« S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ». Rousseau
De la démocratie, de ses paradoxes, de ces conditions et de ses dérives.
Le principe de la démocratie est « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » selon la définition Abraham Lincoln, il s'agit là d'un principe paradoxal: il soutient l'idée d'un pouvoir qui serait la pouvoir des dirigés sur les dirigeants, de telle sorte que ceux-ci ne soient plus que les serviteurs (les ministres) de ceux-là. Le pouvoir des dirigeants ne serait qu'un pouvoir délégué, dont l'autonomie devrait idéalement tendre vers zéro. Ce faisant, il donne l'apparence d'être le pouvoir le plus juste qui soit: le pouvoir sans domination, c'est à dire sans pouvoir propre. "Obéissez-moi, dit-il, car mon pouvoir est le vôtre: celui du peuple sur le peuple; cette obéissance, c'est la liberté même!"
Le paradoxe apparent de la conception démocratique de la vie politique repose sur quatre idées fondamentales indissociables dont je vais essayer de montrer qu'elles ne peuvent être que des fictions, pour m'interroger, ensuite, sur les effets politiques réels, bénéfiques ou non, de ces fictions, quant au fonctionnement de l'illusion politique.
· l'idée de contrat
social.
· l'idée de
volonté générale.
·
l'idée de droit égalitaire.
·
l'idée de représentation.
2-1 La démocratie comme fiction politique.
En démocratie, le contrat social est au fondement d'un état dont la légitimité n'est plus religieuse, mais profane: si la société n'est plus organisée selon la volonté transcendante, nécessairement bénéfique, de Dieu, elle ne peut que s'auto-instituer à partir des volontés immanentes des individus qui la compose par l'effet d'un ensemble d'engagements mutuels; sinon elle perd toute apparence de légitimité, et ne peut plus gérer politiquement les conflits qui se développent nécessairement en son sein, par la négociation et la recherche de compromis entre les forces sociales et les ambitions personnelles. Ces engagements prétendument volontaires sont au nom de trois:
· le contrat entre chacun
et la communauté tout entière par lequel chacun s'engage à se
soumettre à la loi, expression organisée de la "volonté
générale", en tant qu'elle régule la vie commune et la
liberté civile, de telle sorte que nul n'ait à souffrir de la
violence et de la domination des autres, et que chacun bénéficie de
la puissance de tous. Ce contrat est au fondement de la légitimité
de la communauté elle-même.
· le contrat entre les citoyens,
par lequel chacun s'engage vis à vis des autres à obéir aux
dirigeants représentatifs chargés de faire respecter la loi
commune, de veiller à la sécurité publique et au respect des
libertés fondamentales. Ce contrat est au fondement de la légitimité
de l'institution de l'état.
· le contrat entre les citoyens et
les dirigeants par lequel ceux-ci s'engagent à se soumettre au
contrôle régulier des citoyens, à abandonner le pouvoir s'ils sont
désavoués et à respecter, dans leurs décisions et leurs actions,
la volonté populaire dans son expression majoritaire en tant qu'elle
signifie fictivement l'intérêt général. Alors que les citoyens
s'engagent à respecter dans leurs actes les décisions politiques
des dirigeants même si, minoritaires, ils sont en désaccord avec
elles et peuvent exprimer ce désaccord. La minorité s'engage donc à
se soumettre aux dirigeants élus par la majorité. Ce contrat est au
fondement de la légitimité démocratique du pouvoir des dirigeants.
Ces
deux derniers contrats reposent donc sur le premier. Or celui-ci est
fictif, en cela, d'abord, qu'il n'a jamais fait l'objet d'un
délibération volontaire personnelle réelle des individus-citoyens,
si ce n'est de ceux qui ont voté la constitution et qui ont engagés
les autres à leur place (de quel droit?). Mais surtout, ensuite,
parce que l'idée même d'une volonté générale est problématique,
voire paradoxale. Su'est ce qu'une volonté générale ?
