Théorie des sentiments moraux
(1759)
« La sympathie est la faculté que nous avons de nous mettre, par l’imagination, à la place des autres »…
« quelque fois même, en nous mettant à la place des autres, nous éprouvons pour eux des sentiments dont ils sont incapables pour eux-mêmes…« Les angoisses que l’humanité ressent à [la] vue [d’un fou] ne viennent donc point de la pensée qu’il a quelque sentiment de son état : la compassion qu’éprouve alors le spectateur vient uniquement de l’idée de ce qu’il sentirait lui-même, s’il était réduit à une situation si malheureuse, et s’il pouvait en même temps l’envisager avec la raison et le jugement qu’il possède au moment présent » ; « nous sympathisons aussi avec les morts », parce que nous plaçons « nos âmes toutes vivantes dans leurs corps inanimés ».( pas donc de rupture chez Smith entre égoïsme et altruisme. SR)
« Que peut-on ajouter au bonheur de celui qui jouit d’une santé parfaite, qui est sans dette et dont la conscience est pure ? Ce que la fortune lui accorde au-delà est superflu ; et s’il en a plus d’orgueil, c’est par l’effet d’une vanité puérile. Cette situation néanmoins peut être appelée l’état naturel du genre humain, et malgré la misère et la dépravation dont on se plaint si justement dans le monde, telle est véritablement la situation de la plupart des hommes. Ils devraient donc, presque tous, partager, avec assez de facilité, la joie de ceux qui passent ce degré ordinaire de bonheur »
« L’intervalle
qui sépare le comble de la prospérité humaine de
la situation commune de
bonheur n’est, pour ainsi dire, qu’un point ; et entre cette
situation et
le dernier excès du malheur, il y a une distance prodigieuse et
une infinité de
degrés. L’adversité abat votre âme beaucoup plus
que la prospérité ne l’élève.
Le spectateur aura donc plus de peine à sympathiser, à
s’accorder, pour ainsi
dire, avec la douleur d’autrui, qu’à partager sa joie ; et
il sera obligé
de s’éloigner bien davantage de la situation naturelle et
ordinaire où il se
trouve, dans un cas que dans l’autre ».
Donc :
« Il est toujours agréable de sympathiser avec la joie ; et quand l’envie ne nous en empêche pas, notre cœur s’abandonne volontiers aux vifs mouvements de ce sentiment délicieux. Mais nous partageons à regret, et comme malgré nous, la douleur
« C’est parce que les hommes sont plus disposés à sympathiser complètement avec notre joie qu’avec nos chagrins que nous faisons parade de nos richesses, et que nous cachons notre pauvreté. »
« quel est l’objet de tous les travaux et de tous les mouvements des hommes ? Quel est le but de l’avarice, de l’ambition, de la poursuite des richesses, du pouvoir, des distinctions ? Est-ce de subvenir aux besoins de la nature ? Le salaire du moindre artisan peut y suffire… On ne dort pas d’un sommeil plus profond dans un palais que dans une cabane…D’où naît donc cette ambition de s’élever, qui tourmente toutes les classes de la société ? Où est le véhicule de la passion commune à toutes les vies humaines, qui est d’améliorer sans cesse la situation où l’on se trouve ? C’est d’être remarqué, d’être considéré, d’être regardé avec approbation, avec applaudissements, avec sympathie, et d’obtenir tous les avantages qui suivent ces divers sentiments »…
Or: le « désir de devenir l’objet propre [adéquat] de l’estime et de la considération peut provenir soit de l’ amour même de la vertu (pour une minorité) » soit de celui de la vraie gloire méritée soit de celui de la vaine gloire vaniteuse imméritée. Seul le second est majoritairement partagé motivant et efficace à terme, donc seul il peut fonctionner comme un facteur bénéfique aux échanges sociaux.
