quantifiable de la qualité de votre engagement personnel.


De la qualité de votre engagement et à votre engagement à la qualité,


C’est, selon moi, une seule et même chose. Pourquoi ?


Parce que, compte tenu de l'aspect fondamentalement qualitatif de votre mission, dès lors qu'elle concerne une conversion du désir narcissique des jeunes délinquants ce n'est ni la rhétorique technocratique habituelle pour tenter de définir des facteurs quantifiables de la qualité d'un engagement, ni le management bureaucratique de cet engagement qui peuvent répondre à cette contradiction entre la but punitif de la peine et de la privation partielle de la liberté et la nécessité de retourner la subjectivité du jeune pour l'aider à surmonter l'humiliation que lui fait subir cette peine en de nouvelles perspectives de gratification tournée vers des valeurs citoyenne. Alors c'est quoi? C'est fondamentalement une question de valeur personnelle dans la mise en œuvre des comportements concrets de respect et d'écoute.


Or nous savons qu'il ne suffit pas d'écouter pour entendre ce qui se joue dans une relation pour le moins contradictoire et conflictuelle de désirs narcissiques réciproques aussi bien des jeunes qui vous sont confiés, qu'en interne, dans le cadre hiérarchique formel de votre institution dont on peut penser qu'il est, sans reprendre l'image de l'armée mexicaine, relativement pesant puisqu'il semble faire du contrôle permanent l'objectif premier de celle-ci. Cette entente, au-delà de l'écoute et donc du droit à la parole reconnu à tous les niveaux en particuliers des jeunes, met en œuvrela qualité en interne du fonctionnement de votre institution.

Pour évaluer la qualité de votre institution et de l’engagement qu’elle requiert, au regard de la mission spécifique qui est la vôtre : il me semble qu’ils convient d’examiner les conflits qu’elle rencontre nécessairement

il m’est impossible de vous proposer une démarche qualité concrète, car je n’ai pas fait d’enquête, mais je peux déjà faire quelques hypothèses sur les sources possibles de conflits concernant les valeurs, les objectifs, les pouvoirs et la reconnaissance


Votre institution rencontre trois niveaux de contradictions et/ ou de conflits :


Un conflit de valeurs

Sur le conflit des valeurs, il faut nécessairement prendre en compte la difficulté que j’ai souligné dans mon intervention de concilier le sanction répressive, c’est à dire la valeur de la sécurité et la promotion des jeunes délinquants, à savoir le valeur de l’éducation à la liberté responsable. Ce conflit des valeurs commande et traverse toute la politique de votre institution. Derrière un discours qui , dans votre institution, semble privilégier la seconde, le discours ambiant dans l’opinion publique, relayée par certains partis politiques, exerce une pression en sens inverse dont l’institution, la vôtre et celle de la justice des mineurs, sont en permanence l’objet. On entend chaque jour critiquer les juges qui pratiqueraient le laxisme et feraient que les peines prononcées ne sont pas ou rarement exécutées. Or privilégier les chances de la réinsertion, c’est nécessairement réduire ce que la sanction peut avoir d’humiliant au profit de la formation dans un cadre plus libéral que celui de la prison. Comment gérer cette difficultés inhérente à votre mission pour établir un relatif consensus entre vous ? Telle sera ma première question. Or cette question pose celle des objectifs de votre mission.


Un conflit d’objectifs.

Le premier objectif est celui de neutraliser les jeunes délinquants et de les mettre hors d’état de nuire dans un cadre de surveillance temporaire, mais temporairement permanente, partielle ou totale. On reconnaît l’analyse développée par Michel Foucault dans on ouvrage : « Surveiller et punir », formule que je renverserais en celle de « Punir et surveiller. » pour marquer que cette surveillance, en ce qui vous concerne, fait partie de la punition et que celle-ci est première et qu’elle implique la seconde. Elle ne peut, au départ, qu’être vécue comme confondues par le jeune qui a été puni, au regard de l’humiliation qu’il en ressent. Le second objectif est de donner aux jeunes les moyens mais surtout le désir de se réinsérer dans la société et celui d’apprendre un métier mais surtout de se convertir à de nouvelles valeurs qu’il doit s’approprier comme plus valorisantes que celles qui ont motivé son passage à la délinquance. Cela suppose un rapport de reconnaissance et d’encouragement narcissique positif entre l’éducateur et le jeune qui ne doit plus être considéré sous la simple angle de la délinquance, mais de la restauration de sa liberté personnelle future, comme liberté responsable dont il désire faire un usage socialement positif . Cela suppose une véritable conversion des valeurs, ai-je dit, dans son rapport à lui-même et aux autres ainsi qu’à la société en général pour qu’il devienne un citoyen coopérant. La tension entre ses deux objectifs est donc inévitable et peut se traduire en interne par des conflits de pouvoirs et de compétence que la structure hiérarchique formelle forte doit gérer au mieux des intérêts de l’état comme pouvoir régalien  de sanction, mais par forcément au mieux de celui de chaque jeune en particulier. qui vous est confié.Ce conflit entre les objectifs s’exprime nécessairement dans le cadre de conflits de pouvoirs en interne.


