Le foetus a-t-il une personnalité juridique?

Débat avec Monsieur Pascal Jacob, enseignant de philosophie,  rédacteur à AgoraVox (Capreolus)

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Sylvain Reboul

Dans le jugement de la Cour Constitutionnelle qui autorise l'inscription sur le livret de famille d'un foetus mort, en tant qu'enfant décédé, Il ne s’agit pas de savoir si un foetus est biologiquement humain ou non, mais de savoir à partir de quand il lui est accordé une personnalité juridique, indépendante de celle de la mère.
Or, dès lors que l’on accorde à celle-ci le droit à l’avortement pour convenance personnelle -ce que signifie la loi sur l’avortement- cela  interdit d’accorder au foetus une quelconque personnalité juridique indépendante que l’on pourrait juridiquement opposer au désir de la mère.
Le jugement de la cour constitutionnelle le confirme: l’inscription du foetus mort sur le livret de famille est , comme l’avortement, un droit qui ne répond qu’au désir de la mère et/ou des parents et n’a donc aucun caractère d’obligation légale liée à une prétendue personnalité du foetus mort, quelles que soient les causes de cette mort.

Il ne convient donc pas de jouer sur les mots en confondant foetus, être humain au sens biologique, enfant mort et personnalité juridique indépendante qui seule est concernée par le droit à la vie, en prétendant tirer du jugement de la cour constitutionnelle une quelconque contradiction avec la loi sur l’avortement.Je souhaite bien du plaisir à qui tenterait une procédure pour révoquer cette dernière. Elle lui sera tout simplement refusée pour absence de motif juridique. Reste pour lui à faire en sorte que le parlement revienne sur cette loi. Ce n’est certainement pas demain la veille.
Le droit ne se confond pas avec biologie , de même la culture avec la nature (ou prétendue telle) , sauf à diviniser cette dernière pour en faire une sur-nature transcendant et commandant la culture.


Capreolus 

Bonjour Sylvain et cher collègue,

La notion de personne juridique relève de l’arbitraire de la loi, et n’a pas pour moi de valeur argumentative contraignante. Après tout, la personnalité juridique du juif sous Vichy... La notion philosophique, d’origine chrétienne, est intéressante mais n’est pas non plus déterminante, sauf à considérer qu’elle ne fait que souligner la dignité particulière de tout vivant de notre espèce, par la capacité que lui donne sa nature raisonnable à poser des actes libres (je ne peux que te renvoyer à Kant si tu veux, que tu connais mieux que moi).

Pascal


Sylvain Reboul
Toute loi est arbitraire, comme l’est la règle qui nous impose en France, contrairement à l’Angleterre, de rouler à droite et non gauche sur une route à double sens de circulation..
Même l’idée d’un droit naturel n’est qu’un droit conventionnel qui se masque comme tel pour prétendre s’imposer contre un autre (ou plus vrai qu’un autre, ce qui n’a aucun sens !) .L’idée d’un droit naturel est une invention de transition pour rendre possible le passage d’un droit religieux et théocratique à un droit humain et laïque. Ce passage est fait, nous sommes sortis de la religion politique, on peut donc se passer de l’idée de droit naturel pour admettre l’idée d’un droit conventionnel ou performatif. La seule chose qu'on doit considérer est le sens, le visée de cet arbitraire performatif: En ce qui concerne l’avortement, la visée est très claire: accorder à la femme le liberté de choisir d’avoir un enfant ou non et de mettre fin à une grossesse non désirée.

La personnalité de la femme est indiscutable, celle du foetus non, dans la mesure où il n’est pas viable hors du ventre de sa mère et hors du projet de celle-ci de le mettre au monde, comme on dit. Sauf à remettre en cause la liberté pour un femme de choisir pour ne la considérer que comme un ventre qui appartiendrait à la société, cette règle s’impose comme libérale dans une société qui se dit et se veut telle.

