Introduction :
La notion de croyance signifie que certaines de nos idées et
représentations sont admises comme vraies, justes ou bonnes sans
que nous disposions de raisons suffisantes explicites pour cela : nous
adhérons à nos croyances dans la mesure où elles
dirigent
notre pensée et commandent nos actions, voire donne un sens
à
notre vie sans que nous sachions clairement pourquoi. En ce sens si
elles
nous activent, nous meuvent, nous les subissons passivement car elles
s’imposent
à nous sous l’apparence de l’évidence toute faite, de
préjugés
que nous ne produisons pas nous-même par un effort de
réflexion
personnelle et critique ; mais, paradoxalement, nous nous identifions
tellement
à elles qu’elles semblent nous appartenir et être
l’expression
de notre entière liberté au point que s’il nous est fait
le reproche d’y croire nous revendiquons notre entière
liberté
d’y adhérer. Or, par cette revendication, nous nous
déclarons
responsables de nos croyances, car, dès lors que nous nous
déclarons
libres d’y croire, nous devons en répondre aux yeux des autres
d’autant
plus qu’elles génèrent des conséquences
importantes
dans nos relations à eux et, par conséquent dans leur
propre
existence. Et cette responsabilité exige que nous soyons
capables
de justifier nos croyances à leurs yeux pour légitimer
les
actes et décisions qu’elles provoquent et qui les concernent
toujours
peu ou prou, à moins de croire que nous vivons sur une île
déserte en parfait irresponsable et/ou que notre liberté
se confonde avec le refus de tout engagement vis-à-vis d’autrui
; croyances elle-même illusoires. Ainsi le paradoxe de la
relation
à nos croyances nous paraît insurmontable : n’est-il pas
contradictoire,
en effet, de se croire cause libre de croyances et donc d’en
répondre
comme si nous en étions les auteurs, alors qu’elles sont en nous
sans que nous les ayons rationnellement produites et qu’elles
paraissent
du même coup l’effet des influences extérieures, du
conformisme
ambiant (mimétisme) et/ou de nos passions les plus
irrationnelles
?
Pour répondre à ce paradoxe la tradition philosophique
a longtemps crû qu’il était possible :
- soit de se libérer de toute croyance au profit d’un savoir
rationnel entièrement prouvé comme vrai et juste afin de
devenir responsables de nos pensées et de nos actes (ambition
forte)
;
- soit de faire en sorte de rationaliser nos croyances de telle sorte
que nous soyons capables d’en contrôler les conséquences
et
éventuellement d’en changer en les adoptant et les utilisant
dans
des conditions moins passives et passionnelles.(ambition faible).
Or cette croyance philosophique a, dans les deux cas, aboutit à
la construction plus ou moins laborieuse de systèmes rationnels
de justification contradictoires de croyances contradictoires qui se
voulaient
pourtant universellement valides. Ainsi les philosophes ont longtemps
prétendu
nous délivrer de nos croyances passives les plus irrationnelles
et les plus illusoires (l’illusion consiste à se complaire
à
prendre pour vrai des idées fausses) ; or cette
prétention
est elle-même mise en échec par les conflits et les
contradictions
de doctrines qu’elle a suscité, ne serait-elle donc pas à
son tour une croyance illusoire et partant irresponsable, au sens que
les
philosophes ne pourraient en répondre en la justifiant? N’y
aurait-il
pas une illusion proprement philosophique à croire que nous
pourrions
devenir responsables de nos croyances en pratiquant la réflexion
critique philosophique à leur égard? Si oui alors nul ne
pourrait être tenu responsable de ses croyances et il faudrait
montrer
philosophiquement en quoi, sinon, il conviendrait alors de
préciser
à quelles conditions et dans quelles limites la réflexion
philosophique peut nous aider à nous en rendre plus
responsables.
