Chaque
ordre était ainsi rempli de vices. Tel était
l'état florissant de ce peuple, mais la nation même
jouïssait d'une heureuse propérité Flattée
dans la paix, on me craignait dans la guerre. Estimée chez les
étrangers, elle tenait la balance des autres ruches. tous ses
membres à l'envi prodguaient pour sa conservation leurs vie et
leurs biens. Les vices des
particuliers contribuaient à la félicité
publique.
Dès
que la vertu, instruite par les ruses
politiques, eut appris mille heureux tours de finesse, et qu’elle se
fut liée
d’amitié avec le vice , les plus scélérats
faisaient quelque chose pour le bien
commun.
Les fourberies de l’Etat conservaient le tout, quoique chaque citoyen
s’en
plaignît. L’harmonie dans un concert résulte d’une
combinaison de sons qui sont
directement opposés. Ainsi les
membres
de la société, en suivant des routes absolument
contraires, s’aidaient comme
par dépit. La tempérance et la sobriété des
uns facilitait l’ivrognerie et la
gloutonnerie des autres. L’avarice,
cette funeste racine de tous les maux, ce vice dénaturé
et diabolique, était
esclave du noble défaut de la
prodigalité. Le luxe fastueux occupait
des millions de pauvres. La vanité,
cette passion si détestée, donnait de l’occupation
à un plus grand nombre
encore. L’envie même et
l’amour-propre,
ministres de l’industrie, faisaient fleurir les arts et le commerce.
Les
extravagances dans le manger et dans la diversité de mets, la
somptuosité dans
les équipages et dans les ameublements, malgré leur
ridicule, faisaient la
meilleure partie du négoce.
Toujours inconstant, ce peuple changeait de lois comme de modes. Les
règlements
qui avaient été sagement établis étaient
annulés et on leur en substituait
bientôt de tout opposés. Cependant en altérant
ainsi leurs anciennes lois et en
les corrigeant, ils prévenaient des fautes qu’aucune prudence
n’aurait pu
prévoir.
C’est ainsi que le vice produisant la ruse, et que la ruse se joignant
à
l’industrie, on vit peu à peu la ruche abonder de toutes les
commodités de la
vie. Les plaisirs réels, les
douceurs
de la vie, l’aise et le repos étaient devenus des biens si
communs que les pauvres mêmes
vivaient plus agréablement
alors que les riches ne le faisaient auparavant. On ne pouvait rien
ajouter au
bonheur de cette société…
..A
mesure que la vanité et
le luxe diminuaient, on voyait les anciens habitants quitter leur
demeure. Ce
n’était plus ni les marchands, ni les compagnies qui faisaient
tomber les
manufactures, c’était la simplicité et la
modération de toutes les abeilles.
Tous les métiers et tous les arts étaient
négligés. Le contentement, cette
peste de l’industrie, leur fait admirer leur grossière
abondance. Ils ne
recherchent plus la nouveauté, ils n’ambitionnent plus rien.
C’est ainsi que la ruche étant presque déserte, ils ne
pouvaient se défendre
contre les attaques de leurs ennemis cent fois plus nombreux. Ils se
défendirent cependant avec toute la valeur possible,
jusqu’à ce que
quelques-uns d’entre eux eussent trouvé une retraite bien
fortifiée. C’est là
qu’ils résolurent de s’établir ou de périr dans
l’entreprise. Il n’y eut aucun
traître parmi eux. Tous combattirent vaillamment pour la cause
commune. Leur
courage et leur intégrité furent enfin couronnés
de la victoire.
Ce triomphe leur coûta néanmoins beaucoup. Plusieurs
milliers de ces
valeureuses abeilles périrent. Le reste de l’essaim, qui
s’était endurci à la
fatigue et aux travaux, crut que l’aise et le repos qui mettait si fort
à
l’épreuve leur tempérance, était un vice. Voulant
donc se garantir tout d’un
coup de toute rechute, toutes ces abeilles
s’envolèrent dans le sombre creux d’un arbre où il
ne leur reste de leur
ancienne félicité que le Contentement
et l’Honnêteté.
…Quittez
donc vos plaintes,
mortels insensés ! En vain
vous
cherchez à associer la grandeur d’une Nation avec la
probité. Il n’y a que des
fous qui puissent se flatter de jouir des agréments et des
convenances de la
terre, d’être renommés dans la guerre, de vivre bien
à son aise et d’être en
même temps vertueux. Abandonnez ces vaines chimères. Il
faut que la fraude, le
luxe et la vanité subsistent, si nous voulons en retirer les
doux fruits. La
faim est sans doute une incommodité affreuse. Mais comment sans
elle pourrait
se faire la digestion d’où dépend notre nutrition et
notre accroissement. Ne
devons-nous pas le vin, cette excellent liqueur, à une plante
dont le bois est
maigre, laid et tortueux ? Tandis que ses rejetons
négligés sont laissés
sur la plante, ils s’étouffent les uns les autres et deviennent
des sarments
inutiles. Mais si ces branches sont étayées et
taillées, bientôt devenus
fécondes, elles nous font part du plus excellent des fruits.
C’est ainsi que l’on trouve le vice avantageux, lorsque la justice
l’émonde, en
ôte l’excès, et le lie. Que dis-je ! Le vice est
aussi nécessaire dans un
Etat florissant que la faim est nécessaire pour nous obliger
à manger. Il est
impossible que la vertu seule rende jamais une Nation
célèbre et glorieuse.
Pour y faire revivre l’heureux Siècle d’Or, il faut absolument
outre
l’honnêteté reprendre le gland qui servait de nourriture
à nos premiers
pères...
.." Il est commun aujourd'hui d'avoir des horloges qui jouent différents airs avec beaucoup d'exactitude. L'application et la peine qu'il a fallu avant d'avoir mené cette découverte au point de perfection où elle est actuellement ne peuvent qu'exciter notre étonnement. Combien de fois n'a-t-on pas été obligé de faire et de défaire l'ouvrage ? Combien d'essais inutiles ! Il y a dans le gouvernement d'une ville florissante qui a subsisté pendant plusieurs siècles quelque chose d'analogue à cela. Toutes les parties de ses constitutions, même les plus frivoles et les plus petites, ont demandé beaucoup de temps, de peine et de réflexions ; et si vous étudiez l'histoire d'une telle ville depuis ses commencements, vous trouverez que le nombre des changements, des corrections, des additions, des révolutions qui ont été faites, et dans les lois et dans les ordonnances par lesquelles on la gouverne, est prodigieux. Mais dès qu'une fois ces établissements ont été portés à une certaine perfection, et telle que l'art et la sagesse humaine peuvent leur procurer, alors la machine joue presque d'elle-même ; et il ne faut pas plus d'habileté pour la faire marcher qu'il n'en faut pour faire carillonner une horloge "