Ainsi
« le désir d’améliorer notre sort (…)
naît avec nous et ne nous quitte
qu’au tombeau. Dans tout l’intervalle qui sépare ces deux termes
de la vie, il
n’y a peut-être pas un seul instant où un homme se trouve
assez pleinement
satisfait de son sort pour n’y désirer aucun changement ni
amélioration
quelconque »
Richesse des nations
(1776)
« Une augmentation de fortune est le moyen par lequel la majorité des hommes se propose d’améliorer son sort ; c’est le moyen le plus commun et qui vient le premier à la pensée ; et la voie la plus simple et la plus sûre d’augmenter sa fortune, c’est d’épargner et d’accumuler une partie de ce que l’on gagne … Le capital d’un individu ne peut s’augmenter que par le fonds que cet individu épargne sur son revenu annuel ou sur ses gains annuels ; de même le capital d’une société, lequel n’est autre que celui de tous les individus qui la composent, ne peut s’augmenter que par la même voie ».
« la cause immédiate de l’augmentation du capital, c’est l’économie, et non le travail. A la vérité, le travail fournit la matière des épargnes que fait l’économie ; mais, quelques gains que fasse le travail, sans l’économie qui les épargne et les amasse, le capital ne serait jamais plus grand ».
« l’industrie de la nation ne peut augmenter qu’à proportion de l’augmentation de son capital »
« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière, ou du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est pas jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage »
« tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il (le capitaliste) travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler »
« En préférant le succès de l’industrie nationale à celui de l’industrie étrangère, [le détenteur de capitaux] ne pense qu’à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions »
« le désir d’améliorer notre sort (…) naît avec nous et ne nous quitte qu’au tombeau. Dans tout l’intervalle qui sépare ces deux termes de la vie, il n’y a peut-être pas un seul instant où un homme se trouve assez pleinement satisfait de son sort pour n’y désirer aucun changement ni amélioration quelconque »
« Une
augmentation de fortune est le moyen par lequel la majorité
des hommes se propose d’améliorer son sort ; c’est le moyen
le plus commun
et qui vient le premier à la pensée ; et la voie la
plus simple et la plus
sûre d’augmenter sa fortune, c’est d’épargner et
d’accumuler une partie de ce
que l’on gagne »
Un
homme est riche ou pauvre, suivant les moyens qu'il a de se procurer
les besoins,
les commodités et les agréments de la vie. Mais la
division une fois établie
dans toutes les branches du travail, il n'y a qu'une partie
extrêmement petite
de toutes ces choses qu'un homme puisse obtenir directement par son
travail;
c'est du travail d'autrui qu'il lui faut attendre la plus grande partie
de
toutes ces jouissances; ainsi il sera riche ou pauvre, selon la
quantité de
travail qu'il pourra commander ou qu'il sera en état d'acheter.
Ainsi
la valeur d'une denrée quelconque pour celui qui la
possède, et qui n'entend
pas en user ou la consommer lui-même, mais qui a intention de
l'échanger pour
autre chose, est égale à la quantité de travail
que cette denrée le met en état
d'acheter ou de commander.
Le
travail est donc la mesure réelle de la valeur
échangeable de toute marchandise.
Le
prix réel de chaque chose, ce que chaque chose coûte
réellement à celui qui
veut se la procurer, c'est le travail et la peine qu'il doit s'imposer
pour
l'obtenir. Ce que chaque chose vaut réellement pour celui qui
l'a acquise, et
qui cherche à en disposer ou à l'échanger pour
quelque autre objet, c'est la
peine et l'embarras que la possession de cette chose peut lui
épargner et
qu'elle lui permet d'imposer à d'autres personnes. Ce qu'on
achète avec de
l'argent ou des marchandises est acheté par du travail, aussi
bien que ce que
nous acquérons à la sueur de notre front. Cet argent et
ces marchandises nous
épargnent, dans le fait, cette fatigue. Elles contiennent la
valeur d'une
certaine quantité de travail, que nous échangeons pour ce
qui est supposé alors
contenir la valeur d'une quantité égale de travail. Le
travail a été le premier
prix, la monnaie payée pour l'achat primitif de toutes choses.