Mais ma réponse à votre article concernait non pas cette question mais celle de savoir s’il y avait ou non une incohérence entre le jugement du Conseil Constitutionnel et la loi sur l’avortement.. Le droit est arbitraire mais se doit d’être cohérent sauf à être peu ou prou toujours contestable en lui-même. Sur cette affaire il n’ y a aucune contradiction, sauf à commette une confusion entre un droit (de faire inscrire un foetus mort sur le livret de famille) et une obligation.

On peut, à cet égard,  discuter, sur le fond, la position de Kant quant au respect de la vie: Kant, en effet ne reconnaît la valeur de la vie humaine qu’en tant que l’homme est raisonnable, et cela seul est respectable, ce qui est encore loin d’être le cas d’un embryon qui n’est pas encore socialisé et éduqué ou susceptible de l’être. En cela le droit à la vie pour Kant n’est pas sacré, la guerre ou le crime peuvent justifier que l’on tue au nom de la raison et de son histoire . De même je peux considérer que le droit de la femme, au contraire de celui du foetus, comme être de raison autonome accompli, même contre Kant, est un progrès de la raison.

Ce qui me paraît important dans le jugement de la CC, c’est que cette inscription d’un enfant mort à l’état civil n’est pas obligatoire, donc ne découle que de la liberté de la femme, comme la décision d’avorter

D’autre part, même si le foetus pourrait ,dans le futur, être considéré comme viable avant 12 semaines ; cela n’entraînerait pas nécessairement l’abolition de la loi sur l’avortement, car la liberté de la femme, en tant que personnalité juridique accomplie apte à décider de l’usage de son corps (ce qui n’a aucun sens pour un foetus) , resterait un motif suffisant pour valider, dans une logique libérale et laïque, le droit à l’avortement.

Il faut savoir, en outre, que l’avortement thérapeutique n’est pas limité dans le temps, il peut intervenir à tout moment jusqu’au terme de la grossesse pour des motifs médicaux mettant en jeu la santé du foetus et/ou de la mère. Le critère qui permet de décider quand un foetus est un susceptible d'acquérir une personnalité juridique est juridique et non pas naturel, comme toujours en droit ; mais il est de fait qu’un enfant dès la naissance peut-être juridiquement adopté dès lors qu’il vit hors du ventre de sa mère biologique ; ce qui n’est évidemment pas le cas du foetus. Avant 22 semaines (aujourd’hui) il n’est pas séparable du corps de la mère biologique...Il n’a donc aucune existence biologiquement indépendante d’elle et de son désir de poursuivre ou non sa grossesse ; par précaution pourrait-on dire la loi fixe de délai de l’avortement légal à 12 semaines ; ce qui laisse de la marge ; mais dans d’autres pays le délai est plus tardif


Capreolus

Sylvain,
Le problème est qu’un enfant non désiré reste un enfant... Qui dit que l’embryon est un être humain (tu me permettras de ne pas user du concept peu consensuel de "personne") ? La biologie, déjà, à partir du code génétique, et aussi la loi Veil, sans quoi elle n’aurait pas d’objet.

Il faut avoir le courage de son cynisme, et reconnaître que la loi Veil ne dit rien d’autre que ceci: il y a un être humain qui grandit dans le corps de la mère, et la loi qui garantit le respect de sa vie prévoit également les condition dans lesquelles on pourra déroger à ce respect.


Sylvain Reboul

C’est dire que ce respect du foetus, si être humain il y a, passe après celui de la mère ; il n’a donc plus rien d’absolu, car il devient relatif au désir de la mère d’avoir ou non un enfant. C’est pourquoi le CC ne reconnaît aucune personnalité juridique au foetus tout en le considérant comme humain.

Cela confirme mon analyse précédente . Il n’ y a aucune contradiction logique entre la jugement de la CC et la loi autorisant l’avortement gratuit !

La mère seule peut décider d’inscrire ou non son enfant sur le livret de famille.


