Capitalisme et démocratie

Dialogue entre Véra (en vert) et S. Reboul (en rouge)

    
De la part de Véra, du site Agora Philo

Bonjour,

Je ne sais pas sur quelles phrases vous m'avez interpellée à propos du capitalisme sur le site agora philo, en déduisant que je le considérais comme démocratique... ce que vous contestiez.

Vous êtes arrivé sur un conflit que j'ai eu avec quelques personnes dans leurs procédés de débat, et je crains que vous vous soyez mépris sur le sens de mes propos.

En fait ces notions (capitalisme libéral et démocratie) sont complexes  et ce n'est pas sur quelques phrases de réponses ponctuelles, dans un contexte agité, que vous auriez pu cerner l'intégralité de  mes conceptions  en la matière.

Ce que je répondais était très schématisé, "imagé", dans le but surtout de lui traduire qu'une entreprise ne devait pas être considérée comme un lieu où règnent des conflits, car l'Entreprise a  une vocation un peu plus noble que ça, même si l'être humain à l'intérieur n'est pas un saint. Alors que Marx n'a mis exergue que cet aspect d'exploitation de l'homme par l'homme au raz des pâquerettes.

Plus précisemment, je conçois le capitalisme comme faisant partie de la "sphère " productive économique  bien sur, et l'aspect démocratique fait partie de la sphère politique. Le lien entre économie (capitalisme) et politique (démocratie) est très complexe et s'établit surtout à l'échelle d'une nation et pas directement  au sein même de  l'entreprise. Quand vous évoquez les progrès sociaux obtenus par les salariés, ce n'est bien entendu pas à l'intérieur même de l'entreprise que cela s'est réalisé. Mais c'est au niveau de la nation que capitalisme et démocratie interfèrent, étant l'un le corollaire de l'autre, notamment au niveau des évolutions juridiques.

Donc rien à voir entre mes conceptions et un quelconque capitalisme sauvage, l'état de Droit démocratique étant le socle de l'ensemble.

Voici très rapidement ce que je peux vous dire pour lever ce malentendu.

A bientôt peut-être.

Amicalement

SR.

Bonjour,

Le capitalisme en tant que mode de fonctionnement interne de l'entreprise n'est pas démocratique; il peut l'être "plus" si cela lui est imposé de l'extérieur par la médiation de la politique et il en est de même des droits sociaux qui visent précisément à (r)établir une certain rapport des forces afin de  rendre la négociation possible entre le direction qui est toujours mandatée par ceux qui investissent dans cette entreprise et le personnel salarié dont les intérêts concernant la question de l'appropriation et l'usage du profit ne sont pas précisément communs, dès lors que le personnel, la plupart du temps, n'est pas consulté à ce sujet; l'actionariat des salariés, quand il existe, ne donne pas, dans la plupart des cas, de droit de vote au conseil d'administration.  Nous sommes d'accord donc sur ce point. On peut parler de démocratie dans le cadre des rapports de l'entreprise avec ses  clients actuels et potentiels à condition que les conditions de la concurrence permettent à ces derniers de choisir au vue de leurs intérêts "perçus" comme propres, mais il faut pour cela des lois de la concurrence imposée par le niveau politique car dans sa logique propre une entreprise vise toujours à conquérir un monopole et à rendre captive sa clientèle;  Cette "démocratie économique" est non-politique ou infra-politique car la question de l'intérêt dit "général" et à long terme n'est, dans les transactions commerciales strictement individualisantes, ni posée, ni débattue.