L’enjeu de cette question est donc bien la question de savoir si oui ou
non et si non pourquoi et si oui comment, la réflexion
philosophique
peut nous rendre plus libres dans notre pensée et donc dans les
actes qui en découlent et ainsi plus responsables de
nous-même.
1) De l’impossibilité d’être totalement responsables de nos croyances
1-1 De l’irrationalité de nos croyances
Les croyances ne sont pas des savoirs rationnels et ne sont des «
vérités » qu’en dépit du fait qu’elles ne
sont
ni démontrées, ni prouvées selon des
procédures
rationnelles et expérimentales et dans le cas extrême de
la
foi ,en tant que croyance subjective totale dans un contexte
d’incertitude
objective insurmontable, elles s’affirment dans leur
irrationalité
maximale : la quasi totalité des dogmes religieux fondateurs de
la vie des croyants et du sens qu’ils lui donnent sont des
mystères,
c’est à dire des idées ou représentations
incompréhensibles
par la raison commune ; voire contraire à toute
l’expérience
objective : la trinité, l’immaculée conception, la double
nature du Christ pour ne prendre que des exemples dans la tradition
catholique
sont des propositions contradictoires et la vie après la mort ou
la résurrection des corps n’ont jamais étaient
expérimentalement
validées ; pour ne rien dire de la survie de la pensée
après
la mort du corps. Cette irrationalité est d’ailleurs
affirmée,
voire revendiquée par la foi, comme le signe de la transcendance
divine et de la supériorité de la foi sur la raison :
«
Christ, a dit Saint-Paul, est folie pour la raison » et c’est en
cela que la vérité de la foi est indubitable,
indiscutable
et sacrée. Mais ce qui vaut pour les croyances les plus
extrêmes
qui engage le plus l’existence des hommes, vaut aussi à un
moindre
degrés pour les formes de croyances plus faibles que sont les
simples
opinions, personnelles ou collectives qui n’engagent que partiellement
et pour un temps limité et que chacun sait discutables et
objectivement
douteuses : nous savons que nous adhérons pour d’autres motifs
que
des raisons attestées par des preuves ; seuls semble-t-il les
savoirs
scientifiques qui portent sur des phénomènes
expérimentaux
universellement reproductibles dans des conditions identiques et
contrôlées
comme telles dans des laboratoires, échappent à la
relativité
subjective de l’opinion. Mais tout ce qui concerne les simples opinions
appartient au domaine de la subjectivité individuelle et
collective
et procède d’analogies superficielles et
symboliques
et de généralisations abusives des expériences
spontanées
en dehors de toute analyse objective et rationnelle des données
et des relations de causes à effet mises en jeu. Ainsi les
croyances
au contraire des sciences qui mettent en œuvre des méthodologies
de production rationnelles des énoncés et des
procédures
rigoureuses de contrôle de leurs relations aux faits ont d'autres
origines que la raison: celles-ci peuvent être d’ordre interne ou
d’ordre
externe.