Ce n'est point
avec de l'or ou de l'argent, c'est avec du travail, que toutes les
richesses du
monde ont été achetées originairement; et leur
valeur pour ceux qui les
possèdent et qui cherchent à les échanger contre
de nouvelles productions, est
précisément égale à la quantité de
travail qu'elles les mettent en état d'acheter
ou de commander.
Lorsque le prix d'une marchandise n'est
ni plus ni moins ce qu'il faut pour payer, suivant leurs taux naturels, et le fermage de la terre, et
les salaires du travail, et les profits du capital employé
à produire cette
denrée, la préparer et la conduire au marché,
alors cette marchandise est
vendue ce qu'on peut appeler son prix
naturel.
Le
prix de marché de chaque marchandise
particulière est déterminé par la proportion entre
la quantité de cette
marchandise existant actuellement au marché, et les demandes de
ceux qui sont
disposés à en payer le prix naturel ou
la valeur entière des fermages, profits et salaires qu'il faut
payer pour
l'attirer au marché. On .peut les appeler demandeurs
effectifs, et leur demande, demande
effective, puisqu'elle suffit pour attirer effectivement la
marchandise au
marché. Elle diffère de la demande
absolue. Un homme pauvre peut bien, dans un certain sens, faire la
demande
d'un carrosse à six chevaux, c'est-à-dire qu'il voudrait
l'avoir; mais sa demande
n'est pas une demande effective, capable
de faire jamais arriver cette marchandise au marché
pour le satisfaire.
Quand
la quantité d'une marchandise quelconque, amenée au
marché, se trouve
au-dessous de la demande effective, tous ceux qui sont disposés
à payer la
valeur entière des fermages, salaires et profits qu'il en
coûte pour mettre
cette marchandise sur le marché, ne peuvent pas, se procurer la
quantité qu'ils
demandent. Plutôt que de s'en passer tout à fait,
quelques-uns d'eux
consentiront à donner davantage. Une concurrence
s'établira aussitôt entre eux,
et le prix de marché s'élèvera
plus
ou moins au-dessus du prix naturel, suivant
que la grandeur du déficit, la richesse ou la fantaisie des
concurrents
viendront animer plus ou moins cette concurrence. Le même
déficit, donnera lieu
généralement à une concurrence plus ou moins
active entre d'es compétiteurs
égaux en richesse ou en luxe, selon que la marchandise à
acheter se trouvera
être alors d'une plus ou moins grande importance pour eux : de
là l'élévation
exorbitante dans le prix des choses nécessaires à la vie,
pendant le siège
d'une ville ou dans une famine.
Lorsque
la quantité mise sur le marché excède la demande
effective, elle ne peut être
entièrement vendue à ceux qui consentent à payer
la valeur collective des
fermages, salaires et profits qu'il en a coûté pour l'y
amener. Il faut bien
qu'une partie soit vendue à ceux qui veulent payer moins que
cette valeur
entière, et le bas prix que donnent ceux-ci réduit
nécessairement le prix du
tout. Le prix de marché tombera alors plus ou moins au-dessous
du prix naturel,
selon que la quantité de l'excédent augmentera plus ou
moins la concurrence des
vendeurs, ou suivant qu'il leur importera plus ou moins de se
défaire
sur-le-champ de la marchandise. Le même excédent dans
l'importation d'une
denrée périssable donnera lieu à une
concurrence beaucoup plus vive à cet
égard, que dans l'importation d'une marchandise
durable; dans une importation
d'oranges, par exemple, que dans une de vieux fer.
Lorsque
la quantité mise sur le marché suffit tout juste pour
remplir la demande
effective, et rien de plus, le prix de marché se trouve
naturellement être avec
exactitude, du moins autant qu'il est possible d'en juger, le
même que le prix
naturel. Toute la quantité à vendre sera
débitée à ce prix, et elle ne saurait
l'être à un plus haut prix. La concurrence des
différents vendeurs les oblige à
accepter ce prix, mais elle ne les oblige pas à accepter moins.
