Sommes-nous responsables de nos croyances ?

Introduction :
La notion de croyance signifie que certaines de nos idées et représentations sont admises comme vraies, justes ou bonnes sans que nous disposions de raisons suffisantes explicites pour cela : nous adhérons à nos croyances dans la mesure où elles dirigent notre pensée et commandent nos actions, voire donne un sens à notre vie sans que nous sachions clairement pourquoi. En ce sens si elles nous activent, nous meuvent, nous les subissons passivement car elles s’imposent à nous sous l’apparence de l’évidence toute faite, de préjugés que nous ne produisons pas nous-même par un effort de réflexion personnelle et critique ; mais, paradoxalement, nous nous identifions tellement à elles qu’elles semblent nous appartenir et être l’expression de notre entière liberté au point que s’il nous est fait le reproche d’y croire nous revendiquons notre entière liberté d’y adhérer. Or, par cette revendication, nous nous déclarons responsables de nos croyances, car, dès lors que nous nous déclarons libres d’y croire, nous devons en répondre aux yeux des autres d’autant plus qu’elles génèrent des conséquences importantes dans nos relations à eux et, par conséquent dans leur propre existence. Et cette responsabilité exige que nous soyons capables de justifier nos croyances à leurs yeux pour légitimer les actes et décisions qu’elles provoquent et qui les concernent toujours peu ou prou, à moins de croire que nous vivons sur une île déserte en parfait irresponsable et/ou que notre liberté se confonde avec le refus de tout engagement vis-à-vis d’autrui ; croyances elle-même illusoires. Ainsi le paradoxe de la relation à nos croyances nous paraît insurmontable : n’est-il pas contradictoire, en effet, de se croire cause libre de croyances et donc d’en répondre comme si nous en étions les auteurs, alors qu’elles sont en nous sans que nous les ayons rationnellement produites et qu’elles paraissent du même coup l’effet des influences extérieures, du conformisme ambiant (mimétisme) et/ou de nos passions les plus irrationnelles ?
Pour répondre à ce paradoxe la tradition philosophique a longtemps crû qu’il était possible :
- soit de se libérer de toute croyance au profit d’un savoir rationnel entièrement prouvé comme vrai et juste afin de devenir responsables de nos pensées et de nos actes (ambition forte) ;
- soit de faire en sorte de rationaliser nos croyances de telle sorte que nous soyons capables d’en contrôler les conséquences et éventuellement d’en changer en les adoptant et les utilisant dans des conditions moins passives et passionnelles.(ambition faible).
Or cette croyance philosophique a, dans les deux cas, aboutit à la construction plus ou moins laborieuse de systèmes rationnels de justification contradictoires de croyances contradictoires qui se voulaient pourtant universellement valides. Ainsi les philosophes ont longtemps prétendu nous délivrer de nos croyances passives les plus irrationnelles et les plus illusoires (l’illusion consiste à se complaire à prendre pour vrai des idées fausses) ; or cette prétention est elle-même mise en échec par les conflits et les contradictions de doctrines qu’elle a suscité, ne serait-elle donc pas à son tour une croyance illusoire et partant irresponsable, au sens que les philosophes ne pourraient en répondre en la justifiant? N’y aurait-il pas une illusion proprement philosophique à croire que nous pourrions devenir responsables de nos croyances en pratiquant la réflexion critique philosophique à leur égard? Si oui alors nul ne pourrait être tenu responsable de ses croyances et il faudrait montrer philosophiquement en quoi, sinon, il conviendrait alors de préciser à quelles conditions et dans quelles limites la réflexion philosophique peut nous aider à nous en rendre plus responsables. L’enjeu de cette question est donc bien la question de savoir si oui ou non et si non pourquoi et si oui comment, la réflexion philosophique peut nous rendre plus libres dans notre pensée et donc dans les actes qui en découlent  et ainsi plus responsables de nous-même.
 
