Capitalisme et démocratie
Dialogue entre Véra (en
vert)
et S. Reboul
(en rouge)
De la part de Véra, du site Agora Philo
Bonjour,
Je ne sais pas sur quelles phrases vous m'avez interpellée
à
propos du capitalisme sur le site agora philo, en déduisant que
je
le considérais comme démocratique... ce que vous
contestiez.
Vous êtes arrivé sur un conflit que j'ai eu avec quelques
personnes
dans leurs procédés de débat, et je crains que
vous
vous soyez mépris sur le sens de mes propos.
En fait ces notions (capitalisme libéral et démocratie)
sont
complexes et ce n'est pas sur quelques phrases de réponses
ponctuelles,
dans un contexte agité, que vous auriez pu cerner
l'intégralité
de mes conceptions en la matière.
Ce que je répondais était très
schématisé,
"imagé", dans le but surtout de lui traduire qu'une entreprise
ne
devait pas être considérée comme un lieu où
règnent
des conflits, car l'Entreprise a une vocation un peu plus noble
que
ça, même si l'être humain à
l'intérieur
n'est pas un saint. Alors que Marx n'a mis exergue que cet aspect
d'exploitation
de l'homme par l'homme au raz des pâquerettes.
Plus précisemment, je conçois le capitalisme comme
faisant
partie de la "sphère " productive économique bien
sur,
et l'aspect démocratique fait partie de la sphère
politique.
Le lien entre économie (capitalisme) et politique
(démocratie)
est très complexe et s'établit surtout à
l'échelle
d'une nation et pas directement au sein même de
l'entreprise.
Quand vous évoquez les progrès sociaux obtenus par les
salariés,
ce n'est bien entendu pas à l'intérieur même de
l'entreprise
que cela s'est réalisé. Mais c'est au niveau de la nation
que
capitalisme et démocratie interfèrent, étant l'un
le
corollaire de l'autre, notamment au niveau des évolutions
juridiques.
Donc rien à voir entre mes conceptions et un quelconque
capitalisme
sauvage, l'état de Droit démocratique étant le
socle
de l'ensemble.
Voici très rapidement ce que je peux vous dire pour lever ce
malentendu.
A bientôt peut-être.
Amicalement
SR.
Bonjour,
Le capitalisme en tant que mode de fonctionnement interne de
l'entreprise
n'est pas démocratique; il peut l'être "plus" si cela lui
est
imposé de l'extérieur par la médiation de la
politique
et il en est de même des droits sociaux qui visent
précisément
à (r)établir une certain rapport des forces afin de
rendre
la négociation possible entre le direction qui est toujours
mandatée
par ceux qui investissent dans cette entreprise et le personnel
salarié
dont les intérêts concernant la question de
l'appropriation
et l'usage du profit ne sont pas précisément communs,
dès
lors que le personnel, la plupart du temps, n'est pas consulté
à
ce sujet; l'actionariat des salariés, quand il existe, ne donne
pas,
dans la plupart des cas, de droit de vote au conseil
d'administration.
Nous sommes d'accord donc sur ce point. On peut parler de
démocratie
dans le cadre des rapports de l'entreprise avec ses clients
actuels
et potentiels à condition que les conditions de la concurrence
permettent
à ces derniers de choisir au vue de leurs intérêts
"perçus"
comme propres, mais il faut pour cela des lois de la concurrence
imposée
par le niveau politique car dans sa logique propre une entreprise vise
toujours
à conquérir un monopole et à rendre captive sa
clientèle;
Cette "démocratie économique" est non-politique ou
infra-politique
car la question de l'intérêt dit "général"
et
à long terme n'est, dans les transactions commerciales
strictement
individualisantes, ni posée, ni débattue.
Or le capitalisme dans son ensemble, afin de pacifier les rapports de
productions
toujours conflictuels et rendre possible l'extension de la
solvabilité
du marché, ainsi que sa légitimité
démocratique
concurrentielle, a intérêt à plus long terme
à
l'intervention démocratique de l'état pour garantir au
moins
en droit (et par le jeu des révendications, progressivement en
réalité)
l'égalité des chances et l'égalisation
réelle
des rapports de force entre le capital et le travail (ex: l'importance
y
compris pour le "droite" politique du thème de la fracture
sociale
et la mise à l'écart par Chirac et le MEDEF du
thème
des 35h)). C'est dire que la capitalisme dans son ensemble est
politiquement
lié à la démocratire et qu'un capitalisme non
encastré
dans la démocratie politique (nationale et/ou transnationale)
est
condamné à terme à l'auto-destruction
sociétale.