Le
prix naturel est donc, pour ainsi dire, le point central vers lequel
gravitent
continuellement les prix de toutes les marchandises.
Différentes
circonstances accidentelles peuvent quelquefois les tenir un
certain temps
élevés au-dessus, et quelquefois les forcer à
descendre un peu au-dessous de
ce prix. Mais, quels que soient les obstacles qui les empêchent
de se fixer
dans ce centre de repos et de permanence, ils ne tendent pas moins
constamment
vers lui
Dans tous les pays de l'Europe, pour un
ouvrier indépendant. il y en a vingt qui servent sous un
maître; et Partout on
entend, par salaires du travail, ce
qu'ils sont communément quand l'ouvrier et le
propriétaire du capital qui lui
donne de l'emploi sont deux personnes distinctes.
C'est
par la convention qui se fait habituellement entre ces deux personnes,
dont
l'intérêt n'est nullement le même, que se
détermine le taux commun des
salaires. Les ouvriers désirent gagner le plus possible; les
maîtres, donner le
moins qu'ils peuvent; les premiers sont disposés à se
concerter pour élever les
salaires, les seconds pour les abaisser.
Il
n'est pas difficile de prévoir lequel des deux partis, dans
toutes les
circonstances ordinaires, doit avoir l'avantage dans le débat,
et imposer
forcément à l'autre toutes ses conditions. Les
maîtres. étant en moindre nombre,
peuvent se concerter plus aisément; et de plus, la loi les
autorise à se
concerter entre eux, ou au moins ne le leur interdit pas, tandis
qu'elle
l'interdit aux ouvriers. Nous n'avons point d'actes du parlement contre
les
ligues qui tendent à abaisser le prix du travail; mais nous en
avons beaucoup
contre celles qui tendent à le faire hausser. Dans toutes ces
luttes, les
maîtres sont en état de tenir ferme plus longtemps. Un
propriétaire, un
fermier, un maître fabricant ou marchand, pourraient en
général, sans occuper
un seul ouvrier, vivre un an ou deux sur les fonds qu'ils ont
déjà amassés.
Beaucoup d'ouvriers ne pourraient pas subsister sans travail une
semaine,
très-peu un mois, et à peine un seul une année
entière. A la longue, il se peut
que le maître ait autant besoin de l'ouvrier, que celui-ci a
besoin du maître;
mais le besoin du premier n'est pas si pressant.
Ce n'est que dans la vue d'un profit qu'un homme emploie son capital. Il tâchera toujours d'employer son capital dans le genre d'activité dont le produit lui permettra d'espérer gagner le plus d'argent. (...) A la vérité, son intention en général n'est pas en cela de servir l'intérêt public, et il ne sait même pas jusqu'à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l'industrie nationale à celui de l'industrie étrangère , il ne pense qu'à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain ; en cela, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions ; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler"
: « Tout homme, tant qu’il n’enfreint pas les lois de la justice, demeure en pleine liberté de suivre la route que lui montre son intérêt, et de porter où il lui plaît son travail ou son capital, concurremment avec ceux de tout autre homme ou de toute autre classe d’hommes. »
. « Le souverain se trouve entièrement débarrassé d’une charge qu’il ne pourrait essayer de remplir sans s’exposer infailliblement à se voir sans cesse trompé de mille manières, et pour l’accomplissement convenable de laquelle il n’y a aucune sagesse humaine ni connaissances qui puissent suffire, la charge d’être le surintendant de l’industrie des particuliers, de la diriger vers les emplois les mieux assortis à l’intérêt général de la société ».
Mais
la spontanéité bonne de l’économie est
problématique :
« On
n'entend guère parler, dit-on, de Coalitions entre les
maîtres, et tous les
jours on parle de celles des ouvriers. Mais il faudrait ne
connaître ni le
monde, ni la matière dont il s'agit, pour s'imaginer que les
maîtres se liguent
rarement entre eux. Les maîtres sont en tout temps et partout
dans une sorte de
ligue tacite, mais constante et uniforme, pour ne pas élever les
salaires
au-dessus du taux actuel. Violer cette règle est partout une
action de faux
frère, et un sujet de reproche pour un maître parmi ses
voisins et ses pareils.