 

1) De l’impossibilité d’être totalement  responsables de nos croyances

1-1 De l’irrationalité de nos croyances
Les croyances ne sont pas des savoirs rationnels et ne sont des « vérités » qu’en dépit du fait qu’elles ne sont ni démontrées, ni prouvées selon des procédures rationnelles et expérimentales et dans le cas extrême de la foi ,en tant que croyance subjective totale dans un contexte d’incertitude objective insurmontable, elles s’affirment dans leur irrationalité maximale : la quasi totalité des dogmes religieux fondateurs de la vie des croyants et du sens qu’ils lui donnent sont des mystères, c’est à dire des idées ou représentations incompréhensibles par la raison commune ; voire contraire à toute l’expérience objective : la trinité, l’immaculée conception, la double nature du Christ pour ne prendre que des exemples dans la tradition catholique sont des propositions contradictoires et la vie après la mort ou la résurrection des corps n’ont jamais étaient expérimentalement validées ; pour ne rien dire de la survie de la pensée après la mort du corps. Cette irrationalité est d’ailleurs affirmée, voire revendiquée par la foi, comme le signe de la transcendance divine et de la supériorité de la foi sur la raison : « Christ, a dit Saint-Paul, est folie pour la raison » et c’est en cela que la vérité de la foi est indubitable, indiscutable et sacrée. Mais ce qui vaut pour les croyances les plus extrêmes qui engage le plus l’existence des hommes, vaut aussi à un moindre degrés pour les formes de croyances plus faibles que sont les simples opinions, personnelles ou collectives qui n’engagent que partiellement et pour un temps limité et que chacun sait discutables et objectivement douteuses : nous savons que nous adhérons pour d’autres motifs que des raisons attestées par des preuves ; seuls semble-t-il les savoirs scientifiques qui portent sur des phénomènes expérimentaux universellement reproductibles dans des conditions identiques et contrôlées comme telles dans des laboratoires, échappent à la relativité subjective de l’opinion. Mais tout ce qui concerne les simples opinions appartient au domaine de la subjectivité individuelle et collective et  procède  d’analogies superficielles et symboliques et de généralisations abusives des expériences spontanées en dehors de toute analyse objective et rationnelle des données et des relations de causes à effet mises en jeu. Ainsi les croyances au contraire des sciences qui mettent en œuvre des méthodologies de production rationnelles des énoncés et des procédures rigoureuses de contrôle de leurs relations aux faits ont d'autres origines que la raison: celles-ci peuvent être d’ordre interne ou d’ordre externe.