1-2 De l’origine de nos croyances
Les croyances sont des habitudes ou mieux des routines mentales qui,
pour faire leur office, à savoir : interpréter le monde
en
l’ajustant à nos désirs et fournir des orientations
à
nos actions et comportements et pour ne pas être oubliées
ou contestée se présentent sous la forme de
vérités
ou tout au moins d’évidences allant de soi ; donc qu’il
paraît
inutile, voire insensé d’interroger. Elles procèdent
toutes
de deux types de sources : l’une externe : l’imitation des autres, le
dressage
social et culturel (conformisme) ; nous croyons spontanément ce
que d’autres croient et particulièrement ceux qui disposent d’un
pouvoir et d’une autorité sur nos vies : parents, professeurs,
prêtres
etc…Cette mimétique à l’avantage de nous intégrer
positivement dans un monde commun bien balisé pour nous y faire
reconnaître et nous rassurer en nous conférant une
sécurité
et une identité sociale positive. L’autre est intérieure
; ce sont nos désirs et passions et parmi elles, celles qui les
génèrent
toutes : l’amour de soi. Croire c’est toujours peu ou prou se valoriser
à travers sa croyance car toute croyance, si elle n’est pas un
savoir
objectif, est porteuse de valeurs hiérarchisées : chacun
voit le monde au travers de sa recherche du bonheur comme recherche de
ce qui lui confère de la valeur et tend à centrer sa
vision
des évènements dans un sens favorable à cette
valorisation
de lui-même et/ou son salut personnel et collectif ; ainsi les
religions
ne sont pas seulement des croyances qui génèrent des
obligations
morales collectives visant à stabiliser l’ordre social existant
sous la menace de la punition divine quiconque refuserait de s’y
soumettre
inconditionnellement et à le légitimer aux yeux des
individus
et particulièrement de ceux qui ont un statut
dégradé
et dégradant ( ex : les esclaves, les femmes..), les plus
pauvres
etc..), mais aussi des promesses de bonheur et de salut individuels par
delà la mort, dès lors que la vie présente est une
vie de souffrance, particulièrement pour ceux qui sont les plus
méprisés
et les plus dominés. Mais toute croyance dans
l’inégalité
ou l’égalité entre les hommes (ou les femmes), dans la
liberté,
dans la vie après la mort, dans l’histoire et le progrès,
dans la réussite professionnelle ou familiale sont d’abord des
réponses
aux désirs de ceux qui profitent ou pâtissent des
inégalités
existantes ou qui cherchent à améliorer leur condition et
leur pouvoir sur leur environnement ou être sauvés
après
la mort des misères de la vie présentes ou qui croient en
la vie éternelle pour y retrouver les êtres disparus
qu’ils
aiment et dont l’absence les fait souffrir etc.. Les croyances sont
donc
des évidences subjectives qui sont d’autant plus
prégnantes
qu’elles soumettent les individus à deux conditionnements
combinés
qui se renforcent l’un l’autre : celui de la société, de
la culture et de ses codes de conduites et celui du désir des
individus
à s’affirmer dans la société qui les entoure ou
dans
un monde plus heureux post-mortem. Derrière une croyance il
convient
donc de chercher le désir qu’elle a pour fonction de satisfaire
dans l’imaginaire confondu avec la réalité : toute
croyance
est donc plus ou moins illusoire (illusion = prendre son désir
pour
une réalité ou pour facilement réalisable, en
dehors
de toute analyse des difficultés et des obstacles
éventuels)
et elle l’est davantage à mesure qu’elle se croit vraie
(conforme
à la réalité) et d’autant qu’elle s’affirme comme
indubitable en fonction même de la puissance qu’elle manifeste
afin
de donner au croyant un sens valorisant et rassurant à sa vie.
En
cela nous ne sommes pas libres de croire ou de ne pas croire, car les
croyances
s’imposent à nous, en dehors de notre volonté
raisonnée
et raisonnable et que le simple fait de remettre en doute nos croyances
provoquent leur décrédibisation, leur dissipation ou leur
déconstruction (déroutinisation), Moins on croit, plus on
est libre de penser et plus on croit plus on est mentalement
conditionné,
embrigadé par la société et le dressage qu’elle
exerce
sur les individus et d’abord sur les enfants, et plus on est
piégé
par les faux-semblant de l’illusion passionnelle. La seule attitude
libre
et responsable disaient les sceptiques est donc de refuser de croire,
de
suspendre son jugement. Mais en quoi s’agit-il d’une attitude
responsable
? Qu’est ce qu’être responsable ?
1-3 De la responsabilité vis-à-vis de nos
pensées.