Or le capitalisme dans son ensemble, afin de pacifier les rapports de productions toujours conflictuels et rendre possible l'extension de la solvabilité du marché, ainsi que sa légitimité démocratique concurrentielle,  a intérêt à plus long terme à l'intervention démocratique de l'état pour garantir au moins en droit (et par le jeu des révendications, progressivement en réalité) l'égalité des chances et l'égalisation réelle des rapports de force entre le capital et le travail (ex: l'importance y compris pour le "droite" politique du thème de la fracture sociale et la mise à l'écart par Chirac et le MEDEF du thème des 35h)). C'est dire que la capitalisme dans son ensemble est politiquement lié à la démocratire et qu'un capitalisme non encastré dans la démocratie politique (nationale et/ou transnationale) est condamné à terme à l'auto-destruction sociétale. Ainsi la coopération nécessaire dans l'entreprise n'est pas spontanée elle est produite par cet encastrement ou encadrement politique régulateur qui en fixe les conditions de possibilités à plus ou moins long terme. Le capitalisme est à long terme viable et il est un bien ou un  moindre mal, dès lors qu'il reste sous contrôle du politique en un sens plus démocratique. C'est en ce sens que l'on peut parler de "capitalisme démocratique" sans pour autant considérer que l'économie capitaliste au niveau micro-économique générerait par elle-même la démocratie politique; ce qui est l'illusion majeure des soi-disant néo-libéraux actuels, illusion déjà dénoncée par Adam Smith.

Les USA, derrière une idéologie libérale trompeuse,  sont un des pays les plus protectionistes et les plus interventionistes dans l'économie des entreprises qui soit; reste à savoir si ces interventions et la régulation qu'elles opérent sont politiquement pertinentes est une autre question. Mais je pense que tout gouvernement  démocratique est contraint, sinon forcé parfois, selon des variantes droitière ou gauchère, d'être social-démocrate, y compris celui de Mr Bush junior...S'il veut se faire réélire.


Véra   
Nous sommes bien d’accord sur le fait qu’un état de droit est indispensable pour orienter le moteur économique et formuler les normes « éthiques » sans lesquelles une société démocratique ne serait pas concevable au 21 ème siècle. Quoique j’imagine assez mal, à vrai dire, qui pourrait sérieusement de nos jours revendiquer une société de type « sauvage » où ne règnerait que la loi du plus fort.

Cependant, je suis assez surprise de l’approche qui se dégage de votre texte semblant concevoir une séparation rigide et une opposition radicale entre sphère économique égoïste et amorale (celle qui crée les richesses marchandes) et sphère politique « bien pensante » chargée d’instaurer les normes éthiques. Si l’importance de l’autorité politique pour édicter les règles à respecter en vue de sauvegarder l’intérêt général n’est plus à démontrer, il faut surtout observer qu’il y a au contraire une imbrication profonde entre production économique et évolutions politiques, puisqu’à l’origine, ce sont les évolutions économiques (émanant de la société civile) qui vont engendrer les demandes de redistribution et de justice sociale. Lorsque les richesses dégagées par les progrès économiques deviennent plus importantes (grâce aux progrès scientifiques, puis techniques engendrant une meilleure productivité), elles inspirent des revendications de partage et une volonté de justice qui se manifeste parmi les couches lésées de la société. Au XIXe siècle par exemple, c’est l’essor industriel qui va provoquer l’émergence de la bourgeoisie réclamant alors sa part du pouvoir jusque là détenu uniquement par le pouvoir monarchique et l’aristocratie.


SR
J’indique explicitement dans mes textes que le capitalisme dans sa régulation à long terme et les transformations économiques et sociales qu’elle exige implique une transformation démocratique non seulement des structures de l’état mais aussi des décisions politiques en vue d’une réduction des inégalités et en priorité de l’égalité des chances et des libertés contractuelles de droit et de fait des acteurs sociaux. Néanmoins cette imbrication du politique et de l’économie et la demande de politique générée par les évolutions du capitalisme en un sens plus démocratique nous oblige à distinguer la rationalité à court terme micro-économique (à l’échelon des entreprises) et celle des grands équilibres en long terme macro-économiques et sociaux. Cette distinction exige à son tour une certaine autonomie fonctionnelle entre le politique (Partis politiques, Associations diverses de citoyens acteurs sociaux, Etat, institutions et associations ou organisations politiques internationales) et l’économie et/ou la sphère de la société civile. Vous avez raison de souligner la nécessaire distinction fonctionnelle des responsabilités et des pouvoirs, mais cette distinction prévaut d’autant plus pour la sphère de l’autorité économique et celle de l’autorité politique. Il n’y a pas de régulation des relations économiques et sociales à long terme du capitalisme dans son ensemble sans cette autonomie, laquelle ne veut pas dire indépendance mais domaine de responsabilité et d’autorité propre. Cette autonomie exige un débat précisément politique sur l’idée de justice et les règles des échanges qu’elle doit promouvoir qui ne se réduise pas au constat des rapports de forces existants présupposés comme seul possibles sinon seul légitimes. La mise en cause des effets socialement auto-destructeurs (violents) et non seulement transformateurs du capitalisme à courte vue des décideurs micro-économiques soumis aux intérêts immédiats des investisseurs sous la domination croissante de capital financier (les marchés financiers spéculatifs) est indispensable pour qui veut préserver les chances du capitalisme plus démocratique que les allemands appellent « l’économie sociale de marché » qui combine nécessairement marché et redistribution, pouvoir du capital et du travail etc..