1-2 De l’origine de nos croyances
Les croyances sont des habitudes ou mieux des routines mentales qui, pour faire leur office, à savoir : interpréter le monde en l’ajustant à nos désirs et fournir des orientations à nos actions et comportements et pour ne pas être oubliées ou contestée se présentent sous la forme de vérités ou tout au moins d’évidences allant de soi ; donc qu’il paraît inutile, voire insensé d’interroger. Elles procèdent toutes de deux types de sources : l’une externe : l’imitation des autres, le dressage social et culturel (conformisme) ; nous croyons spontanément ce que d’autres croient et particulièrement ceux qui disposent d’un pouvoir et d’une autorité sur nos vies : parents, professeurs, prêtres etc…Cette mimétique à l’avantage de nous intégrer positivement dans un monde commun bien balisé pour nous y faire reconnaître et nous rassurer en nous conférant une sécurité et une identité sociale positive. L’autre est intérieure ; ce sont nos désirs et passions et parmi elles, celles qui les génèrent toutes : l’amour de soi. Croire c’est toujours peu ou prou se valoriser à travers sa croyance car toute croyance, si elle n’est pas un savoir objectif, est porteuse de valeurs hiérarchisées : chacun voit le monde au travers de sa recherche du bonheur comme recherche de ce qui lui confère de la valeur et tend à centrer sa vision des évènements dans un sens favorable à cette valorisation de lui-même et/ou son salut personnel et collectif ; ainsi les religions ne sont pas seulement des croyances qui génèrent des obligations morales collectives visant à stabiliser l’ordre social existant sous la menace de la punition divine quiconque refuserait de s’y soumettre inconditionnellement et à le légitimer aux yeux des individus et particulièrement de ceux qui ont un statut dégradé et dégradant ( ex : les esclaves, les femmes..), les plus pauvres etc..), mais aussi des promesses de bonheur et de salut individuels par delà la mort, dès lors que la vie présente est une vie de souffrance, particulièrement pour ceux qui sont les plus méprisés et les plus dominés. Mais toute croyance dans l’inégalité ou l’égalité entre les hommes (ou les femmes), dans la liberté, dans la vie après la mort, dans l’histoire et le progrès, dans la réussite professionnelle ou familiale sont d’abord des réponses aux désirs de ceux qui profitent ou pâtissent des inégalités existantes ou qui cherchent à améliorer leur condition et leur pouvoir sur leur environnement ou être sauvés après la mort des misères de la vie présentes ou qui croient en la vie éternelle pour y retrouver les êtres disparus qu’ils aiment et dont l’absence les fait souffrir etc.. Les croyances sont donc des évidences subjectives qui sont d’autant plus prégnantes qu’elles soumettent les individus à deux conditionnements combinés qui se renforcent l’un l’autre : celui de la société, de la culture et de ses codes de conduites et celui du désir des individus à s’affirmer dans la société qui les entoure ou dans un monde plus heureux post-mortem. Derrière une croyance il convient donc de chercher le désir qu’elle a pour fonction de satisfaire dans l’imaginaire confondu avec la réalité : toute croyance est donc plus ou moins illusoire (illusion = prendre son désir pour une réalité ou pour facilement réalisable, en dehors de toute analyse des difficultés et des obstacles éventuels) et elle l’est davantage à mesure qu’elle se croit vraie (conforme à la réalité) et d’autant qu’elle s’affirme comme indubitable en fonction même de la puissance qu’elle manifeste afin de donner au croyant un sens valorisant et rassurant à sa vie. En cela nous ne sommes pas libres de croire ou de ne pas croire, car les croyances s’imposent à nous, en dehors de notre volonté raisonnée et raisonnable et que le simple fait de remettre en doute nos croyances provoquent leur décrédibisation, leur dissipation ou leur déconstruction (déroutinisation), Moins on croit, plus on est libre de penser et plus on croit plus on est mentalement conditionné, embrigadé par la société et le dressage qu’elle exerce sur les individus et d’abord sur les enfants, et plus on est piégé par les faux-semblant de l’illusion passionnelle. La seule attitude libre et responsable disaient les sceptiques est donc de refuser de croire, de suspendre son jugement. Mais en quoi s’agit-il d’une attitude responsable ? Qu’est ce qu’être responsable ?