A la vérité, nous n'entendons jamais parler de cette
ligue, parce qu'elle est
l'état habituel, et on peut dire l'état naturel de la
chose, et que personne
n'y fait attention. Quelquefois les maîtres font entre eux des
complots
particuliers pour faire baisser au-dessous du taux habituel les
salaires du
travail. Ces complots sont toujours conduits dans le plus grand silence
et dans
le plus grand secret jusqu'au moment de l'exécution; et quand
les ouvriers
cèdent comme ils font quelquefois, sans résistance,
quoiqu'ils sentent bien le coup
et le sentent fort durement, personne n'en entend parler. Souvent
cependant les
ouvriers opposent à ces coalitions particulières une
ligue défensive;
quelquefois aussi, sans aucune provocation de cette espèce, ils
se coalisent de
leur propre mouvement, pour élever le prix de leur travail.
Leurs prétextes
ordinaires sont tantôt le haut prix des denrées,
tantôt le gros profit que font
les maîtres sur leur travail. Mais que leurs ligues soient
offensives ou
défensives, elles sont toujours accompagnées d'une grande
rumeur. Dans le
dessein d'amener l'affaire à une prompte décision,
ils ont toujours recours
aux clameurs les plus emportées, et quelquefois ils se
portent à la violence
et aux derniers excès. Ils sont
désespérés, et agissent avec l'extravagance
et
la fureur de gens au désespoir, réduits à
l'alternative de mourir de faim ou
d'arracher à leurs maîtres, par la terreur, la plus
prompte condescendance à
leurs demandes. Dans ces occasions, les maîtres ne crient pas
moins haut de
leur côté; ils ne cessent de réclamer de toutes
leurs forces l'autorité des
magistrats civils, et l'exécution la plus rigoureuse de ces lois
si sévères
portées contre les ligues des ouvriers, domestiques et
journaliers. En
conséquence, il est rare que les ouvriers tirent aucun fruit de
ces tentatives
violentes et tumultueuses, qui, tant par l'intervention du magistrat
civil que
par la constance mieux soutenue des maîtres et la
nécessité où sont la plupart
des ouvriers de céder pour avoir leur subsistance du moment,
n'aboutissent en
général à rien autre chose qu'au châtiment
ou à la ruine des chefs de l'émeute.
Dans
le fait, des profits élevés tendent, beaucoup plus que
des salaires élevés, à
faire monter le prix de l'ouvrage. Si, par exemple, dans la fabrique
des
toiles, les salaires des divers ouvriers, tels que les
séranceurs du lin, les
fileuses, les tisserands, etc., venaient tous à hausser de deux
deniers par
journée, il deviendrait nécessaire d'élever le
prix d'une pièce de toile,
seulement d'autant de fois deux deniers qu'il y aurait eu d'ouvriers
employés à
la confectionner, en multipliant le nombre des ouvriers par le
nombre des
journées pendant lesquelles ils auraient été ainsi
employés. Dans chacun des
différents degrés de main-d’œuvre que subirait la
marchandise, cette partie de
son prix, qui se résout en salaires, hausserait seulement dans
la proportion
arithmétique de cette hausse des salaires. Mais si les profits
de tous les
différents maîtres qui emploient ces ouvriers venaient
à monter de 5 %, cette
partie du prix de la marchandise qui se résout en profits,
s'élèverait dans
chacun des différents degrés de la main-d'œuvre, en
raison progressive de cette
hausse du taux des profits ou en proportion géométrique.