Ainsi la coopération nécessaire dans l'entreprise n'est
pas
spontanée elle est produite par cet encastrement ou encadrement
politique
régulateur qui en fixe les conditions de possibilités
à
plus ou moins long terme. Le capitalisme est à long terme viable
et
il est un bien ou un moindre mal, dès lors qu'il reste
sous
contrôle du politique en un sens plus démocratique. C'est
en
ce sens que l'on peut parler de "capitalisme démocratique" sans
pour
autant considérer que l'économie capitaliste au niveau
micro-économique
générerait par elle-même la démocratie
politique;
ce qui est l'illusion majeure des soi-disant néo-libéraux
actuels,
illusion déjà dénoncée par Adam Smith.
Les USA, derrière une idéologie libérale
trompeuse,
sont un des pays les plus protectionistes et les plus interventionistes
dans
l'économie des entreprises qui soit; reste à savoir si
ces
interventions et la régulation qu'elles opérent sont
politiquement
pertinentes est une autre question. Mais je pense que tout
gouvernement
démocratique est contraint, sinon forcé parfois, selon
des
variantes droitière ou gauchère, d'être
social-démocrate,
y compris celui de Mr Bush junior...S'il veut se faire
réélire.
Véra
Nous sommes bien d’accord sur le fait qu’un état de droit est
indispensable
pour orienter le moteur économique et formuler les normes
«
éthiques » sans lesquelles une société
démocratique
ne serait pas concevable au 21 ème siècle. Quoique
j’imagine
assez mal, à vrai dire, qui pourrait sérieusement de nos
jours
revendiquer une société de type « sauvage »
où
ne règnerait que la loi du plus fort.
Cependant, je suis assez surprise de l’approche qui se dégage de
votre
texte semblant concevoir une séparation rigide et une opposition
radicale
entre sphère économique égoïste et amorale
(celle
qui crée les richesses marchandes) et sphère politique
«
bien pensante » chargée d’instaurer les normes
éthiques.
Si l’importance de l’autorité politique pour édicter les
règles
à respecter en vue de sauvegarder l’intérêt
général
n’est plus à démontrer, il faut surtout observer qu’il y
a
au contraire une imbrication profonde entre production
économique
et évolutions politiques, puisqu’à l’origine, ce sont les
évolutions
économiques (émanant de la société civile)
qui
vont engendrer les demandes de redistribution et de justice sociale.
Lorsque
les richesses dégagées par les progrès
économiques
deviennent plus importantes (grâce aux progrès
scientifiques,
puis techniques engendrant une meilleure productivité), elles
inspirent
des revendications de partage et une volonté de justice qui se
manifeste
parmi les couches lésées de la société. Au
XIXe
siècle par exemple, c’est l’essor industriel qui va provoquer
l’émergence
de la bourgeoisie réclamant alors sa part du pouvoir jusque
là
détenu uniquement par le pouvoir monarchique et l’aristocratie.
SR
J’indique explicitement dans mes textes que le capitalisme dans sa
régulation
à long terme et les transformations économiques et
sociales
qu’elle exige implique une transformation démocratique non
seulement
des structures de l’état mais aussi des décisions
politiques
en vue d’une réduction des inégalités et en
priorité
de l’égalité des chances et des libertés
contractuelles
de droit et de fait des acteurs sociaux. Néanmoins cette
imbrication
du politique et de l’économie et la demande de politique
générée
par les évolutions du capitalisme en un sens plus
démocratique
nous oblige à distinguer la rationalité à court
terme
micro-économique (à l’échelon des entreprises) et
celle
des grands équilibres en long terme macro-économiques et
sociaux.
Cette distinction exige à son tour une certaine autonomie
fonctionnelle
entre le politique (Partis politiques, Associations diverses de
citoyens
acteurs sociaux, Etat, institutions et associations ou organisations
politiques
internationales) et l’économie et/ou la sphère de la
société
civile. Vous avez raison de souligner la nécessaire distinction
fonctionnelle
des responsabilités et des pouvoirs, mais cette distinction
prévaut
d’autant plus pour la sphère de l’autorité
économique
et celle de l’autorité politique. Il n’y a pas de
régulation
des relations économiques et sociales à long terme du
capitalisme
dans son ensemble sans cette autonomie, laquelle ne veut pas dire
indépendance
mais domaine de responsabilité et d’autorité propre.