La notion de responsabilité est une notion socialement et
juridiquement
liée à celle de la faute ; nous ne pouvons être
coupables
de nos actes délictuels ou criminels et donc sanctionnables que
si nous sommes responsables, c’est à dire si on est
supposé
avoir été en possession de notre raison au moment des
faits,
laquelle est cette faculté qui nous permet de choisir entre le
bien
et le mal, le juste et l’injuste au nom de principes de
régulations
réciproques des relations humaines dans le sens de la
non-violence
et/ou du bien général ou mutuel. Ainsi la raison est la
faculté
qui permet d’exercer un contrôle sur nos désirs et
passions
et surtout qui nous nous rend capables de juger objectivement, par le
recours
au principe critique d’identité et de non-contradiction valant
pour
toute pensée sensée, de la vérité et de la
valeur universelle des idées et des comportements. Or croire,
c’est
plus ou moins selon le degré de notre croyance (opinion,
conviction
ou foi), renoncer à faire usage de sa raison. Si cet usage est
total
la responsabilité vis-à-vis de nos idées est
entière,
mais, de plus, pour que cette responsabilité soir réelle
il convient qu’elle soit totale : une demi-responsabilité est
absurde
: on est libre et raisonnable ou non. Nous avons le choix entre nous
laisser
aller à nos désirs (et donc notre désir de croire)
ou nous ne l’avons pas, et quiconque est animé d’une croyance
qui
s’impose à lui sous la forme de l’évidence ou d’une
révélation
irrésistible n’a aucune responsabilité vis-à-vis
de
ce à quoi il croit : il croit parce qu’il croit et il n’y peut
rien
; et il a d’autant moins le choix que sa croyance est forte et
détermine
le sens de sa vie et/ou qu’il s’est identifié à elle
comme
la valeur identificatoire collective sacrée (indiscutable) la
plus
auto-valorisante ; sa raison est mise hors jeu et tout argument
contraire
sera alors rejeté ou retourné en faveur de ce à
quoi
il croit. Par exemple la souffrance et la mort d’un enfant
innocent
seront interprétées, selon les credo(s) religieux,
comme un don de Dieu pour sauver l’enfant du mal ou comme une juste
punition
d’une faute commise en une vie antérieure etc. Ainsi plus nous
croyons,
plus nous sommes aveugles et sourds à la contradiction et moins
nous pouvons nous dire responsables, car, dès lors qu’il ne peut
y avoir de responsabilité partielle, en tant que croyants nous
perdons
toute responsabilité; c’est à dire la capacité de
faire un choix autonome, dans l’adhésion à des
idées
qui ne sont nôtres qu’en apparence car elles sont en nous sans
nous
: elles nous possèdent et nous ne les possédons pas. Pour
être responsable il convient donc de mettre en doute nos
croyances,
mais par le doute la croyance s’efface instantanément au profit
de la réflexion argumentée et critique, c’est à
dire
de la pensée philosophique ou scientifique.
Conclusion partielle : Responsabilité et croyance sont donc comme le jour et la nuit ou l’eau (la raison) et le feu (la passion) : elles s’excluent mutuellement. Celui qui se dit responsable de ses croyances se trompe car, s’il a choisi ce qu’il pense, il n’est déjà plus dans l’habitude mentale inconsciente de ses passions ; il est déjà dans la production consciente et critique de l’idée juste ou vraie.
Transition critique : Mais la position qui consiste à
refuser toute croyance comme nécessairement illusoire et
irresponsable
débouche nécessairement sur une double impasse :
- soit elle consiste à affirmer qu’il ne faut admettre que des
idées dont on puisse être absolument assuré
qu’elles
sont vraies et/ou justes donc objectivement prouvées comme
certaines;
mais cette assurance est impossible à produire, car comme le dit
le philosophe sceptique Pyrrhon toute preuve doit être
prouvée,
de même toute preuve de la preuve et ainsi de suite à
l’infini.
Ce qui rend la certitude inaccessible.