Capreolus

J’ai du mal à comprendre comment le désir de la mère pourrait donner un statut de personne humaine au foetus, alors qu’elle ne le peut pas sur son toutou chéri. Or force est pourtant de constater que telle femme pourra chérir davantage son toutou que telle autre ne chérira son foetus. Ce qui tend à confirmer une chose pourtant assez simple: quel que soit le désir maternel, cet être appartient au genre humain ou il ne lui appartient pas !

Sylvain, sans rire, crois-tu que la volonté puisse être ainsi créatrice ?

Mon propos dans cet article n’est pas tellement là, mais plutôt de souligner le fait que la loi Veil elle même reconnaît que le foetus est un être humain.

Maintenant, il est assez spécieux de dire "oui, c’est un être humain, mais pas une personne". Parce que c’est donner comme condition du respect de l’homme une certaine conception de la personne., c’est lui dire "je te respecte parce que tu me ressembles assez". Cela ne me semble pas très sain...


Sylvain Reboul

Je ne discute pas la question de savoir si le foetus est humain ; c’est indiscutable, mais celle de savoir s’il est une personnalité juridiquement indépendante de sa mère ou un sujet de droit en tant que foetus ; la réponse est non puisqu’une mère a le droit de mettre fin à sa grossesse, sans avoir à justifier son désir d’avorter.

Je ne fais qu’argumenter la position du CC. L’enfant mort n’est reconnu comme tel que par le désir de la mère de le faire reconnaître ; c’est un fait de droit en tant qu’acte politique décisionnel , non une simple opinion. Il est donc vain de prétendre opposer la position du CC sur cette question à la loi sur l’avortement car cette inscription et la décision d’avorter relèvent en effet de la seule décision de la mère ; le droit à la vie du foetus en tant qu’enfant ( virtuel) reconnu est en effet subordonné, selon ce jugement, à la seule volonté de la mère et à rien d’autre.

Quant à savoir s’il faut reconnaître au foetus un droit de vivre équivalent à celui de sa mère c’est un choix éthique, mais qui n’a aucun fondement juridique et qui est très discutable sur le plan rationnel ou philosophique ; mais c’est un autre débat que celui que vous posez à partir d’une fausse interprétation du jugement du CC.

En effet ,en droit libéral, la volonté de l’individu peut être créatrice ou source de l’accès au droit (privé), c’est ce qui se passe dans tout contrat formel par exemple. Dans la mesure où c’est la volonté de la mère seule qui fait qu’un enfant mort est reconnu comme tel socialement, c’est cette volonté qui fonde cette inscription et rien d’autre et cela ne me choque pas plus que le fait de droit (chez nous) qui veut que ce soit la seule volonté des époux qui constitue l’accès au droits et au devoirs constitutifs du mariage.

Le droit se décrète politiquement et ne s’impose pas par nature ou par commandement divin. Il est un acte humain de souveraineté. Cela vaut, chez nous, pour le droit d’une femme d’avoir un enfant désiré et non pas imposé, de même que pour son droit de refuser un mariage forcé ou arrangé. La liberté de la femme est au prix de ce droit.

Enfin, ce n'est pas la mère ou son désir qui confère le statut de personnalité juridique au foetus puisque celui-ci n’en a justement aucune en droit, l’inscription sur le livret de famille du foetus mort comme enfant décédé ne délivre en rien ce statut. Le désir de la mère intervient pour faire que le foetus mort soit inscrit comme enfant mort et non pas comme personnalité juridique ; ce qui n’aurait pas grand sens puisqu’il est mort. La CC a très bien fait la distinction: seul un enfant né vivant donc séparé (séparable en tant que vivant) du corps de la mère peut (doit) obtenir la personnalité juridique et être considéré comme sujet de droit. L’inscription vaut donc comme droit de la mère et non pas de l’enfant, sinon elle aurait été rendue obligatoire, ce qui n’est justement pas le cas. Cette inscription participe pour la mère qui a perdu l’enfant vivant qu’elle attendait et à sa demande expresse de son propre travail de deuil, ce qui lui était jusqu’alors interdit. Il s’agit donc de l’extension de la liberté de la mère et non d’un quelconque prétendu droit du foetus.


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