·
S'agit-il de la somme des volontés particulières? Cette somme
risque bien d'être nulle ou non transitive, comme le démontre
Condorcet en 1785. Considérons par exemple une assemblée de
60 votants ayant le choix entre trois propositions A, B
et C. Les préférences se répartissent ainsi (en notant A
> B, le fait que A est préféré à B) :
par exemple une assemblée de 60 votants ayant le choix entre trois propositions A, B et C. Les préférences se répartissent ainsi :
Dans les comparaisons majoritaires par paires, on obtient :
Pour échapper au paradoxe, il faut qu'un candidat gagne toujours en duel contre tous les autres, car, dans ce cas, il n'y a aucune possibilité pour qu'un autre candidat soit élu par une majorité . Un tel vainqueur est appelé vainqueur de Condorcet. Mais il s'agit d'un cas plutôt exceptionnel. Ainsi, pour faire référence à un exemple authentique, le vainqueur de Condorcet lors des élections présidentielles de 2007 aurait été François Bayrou, qui bien qu'en 3ème position et donc éliminé au premier tour, aurait été élu au second tour contre les deux autres, s'il avait pu leur être opposé dans le cadre d'une élection en duel.
Le théorème d'impossibilité d'Arrow, (1951) ou « paradoxe d'Arrow », est une confirmation générale mathématique du paradoxe de Condorcet . .Arrow montre, en effet, qu'il n'existe pas de vote démocratique assurant la cohérence d'un ensemble de voix agrégée dans une population disposant de critères de préférences divergents, seul est cohérent le résultat d'un vote qui coïncide avec celui d'un seul individu, indépendamment du reste de la population, sans que d'autres puissent interférer dans le résultat ce choix. C'est ce que l'on appelle alors une dictature ou un seul peut imposer, par la contrainte, son choix selon des critères cohérents identique à tous.
En travaillant par élimination, on conçoit ne pas pouvoir admettre qu'une procédure démocratique de vote puisse
rester indéfiniment indécise,
être dictatoriale,
être hétérogène,
avoir un résultat prédéterminé.
Il n'est pas question de faire que la décision reste indécise ou contradictoire, ou qu'elle apparaisse comme celle d'un seul, c'est à dire dictatoriale, ne serait-ce qu'en faisant semblant d'offrir un choix entre deux options apparentement opposées, mais qui, au fond, n'en font qu'une. En fait dans la pratique politique politicienne tout est mis en œuvre pour que les critères de choix soient plus homogènes, ne serait qu'en réduisant le choix des critères principaux à un seul et tout est mis en œuvre pour que le résultat apparaisse comme non prédéterminé ! . L'électeur est conduit à privilégier le vote utile , à savoir anticiper sur le vote des autres pour éliminer les options qui n'ont aucune chance d'être en dernier recours choisies.
Dès lors qu'il n'y a pas, selon Arrow, de lien entre la cohérence des choix individuels et celui d'un choix collectif, tout système de vote démocratique à la majorité, voulant éviter un système dictatorial, amène en réalité à concentrer tout le pouvoir dans les mains d'un seul individu selon des critères réduits plus ou moins homogènes. C'est le rôle des partis politique d'opérer cette réduction. Ce qui veut dire qu'aucune démocratie concluante ou cohérente n'est possible sans la médiation de parti politique et de politiciens professionnels élus qui représentent les citoyens en organisant leurs choix en choix collectifs, sans pour autant se soumettre à leur volonté individuelle. C'est pourquoi aucune démocratie directe n'est possible, car la prétention de la démocratie à représenter l'intérêt général à l'issu de choix individuels agrégés n'est, dans la plupart des cas, logiquement pas réalisable. Ainsi, les politiciens et les partis politiques dont ils sont les champions, en vue de gagner les élections ne cherchent pas à répondre à un impossible intérêt général mais à leurs intérêts particulier sous couverts d'intérêts majoritaires suscités, c'est à dire à leur ambition de pouvoir propre sur les citoyens pour les amener à voter selon leurs critères de choix plus ou moins cohérents et homogènes.