Cette
autonomie exige un débat précisément politique sur
l’idée
de justice et les règles des échanges qu’elle doit
promouvoir
qui ne se réduise pas au constat des rapports de forces
existants
présupposés comme seul possibles sinon seul
légitimes.
La mise en cause des effets socialement auto-destructeurs (violents) et
non
seulement transformateurs du capitalisme à courte vue des
décideurs
micro-économiques soumis aux intérêts
immédiats
des investisseurs sous la domination croissante de capital financier
(les
marchés financiers spéculatifs) est indispensable pour
qui
veut préserver les chances du capitalisme plus
démocratique
que les allemands appellent « l’économie sociale de
marché
» qui combine nécessairement marché et
redistribution,
pouvoir du capital et du travail etc..
Véra
Vous donnez souvent l’exemple de l’Allemagne. Mais il ne faut pas
perdre
de vue que chaque pays a ses caractéristiques culturelles
propres
et des structures administratives plus ou moins
décentralisées,
qui font que les modèles qui fonctionnent bien dans un certain
contexte
ne sont pas toujours exactement transposables dans un autre pays,
d’où
l’intérêt d’appliquer la logique du libéralisme qui
donne
la primauté à l’échelon administratif local, la
compétence
n’étant accordée à l’échelon
supérieur
que dans les domaines qui se justifient par une meilleure
efficacité.
Cela revient à une notion de subsidiarité
(répartition
des compétences à différents niveaux
administratifs,
selon le niveau d’importance de la matière à traiter)
mais
remise dans le bon sens : pouvoir délégué par la
base
vers le haut de la pyramide.
En fait je dirais que ce qui distingue nos deux approches c’est que
j’accorde
une nette primauté à la force productrice d’un pays,
point
de départ indispensable à toute société
prospère,
et centre d’émanation originel de toutes les valeurs morales qui
se
traduisent ensuite en remontant dans la sphère politique. Je
conçois
le pouvoir politique comme arbitre et garant de l’intérêt
général,
garant du débat démocratique. Mais ma « confiance
»
je la place d’abord dans l’homme, citoyen libre et responsable de la
société
dite civile, là où se trouve la véritable source
de
toutes les énergies positives.
Il y a ensuite deux façons de concevoir le rôle et
l’interventionnisme
de l’Etat :
- soit il tient les « rennes » de la société
car
considéré comme détenteur des valeurs morales et
il
centralise son pouvoir qui émane du haut (racines divines). Avec
des
degrés variables de centralisation, on peut appeler cela une
«
régulation » mais selon moi c’est du pur dirigisme
forcément
inhibiteur des énergies individuelles.
- soit l’Etat intervient essentiellement pour garantir le droit et
l’équité,
mais reste « au service de la société civile
»
qui le mandate pour ce pouvoir exorbitant du droit commun
(prérogatives
spécifiques). Et en matière économique l’Etat a
pour
rôle de faciliter les règles du marché, supprimer
ses
aspects néfastes (par exemple veiller à maintenir les
conditions
d’une concurrence loyale etc..), mais en ayant toujours pour premier
souci
de maintenir la dynamique motrice indispensable d’une
société
qui repose sur le travail et l’innovation vers les progrès.
Ensuite, faire la part entre plus de répartition de richesses et
d’aides
sociales, ou plus de dynamisme, relève du débat
démocratique
et du partenariat social, seulement contrôlé et garanti
par
l’Etat, mais là encore, sans dirigisme étatique.
Les progrès économiques génèrent donc les
évolutions
politiques qui se traduisent par une évolution progressive des
règles
démocratiques, en faisant évoluer les concepts politiques
eux-mêmes
(séparations des pouvoirs par exemple) et émerger de
nouvelles
normes juridiques et sociales qui, en retour, vont s’imposer dans la
sphère
économique en l’obligeant à s’adapter aux nouvelles
exigences
traduites juridiquement. Les relations entre économie et
politique
ne sont donc pas linéaires, univoques et hiérarchiques.
Ces
deux sphères s’influencent réciproquement,
entraînant
l’ensemble dans une spirale démocratique vertueuse. Ceci
explique
que les entreprises de la « société civile »
(ceci
entendu comme l’ensemble des travailleurs productifs) sont à la
source
du phénomène démocratique, l’Etat et le
système
politique n’étant que la courroie de transmission des
progrès
initiés par le cœur laborieux et productif de la
société.