Véra
Vous donnez souvent l’exemple de l’Allemagne. Mais il ne faut pas perdre de vue que chaque pays a ses caractéristiques culturelles propres et des structures administratives plus ou moins décentralisées, qui font que les modèles qui fonctionnent bien dans un certain contexte ne sont pas toujours exactement transposables dans un autre pays, d’où l’intérêt d’appliquer la logique du libéralisme qui donne la primauté à l’échelon administratif local, la compétence n’étant accordée à l’échelon supérieur que dans les domaines qui se justifient par une meilleure efficacité. Cela revient à une notion de subsidiarité (répartition des compétences à différents niveaux administratifs, selon le niveau d’importance de la matière à traiter) mais remise dans le bon sens : pouvoir délégué par la base vers le haut de la pyramide.

En fait je dirais que ce qui distingue nos deux approches c’est que j’accorde une nette primauté à la force productrice d’un pays, point de départ indispensable à toute société prospère, et centre d’émanation originel de toutes les valeurs morales qui se traduisent ensuite en remontant dans la sphère politique. Je conçois le pouvoir politique comme arbitre et garant de l’intérêt général, garant du débat démocratique. Mais ma « confiance » je la place d’abord dans l’homme, citoyen libre et responsable de la société dite civile, là où se trouve la véritable source de toutes les énergies positives.

Il y a ensuite deux façons de concevoir le rôle et l’interventionnisme de l’Etat :
- soit il tient les « rennes » de la société car considéré comme détenteur des valeurs morales et il centralise son pouvoir qui émane du haut (racines divines). Avec des degrés variables de centralisation, on peut appeler cela une « régulation » mais selon moi c’est du pur dirigisme forcément inhibiteur des énergies individuelles.
- soit l’Etat intervient essentiellement pour garantir le droit et l’équité, mais reste « au service de la société civile » qui le mandate pour ce pouvoir exorbitant du droit commun (prérogatives spécifiques). Et en matière économique l’Etat a pour rôle de faciliter les règles du marché, supprimer ses aspects néfastes (par exemple veiller à maintenir les conditions d’une concurrence loyale etc..), mais en ayant toujours pour premier souci de maintenir la dynamique motrice indispensable d’une société qui repose sur le travail et l’innovation vers les progrès.

Ensuite, faire la part entre plus de répartition de richesses et d’aides sociales, ou plus de dynamisme, relève du débat démocratique et du partenariat social, seulement contrôlé et garanti par l’Etat, mais là encore, sans dirigisme étatique.

Les progrès économiques génèrent donc les évolutions politiques qui se traduisent par une évolution progressive des règles démocratiques, en faisant évoluer les concepts politiques eux-mêmes (séparations des pouvoirs par exemple) et émerger de nouvelles normes juridiques et sociales qui, en retour, vont s’imposer dans la sphère économique en l’obligeant à s’adapter aux nouvelles exigences traduites juridiquement. Les relations entre économie et politique ne sont donc pas linéaires, univoques et hiérarchiques. Ces deux sphères s’influencent réciproquement, entraînant l’ensemble dans une spirale démocratique vertueuse. Ceci explique que les entreprises de la « société civile » (ceci entendu comme l’ensemble des travailleurs productifs) sont à la source du phénomène démocratique, l’Etat et le système politique n’étant que la courroie de transmission des progrès initiés par le cœur laborieux et productif de la société. Ainsi, l’Etat doit être conçu comme simple « administrateur » de la société, arbitre des compromis sociaux et messager des différentes forces et valeurs éthiques émanant de la société elle-même, et non comme un « régent » autoritaire où se construirait l’éthique de la société.


