Anti-capitalisme et démocratie.
Tous
ceux qui se réclament d'une révolution anti-capitaliste en
accordant à l'état la propriété des moyens de production et
d'échange dans le cadre d'une économie administrée (et non pas
seulement régulée) par lui oublient que ce dernier
est nécessairement un machine de domination d'une minorité sur la
majorité, même s'il est élu par une majorité!(Marx)
Imaginons donc un
état démocratique, admettant les libertés fondamentales, qui aurait
pour fonction de gérer l'économie réelle: il aurait un double pouvoir,
un pouvoir politique général et un pouvoir économique d'ajuster l'offre
à la demande, hors toute concurrence, il le ferait nécessairement
dans le sens de ceux qui, en son sein, décide du désir des
consommateurs au mieux de leurs intérêts privés car tout monopole
génère des rentes de situation dont on ne peut croire qu'ils y
renonceraient pas générosité d'âme.
Suffirait-il de changer
démocratiquement ceux qui seraient à la tête de l'état pour réduire ce
risque de corruption? La réponse est non car ce type même de pouvoir
fusionnant l'économie et la politique continuerait à fonctionner en ce
sens: de nouveaux corrompus remplaceraient simplement les anciens
rejetés "démocratiquement. "Tout pouvoir corrompt et tout pouvoir
absolu corrompt absolument (Hamlet)"
La séparation des pouvoirs
et l'économie de marché concurrentielle qui va avec est la seule
manière de préserver un minimum de vertu démocratique ainsi que la
liberté d'entreprendre régulée par le marché d'une part et par l'état
(poltiquement autonome) dans le sens d'une plus grande justice et d'un
plus grand souci écologique d'autre part. Sans cette séparation des
pouvoirs aucune liberté même idéologique (liée à la forme d'expression
toujours idéologiquement plus ou moins conditionnée des désirs de
chacun) n'est possible.
Vouloir remplacer la dictature du
capital privé plus ou moins concurrentiel par celle de l'état
monopoliste qui privatiserait, via le monopole qu'il exerce, l'ensemble
de l'économie à son profit et à ceux qui s'en servent pour préserver
les privilèges de leur pouvoir serait une régression liberticide
générale comme toute l'expérience historique du siècle dernier le
prouve.
La notion même de dictature du prolétariat, via un état
anti-libéral ou totalitaire (qui dispose de la totalité des pouvoirs
non séparés) est morte avec l'effondrement des économies et des
sociétés dites soviétiques; or cette notion est indissociable de toute
révolution prétendument anti-capitaliste, c'est pourquoi un parti qui
se dirait anti-capitaliste sans parler de dictature du prolétariat vite
transformée en dictature sur le prolétariat (R. Luxembourg) ou trompe
son monde en se prétendant démocratique ou parle de révolution sans
(désirer) la faire (prendre le pouvoir).
Il faut (re)lire la Lettre VII de
Platon dans laquelle il fait le bilan de l’échec de son expérience
vis-à-vis de Denis de Syracuse ; il n’a pu le convertir ce tyran à la
philosophie car le pouvoir interdit d’être impartial, sauf à vouloir le
perdre contre tous ceux qui veulent la place et donc nul qui exerce le
pouvoir ne peut être juste puisqu’il a précisément à se battre contre
tous les autres pour l’exercer. Tout pouvoir est nécessairement
travaillé par la passion de l’ambition dès lors qu’on ne peut l’exercer
qu’en en jouissant aux dépens des concurrents et en affirmant sa
domination sur ses subordonnés.
De même, ajoutera Kant, tout philosophe investi d’une autorité
politique serait instantanément un homme politique comme les autres et
donc ne serait plus philosophe. Le philosophe ne peut être que
conseiller du prince et l’éducateur des esprits à la raison. Le pouvoir
d’influence culturelle en vue de la prise de conscience critique de
l’universel rationnel et s’ oppose à l’ambition politique toujours
personnelle et plus ou moins exclusive...
Le problème de l’homme politique
est de conquérir et de de rester au pouvoir et il ne peut le faire sans
faire usage de l’opinion en démocratie. Platon détestait la démocratie
qu’il considérait comme la pire des tyrannie : celle de l’opinion
ignorante ; il se prononçait pour la monarchie (et non pas la tyrannie)
philosophique
Mais il ne faut pas croire que l’idéal
philosophique qui se conjugue nécessairement au pluriel soit réalisable en un seul homme réel en politique. De plus être
philosophe c’est aussi aller contre l’opinion majoritaire, mais c’est,
dans nos régimes, être assurés de la défaite !