Ainsi, l’Etat doit être conçu comme simple «
administrateur
» de la société, arbitre des compromis sociaux et
messager
des différentes forces et valeurs éthiques émanant
de
la société elle-même, et non comme un «
régent
» autoritaire où se construirait l’éthique de la
société.
SR
L’Etat en tant qu’ instance d’autorité (ou de pouvoir de
contrainte)
politique régulatrice qui s’exerce dans un contexte
d’intérêts
privés économiques et sociaux nécessairement
vécus
comme divergents, concurrents et inégalitaires par les acteurs
sociaux
ne peut être réduit à n’être qu’une simple
courroie
de transmission de progrès existants hors de sa sphère de
responsabilité
en vue de la réduction des inégalités qui
s’imposeraient
magiquement dans un « juste » (ou vécu comme tel)
compromis
social, car celui-ci ne serait alors que le résultat des
rapports
des forces existant toujours plus ou moins inégalitaires . En
cela
il a un rôle « anticipatif » et prospectif de par
l’idéal
de justice qui, en démocratie, légitime son action ; de
plus
il est toujours une instance d’arbitrage (juste ou injuste), de
contrôle,
de sécurisation et de garantie des droits de tous et, pour ce
faire,
il doit disposer du pouvoir législatif, d’administration et de
police
supérieur à celui des acteurs sur lesquels il exerce son
autorité
légale sinon légitime propre (ex : le monopole de l’usage
de
la violence légale, sinon légitime). L’état comme
simple
administration de la société civile n’existe pas et,
lorsqu’il
le devient, il n’est plus que l’instrument de domination des groupes et
forces
économiquement dominants et perd toute légitimité
politique
rationnelle (c’est la leçon de Hegel) ; il n’est plus qu’un
pseudo
état tyrannique sans raison proprement politique sinon celle
politiquement
absurde de faire prévaloir les intérêts
privés
de ceux qui dispose du pouvoir de contraindre, quelque soient les
déguisements
institutionnels qu’il emprunte (despotique/dictatorial, oligarchique ou
démocratique)
Véra
Je trouve que c’est oublier le fait
que
tout pouvoir est détenu par des hommes, et que ceux qui
détiennent
un pouvoir trop exorbitant ont une simple tendance naturelle à
vouloir
en abuser. La sphère politique a théoriquement un
rôle
d’une importance indéniable, mais il ne faudrait pas trop
naïvement
oublier qu’il n’est détenu que par des hommes. Je trouve tout
simplement
que la poursuite d’un idéal égalitaire trop poussé
conduit
à accorder à l’Etat un pouvoir beaucoup trop important et
à
pardonner avec beaucoup trop de clémence les lourdes
imperfections
d’un pouvoir politico-administratif qui, par son gigantisme progressif
et
ses rigidités exponentiellement grandissantes, finit
inéluctablement
par entraîner bien plus d’inconvénients
préjudiciables
à la société que d’avantages.
Il ne s’agit pas du tout de donner à l’Etat un simple rôle
administratif.
Bien au contraire puisqu’il s’avère que ce rôle de «
gestionnaire
de personnels » détenu par l’Etat est de plus en plus mal
assumé.
Il faut au contraire qu’il délègue de plus en plus ces
tâches
logistiques, pour conserver un rôle de conception et de garant.
Par
ailleurs, est-ce bien normal par exemple qu’un quart du salariat d’un
pays
– en l’occurrence la fonction publique d’Etat, hospitalière et
territoriale
– bénéficie de statuts privilégiés, que les
salariés
de la machine économique productive ne peuvent se permettre dans
un
monde devenu très concurrentiel et qui oblige à une
remise
à jour constante des compétences, mobilités
géographique
et intellectuelle.
S’il est incontestable qu’une sorte de « main invisible »
existe
au sein des mécanismes économiques (ajustement
automatique
entre les flux d’offres et de demandes des marchés), un peu
à
l’image des équilibres climatiques naturels, il serait abusif
d’en
déduire que le libéralisme prétend que cet
automatisme
suffit à lui seul à produire une société
idéale,
sachant que le libéralisme économique est indissociable
du
libéralisme politique. L’intérêt du volet
économique
est certes souligné, comme répondant à une
nécessité
de dynamique productive, mais il ne se conçoit pas privé
de
son volet juridique : le libéralisme politique, qui le
complète
par « rétrocession » en prenant justement en compte
cette
instauration parallèle et complémentaire de valeurs
éthiques
et démocratiques de respect de l’individu. Libéralisme
politique
qui sous entend la nécessité de privilégier la
primauté
de l’individu sur le pouvoir politique, sachant que le fondement
même
des valeurs humaines repose sur une confiance accordée à
un
individu nécessairement libre et responsable : l’individu acteur
de
la société civile.