SR
L’Etat  en tant qu’ instance d’autorité (ou de pouvoir de contrainte) politique régulatrice qui s’exerce dans un contexte d’intérêts privés économiques et sociaux nécessairement vécus comme divergents, concurrents et inégalitaires par les acteurs sociaux ne peut être réduit à n’être qu’une simple courroie de transmission de progrès existants hors de sa sphère de responsabilité en vue de la réduction des inégalités qui s’imposeraient magiquement dans un « juste » (ou vécu comme tel) compromis social, car celui-ci ne serait alors que le résultat des rapports des forces existant toujours plus ou moins inégalitaires . En cela il a un rôle « anticipatif » et prospectif de par l’idéal de justice qui, en démocratie, légitime son action ; de plus il est toujours une instance d’arbitrage (juste ou injuste), de contrôle, de sécurisation et de garantie des droits de tous et, pour ce faire, il doit disposer du pouvoir législatif, d’administration et de police supérieur à celui des acteurs sur lesquels il exerce son autorité légale sinon légitime propre (ex : le monopole de l’usage de la violence légale, sinon légitime). L’état comme simple administration de la société civile n’existe pas et, lorsqu’il le devient, il n’est plus que l’instrument de domination des groupes et forces économiquement dominants et perd toute légitimité politique rationnelle (c’est la leçon de Hegel) ; il n’est plus qu’un pseudo état tyrannique sans raison proprement politique sinon celle politiquement absurde de faire prévaloir les intérêts privés de ceux qui dispose du pouvoir de contraindre, quelque soient les déguisements institutionnels qu’il emprunte (despotique/dictatorial, oligarchique ou démocratique)


Véra
J
e trouve que c’est oublier le fait que tout pouvoir est détenu par des hommes, et que ceux qui détiennent un pouvoir trop exorbitant ont une simple tendance naturelle à vouloir en abuser. La sphère politique a théoriquement un rôle d’une importance indéniable, mais il ne faudrait pas trop naïvement oublier qu’il n’est détenu que par des hommes. Je trouve tout simplement que la poursuite d’un idéal égalitaire trop poussé conduit à accorder à l’Etat un pouvoir beaucoup trop important et à pardonner avec beaucoup trop de clémence les lourdes imperfections d’un pouvoir politico-administratif qui, par son gigantisme progressif et ses rigidités exponentiellement grandissantes, finit inéluctablement par entraîner bien plus d’inconvénients préjudiciables à la société que d’avantages.

Il ne s’agit pas du tout de donner à l’Etat un simple rôle administratif. Bien au contraire puisqu’il s’avère que ce rôle de « gestionnaire de personnels » détenu par l’Etat est de plus en plus mal assumé. Il faut au contraire qu’il délègue de plus en plus ces tâches logistiques, pour conserver un rôle de conception et de garant. Par ailleurs, est-ce bien normal par exemple qu’un quart du salariat d’un pays – en l’occurrence la fonction publique d’Etat, hospitalière et territoriale – bénéficie de statuts privilégiés, que les salariés de la machine économique productive ne peuvent se permettre dans un monde devenu très concurrentiel et qui oblige à une remise à jour constante des compétences, mobilités géographique et intellectuelle.

S’il est incontestable qu’une sorte de « main invisible » existe au sein des mécanismes économiques (ajustement automatique entre les flux d’offres et de demandes des marchés), un peu à l’image des équilibres climatiques naturels, il serait abusif d’en déduire que le libéralisme prétend que cet automatisme suffit à lui seul à produire une société idéale, sachant que le libéralisme économique est indissociable du libéralisme politique. L’intérêt du volet économique est certes souligné, comme répondant à une nécessité de dynamique productive, mais il ne se conçoit pas privé de son volet juridique : le libéralisme politique, qui le complète par « rétrocession » en prenant justement en compte cette instauration parallèle et complémentaire de valeurs éthiques et démocratiques de respect de l’individu. Libéralisme politique qui sous entend la nécessité de privilégier la primauté de l’individu sur le pouvoir politique, sachant que le fondement même des valeurs humaines repose sur une confiance accordée à un individu nécessairement libre et responsable : l’individu acteur de la société civile.