1-3 De la responsabilité vis-à-vis de nos pensées.
La notion de responsabilité est une notion socialement et juridiquement liée à celle de la faute ; nous ne pouvons être coupables de nos actes délictuels ou criminels et donc sanctionnables que si nous sommes responsables, c’est à dire si on est supposé avoir été en possession de notre raison au moment des faits, laquelle est cette faculté qui nous permet de choisir entre le bien et le mal, le juste et l’injuste au nom de principes de régulations réciproques des relations humaines dans le sens de la non-violence et/ou du bien général ou mutuel. Ainsi la raison est la faculté qui permet d’exercer un contrôle sur nos désirs et passions et surtout qui nous nous rend capables de juger objectivement, par le recours au principe critique d’identité et de non-contradiction valant pour toute pensée sensée, de la vérité et de la valeur universelle des idées et des comportements. Or croire, c’est plus ou moins selon le degré de notre croyance (opinion, conviction ou foi), renoncer à faire usage de sa raison. Si cet usage est total la responsabilité vis-à-vis de nos idées est entière, mais, de plus, pour que cette responsabilité soir réelle il convient qu’elle soit totale : une demi-responsabilité est absurde : on est libre et  raisonnable ou non. Nous avons le choix entre nous laisser aller à nos désirs (et donc notre désir de croire) ou nous ne l’avons pas, et quiconque est animé d’une croyance qui s’impose à lui sous la forme de l’évidence ou d’une révélation irrésistible n’a aucune responsabilité vis-à-vis de ce à quoi il croit : il croit parce qu’il croit et il n’y peut rien ; et il a d’autant moins le choix que sa croyance est forte et détermine le sens de sa vie et/ou qu’il s’est identifié à elle comme la valeur identificatoire collective sacrée (indiscutable) la plus auto-valorisante ; sa raison est mise hors jeu et tout argument contraire sera alors rejeté ou retourné en faveur de ce à quoi il croit. Par exemple la souffrance et la  mort d’un enfant innocent seront interprétées, selon les credo(s) religieux,  comme un don de Dieu pour sauver l’enfant du mal ou comme une juste punition d’une faute commise en une vie antérieure etc. Ainsi plus nous croyons, plus nous sommes aveugles et sourds à la contradiction et moins nous pouvons nous dire responsables, car, dès lors qu’il ne peut y avoir de responsabilité partielle, en tant que croyants nous perdons toute responsabilité; c’est à dire la capacité de faire un choix autonome, dans l’adhésion à des idées qui ne sont nôtres qu’en apparence car elles sont en nous sans nous : elles nous possèdent et nous ne les possédons pas. Pour être responsable il convient donc de mettre en doute nos croyances, mais par le doute la croyance s’efface instantanément au profit de la réflexion argumentée et critique, c’est à dire de la pensée philosophique ou scientifique.

Conclusion partielle : Responsabilité et croyance sont donc comme le jour et la nuit ou l’eau (la raison) et le feu (la passion) : elles s’excluent mutuellement. Celui qui se dit responsable de ses croyances se trompe car, s’il a choisi ce qu’il pense, il n’est déjà plus dans l’habitude mentale inconsciente de ses passions ; il est déjà dans la production consciente et critique de l’idée juste ou vraie.

Transition critique : Mais la position qui consiste à refuser toute croyance comme nécessairement illusoire et irresponsable débouche nécessairement sur une double impasse :
- soit elle consiste à affirmer qu’il ne faut admettre que des idées dont on puisse être absolument assuré qu’elles sont vraies et/ou justes donc objectivement prouvées comme certaines; mais cette assurance est impossible à produire, car comme le dit le philosophe sceptique Pyrrhon toute preuve doit être prouvée, de même toute preuve de la preuve et ainsi de suite à l’infini. Ce qui rend la certitude inaccessible.
- soit on refuse toute idée ou croyance, voire tout engagement idéologique ; Or cela est impossible car nous ne pouvons nous dispenser de croire pour vivre, c’est à dire d’interpréter le monde afin d’y réaliser nos objectifs biologiques, sociaux et psychologiques qui tous contribuent au désir d’être plus heureux ou moins malheureux : Le sceptique en refusant de croire se condamne à l’impuissance et donc capitule devant le combat de la vie contre la mort et la souffrance.
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Pour sortir de ce dilemme, il convient donc de nous interroger sur la nécessité et notre capacité à faire un usage responsable de nos croyances afin d’éviter l’illusion toujours personnellement décevante et/ou la violence individuelle ou pire collective que génère les croyances passionnelles, aveugles et fanatiques (ex : les guerres de religions)
 