Un conflit de pouvoirs.

Il m’est impossible de décrire, de l’intérieur, la réalité concrète de ces conflits de pouvoirs dans votre institution . Je me contenterai donc, de l’extérieur, de noter les acteurs potentiels de ces conflits pour ouvrir le débat entre vous. Si j’ai bien compris, vous êtes entièrement soumis dans le suivi des jeunes reconnus comme délinquants, aux décisions indiscutables des juges qui déterminent eux-mêmes la sanction et les mesures de rééducation à prendre, je suppose après concertation avec tous les différents acteurs qui interviennent en amont et en aval de la décision de sanction. Les juges des mineurs, dont les rapports de pouvoirs me paraissent complexes et sur lesquels je ne peux pas me prononcer de l’extérieur, sont les décideurs de vos missions à qui votre institution doit rendre des comptes sur leur exécution . Le rapport de pouvoir est donc nettement favorable à la fonction répressive et régalienne de la justice étatique. Votre institution, elle, apparaît toujours de l’extérieur comme essentiellement une simple exécutrice des décisions de justice. Cette subordination hiérarchique impérative peut générer une double résistance de la part des éducateurs de base : celle de ces derniers dont la liberté est personnellement, voire affectivement engagée, dans la relation pédagogique avec les jeunes qui leur sont confiés et qui peuvent, au moins d’une manière latente, prendre le parti d’alléger leur charge d’exécutants punitifs au profit de leur ambition éducative. Mais aussi celle entre ces mêmes éducateurs et la hiérarchie à pilotage budgétaire de ceux qui, en interne, doivent rentabiliser ou optimiser les investissements publics consentis, sans que la qualité et les résultats du suivi des jeunes délinquants après qu’ils soient sortis de la procédure soit nécessairement assurée.


Comment alors évaluer le résultat des missions sur 5 ans. Nous savons en effet que les jeunes qui sont passés par la prison pour des fautes graves ont un taux de récidive élevé pour plus des 3/4 quart, voire 2/3 d’entre eux . C’est énorme, au point que l’on peut parler d’échec de la prison surtout dans les conditions de sous équipement de celle-ci. Or ce sous-équipement, voire cette surpopulation pénitentiaire endémique, est le résultat d’une vision politique sécuritaire à courte vue de nos concitoyens qui voient d’un très mauvais œil l’usage de leurs impôts et des fonds publics en faveur de jeunes dont ils estiment qu’ils sont moins méritants socialement qu’eux, alors que la majorité d’entre eux souffrent de carences dans la satisfaction de leurs besoins. Cette situation fait qu’un éducateur peut se sentir limité en temps dans sa tache éducative et qu’il peut ressentir, jusqu’au ressentiment cette frustration, au regard de ses valeurs éducatives et de l’importance de l’échec mesuré vis-à-vis des jeunes ainsi commis les fautes les plus graves. Cette limitation de temps qui fait qu’un éducateur doit s’occuper de 25 jeunes sans savoir combien de temps il faut consacrer à chacun d’entre eux, aggravée par le fait qu’on exige d’eux des rapports bureaucratique de suivis écrits réguliers, ne peut pas ne pas susciter chez eux le sentiments qu’ils exercent en réalité une fonction plus répressive qu’éducative du fait du double pouvoir qui s’exerce sur eux : pouvoir judiciaire et pouvoir administratif budgétaire.


Un conflit de reconnaissance


Sur ce dernier point il m’est impossible de savoir quelle grille de rémunération hiérarchique, quel système de promotion au mérite ou comportements de reconnaissance sont pratiqués. Je voudrais simplement souligner que cette question de la reconnaissance est le facteur essentiel de l’engagement personnel dans une organisation car s’engager c’est invertir son désir d’estime de soi dans ce que l’on fait et cette reconnaissance est le fait des collègues avec qui l’on coopère, dans une égalité de situation professionnelle, mais aussi de la hiérarchie vis-à-vis de niveau sur lequel il exerce une responsabilité. Plus la distance hiérarchique est importante moins l’engagement du personnel est profond vis -à-vis des missions qui lui sont confiées. Or cette distance est nécessaire pour asseoir l’autorité des responsables qui doivent prendre les décisions, contrôler le suivi des missions, les coûts les dépenses et sanctionner les personnes en cas de défaillances et de manquements plus ou moins graves dans la poursuite des objectifs qui leur ont été prescrits.


Quelques suggestions pour terminer,  concernant la qualité de l’engagement rééducatif en interne :

1) le désir narcissique de chacun de se voir reconnu par son entourage et ceux qui exercent sur lui cette fonction de contrôle et de direction/accompagnement et son investissement personnel dans sa mission pour conforter et renforcer la légitimité de la relation de son propre narcissisme avec celui du jeune qui lui est confié.