SR
Je suis d’accord avec vous sur le primat accordé à l’individu sur le groupe tout autant dans la démocratie politique (le citoyen délibère et choisit en son âme et conscience ; il a des droits propres garantis à l’expression et à l’organisation politique, mais aussi tous les droits ou libertés individuelles ou droits de l’homme et du citoyen et peut les faire valoir contre l’état etc …) qu’en ce qui concerne la capitalisme marchand dès lors que celui-ci est fondé sur l’idée de contrat négociable entre les partenaires de l’échange (refus de l’esclavage et de l’allégeance) et le principe de la libre concurrence en vue de la réalisation de l’intérêt de chacun dans le cadre formel d’une relation contractuelle de réciprocité (donnant/donnant). Mais cela ne signifie pas que l’individu doit se reconnaître et se faire reconnaître comme irresponsable vis-à-vis des autres et qu’aucune solidarité ne soit possible, dès lors que les libertés et les droits de chacun s’impliquent réciproquement et que cette réciprocité tend à  s’affirmer comme égalitaire, en droit, sinon en fait, (le conflit entre droit et fait est central dans l’évolution des sociétés qui se veulent démocratiques). En cela le capitalisme a tendance à privilégier l’intérêt privé des acteurs et en l’absence de réelle libre-concurrence laquelle est peut-être irréalisable de par le fait des inégalités réelle dans la production et l’échange et de par l’inégalité des chances entre les acteurs contractants (ex : entre employeurs et employée et entre ceux qui peuvent exprimer une demande solvable donc rentable et les autres) cet intérêt privé domine l'intérêt général et/ou mutuel. La mécanisme auto-régulateur de la main invisible, en effet, est un pur modèle théorique abstrait dont la fonctionnement au profit de tous supposerait un certain nombre de conditions que le capitalisme financier dominant dans sa logique immédiate de maximisation du profit à court terme (retour rapide sur investissement) détruit ou menace ; citons entre autres : la totale liberté de circulation des marchandises, des capitaux et des personnes, l’égalité des chances (y compris face à la maladie et dans l’accès au savoir de plus en plus source d’innovation et de création de valeur), la libre concurrence contre tentation permanente de conquête de position monopolistique et celle de rendre captive la clientèle d’un bien et d’un service, (cf Microsoft), la transparence des marchés, la concurrence en droit et en fait égalitaire ; l’égalité dans l’information supposée totale des acteurs et surtout et enfin l’égalité au moins potentielle des pouvoirs de nuisance et de bienveillance vis-à-vis des autres acteurs sur le plan économique culturel, politique et symbolique.
Or le capitalisme a besoin de ces inégalités économiques et sociales pour faire du profit (voir le problème des délocalisations et la question du dumping social) et, pour cela, a tendance à les reproduire en les aggravant (la seule demande solvable est prise en compte aux dépens des besoins en développement durable des « insolvables » ). Autant dire qu’un système auto-régulé à l’équilibre, sans protectionnisme du capital financier et monétaire (voir le rôle joué par le dollar qui permet à l’économie nord-américaine de faire financer son déficit public –6%- par les autres), ni frontières polico-juridique (« nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ») du savoir et du savoir faire, réduirait tendanciellement à zéro le taux moyen de profit et la création de plus-value (retour sur