Le maître des
séranceurs demanderait, en vendant son lin, un surcroît de
5 % sur la valeur
totale de la matière et des salaires par lui avancés
à ses ouvriers. Le maître
des fileuses demanderait un profit additionnel de 5 %, tant sur le prix
du lin
sérancé dont il aurait fait l'avance, que sur le montant
du salaire des
fileuses. Et enfin le maître des tisserands demanderait aussi 5
%, tant sur le
prix par lui avancé du fil de lin, que sur les salaires de ses
tisserands.
..
Nos marchands et nos maîtres manufacturiers se plaignent beaucoup
des mauvais
effets des hauts salaires, en ce que l'élévation des
salaires renchérit leurs
marchandises, et par là en diminue le débit, tant
à l'intérieur qu'à
l'étranger : ils ne parlent pas des mauvais effets des hauts
profits; ils
gardent le silence sur les conséquences fâcheuses de leurs
propres gains; ils
ne se plaignent que de celles du gain des autres.
La
consommation est l'unique but, l'unique terme de toute production, et
on ne
devrait jamais s'occuper de l'intérêt du producteur,
qu'autant seulement qu'il
le faut pour favoriser l'intérêt du consommateur. - Cette
maxime est si
évidente par elle-même, qu'il y aurait de
l'absurdité à vouloir la démontrer.
Mais, dans le système que je combats, l'intérêt du
consommateur est a peu près
constamment sacrifié à celui du producteur, et ce
système semble envisager la
production et non la consommation, comme le seul but, comme le dernier
terme de
toute industrie et de tout commerce.
Dans les
entraves mises à l'importation de toutes marchandises
étrangères qui pourraient
venir en concurrence avec celles de notre sol ou de nos manufactures,
on a
évidemment sacrifié l'intérêt du
consommateur national à celui du producteur.
C'est uniquement pour le bénéfice de ce dernier, que
l'autre est obligé de
payer le renchérissement qu'un tel monopole ne
manque presque jamais
d'occasionner dans le prix des marchandises.
C'est
uniquement pour le bénéfice du producteur qu'on a
accordé des primes à
l'exportation de quelques-unes de nos productions. Il faut que le
consommateur
national paye premièrement l'impôt qui sert à
acquitter la dépense publique de
la prime, et secondement l'impôt encore bien plus fort,
résultant
nécessairement du renchérissement de la
denrée Sur le marché intérieur.
Il n'est pas bien difficile de
décider
quels ont été les inventeurs et les constructeurs de
tout ce système; ce ne
sont pas à coup sûr les consommateurs, dont
l'intérêt a été totalement mis de
côté, mais bien les producteurs, à
l'intérêt desquels on a porté une attention
si soigneuse et si recherchée; et dans cette dernière
classe, les principaux
architectes du système ont été, sans comparaison,
nos marchands et nos manufacturiers.
- Dans les règlements mercantiles dont il a été
question dans ce chapitre,
l'intérêt de nos manufacturiers est celui. dont on s'est
le plus
particulièrement occupé, et ici c'est encore moins
l'intérêt des consommateurs
qu'on lui a sacrifié, que celui de quelques autres classes de
producteurs.
Le troisième
et dernier des devoirs du souverain ou de la république est
celui d'élever et
d'entretenir ces ouvrages et ces établissements publics dont une
grande société
retire d'immenses avantages, mais qui sont néanmoins de nature
à ne pouvoir
rembourser être entrepris ou entretenus par un ou par quelques
particuliers,
attendu que, pour ceux-ci, le profit ne saurait jamais leur en la
dépense. Ce
devoir exige aussi, pour le remplir, des dépenses dont
l'étendue varie selon,
les divers degrés d'avancement de la société.
Après les
travaux et établissements publics nécessaires pour la
défense de la société et
pour l'administration de la justice, deux objets dont nous avons
parlé, les
autres travaux et établissements de ce genre sont principalement
ceux propres à
faciliter le commerce de la société, et ceux
destinés étendre l'instruction
parmi le peuple.
Les institutions pour l'instruction sont de deux sortes : celles pour l'éducation de la jeunesse, et celles pour l'instruction du peuple de tout âge.