SR
Je suis d’accord avec vous sur le primat accordé à
l’individu
sur le groupe tout autant dans la démocratie politique (le
citoyen
délibère et choisit en son âme et conscience ; il a
des
droits propres garantis à l’expression et à
l’organisation
politique, mais aussi tous les droits ou libertés individuelles
ou
droits de l’homme et du citoyen et peut les faire valoir contre
l’état
etc …) qu’en ce qui concerne la capitalisme marchand dès lors
que
celui-ci est fondé sur l’idée de contrat
négociable
entre les partenaires de l’échange (refus de l’esclavage et de
l’allégeance)
et le principe de la libre concurrence en vue de la réalisation
de
l’intérêt de chacun dans le cadre formel d’une relation
contractuelle
de réciprocité (donnant/donnant). Mais cela ne signifie
pas
que l’individu doit se reconnaître et se faire reconnaître
comme
irresponsable vis-à-vis des autres et qu’aucune
solidarité
ne soit possible, dès lors que les libertés et les droits
de
chacun s’impliquent réciproquement et que cette
réciprocité
tend à s’affirmer comme égalitaire, en droit, sinon
en
fait, (le conflit entre droit et fait est central dans
l’évolution
des sociétés qui se veulent démocratiques). En
cela
le capitalisme a tendance à privilégier
l’intérêt
privé des acteurs et en l’absence de réelle
libre-concurrence
laquelle est peut-être irréalisable de par le fait des
inégalités
réelle dans la production et l’échange et de par
l’inégalité
des chances entre les acteurs contractants (ex : entre employeurs et
employée
et entre ceux qui peuvent exprimer une demande solvable donc rentable
et
les autres) cet intérêt privé domine
l'intérêt
général et/ou mutuel. La mécanisme
auto-régulateur
de la main invisible, en effet, est un pur modèle
théorique
abstrait dont la fonctionnement au profit de tous supposerait un
certain
nombre de conditions que le capitalisme financier dominant dans sa
logique
immédiate de maximisation du profit à court terme (retour
rapide
sur investissement) détruit ou menace ; citons entre autres : la
totale
liberté de circulation des marchandises, des capitaux et des
personnes,
l’égalité des chances (y compris face à la maladie
et
dans l’accès au savoir de plus en plus source d’innovation et de
création
de valeur), la libre concurrence contre tentation permanente de
conquête
de position monopolistique et celle de rendre captive la
clientèle
d’un bien et d’un service, (cf Microsoft), la transparence des
marchés,
la concurrence en droit et en fait égalitaire ;
l’égalité
dans l’information supposée totale des acteurs et surtout et
enfin
l’égalité au moins potentielle des pouvoirs de nuisance
et
de bienveillance vis-à-vis des autres acteurs sur le plan
économique
culturel, politique et symbolique.
Or le capitalisme a besoin de ces inégalités
économiques
et sociales pour faire du profit (voir le problème des
délocalisations
et la question du dumping social) et, pour cela, a tendance à
les
reproduire en les aggravant (la seule demande solvable est prise en
compte
aux dépens des besoins en développement durable des
«
insolvables » ). Autant dire qu’un système
auto-régulé
à l’équilibre, sans protectionnisme du capital financier
et
monétaire (voir le rôle joué par le dollar qui
permet
à l’économie nord-américaine de faire financer son
déficit
public –6%- par les autres), ni frontières polico-juridique
(«
nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde »)
du
savoir et du savoir faire, réduirait tendanciellement à
zéro
le taux moyen de profit et la création de plus-value (retour sur
investissement)
Sans régulation politique à l’échelon
suprananational
le capitalisme mondialisé court à son auto-destruction
violente
et à sa délégitimation démocratique
dès
lors que les contraintes économiques des marchés sous
l’effet
des mouvement erratiques et aveugles à leurs conséquences
sociales
des capitaux en vue de la maximation des profits s’imposent aux
décideurs
politiques dans le sens de la dérégularisation des
rapports
entre le capital et le travail au profit exclusif du premier ;
dérégulation
dont a et aura à souffrir nécessairement le plus grand
nombre
des acteurs sociaux (y compris les cadres moyens supérieurs) ;
nul