investissement) Sans régulation politique à l’échelon suprananational le capitalisme mondialisé court à son auto-destruction violente et à sa délégitimation démocratique dès lors que les contraintes économiques des marchés sous l’effet des mouvement erratiques et aveugles à leurs conséquences sociales des capitaux en vue de la maximation des profits s’imposent aux décideurs politiques dans le sens de la dérégularisation des rapports entre le capital et le travail au profit exclusif du premier ; dérégulation dont a et aura à souffrir nécessairement le plus grand nombre des acteurs sociaux (y compris les cadres moyens supérieurs) ; nul dirigeant, souvent inatteignable, ne pourra, en effet, jamais convaincre qui que ce soit qu’il doit travailler plus sans gagner davantage et accepter son licenciement soi-disant pour le bien de l’entreprise comme si celle-ci pouvait exiger un sacrifice par l’exclusion au nom d’un intérêt commun sans cesse démenti par les rapports de pouvoirs non-démocratiques sinon anti-démocratiques qui la régissent. Comment faire accepter à un licencié soit que c’est bien fait pour lui s’il en est là (pas assez compétitif) soit qu’il s’agit d’une fatalité en forme de catastrophe naturelle, pendant que d’autres, l’infime minorité, qu’est l’élite des décideurs économiques, se fait sculpter des « couilles et des parachutes en or » pour services rendus aux investisseurs, même lorsqu’ils ont manifestement échoué à maintenir à flot leur entreprise. La question aujourd’hui est bien celle du retour, via la globalisation, au capitalisme sauvage du XIXème à une échelle sans précédant, jusqu’à introduire l’esclavage industriel des enfants dans certaines régions les plus populeuses du monde.. Même chez nous, les employés, cadres moyens compris, ne sont plus considérés au mieux que comme une ressource exploitable et au pire que comme une simple variable d’ajustement, un coût qu’il faut impérativement abaisser si l’on veut restaurer la rentabilité à cour-terme des investissements.. Il n’est donc pas étonnant que la crise de confiance dans le capitalisme et dans ses dirigeants est aujourd’hui prédominante à tous les niveaux, même chez les cadres. Et sans confiance aucun système d’échange ne peut longtemps survivre. Or pour rétablir la confiance dans l’économie, il convient de restaurer les conditions politiques qui la rende possible. C’est dire qu’un capitalisme démocratique régulé suppose comme condition préalable la séparation (je préfère distinction) du pouvoir économique et du pouvoir politique (ce qui ne veut pas dire indépendance mais autonomie dans l’exercice légal de l’autorité régulatrice), de l’état national et/ou supranational et de la société civile ; c’est même pour le capitalisme la condition de sa survie et de son efficacité globales. L’économie est toujours insérée, bien ou mal, dans la politique et celle-ci, en démocratie, doit nécessairement prendre en compte les effets sociaux des transformations et des contradictions que génère le capitalisme, à tel ou tel moment de son évolution, pour faire droit au désir de justice et de réciprocité dans la reconnaissance que suscite, a contrario,  ces contradictions; réciproquement l’économie ne peut se dispenser des contraintes de la politique sauf à préparer la fin de la démocratie et donc du fondement même du libéralisme dont il se réclame, pour trop souvent en détourner le sens authentique : le maximum de liberté pour chacun dans l’interdépendance régulée des intérêts et des désirs toujours spontanément divergents.