2) De l’usage responsable de nos croyances dans leur rapport à la raison

2-1 Doute philosophique et croyance
Les philosophes ont toujours considéré que le premier moment de la réflexion est le doute volontaire ou faculté de s’étonner face aux idées toutes faites et surtout vis-à-vis des croyances irrationnelles (contradictoires entre elles et avec le monde extérieur et nos véritables désirs d’être et d’agir.) qui nous conduisent à un faux bonheur à court terme et à un vrai malheur à long terme, c’est à dire à des contradictions destructrices et à l’impuissance. Il convient ici de préciser la nature du doute philosophique ainsi que sa méthode et sa finalité. En tant qu’il est volontaire, il n’est pas passif mais actif et en cela il est l'expression de la puissance du sujet sur sa pensée (ses idées et croyances) et non pas seulement l’effet des circonstances et des influences extérieures contradictoires subies. Il n’a rien d’hésitant et de désespéré, mais il est au contraire positif en cela qu’il manifeste notre capacité à juger par nous-même du vrai et du faux du bien et du mal, du juste et de l’injuste en mettant entre parenthèses l’adhésion spontanée et irréfléchie à tel ou tel préjugé aveugle. Sa méthode consiste à soumettre à l’épreuve de la contradiction nos idées toutes faites (croyances passives) contradictoires entre elles, entre ce qu’on pense et ce qui est, entre nos désirs et entre eux et ce qui est réellement possible.

2-2 Raison et croyance
Le principe de non-contradiction est, en effet, le seul susceptible d’être admis universellement comme argument car il est la condition de tout discours et pensée sensés et universellement compréhensibles. Sa finalité est de produire des idées moins contradictoires et donc moins décevantes et d’accroître du même coup la puissance d’agir du sujet sur lui-même (ses passions) et sur son environnement naturel et humain. Or, s’il est juste de dire qu’aucune idée ne peut être exempte de contradictions en elle-même, dans ses conséquences ou ses effets pratiques, d’autant que dans l’ordre des valeurs éthiques et politiques la compatibilité entre nos exigences est toujours problématique (en pratique, sinon en théorie, la cohérence de nos valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité ne va pas de soi), il est excessif de croire que nous ne pouvons rien pour mettre en plus grande cohérence nos pensées et nos pensées et nos actes en précisant les conditions et les limites de cette cohérence. Il dépend de chacun de rationaliser ses idées et ses comportements et d’éviter les croyances à l’évidence contradictoires ou génératrices dans le domaine normatif de contradiction pratique insurmontables, voire de violences généralisées (ex : le racisme et les crimes contre l’humanité qu’il génère nécessairement) auto-destructrices de la possibilité de vivre personnellement plus heureux avec soi et plus respectueux et plus confiants les uns vis-à-vis des autres. Il convient donc de faire le partage entre les croyances par nature irrationnelles, contradictoires en elles même et avec la réalité et/ou ce qui est souhaitable et réellement possible et les croyances rationnelles ou tout au moins théoriquement plus cohérentes et pratiquement plus efficaces en vue du bien-vivre avec soi (le bonheur) et les autres (la justice). De plus nos croyances rationnelles, au contraire des croyances irrationnelles, ont l’avantage d’être justifiables et donc de permettre un dialogue avec soi et les autres ; elles produisent donc la condition essentielle de la réduction de la violence dans les rapports humains l’incompréhension, car elles améliorent l’identification virtuelle, au moins partielle, des positions qui consiste à pouvoir se mettre à la place de l’autre en vue de trouver, sinon un accord, au moins un compromis équilibré entre des intérêts et valeurs difficilement compatibles en pratique, mais justifiables en raison et donc légitimes aux yeux de tous ; y compris de ceux dont les valeurs et intérêts sont au départ  opposés : un adversaire n’est pas nécessairement un ennemi mais le devient s’il refuse le dialogue et le compromis et donc de fournir une justification à son point de vue.