2) une réduction de la contrainte verticale au profit de la coopération horizontale entre tous les acteurs de l'action de rééducation, horizontalité à laquelle doit être intégrée la hiérarchie de décision à tous les niveaux


3) Une remise en question de la notion de productivité temporelle des agents éducatifs. Je ne peux pas juger si 25 jeunes par éducateur est trop ou pas assez en terme de charge de travail et d’investissement affectif. Ce que je peux dire seulement c'est que le traitement de chaque cas ne peut être limité dans le temps et qu'une surcharge de travail transforme le désir et l'investissement personnel de l'éducateur en besoin de remplir des colonnes d'indicateurs chiffrés, aux dépens du temps passé dans la relation de proximité avec chacun des jeunes.


4) Un suivi, au-delà de l'action judiciaire de rééducation proprement dite des jeunes qui en ont bénéficié, pour savoir à 5 ans ce qu'ils sont devenus. Cette évaluation ne doit donc pas être de court terme mais de moyen terme . C'est cette évaluation à moyen terme, par échanges d'expériences horizontaux, qui compte le plus pour relever les expériences réussies ainsi que celles qui échouent (c'est du reste celles-ci qui sont les plus significatives) afin de voir collectivement, entre tous les acteurs qui coopèrent à l'action, comme améliorer la réduction de la contradiction théorique fondamentale , dans les termes que j'ai définis, de votre mission de rééducation afin de la rendre moins en pratique conflictuelle.


Il y a une tension permanente entre une institution d'état, plus ou moins organisée selon le modèle de la pyramide hiérarchique traditionnelle qui fait du niveau inférieur un simple exécutant ou une courroie de transmission des décisions du niveau supérieur, et le fait de rééduquer des mineurs dans un cadre qui met en jeu une complexité exceptionnelle d’ acteurs publics et privés ayant des intérêts et des perceptions différentes de leur mission. Les relations de pouvoirs doivent y être particulièrement délicates et cela d’autant plus que les éducateurs doivent eux-même pouvoir y investir leur propre désir d'autonomie et de gratification narcissique, dans une relation qui doit en permanence concilier la proximité avec les mineurs qui leur sont confiés, lequel exige un investissement personnel important, et la distance nécessaire à l’autorité qu’exige l’application des mesures de justice contraignantes qui, elles mêmes, ne sont pas faciles à concilier avec leur engagement relationnel auprès de ces derniers . Cette complexité organisationnelle qui fait intervenir autant d’acteurs qui ne sont pas directement liés à l’unité formelle de votre structure institutionnelle vous vous oblige à rechercher un mode de gouvernance qui consiste à lier en permanence démocratie et autorité, mais plus encore qui exige que les cadres soient eux-mêmes convaincus de ce principe de gouvernance démocratique qui les contraint à accepter le risque que leur pouvoir puisse être contesté, sans pour autant perdre de sa légitimité. Cela vous conduit à faire montre d’une autorité informelle d’influence qui doit plus à votre personnalité et qu’à votre statut.


Cette autorité intellectuelle fondée sur l’argumentation de vos convictions afin qu’elle puissent faire consensus est plus encore éthique que hiérarchique. Elle vous interdit de pratiquer un autoritarisme arrogant qui ruinerait votre capacité à diriger, car il vous ferait paraître comme dominateurs et non pas comme dirigeants..


N’oubliez pas, en tant que cadres, que la qualité du fonctionnement de votre institution ne tient pas à une obligation de résultat, car vous ne pouvez croire maîtriser, ni la qualité citoyenne future des jeunes délinquants qui vous sont confiés, qui par delà votre intervention restent des êtres autonomes, ni celle des éducateurs qui restent tributaires de leurs propres désirs et des conditions d’intervention dont ils ne décident pas . Elle tient à l’obligation d’usage des moyens qui vous sont concédés par l’état et la société ; Cette obligation de moyens ne peut permettre de faire que de branches tordues, les éducateurs et les structures d’accueil pourraient être assurés de faire des bâtons droits, selon le mot de Kant. Il faut admettre que les éducateurs ne peuvent être tenus pour responsables des conditions sociales et familiales ainsi que des défaillances éducatives, voire de la maltraitance, qui favorisent la délinquance. Votre institution ne peut traiter que des cas individuels le moins mal possible, sans prétendre guérir de la misère sociale. Cette modestie est une condition de la qualité de votre service public dont la mission doit être assurée le moins mal possible dans le dialogue entre tous les acteurs et partenaires qui y participent.


En ce sens il me semble que votre institution peut devenir un modèle expérimental de ce que doit devenir toute espèce de pouvoir public. Un modèle démocratique de gouvernance de la qualité dans les services publics.


Retour à la page d'accueil