Véra
Je pense que mettre l’accent sur le rôle initiateur des progrès économiques dans l’évolution des progrès politiques et démocratiques est fondamental pour la compréhension du mode de fonctionnement d’un système de société qui, comme toute réalité philosophique, obéit à une logique dialectique : des valeurs à priori négatives à la source (comportements égoïstes dans un marché « aveugle ») mais indirectement motrices de valeurs positives (porteuses de valeurs éthiques) après prise en charge gestionnaire par la sphère politique. On assiste en quelque sorte à une « machinerie » humaine obéissant à des lois naturelles et à des impulsions initiales motrices de valeurs peu nobles qualifiées de « désir », se réalisant au départ dans la sphère économique, puis se trouvent transformées, à terme, en valeurs nobles de « volonté » politique et éthique.
Ma démarche relève finalement d’un combat « sémantique » ayant pour souci de rétablir la véritable portée du libéralisme dans notre pays où cette doctrine est volontairement galvaudée, voire diabolisée et délibérément assimilée à « liberté sans foi ni loi » (découlant d’une lecture partielle et sélective du concept), ce qui conduit abusivement à accorder au pouvoir politique plus d’importance et de rôle moteur qu’il n’en a.

SR
Je suis d’accord avec votre conclusion, à condition de préciser que la politique en vue de « plus de justice » exige toujours un  combat contre ceux qui voudraient dissoudre la politique dans l’économie spontanément inégalitaire et la démocratie dans la technocratie spontanément oligarchique et hiérarchique. Et ce combat est aussi sémantique : ne laissons pas se galvauder l’idée de liberté au profit de l’interprétation  fallacieuse que prétendent en donner les prédateurs économiques et financiers qui  voudraient, sans limite, se faire admettre, non seulement en fait mais en droit, comme « des renards libres dans le poulailler libre ».


Véra
En fait, je trouve qu’en France on a beaucoup trop tendance à vilipender les chefs d’entreprises et le capitalisme. Il est aberrant, à l’instar de Marx, de raisonner encore en terme de lutte de « classes », comme si le « mal » était détenu exclusivement par tel ou tel groupe social. Intentions coupables, égoïsmes ou corruptions se nichent dans toutes les classes sociales car il relève de la nature humaine, quelles que soient les appartenances à tel ou tel échelon de la hiérarchie. Lorsqu’on raisonne à l’échelle d’une société, il ne faut analyser qu’en terme de système organique, fonctionnalités et règles : à l’Etat il revient de gérer l’intérêt général et la sphère juridique ; à la machine économique il revient de produire et de n’être animée prioritairement que par cet objectif. C’est ensuite par interaction que les processus de progrès et d’évolutions sociales se propagent d’une sphère à l’autre.

Le syndrome oligarchique ou corruptif notamment, n’est pas l’apanage de la machine économique. On s’aperçoit qu’il peut fort bien se manifester au sein même de l’Etat où le dysfonctionnement est d’autant plus grave qu’il s’agit de deniers publics. Et l’on constate chez nous dans les instances dirigeantes un véritable establishment administratif fonctionnant en logique de caste hyper protégée qui devient, par son inertie, tout aussi néfaste, voire encore plus nocif pour la prospérité de notre pays que ne pourraient l’être des ententes illicites ou monopoles d’entreprises. Il est clair que des dérapages comme celui d’Enron par exemple, qui touchent des entreprises privées, ont toute chance d’être rapidement solutionnés par de nouveaux dispositifs légaux rapidement adaptables, contrairement à des abus de pouvoirs ou corruptions par le pouvoir politique lui-même qui a tous les moyens de se dissimuler, de s’auto protéger et de s’auto amnistier.

Une nation qui ne fait pas confiance à ses chefs d’entreprises, en semblant oublier que les chefs politiques n’offrent guères de meilleures garanties de probité, est une nation qui s’auto mutile de son énergie vitale.