2-3 Justification et responsabilité
Etre responsable de ses croyances c’est tout d’abord connaître les raisons que nous avons de croire et du même coup être capable de les justifier à ses propres yeux et aux yeux des autres et donc les assumer lucidement. Or cette capacité offerte par le doute méthodique et la pratique de la réflexion philosophique sur le sens et la valeur rationnels de nos croyances implique une délibération, un dialogue intérieur entre des croyances ou attitudes de vie opposées ; en cela nos croyances ne sont plus des automatismes mentaux récurrents, comme le sont les croyances religieuses ritualisées et figées dans l’intemporalité du sacré, mais des hypothèses de travail que nous nous donnons, chacun à nous même, jusqu’à la reconnaissance, d’avance acceptée comme facteur de progrès de la pensée et de l’action, de leur échec ou de leur insuffisance ; elles restent ouvertes à la discussion, à la confrontation à d’autres croyances et à la réfutation critique argumentée au regard de leurs fondements et de leurs conséquences. Ainsi même si elles fonctionnent comme des habitudes mentales elles ne sont plus des dogmes intangibles et mécaniques interdisant la nécessaire souplesse d’adaptation à l’évolution des connaissances et des mœurs qui anime notre le monde moderne

Conclusion partielle :
Les croyances sont acquises et corrigibles par la réflexion rationnelle et critique qui les ouvrent au progrès des connaissances validées de l’expérience scientifique ou éthique Elles sont alors de notre responsabilité dès lors que nous devenons capables de les faire nôtres en les justifiant contre d’autres possibles et que cette justification reste ouverte à  leur remise en question critique. Nous devons pour cela non seulement accepter de, mais rechercher à les soumettre au jugement des autres car ce jugement est nécessaire pour en mieux juger soi-même dans un dialogue éclairant, lucide et libérateur (vis-à-vis d’illusions plus ou moins délirantes) de soi avec soi. C’est la définition la plus rigoureuse de la notion de responsabilité : répondre de ce qui motivent et justifient nos actions à nos yeux et potentiellement aux yeux de quiconque, dès lors qu’une justification ne vaut que si elle s’inscrit dans le cadre d’une valeur universalisable sans contradiction, en nous soumettant à la critique et au jugement rationnels (donc dépassionné des autres).

Transition critique :
Mais cette vision rationaliste de la croyance risque de nous faire méconnaître ce qui est à la source même de toutes nos motivations : l’imagination désirante. Le désir est, quels que soient les conditionnements sociaux qui s’exercent sur lui, ce qui nous fait croire au bonheur sur terre ou dans le ciel. Notre perception du réel serait insignifiante et stérile si elle en excluait toute dimension subjective : nous ne pouvons créer, voire agir sur le monde que si nous l’investissons de notre imagination désirante, donc irrationnelle. L’irrationnel du désir et des passions actives se confond avec notre vouloir être et agir pour notre satisfaction, en dernier ressort narcissique : celle que procure l’amour de soi, passion naturelle de chacun en tant qu’il est conscient de soi et donc capable de s’évaluer lui-même ; agir c’est se projeter dans le monde et vers les autres pour s’y reconnaître. Si être rationnel c’est refuser d’imaginer que le monde pourrait être autre, à la mesure de notre désir propre et de nos passions, la stérilité, la dépersonnalisation de nos relations aux autres, sous la férule uniformisante de l’universalité rationnelle abstraite, l’emporteraient sur la créativité, l’autonomie, l’art et la poésie. La riche figure de l’artiste devrait s’effacer devant celle du philosophe éthéré ou  celle de l’homme dont l’action n’est efficace qu’au prix du renoncement à soi qu’implique la poursuite d’objectifs de pure rentabilité économique. Même le scientifique doit croire et imaginer, hors des sentiers battus, pour établir une nouvelle théorie et produire une approche plus audacieuse de phénomènes jusque là inexplicables. C’est dire que la responsabilité personnelle est aussi la question de la manière par laquelle on intègre la dimension du désir et des projections imaginaires qu’il produit dans l’usage que nous faisons de nos croyances.
 