Enfin et surtout non seulement les citoyens ne sont pas cohérents entre eux mais surtout ne le sont pas en eux-même : chacun spontanément veut une chose et son contraire, par exemple réduire ses impôts (aux dépens des autres) et exiger des services publics gratuits (éducation, santé, espace publics entretenus etc..)
Mais examinons plus avant l'idée même de
« volonté générale » dont se gargarise l'idéologie
républicaine, sur un plan plus philosophique dès lors qu'elle ne
s'identifie pas à celle de chacun, de tous ou d'un seul selon des
critères homogènes, mais à celle d'une majorité rendue plus
cohérente par les politiciens professionnels élus.
·
S'agit-il de ce qui reste de cette somme des volontés individuelles
lorsqu'on en a retranché les positions divergentes, comme le pensait
Rousseau dans le contrat social? Mais alors elle n'est plus au sens
propre générale et surtout pas dans une société divisées en
classes inégales aux intérêts contraires. Que reste-t-il de cette
volonté générale, sinon un vœux pieux et une coquille vide, sans
aucun contenu ni programme politique consensuels? Le consensus mou ne
peut, en effet, se faire qu'autour de pétitions de principes,
généreuses en paroles, mais sans conséquences réelles, car
gratuites; c'est, en effet, lorsqu'il faut payer et établir des
priorités dans les sacrifices, que la division s'affirme et que le
pouvoir doit plus ou moins imposer un arbitrage, en fonction du
meilleur rapport des forces possible pour ses intérêts propre . On
est alors loin d'une volonté générale, mais on est en présence
d'une volonté réellement dominante.
·
S'agit-il d'une volonté transcendante idéalement rationnelle? Qui
peut la définir et avec quels moyens est-il possible de l'imposer?
Le Philosophe-Roi, par la violence et la ruse, comme le laisse
entendre Platon dans "Le Politique"? Mais c'est récuser,
dans son principe même, la démocratie!
D'autre part, la démocratie suppose la mise en place d'un droit égalitaire; mais de quelle égalité s'agit-il? De l'égalité formelle et juridique, sans remise en question des inégalités sociales réelles et de leurs principes: l'inégalité quant à la possession privée de ces deux fondements de la puissance sociale que sont le capital économique et le capital culturel. Dans ces conditions, comme l'indique Rousseau dans la note qui clôt le livre 1 du "Contrat Social": "cette égalité (formelle) n'est qu'apparente et illusoire; elle ne sert qu'à maintenir le pauvre dans la misère et le riche dans son usurpation". Que dire de la prétendue égalité des chances dans la société réellement inégalitaire, si ce n'est que, grâce au système scolaire apparemment unique, elle reproduit, en gros, les inégalités sociales, en persuadant les individus que la société n'y est pour rien, et que ceux d'en bas méritent le sort peu enviable qui leur est fait: il est la sanction de leur infériorité intellectuelle et/ou caractérielle. A quand une suppression radicale de l'héritage et une école permanente réellement démocratique? Qui pourrait faire voter ces mesures sans provoquer l'effondrement de l'économie et de notre société prétendument démocratique?
Enfin, l'idée de
représentation politique (puisqu'une démocratie directe et
autogérée ne pourrait valoir que pour des dieux (Rousseau), sans
passions, égaux et toujours raisonnables dans toutes leurs actions)
est problématique pour deux raisons:
·
les intérêts divergents et les ambitions de pouvoir opposées
génèrent forcément des ligues et partis qui prétendent tous
représenter les citoyens dans leur ensemble, alors qu'il n'en est
rien et qu'il est impossible, compte tenu des inégalités sociales,
qu'il en soit autrement.