- soit on refuse toute idée ou croyance, voire tout engagement
idéologique ; Or cela est impossible car nous ne pouvons nous
dispenser
de croire pour vivre, c’est à dire d’interpréter le monde
afin d’y réaliser nos objectifs biologiques, sociaux et
psychologiques
qui tous contribuent au désir d’être plus heureux ou moins
malheureux : Le sceptique en refusant de croire se condamne à
l’impuissance
et donc capitule devant le combat de la vie contre la mort et la
souffrance.
-
Pour sortir de ce dilemme, il convient donc de nous interroger sur
la nécessité et notre capacité à faire un
usage
responsable de nos croyances afin d’éviter l’illusion toujours
personnellement
décevante et/ou la violence individuelle ou pire collective que
génère les croyances passionnelles, aveugles et
fanatiques
(ex : les guerres de religions)
2) De l’usage responsable de nos croyances dans leur rapport à la raison
2-1 Doute philosophique et croyance
Les philosophes ont toujours considéré que le premier
moment de la réflexion est le doute volontaire ou faculté
de s’étonner face aux idées toutes faites et surtout
vis-à-vis
des croyances irrationnelles (contradictoires entre elles et avec le
monde
extérieur et nos véritables désirs d’être et
d’agir.) qui nous conduisent à un faux bonheur à court
terme
et à un vrai malheur à long terme, c’est à dire
à
des contradictions destructrices et à l’impuissance. Il convient
ici de préciser la nature du doute philosophique ainsi que sa méthode et sa finalité. En tant qu’il est volontaire,
il n’est pas passif mais actif et en cela il est l'expression de la
puissance
du sujet sur sa pensée (ses idées et croyances) et non
pas
seulement l’effet des circonstances et des influences
extérieures
contradictoires subies. Il n’a rien d’hésitant et de
désespéré,
mais il est au contraire positif en cela qu’il manifeste notre
capacité
à juger par nous-même du vrai et du faux du bien et du
mal,
du juste et de l’injuste en mettant entre parenthèses
l’adhésion
spontanée et irréfléchie à tel ou tel
préjugé
aveugle. Sa méthode consiste à soumettre à
l’épreuve
de la contradiction nos idées toutes faites (croyances passives)
contradictoires entre elles, entre ce qu’on pense et ce qui est, entre
nos
désirs et entre eux et ce qui est réellement possible.
2-2 Raison et croyance
Le principe de non-contradiction est, en effet, le seul susceptible
d’être admis universellement comme argument car il est la
condition
de tout discours et pensée sensés et universellement
compréhensibles.
Sa finalité est de produire des idées moins
contradictoires
et donc moins décevantes et d’accroître du même coup
la puissance d’agir du sujet sur lui-même (ses passions) et sur
son
environnement naturel et humain. Or, s’il est juste de dire qu’aucune
idée
ne peut être exempte de contradictions en elle-même, dans
ses
conséquences ou ses effets pratiques, d’autant que dans l’ordre
des valeurs éthiques et politiques la compatibilité entre
nos exigences est toujours problématique (en pratique, sinon en
théorie, la cohérence de nos valeurs de liberté,
d’égalité
et de solidarité ne va pas de soi), il est excessif de croire
que
nous ne pouvons rien pour mettre en plus grande cohérence nos
pensées
et nos pensées et nos actes en précisant les conditions
et
les limites de cette cohérence. Il dépend de chacun de
rationaliser
ses idées et ses comportements et d’éviter les croyances
à l’évidence contradictoires ou
génératrices
dans le domaine normatif de contradiction pratique insurmontables,
voire
de violences généralisées (ex : le racisme et les
crimes contre l’humanité qu’il génère
nécessairement)
auto-destructrices de la possibilité de vivre personnellement
plus
heureux avec soi et plus respectueux et plus confiants les uns
vis-à-vis
des autres. Il convient donc de faire le partage entre les croyances
par
nature irrationnelles, contradictoires en elles même et avec la
réalité
et/ou ce qui est souhaitable et réellement possible et les
croyances
rationnelles ou tout au moins théoriquement plus
cohérentes
et pratiquement plus efficaces en vue du bien-vivre avec soi (le
bonheur)
et les autres (la justice). De plus nos croyances rationnelles, au
contraire
des croyances irrationnelles, ont l’avantage d’être justifiables
et donc de permettre un dialogue avec soi et les autres ; elles
produisent
donc la condition essentielle de la réduction de la violence
dans
les rapports humains l’incompréhension, car elles
améliorent
l’identification virtuelle, au moins partielle, des positions qui
consiste
à pouvoir se mettre à la place de l’autre en vue de
trouver,
sinon un accord, au moins un compromis équilibré entre
des
intérêts et valeurs difficilement compatibles en pratique,
mais justifiables en raison et donc légitimes aux yeux de tous ;
y compris de ceux dont les valeurs et intérêts sont au
départ
opposés : un adversaire n’est pas nécessairement un
ennemi
mais le devient s’il refuse le dialogue et le compromis et donc de
fournir
une justification à son point de vue.
