Benoit XVI est-il chrétien ?

« Je dirais qu’on ne peut pas résoudre le problème du Sida avec des slogans publicitaires. S’il n’y a pas l’âme, si les Africains ne s’aident pas, on ne peut pas résoudre le problème du Sida avec la distribution des préservatifs, au contraire elle aggrave le problème.La solution est double : d’abord, une humanisation de la sexualité, un renouveau spirituel, humain, intérieur, qui permet ainsi de se comporter différemment avec les autres. »

Par ces propos, le Pape Benoit XVI oppose l’abstinence en dehors du mariage et la fidélité, comme exclusivité sexuelle, à l’usage du préservatif, provocation au vice, qu’il condamne absolument au non du dogme chrétien de la sainteté.
Ce faisant, ce Pape est-il humainement chrétien ?


Personne n’a jamais prétendu que le préservatif était la solution contre le Sida, mais le seul moyen disponible, lorsqu’il est bien utilisé, de se et de protéger son ou sa partenaire contre le risque de l’infection, lorsque l’on fait l’amour, ce qui est un fait incontestable. En cela la publicité pour promouvoir l’usage du préservatif n’est en rien publicitaire ou commerciale : elle est une exigence de santé publique. Opposer l’abstinence à cet usage en fait une affaire de morale subjective et non pas de prévention médicale objective.

L’abstinence en dehors du mariage et la fidélité dans le couple, en effet, sont affaires de croyances personnelles et ne peuvent en aucun cas être invoquées pour disqualifier une campagne de santé publique qui concerne tous les hommes, croyants ou non, face à cette maladie. Le pape , ni aucun chef d’aucune religion -et donc d’une morale- particulière, n’ont de titre politique à prétendre régir la morale sexuelle et amoureuse de tous les hommes au risque de provoquer des millions de morts, dès lors que cette morale est pour le moins contraire aux comportements sexuels réels. À vouloir faire les humains des anges, on risque fort de les inciter à des comportements irresponsables, comme le savait Pascal.

Par contre, l’usage du préservatif est, au regard de la réalité des pratiques sexuelles, que le pape peut bien verbalement condamner au nom de sa morale, mais qu’il ne peut réellement interdire, la seule attitude responsable et respectueuse des partenaires. Dans cette affaire le pape a tenu des propos irresponsables aux conséquences virtuellement mortelles pour des millions de croyants moins fidèles, au sens qu’il attribue à ce terme, que ce qu’il exige de leur part, sans aucun garantie qu’ils se soumettent à son exigence.

Mais il y a plus sur le plan des valeurs : Utiliser la crainte du Sida, comme le fait le Pape, comme succédané du péché sexuel et de la peur de l’enfer pour imposer une morale de la peur au nom de la fidélité amoureuse , est une pratique archaïque de pouvoir qui contredit l’authentique fidélité en tant qu’engagement positif, si tant est que celle-ci se réduise à l’exclusivité sexuelle, ce qui est pour le moins discutable. Faire peur, par l’invocation de l’enfer ou de la maladie, pour soumettre le désir érotique à une morale déterminée discutable est liberticide. Or il n’ y a de fidélité et d’amour réels que librement consentis.

De ce point du vue, si la liberté et la responsabilité sont des valeurs chrétiennes comme on le prétend aujourd’hui, la question que je pose, en tant que non-chrétien, est de savoir si le pape, par ses propos est aussi chrétien, au sens moderne de ce terme, que beaucoup le croient. En faisant d’un interdit idéologique dogmatique, à savoir, le refus d’une sexualité, libérée du dogme de l’abstinence, et positivement responsable, le Pape condamne par avance toute compassion vis-à-vis des victimes du Sida, transformés par ses propos en pécheurs victimes par là où ils ont péchés.

Le Sida comme punition divine pour dissuader les hommes du désir érotique, condamnable en dehors du mariage et de l’exclusivité sexuelle est une antienne catholique depuis Paul ; en quel sens ce discours qui oppose le dogme à l’amour est-il encore chrétien ? C’est d’abord aux chrétiens de répondre, mais j’ai le droit, en tant que philosophe, de me féliciter que beaucoup, y compris des prêtres, aient pris clairement position au nom de leur christianisme, pour condamner les propos de leur dirigeant suprême, et, ce faisant, fassent passer la compassion et l’efficacité responsable avant une éthique de conviction irresponsable. Cette évolution est une excellente nouvelle pour nous tous, croyants ou non.

Le 20/03/09


Réponses aux questions et objections:

 Dans la dernière version du catéchisme, l’église condamne la contraception, l’onanisme, l’homosexualité et toute relation sexuelle hors mariage (religieux) comme des péchés contre la loi divine prétendue naturelle de la vie . Quant à l’avortement ...

Le pape ne fait, par son éloge de la fidélité sexuelle exclusive, de la chasteté et de l’abstinence hors mariage (religieux), que reconduire un discours des plus classiques depuis Paul, lequel discours a permis à l’église de mettre sous sa coupe (et son pouvoir idéologique et politique) pendant des siècle la vie érotique et intime (la confession est d’abord l’aveu des péchés sexuels) des croyants en présentant la recherche de plaisir pour le plaisir, même partagé et consenti, comme un péché mortel justifiant de l’abstinence et de la contrition pour éviter l’enfer post-mortem.