dirigeant, souvent inatteignable, ne pourra, en effet, jamais
convaincre
qui que ce soit qu’il doit travailler plus sans gagner davantage et
accepter
son licenciement soi-disant pour le bien de l’entreprise comme si
celle-ci
pouvait exiger un sacrifice par l’exclusion au nom d’un
intérêt
commun sans cesse démenti par les rapports de pouvoirs
non-démocratiques
sinon anti-démocratiques qui la régissent. Comment faire
accepter
à un licencié soit que c’est bien fait pour lui s’il en
est
là (pas assez compétitif) soit qu’il s’agit d’une
fatalité
en forme de catastrophe naturelle, pendant que d’autres, l’infime
minorité,
qu’est l’élite des décideurs économiques, se fait
sculpter
des « couilles et des parachutes en or » pour services
rendus
aux investisseurs, même lorsqu’ils ont manifestement
échoué
à maintenir à flot leur entreprise. La question
aujourd’hui
est bien celle du retour, via la globalisation, au capitalisme sauvage
du
XIXème à une échelle sans précédant,
jusqu’à
introduire l’esclavage industriel des enfants dans certaines
régions
les plus populeuses du monde.. Même chez nous, les
employés,
cadres moyens compris, ne sont plus considérés au mieux
que
comme une ressource exploitable et au pire que comme une simple
variable
d’ajustement, un coût qu’il faut impérativement abaisser
si
l’on veut restaurer la rentabilité à cour-terme des
investissements..
Il n’est donc pas étonnant que la crise de confiance dans le
capitalisme
et dans ses dirigeants est aujourd’hui prédominante à
tous
les niveaux, même chez les cadres. Et sans confiance aucun
système
d’échange ne peut longtemps survivre. Or pour rétablir la
confiance
dans l’économie, il convient de restaurer les conditions
politiques
qui la rende possible. C’est dire qu’un capitalisme démocratique
régulé
suppose comme condition préalable la séparation (je
préfère
distinction) du pouvoir économique et du pouvoir politique (ce
qui
ne veut pas dire indépendance mais autonomie dans l’exercice
légal
de l’autorité régulatrice), de l’état national
et/ou
supranational et de la société civile ; c’est même
pour
le capitalisme la condition de sa survie et de son efficacité
globales.
L’économie est toujours insérée, bien ou mal, dans
la
politique et celle-ci, en démocratie, doit nécessairement
prendre
en compte les effets sociaux des transformations et des contradictions
que
génère le capitalisme, à tel ou tel moment de son
évolution,
pour faire droit au désir de justice et de
réciprocité
dans la reconnaissance que suscite, a contrario, ces
contradictions;
réciproquement l’économie ne peut se dispenser des
contraintes
de la politique sauf à préparer la fin de la
démocratie
et donc du fondement même du libéralisme dont il se
réclame,
pour trop souvent en détourner le sens authentique : le maximum
de
liberté pour chacun dans l’interdépendance
régulée
des intérêts et des désirs toujours
spontanément
divergents.
Véra
Je pense que mettre l’accent sur le rôle initiateur des
progrès
économiques dans l’évolution des progrès
politiques
et démocratiques est fondamental pour la compréhension du
mode
de fonctionnement d’un système de société qui,
comme
toute réalité philosophique, obéit à une
logique
dialectique : des valeurs à priori négatives à la
source
(comportements égoïstes dans un marché «
aveugle
») mais indirectement motrices de valeurs positives (porteuses de
valeurs
éthiques) après prise en charge gestionnaire par la
sphère
politique. On assiste en quelque sorte à une « machinerie
»
humaine obéissant à des lois naturelles et à des
impulsions
initiales motrices de valeurs peu nobles qualifiées de «
désir
», se réalisant au départ dans la sphère
économique,
puis se trouvent transformées, à terme, en valeurs nobles
de
« volonté » politique et éthique.
Ma démarche relève finalement d’un combat «
sémantique
» ayant pour souci de rétablir la véritable
portée
du libéralisme dans notre pays où cette doctrine est
volontairement
galvaudée, voire diabolisée et
délibérément
assimilée à « liberté sans foi ni loi
»
(découlant d’une lecture partielle et sélective du
concept),
ce qui conduit abusivement à accorder au pouvoir politique plus
d’importance
et de rôle moteur qu’il n’en a.