3) De l’usage responsable de nos croyances dans leur rapport au désir

3-1 Désir, croyance et illusion
C’est le désir qui nous fait croire et agir : le désir de reconnaissance et de puissance qui imagine toujours le monde à sa mesure en fonction des fins gratifiantes qu’il vise, en cela il anticipe sur la satisfaction réelle en se représentant le monde et les autres comme conformes à ses fins : l’amoureux imagine qu’il est aimé pour s’aimer lui-même ; le candidat au bac imagine qu’il réussira, le croyant imagine qu’il est aimé et sera sauvé par Dieu, et l’enfant imagine le Père Noël lui apportant les jouets qu’ils convoitent etc…Or prendre son désir pour la réalité c’est tomber dans le piège de la croyance illusoire ; en quoi est-ce un piège ? En cela que celui qui est dans l’illusion, sauf échec brutal, s’y tient et, par là, refuse de mettre en question sa croyance. C’est le cas extrême de celui qui croit en Dieu et prend tout ce qui lui arrive comme l’expression de la volonté divine au point, par exemple, de refuser de se soigner réellement et fait même de sa souffrance et de sa mort, de son sacrifice et de celui des autres, une condition de sa rédemption : il est vrai que l’existence de Dieu ne peut être démentie par l’expérience, c’est pourquoi la foi religieuse est sans limites expérimentales et démentis possibles et peut conduire aux pires violences au nom de la volonté divine (cas des terroristes religieux hyper-violents et suicidaires).
Mais dans le cas de croyances terrestres, nécessairement confrontées à l’expérience, la déception provoquée par l’expérience réelle est un régulateur/limiteur de l’illusion par la désillusion (illusion négative et contraire) qu’elle engendre. Tout désir est donc potentiellement source d’illusion, voire de délire fanatique et mortel, mais le risque est moindre lorsque le désir porte sur le monde empirique de l’expérience du réel et fait droit au désir des autres comme limite de notre propre désir de toute puissance. Etre responsable c’est répondre de notre désir dans le cadre du respect que l’on doit au désir d’autrui et, pour se faire, il faut se raisonner, c’est à dire se donner des règles de réciprocité des droits et des devoirs.
Si le scientifique, sur le plan de la connaissance, soumet les théories auxquelles il croit - et toute théorie est d’abord, avant toute vérification, une croyance- à l’épreuve de la logique, de l’expérience objective et du débat critique des autres scientifiques mettant en jeu des faits dûment prouvés, car reproductibles ; chacun de nous, sur le plan éthique, est appelé à renoncer au délire de la toute puissance, la nôtre ou celle de Dieu, pour faire droit et place au désir d’autrui selon les principes universels de raison « ne pas faire à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse » et « rendre à autrui le bien qu’il te fait ». Faut-il, pour parer au risque de l’illusion, renoncer à l’imaginaire et à ne rien croire de ce qu’il nous fait imaginer ? Bien sur que non, car sinon ce serait renoncer au bonheur qui est le seul but universel de la vie. Mais il convient de distinguer l’illusion de la fiction : une croyance fictive, au contraire de l’illusion, est une croyance dont on sait qu’elle en ne correspond pas à la réalité et/ou qu’elle n’est pas forcément (par sa force subjective seule) réalisable ; mais qui donne sens à nos actions en tant que principe subjectif idéal de nos comportements en vue du mieux-vivre. Cette distinction est justement la tâche de la raison.
 