2-3 Justification et responsabilité
Etre responsable de ses croyances c’est tout d’abord connaître
les raisons que nous avons de croire et du même coup être
capable
de les justifier à ses propres yeux et aux yeux des autres et
donc
les assumer lucidement. Or cette capacité offerte par le doute
méthodique
et la pratique de la réflexion philosophique sur le sens et la
valeur
rationnels de nos croyances implique une délibération, un
dialogue intérieur entre des croyances ou attitudes de vie
opposées
; en cela nos croyances ne sont plus des automatismes mentaux
récurrents,
comme le sont les croyances religieuses ritualisées et
figées
dans l’intemporalité du sacré, mais des hypothèses
de travail que nous nous donnons, chacun à nous même,
jusqu’à
la reconnaissance, d’avance acceptée comme facteur de
progrès
de la pensée et de l’action, de leur échec ou de leur
insuffisance
; elles restent ouvertes à la discussion, à la
confrontation
à d’autres croyances et à la réfutation critique
argumentée
au regard de leurs fondements et de leurs conséquences. Ainsi
même
si elles fonctionnent comme des habitudes mentales elles ne sont plus
des
dogmes intangibles et mécaniques interdisant la
nécessaire
souplesse d’adaptation à l’évolution des connaissances et
des mœurs qui anime notre le monde moderne
Conclusion partielle :
Les croyances sont acquises et corrigibles par la réflexion
rationnelle et critique qui les ouvrent au
progrès
des connaissances validées de l’expérience scientifique
ou
éthique Elles sont alors de notre responsabilité
dès
lors que nous devenons capables de les faire nôtres en les
justifiant
contre d’autres possibles et que cette justification reste ouverte à
leur remise en question critique. Nous devons pour cela non seulement
accepter
de, mais rechercher à les soumettre au jugement des autres car
ce
jugement est nécessaire pour en mieux juger soi-même dans
un dialogue éclairant, lucide et libérateur
(vis-à-vis
d’illusions plus ou moins délirantes) de soi avec soi. C’est la
définition la plus rigoureuse de la notion de
responsabilité
: répondre de ce qui motivent et justifient nos actions à
nos yeux et potentiellement aux yeux de quiconque, dès lors
qu’une
justification ne vaut que si elle s’inscrit dans le cadre d’une valeur
universalisable sans contradiction, en nous soumettant à la
critique
et au jugement rationnels (donc dépassionné des autres).