La
raison n’est pas spontanément aussi partagée que semble
ironiquement le penser Descartes à propos de
la connaissance dans un domaine, la politique,
qui est d’abord celui de la
passion du pouvoir et de la victoire sur les autres : sans cette
passion au service de ses propres ambitions plus ou moins conformes à
l’opinion majoritaire , le combat politique, en démocratie, serait
impossible par défaut de motivation personnelle et de soutien.
La
monarchie philosophique serait nécessairement aussi conflictuelle ou
dialectique que l’est la philosophie elle-même.
Ne pas mélanger les genres...Telle est la leçon de Platon et de Kant
(de Pascal, de Spinoza, de Marx, de Freud...), sauf à sortir de la
philosophie ou ce qui revient au même de la mettre au service de
l’ambition politique.
Le 19/07/09
Platon dit que la démocratie est l’antichambre de la tyrannie en
cela qu’elle est la tyrannie de la majorité qui aboutit nécessairement
à la tyrannie d’un seul qui ne peut que s’appuyer démagogiquement par
la flatterie sur cette majorité pour instaurer son pouvoir absolu. La
démocratie est donc pour lui la cause essentielle de la tyrannie ou si
vous voulez son essence profonde ou principe (la plupart des plus
grands tyrans de l’histoire ont été populaires, au moins lors de leur
prise de pouvoir)
Sans la démocratie il n’y aurait pas de tyrannie possible, mais une
monarchie ou une aristocratie plus ou moins juste, alors que la
démocratie est forcément injuste, car reposant sur l’opinion
fallacieuse et le libre jeu des passions..
La position de Platon est donc celle de la monarchie
philosophique qu'il défend, à juste titre du point de vue cohérent qui
est le sien,
contre la démocratie, mais la question est de savoir si le monarque
qui, selon lui, peut et doit employer tous les moyens de la force
et
du mensonge pour assurer son « juste » pouvoir est un
vrai philosophe
et qui doit décider qu’il l’est comme le remarque Kant dans la
« Critique de la Raison pure », alors même que les philosophes ne
sont
pas d’accord entre eux sur ce qu’est la justice et sur les
valeurs
fondamentales et leur hiérarchie !
Qui fait (doit faire) de tel philosophe le roi ?
Sur le plan de la philosophie politique je suis plus aristotélicien
que platonicien. L’opinion de la majorité a moins de chance d’errer
longtemps sur ce qui convient au bien commun qu’un seul, fût-il
philosophe auto-proclamé. Du reste être philosophe même et surtout pour
Socrate, ce n’est pas encore être sage, mais désirer le devenir pour
soi-même et l’idéal du philosophe est de se commander à soi-même et non
pas aux autres qui ne sont pas nécessairement dans l’état de l’accepter
et de se soumettre au pouvoir philosophique , particulièrement en
démocratie (lire la livre VIII de la République).
Je ne suis pas platonicien mais
aristotélicien parce que je considère que la démocratie est le pire des régimes
politiques à l’exception de tous les autres et qu’elle suppose comme
condition une culture de l’égalité sociale et de la solidarité
vis-à-vis des moins favorisés. Cette culture de l’universel (de la
raison) en politique est l’expression des luttes sociales pour réduire
les inégalités et non pas de ceux qui sont au pouvoir dont l’action,
pour être réélus, dépend de ces luttes en démocratie ; c’est pourquoi
je me prononce pour ce régime.
Le pouvoir est un mal nécessaire pour instaurer l’ordre, mais nul
d’en haut ne peut, sans mouvement social en ce sens, réduire les
inégalités, d’autant moins que la machine de pouvoir génère en
permanence des inégalités poltico-sociales. C’est pourquoi je ne peux
faire confiance à qui jouit du pouvoir pour le rendre plus juste et que
je pense que la philosophie ne suffit pas à préserver des injustices que génère tout
pouvoir sur les autres.
L’idéal concret de justice, comme réduction des inégalités, vient d’en bas et non pas d’en haut.