SR
Les chefs d’entreprises et les décideurs économiques, à le différence des hommes politiques en démocratie, ne sont pas élus par les membres de l’entreprise, et ils ont toujours tendance spontanément, dans une société anonyme, à exercer leur pouvoir sans partage en un sens particulier ; celui des investisseurs (voire de plus en plus des spéculateurs financiers qui visent à rentabiliser leur mise le plus possible et le plus vite possible en sacrifiant souvent l’intérêt à long terme de l’entreprise et de son personnel à l’intérêt à court terme des investisseurs) pour la simple raison qu’ils sont nommés exclusivement par eux, c’est pourquoi la question de le lutte des classes entre dominants et dominés n’est pas une invention marxiste mais un fait quotidien pour le bonne raison que dirigeants non élus par le personnel et qui ont les moyens d’utiliser leur pouvoir dans le sens de l’intérêts particuliers des investisseurs (employés= ployés sous..) sans autre contre-pouvoir que celui de l’état en vue le respect du des droits sociaux démocratiquement décidés, peuvent  mettre dans leurs décisions en cause¸ sans risque de perdre leur pouvoir, le travail et la vie de milliers d’employés. Vous avez tendance, me semble-t-il à confondre la société et l`’entreprise. Dans une société capitaliste (sans cogestion)  seuls les sociétaires exercent le pouvoir décisif sur l’entreprise qui inclue les employés dépourvus, la plupart du temps, de tout pouvoir central de décision sinon de tout pouvoir consultatif (toujours formalisés en terme de droit social). La confiance des employés envers les chefs d’entreprise se mérite et se mesure alors à la capacité de ceux-ci à faire valoir les droits des employés, dans la gestion de relations de pouvoirs entre le capital et le travail ; or vous me semblez négliger dans votre analyse l’examen des relations de pouvoir inégalitaires entre employeurs et employés, comme si elles pouvaient être, dans de telles conditions, spontanément démocratiques, alors qu’elle sont le facteur central du manque de confiance que vous déplorez. Quant à la confiance de la nation envers le capitalisme et ses dirigeants elle devient d’autant plus problématique que le capitalisme se mondialise; c’est a dire s’inter-nationalise voire se trans-nationalise et que ce processus n’est soumis pour le moment à aucun pouvoir de régulation politique international socialement efficace et fiable (ex : les paradis fiscaux et le dumping social). Savez-vous que plus de 50% des capitaux dans les entreprises du CAC quarante en France sont d’origine nord-américaine et peuvent s’expatrier hors de France sans conditions? (ce qui tend, du reste, à montrer que du point de vue de ces investisseurs, contrairement à ce que l’on dit trop souvent, les francais, malgré les prélèvement obligatoires et les droits sociaux, ou peut-être à cause d’eux, ne travaillent pas si mal en terme de productivité économiquement « rentable ») : Du point de vue de la confiance dont vous parlez, le modèle allemand et des pays de l’Europe du nord de la cogestion me semble devoir être reconnu comme une référence dans le cadre de l’unification du droit social européen, car il convient d’ établir les conditions de possibilité de cette confiance en terme de relation de pouvoir avant de l’invoquer sinon de l’exiger. Elle ne se décrète pas Pour ce qui concerne la démocratisation du fonctionnement de l’état et donc sa décentralisation régulée je suis prêt à vous suivre mais nous ne serions alors pas loin du modèle allemand qui rencontre aujourd’hui ses limites et qui vous semble par ailleurs inadapté à notre culture politique, comme si celle-ci était et devait être considérée comme homogène et étrangère au débat critique de philosophie politique.


Véra
La démocratie implique effectivement que les représentants du pouvoir politique soient désignés par le peuple au moyen d’un vote. Le statut d’élu sous entend la délégation d’un pouvoir, et c’est parce que le peuple est considéré comme souverain et titulaire de ce pouvoir politique, qu’il le délègue par un mandat à des élus chargés de le représenter. Contrairement à cette logique de délégation de pouvoir propre à la sphère politique, la démarche « économique » procède d’un acte autonome et responsable, relevant directement d’une initiative de la société civile où l’individu (chef d’entreprise) décide de s’investir selon ses capacités et sur ses propres deniers en vue d’une activité productive de richesses qui va directement ou indirectement enrichir la société.
Cette différence de nature des statuts d’élu et de chef d’entreprise ne saurait donc impliquer une quelconque hiérarchie de valeurs, la démocratie et le mode représentatif ne pouvant avoir de justification qu’au titre de la vie politique de la société, mais n’ôtant rien à la noblesse de l’activité productrice faite de prise de risque et de réelle responsabilité.


Par ailleurs il serait excessif de considérer qu’un statut d’élu comporte un caractère sacré. Les divers délits de corruption ou abus de biens publics n’épargnent aucunement les élus et politiques, et les nombreuses affaires, heureusement dévoilées grâce au progrès de la transparence et de la Justice, contribuent à ôter toute aura excessive de la classe politique.

Quant à la relation dominant et dominé, elle ne concernent pas spécifiquement les relations de travail et les rapports patron et salarié. Ces schémas de comportement et de rapports de forces caractérisent bien des relations sociales (familiales notamment), de même d’ailleurs que les jeux de rivalités et les négociations au sein de la classe politique et ne sont aucunement l’apanage de l’entreprise privée. De tels arguments ne sauraient donc fonder raisonnablement une vision philosophique digne de ce nom.

Quant à ma remarque sur le modèle allemand, elle se bornait à souligner de façon très générale, que les transpositions en bloc de modèles d’un pays à l’autre n’étaient pas faciles car reposant sur des bases historiques ou culturelles spécifiques. Mais cela ne valait pas rejet de toute possibilité de transposition au cas par cas qui reste bien sur envisageable, à fortiori en matière de décentralisation qui est un mode d’organisation qui n’est pas réservé à l’Allemagne.

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