Transition critique :
Mais cette vision rationaliste de la croyance risque de nous faire
méconnaître ce qui est à la source même de
toutes
nos motivations : l’imagination désirante. Le désir est,
quels que soient les conditionnements sociaux qui s’exercent sur lui,
ce
qui nous fait croire au bonheur sur terre ou dans le ciel. Notre
perception
du réel serait insignifiante et stérile si elle en
excluait
toute dimension subjective : nous ne pouvons créer, voire agir
sur
le monde que si nous l’investissons de notre imagination
désirante,
donc irrationnelle. L’irrationnel du désir et des passions
actives
se confond avec notre vouloir être et agir pour notre
satisfaction,
en dernier ressort narcissique : celle que procure l’amour de soi,
passion
naturelle de chacun en tant qu’il est conscient de soi et donc capable
de s’évaluer lui-même ; agir c’est se projeter dans le
monde
et vers les autres pour s’y reconnaître. Si être rationnel
c’est refuser d’imaginer que le monde pourrait être autre,
à
la mesure de notre désir propre et de nos passions, la
stérilité,
la dépersonnalisation de nos relations aux autres, sous la
férule
uniformisante de l’universalité rationnelle abstraite,
l’emporteraient
sur la créativité, l’autonomie, l’art et la
poésie.
La riche figure de l’artiste devrait s’effacer devant celle du
philosophe
éthéré ou celle de l’homme dont l’action n’est
efficace qu’au prix du renoncement à soi qu’implique la
poursuite
d’objectifs de pure rentabilité économique. Même le
scientifique doit croire et imaginer, hors des sentiers battus, pour
établir
une nouvelle théorie et produire une approche plus audacieuse de
phénomènes jusque là inexplicables. C’est dire que
la responsabilité personnelle est aussi la question de la
manière
par laquelle on intègre la dimension du désir et des
projections
imaginaires qu’il produit dans l’usage que nous faisons de nos
croyances.
3) De l’usage responsable de nos croyances dans leur rapport au désir
3-1 Désir, croyance et illusion
C’est le désir qui nous fait croire et agir : le désir
de reconnaissance et de puissance qui imagine toujours le monde
à
sa mesure en fonction des fins gratifiantes qu’il vise, en cela il
anticipe
sur la satisfaction réelle en se représentant le monde et
les autres comme conformes à ses fins : l’amoureux imagine qu’il
est aimé pour s’aimer lui-même ; le candidat au bac
imagine
qu’il réussira, le croyant imagine qu’il est aimé et sera
sauvé par Dieu, et l’enfant imagine le Père Noël lui
apportant les jouets qu’ils convoitent etc…Or prendre son désir
pour la réalité c’est tomber dans le piège de la
croyance
illusoire ; en quoi est-ce un piège ? En cela que celui qui est
dans l’illusion, sauf échec brutal, s’y tient et, par là,
refuse de mettre en question sa croyance. C’est le cas extrême de
celui qui croit en Dieu et prend tout ce qui lui arrive comme
l’expression
de la volonté divine au point, par exemple, de refuser de se
soigner
réellement et fait même de sa souffrance et de sa mort, de
son sacrifice et de celui des autres, une condition de sa
rédemption
: il est vrai que l’existence de Dieu ne peut être
démentie
par l’expérience, c’est pourquoi la foi religieuse est sans
limites
expérimentales et démentis possibles et peut conduire aux
pires violences au nom de la volonté divine (cas des terroristes
religieux hyper-violents et suicidaires).
Mais dans le cas de croyances terrestres, nécessairement
confrontées
à l’expérience, la déception provoquée par
l’expérience réelle est un régulateur/limiteur de
l’illusion par la désillusion (illusion négative et
contraire)
qu’elle engendre. Tout désir est donc potentiellement source
d’illusion,
voire de délire fanatique et mortel, mais le risque est moindre
lorsque le désir porte sur le monde empirique de
l’expérience
du réel et fait droit au désir des autres comme limite de
notre propre désir de toute puissance. Etre responsable c’est
répondre
de notre désir dans le cadre du respect que l’on doit au
désir
d’autrui et, pour se faire, il faut se raisonner, c’est à dire
se
donner des règles de réciprocité des droits et des
devoirs.