3-2 La raison, le souhaitable et le possible
Tout ce qui est souhaitable dans l’ordre de l’action, c’est à dire tout ce qui peut répondre à notre désir, n’est pas toujours possible, voire ne l’est jamais instantanément, si souhaiter c’est désirer ce qui n’est pas encore ; sauf à croire à la magie, au miracle ou à la chance toujours précaire, il faut agir contre des obstacles souvent insurmontables, d’autant plus que nous désirons souvent l’impossible, car nous désirons le but sans les moyens (souvent éprouvants) ou des buts logiquement contradictoires (le beurre et l’argent du beurre). Donc nos croyances, comme projections imaginaires de nos désirs, sont sans cesse tiraillées entre le possible et le souhaitable et c’est ce tiraillement qu’il faut exploiter afin de rendre nos actions plus raisonnables et nos motivations plus responsables. Raisonner nos croyances c’est toujours mesurer l’écart entre le possible et le souhaitable pour réduire celui-ci à ce qui est effectivement possible du point de vue de la logique (cohérence du projet) et de l’expérience (sanction de réel par l’échec et la réussite). Et surtout réguler nos désirs et les croyances qu’ils produisent selon le principe du respect des droits d’autrui, c’est à dire de ses croyances personnelles dans les limites où ces croyances sont compatibles avec l’autonomie des autres (principe de tolérance positive) ; cette confrontation peut du reste être un facteur de progrès quant à la prise de conscience de ce qu’il peut y avoir d’illusoire dans le jeu spontané de nos croyances propres et est d’une aide non seulement précieuse mais indispensable pour mieux distinguer l’illusion de la fiction. En cela nos croyances doivent être maintenues dans un état de souplesse pragmatique : elles doivent pouvoir évoluer à l’expérience du succès et de l’échec et s’adapter à nos pouvoirs réels sur notre environnement social en vue de l’accroissement de notre autonomie désirante respectueuse de celle des autres. Méfions-nous, comme d’un cancer de l’esprit, de la foi dogmatique en des croyances sacralisées indiscutables et des principes ou convictions intangibles qui nous conduiraient à la négation de réel et des autres qui ne croient pas comme nous. Il vaut toujours mieux savoir que nous croyons et être prêt à changer de croyance, dès lors qu’elle conduit à l’échec, que croire que nous savons définitivement ce qui est vrai, bon ou juste par cette vaine gloriole qui nous conduirait à refuser de remettre en question ce à quoi nous nous sommes faussement identifiés.

3-3 Désir et responsabilité : conclusion générale

Nous ne pouvons devenir plus responsables de nos croyances que dans la mesure où la raison nous permet de transformer nos désirs aveugles et passifs, que nous appelons les passions malheureuses et violentes, en désirs actifs et régulés et partant efficaces, car soucieux du réel (du possible et de ses conditions) et du désir des autres. Loin de refuser de croire, nous devons croire plus raisonnablement, donc plus philosophiquement en prenant conscience des alternatives de vie possibles que formalisent les différentes philosophies, ainsi que des conditions de mises en œuvres dans la réalité (toujours peu ou prou hostile et/ou contraire à nos croyances) et des conséquences possibles et probables de nos croyances afin d’éviter l’illusion, l’échec, l’impuissance, le désespoir suicidaire, la violence sans limite et la haine, contre soi et les autres, qu’elles entraînent. Raisonner ses croyances et ses désirs pour en répondre aux yeux des autres, c’est à dire les justifier comme légitimes au nom du droit au bonheur de chacun, est la première condition pour mieux désirer c’est à dire s’aimer soi-même et donc pour agir réellement en vue de la reconnaissance positive de soi qui définît l’authentique bonheur.


Pourquoi la foule préfère-t-elle  la croyance à la science?
C'est, entre autres motifs:


1) se donner à bon compte une explication paresseuse qui délivre un sens unique susceptible de nous délivrer d'un mal et surtout d'une angoisse face à l'inconnu toujours vécu comme menace de mort. Mieux vaut identifier illusoirement une cause simpliste que s'interroger sur des causes complexes dont la complexité même nous échappe et donc échappe à notre espoir chimérique de maitrise

2) lorsque cette croyance devient collective par coagulation des angoisses individuelles elle assure chacun de penser comme les autres en lui délivrant l'illusion d'une vérité incontestable.
3) l'esprit critique est dissolvant en cela qu'il isole du sens commun et des autres!
Philosophie et croyances
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