Je ne peux interpréter les propos du Pape en dehors de ce discours encore officiellement dominant, mais, heureusement,chez nous de moins en moins audible aujourd’hui. Or ce discours est aujourd’hui criminel en Afrique dès lors qu’il détourne du préservatif qui reste du point de vue des pratiques sexuelles réelles le moyen le plus efficace pour réduire la mortalité de la pandémie (bien plus efficace que la la circoncision musulmane ou juive). Quant à changer les pratiques sexuelles des africains je doute que l’église est plus de chance d’y parvenir que chez nous, sauf à leur faire vivre la sexualité libre (érotique) sur le mode de la culpabilité et donc du remord comme souffrance psychique.

La seule chose que ce discours peut produire sur les croyants, surtout acritiques, c’est le refus par les hommes du préservatif pour faire l’amour dont la plupart du temps les femmes sont les premières victimes.

Il est vrai que les femmes même violées doivent, selon l’église et le primat du Brésil, se soumettre à la loi divine, laquelle interdit l’avortement et la contraception



Ce que je reproche au pape c’est de n’avoir pas tenu compte de la réalité de pratiques sexuelles en Afrique et chez nous pour évaluer les conséquences réelles de ses propos au nom d’un dogme discutable sur la sexualité , l’amour, le mariage, la fidélité etc..

Ce faisant, il nie les actions en cours de distribution du préservatif et d’information sur son usage développées pas des associations, y compris catholiques, et rend possible un réel danger de déresponsabilisation face à cette maladie dès lors que les exigences qu’il préconise sont inaccessibles au plus grand nombre, prêtres compris ( le nombre d’enfants de prêtre catholique, y compris évèques, en Afrique bat le record mondial !). Du reste ces exigences sont insoutenables pour qui regarde la sexualité et l’amour d’une point de vue humain, c’est à dire humaniste depuis toujours ! Et si certains peuvent les soutenir cela n’engage qu’eux ! Ils n’ont pas le droit d’en faire une norme universelle, même vis-à-vis des croyants, sauf à prétendre régir leur vie intime.
Entre une éthique de conviction qui aboutit à une catastrophe annoncée et une éthique de responsabilité qui prend en compte les conséquences pour évaluer la valeur d’un principe d’action, il faut choisir (M. Weber).



Tout dogmatisme est et rend aveugle à la réalité et interdit une action efficace raisonnable.
Le fait est que chacun est en droit de juger (et a même le devoir de dénoncer les) des conséquences désastreuse d’une position idéologique exerçant aussi un pouvoir spirituel et politique sur les comportements. C'est a en quoi je suis libéral
Être libéral c’est refuser un tel pouvoir sacralisé et liberticide.
Être anti-libéral, c’est considérer que les hommes ont besoin de se soumettre sans conditions à une norme de vie personnelle déterminée transcendante collective, traditionnelle et/ou religieuse indiscutable et donc dominatrice pour bien se comporter.
En ce sens je suis libéral, ce qui n’implique en rien que, sur le plan social, je doive refuser toute règle qui vise à faire de la liberté de chacun (universelle) le but ultime. Or ce but est en effet contradictoire avec le soi-disant ultra-libéralisme et réellement despotisme du capital dérégulé ou sauvage. Toute liberté implique des règles politiques pour la garantir universellement, tout philosophe libéral sait cela.


La question est bien de savoir si l’église catholique, en la personne de son chef absolu, est encore chrétienne lorsqu’elle fait passer des dogmes aux conséquences mortelles: refus de l’avortement d’une petite fille violée et que sa grossesse met en danger de mort, refus du préservatif etc... avant la compassion envers les personnes. La Vérité morale auto-proclamée avant la protection de ceux qui ne sont pas des saints et qui au regard même de la doctrine ne peuvent pas tous l’être: je rappelle que la péché est universel aux yeux des chrétiens . Augustin ajoute même que l’immense majorité des hommes est par avance damnée (péché originel et prédestination) ) et que seule une minorité de croyants peut être sauvée par la grâce divine.

Benoit XVI croit-il avoir le pouvoir l’accorder à tous ? Si oui, il se prend pour Dieu et/ou le Christ, il est, alors, du point de vue de sa propre doctrine, hérétique. La compassion ou charité exige pour le moins de "ne pas ajouter le mal au mal" (Lustiger) de ceux qui sont désignés comme les pécheurs que nous sommes tous. Si l’amour universel pour un chrétien est au dessus de toute loi, il doit être d’abord l’être au dessus de la loi de l’église, aveugle à ses conséquences réelles.

C’est le rôle du philosophe d’évaluer la cohérence d’une doctrine, qu’il y adhère ou non, et de celle-ci à l’expérience humaine en ce qu’elle a d’universel.


Retour à la page d'accueil