SR
Je suis d’accord avec votre conclusion, à condition de
préciser
que la politique en vue de « plus de justice » exige
toujours
un combat contre ceux qui voudraient dissoudre la politique dans
l’économie
spontanément inégalitaire et la démocratie dans la
technocratie
spontanément oligarchique et hiérarchique. Et ce combat
est
aussi sémantique : ne laissons pas se galvauder l’idée de
liberté
au profit de l’interprétation fallacieuse que
prétendent
en donner les prédateurs économiques et financiers
qui
voudraient, sans limite, se faire admettre, non seulement en fait mais
en
droit, comme « des renards libres dans le poulailler libre
».
Véra
En fait, je trouve qu’en France on a beaucoup trop tendance à
vilipender
les chefs d’entreprises et le capitalisme. Il est aberrant, à
l’instar
de Marx, de raisonner encore en terme de lutte de « classes
»,
comme si le « mal » était détenu
exclusivement
par tel ou tel groupe social. Intentions coupables,
égoïsmes
ou corruptions se nichent dans toutes les classes sociales car il
relève
de la nature humaine, quelles que soient les appartenances à tel
ou
tel échelon de la hiérarchie. Lorsqu’on raisonne à
l’échelle
d’une société, il ne faut analyser qu’en terme de
système
organique, fonctionnalités et règles : à l’Etat il
revient
de gérer l’intérêt général et la
sphère
juridique ; à la machine économique il revient de
produire
et de n’être animée prioritairement que par cet objectif.
C’est
ensuite par interaction que les processus de progrès et
d’évolutions
sociales se propagent d’une sphère à l’autre.
Le syndrome oligarchique ou corruptif notamment, n’est pas l’apanage de
la
machine économique. On s’aperçoit qu’il peut fort bien se
manifester
au sein même de l’Etat où le dysfonctionnement est
d’autant
plus grave qu’il s’agit de deniers publics. Et l’on constate chez nous
dans
les instances dirigeantes un véritable establishment
administratif
fonctionnant en logique de caste hyper protégée qui
devient,
par son inertie, tout aussi néfaste, voire encore plus nocif
pour
la prospérité de notre pays que ne pourraient
l’être
des ententes illicites ou monopoles d’entreprises. Il est clair que des
dérapages
comme celui d’Enron par exemple, qui touchent des entreprises
privées,
ont toute chance d’être rapidement solutionnés par de
nouveaux
dispositifs légaux rapidement adaptables, contrairement à
des
abus de pouvoirs ou corruptions par le pouvoir politique lui-même
qui
a tous les moyens de se dissimuler, de s’auto protéger et de
s’auto
amnistier.
Une nation qui ne fait pas confiance à ses chefs d’entreprises,
en
semblant oublier que les chefs politiques n’offrent guères de
meilleures
garanties de probité, est une nation qui s’auto mutile de son
énergie
vitale.
SR
Les chefs d’entreprises et les décideurs économiques,
à
le différence des hommes politiques en démocratie, ne
sont
pas élus par les membres de l’entreprise, et ils ont toujours
tendance
spontanément, dans une société anonyme, à
exercer
leur pouvoir sans partage en un sens particulier ; celui des
investisseurs
(voire de plus en plus des spéculateurs financiers qui visent
à
rentabiliser leur mise le plus possible et le plus vite possible en
sacrifiant
souvent l’intérêt à long terme de l’entreprise et
de
son personnel à l’intérêt à court terme des
investisseurs)
pour la simple raison qu’ils sont nommés exclusivement par eux,
c’est
pourquoi la question de le lutte des classes entre dominants et
dominés
n’est pas une invention marxiste mais un fait quotidien pour le bonne
raison
que dirigeants non élus par le personnel et qui ont les moyens
d’utiliser
leur pouvoir dans le sens de l’intérêts particuliers des
investisseurs
(employés= ployés sous..) sans autre contre-pouvoir que
celui
de l’état en vue le respect du des droits sociaux
démocratiquement
décidés, peuvent mettre dans leurs décisions
en
cause¸ sans risque de perdre leur pouvoir, le travail et la vie
de
milliers d’employés. Vous avez tendance, me semble-t-il à
confondre
la société et l`’entreprise. Dans une
société
capitaliste (sans cogestion) seuls les sociétaires
exercent
le pouvoir décisif sur l’entreprise qui inclue les
employés
dépourvus, la plupart du temps, de tout pouvoir central de
décision
sinon de tout pouvoir consultatif (toujours formalisés en terme
de
droit social). La confiance des employés envers les chefs
d’entreprise
se mérite et se mesure alors à la capacité de
ceux-ci
à faire valoir les droits des employés, dans la gestion
de
relations de pouvoirs entre le capital et le travail ; or vous me
semblez
négliger dans votre analyse l’examen des relations de pouvoir
inégalitaires
entre employeurs et employés, comme si elles pouvaient
être,
dans de telles conditions, spontanément démocratiques,
alors
qu’elle sont le facteur central du manque de confiance que vous
déplorez.