Si le scientifique, sur le plan de la connaissance, soumet les
théories
auxquelles il croit - et toute théorie est d’abord, avant toute
vérification, une croyance- à l’épreuve de la
logique,
de l’expérience objective et du débat critique des autres
scientifiques mettant en jeu des faits dûment prouvés, car
reproductibles ; chacun de nous, sur le plan éthique, est
appelé
à renoncer au délire de la toute puissance, la
nôtre
ou celle de Dieu, pour faire droit et place au désir d’autrui
selon
les principes universels de raison « ne pas faire à autrui
ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse » et « rendre
à
autrui le bien qu’il te fait ». Faut-il, pour parer au risque de
l’illusion, renoncer à l’imaginaire et à ne rien croire
de
ce qu’il nous fait imaginer ? Bien sur que non, car sinon ce serait
renoncer
au bonheur qui est le seul but universel de la vie. Mais il convient de
distinguer l’illusion de la fiction : une croyance fictive, au
contraire
de l’illusion, est une croyance dont on sait qu’elle en ne correspond
pas
à la réalité et/ou qu’elle n’est pas
forcément
(par sa force subjective seule) réalisable ; mais qui donne sens
à nos actions en tant que principe subjectif idéal de nos
comportements en vue du mieux-vivre. Cette distinction est justement la
tâche de la raison.
3-2 La raison, le souhaitable et le possible
Tout ce qui est souhaitable dans l’ordre de l’action, c’est à
dire tout ce qui peut répondre à notre désir,
n’est
pas toujours possible, voire ne l’est jamais instantanément, si
souhaiter c’est désirer ce qui n’est pas encore ; sauf à
croire à la magie, au miracle ou à la chance toujours
précaire,
il faut agir contre des obstacles souvent insurmontables, d’autant plus
que nous désirons souvent l’impossible, car nous désirons
le but sans les moyens (souvent éprouvants) ou des buts
logiquement
contradictoires (le beurre et l’argent du beurre). Donc nos croyances,
comme projections imaginaires de nos désirs, sont sans cesse
tiraillées
entre le possible et le souhaitable et c’est ce tiraillement qu’il faut
exploiter afin de rendre nos actions plus raisonnables et nos
motivations
plus responsables. Raisonner nos croyances c’est toujours mesurer
l’écart
entre le possible et le souhaitable pour réduire celui-ci
à
ce qui est effectivement possible du point de vue de la logique
(cohérence
du projet) et de l’expérience (sanction de réel par
l’échec
et la réussite). Et surtout réguler nos désirs et
les croyances qu’ils produisent selon le principe du respect des droits
d’autrui, c’est à dire de ses croyances personnelles dans les
limites
où ces croyances sont compatibles avec l’autonomie des autres
(principe
de tolérance positive) ; cette confrontation peut du reste
être
un facteur de progrès quant à la prise de conscience de
ce
qu’il peut y avoir d’illusoire dans le jeu spontané de nos
croyances
propres et est d’une aide non seulement précieuse mais
indispensable
pour mieux distinguer l’illusion de la fiction. En cela nos croyances
doivent
être maintenues dans un état de souplesse pragmatique :
elles
doivent pouvoir évoluer à l’expérience du
succès
et de l’échec et s’adapter à nos pouvoirs réels
sur
notre environnement social en vue de l’accroissement de notre autonomie
désirante respectueuse de celle des autres. Méfions-nous,
comme d’un cancer de l’esprit, de la foi dogmatique en des croyances
sacralisées
indiscutables et des principes ou convictions intangibles qui nous
conduiraient
à la négation de réel et des autres qui ne croient
pas comme nous. Il vaut toujours mieux savoir que nous croyons et
être
prêt à changer de croyance, dès lors qu’elle
conduit
à l’échec, que croire que nous savons
définitivement
ce qui est vrai, bon ou juste par cette vaine gloriole qui nous
conduirait
à refuser de remettre en question ce à quoi nous nous
sommes
faussement identifiés.
3-3 Désir et responsabilité : conclusion générale