Quant à la confiance de la nation envers le capitalisme et ses
dirigeants
elle devient d’autant plus problématique que le capitalisme se
mondialise;
c’est a dire s’inter-nationalise voire se trans-nationalise et que ce
processus
n’est soumis pour le moment à aucun pouvoir de régulation
politique
international socialement efficace et fiable (ex : les paradis fiscaux
et
le dumping social). Savez-vous que plus de 50% des capitaux dans les
entreprises
du CAC quarante en France sont d’origine nord-américaine et
peuvent
s’expatrier hors de France sans conditions? (ce qui tend, du reste,
à
montrer que du point de vue de ces investisseurs, contrairement
à
ce que l’on dit trop souvent, les francais, malgré les
prélèvement
obligatoires et les droits sociaux, ou peut-être à cause
d’eux,
ne travaillent pas si mal en terme de productivité
économiquement
« rentable ») : Du point de vue de la confiance dont vous
parlez,
le modèle allemand et des pays de l’Europe du nord de la
cogestion
me semble devoir être reconnu comme une référence
dans
le cadre de l’unification du droit social européen, car il
convient
d’ établir les conditions de possibilité de cette
confiance
en terme de relation de pouvoir avant de l’invoquer sinon de l’exiger.
Elle
ne se décrète pas Pour ce qui concerne la
démocratisation
du fonctionnement de l’état et donc sa décentralisation
régulée
je suis prêt à vous suivre mais nous ne serions alors pas
loin
du modèle allemand qui rencontre aujourd’hui ses limites et qui
vous
semble par ailleurs inadapté à notre culture politique,
comme
si celle-ci était et devait être considérée
comme
homogène et étrangère au débat critique de
philosophie
politique.
Véra
La démocratie implique effectivement que les
représentants
du pouvoir politique soient désignés par le peuple au
moyen
d’un vote. Le statut d’élu sous entend la
délégation
d’un pouvoir, et c’est parce que le peuple est considéré
comme
souverain et titulaire de ce pouvoir politique, qu’il le
délègue
par un mandat à des élus chargés de le
représenter.
Contrairement à cette logique de délégation de
pouvoir
propre à la sphère politique, la démarche «
économique
» procède d’un acte autonome et responsable, relevant
directement
d’une initiative de la société civile où
l’individu
(chef d’entreprise) décide de s’investir selon ses
capacités
et sur ses propres deniers en vue d’une activité productive de
richesses
qui va directement ou indirectement enrichir la société.
Cette différence de nature des statuts d’élu et de chef
d’entreprise
ne saurait donc impliquer une quelconque hiérarchie de valeurs,
la
démocratie et le mode représentatif ne pouvant avoir de
justification
qu’au titre de la vie politique de la société, mais
n’ôtant
rien à la noblesse de l’activité productrice faite de
prise
de risque et de réelle responsabilité.
Par ailleurs il serait excessif de considérer qu’un statut
d’élu
comporte un caractère sacré. Les divers délits de
corruption
ou abus de biens publics n’épargnent aucunement les élus
et
politiques, et les nombreuses affaires, heureusement
dévoilées
grâce au progrès de la transparence et de la Justice,
contribuent
à ôter toute aura excessive de la classe politique.
Quant à la relation dominant et dominé, elle ne
concernent
pas spécifiquement les relations de travail et les rapports
patron
et salarié. Ces schémas de comportement et de rapports de
forces
caractérisent bien des relations sociales (familiales
notamment),
de même d’ailleurs que les jeux de rivalités et les
négociations
au sein de la classe politique et ne sont aucunement l’apanage de
l’entreprise
privée. De tels arguments ne sauraient donc fonder
raisonnablement
une vision philosophique digne de ce nom.
Quant à ma remarque sur le modèle allemand, elle se
bornait
à souligner de façon très générale,
que
les transpositions en bloc de modèles d’un pays à l’autre
n’étaient
pas faciles car reposant sur des bases historiques ou culturelles
spécifiques.
Mais cela ne valait pas rejet de toute possibilité de
transposition
au cas par cas qui reste bien sur envisageable, à fortiori en
matière
de décentralisation qui est un mode d’organisation qui n’est pas
réservé
à l’Allemagne.