·
chaque parti tente, par la démagogie et le clientélisme, avec
l'aide plus ou moins intéressée des médias, de recruter large pour
accéder au pouvoir et s'y maintenir le plus longtemps possible. Les
partis, leurs dirigeants et les médias entretiennent le
faux-semblant de la représentation de l'opinion publique, alors même
qu'ils la manipulent. La transparence en démocratie "réelle"
fait parti du leurre politico-journalistique visant à faire croire
que le pouvoir exprime la volonté des citoyens, alors que chacun
sait que les décisions les plus importantes et les plus difficiles
exige le secret, propice à faciliter la recherche des compromis. Les
élections dans ces conditions peuvent être considérées, tout à
la fois, comme un moyen de contrôle des dirigeants par les dirigés,
et aussi comme la demande d'un "blanc-seing" des dirigeants
auprès des dirigés et l'organisation de la démission politique
temporaire de ceux-ci, au profit de ceux-là.
De
fait, dans aucun système politique, la volonté plus ou moins
cohérente des citoyens, ne peut être autre chose que le résultat
de l'action politique des dirigeants. Dans ces conditions, c'est
moins la volonté générale qu'incarne la démocratie que le pouvoir
de la majorité, manipulée par telle ou telle faction, dont
Tocqueville, après Platon, considérait qu'il était une forme (plus
ou moins douce) de la tyrannie.
Il
convient alors de nous poser la question de savoir si la fiction
démocratique ne pousse pas à son comble l'illusion politique et
quels en sont les effets potentiels.
2-2 Fiction démocratique et illusion politique.
L'illusion politique, comme toute illusion idéologique, réside dans la confusion religieuse entre le souhaitable et le réalisable et donc dans l'affirmation eschatologique du salut universel et de la réconciliation sociale harmonieuse par l'effet d'un bon pouvoir transcendant, divin ou laïc, réel ou réalisable. La démocratie, dans ses présupposés, reproduit cette illusion et la radicalise en prétendant que ce pouvoir ne peut être que celui du peuple sur lui-même. Ce qu’on appelle " le peuple " (qu’est-ce que cela veut dire ?), directement ou par la médiation de ses représentants, serait capable de transcender sa multiplicité congénitale, pour mettre en œuvre un hypothétique intérêt commun relevant d'une non moins hypothétique volonté générale.
Or cette hypothèse est en
permanence démentie par la compétition démocratique entre les
forces politiques et sociales aux intérêt économiques et
politiques réellement contradictoires. Le consensus est introuvable
et les individus-citoyens font concrètement l'expérience de l'écart
insoluble entre l'idéal unificateur de la démocratie et la réalité
éclatée de la vie politique, nécessairement dissensuelle, qu'elle
exprime. Cette rupture récurrente entre l'idéal et la réalité,
est à la fois la force et la faiblesse de la démocratie réelle:
· la force, car elle permet au
pouvoir politique et aux citoyens de mesurer en permanence le rapport
des forces sociales et d'ajuster les décisions en négociant des
compromis temporaires respectueux du droit de chacun à faire valoir
ses revendications; la démocratie est donc capable d’autocorrection;
en cela elle s'affirme comme un régime profane et réellement laïc.
· la faiblesse, car elle engendre
une certaine désillusion politique permanente, pour ne pas dire un
scepticisme certain qui pousse les citoyens à la démission
politique; de plus, soit elle rend la prise de décisions lente et
difficile, soit elle met la décision à la merci de mouvements
d'opinions versatiles, plus ou moins démagogiquement sollicités;
elle est alors incapable de mener une politique cohérente sur la
durée, sous la pression des consultations, voire des sondages à
répétition.
Parce qu'elle est poussée à son comble par la démocratie, l'illusion politique est, alors, en permanence déçue; ni le bien commun, ni la transcendance du pouvoir politique ne sont assurés. Les individus sont obligés de faire la part entre l'idéal et la réalité et prennent conscience de l’inexistence d'un bon pouvoir salvateur et d'un intérêt commun qui transcenderait le jeu des intérêts particuliers contradictoires. Le pouvoir démocratique peut donc apparaître pour ce qu'il est: une fiction irréalisable qui permet d'institutionnaliser artificiellement l'écart entre les désirs et la réalité, en en autorisant l'expression publique. La démocratie fait donc de la décision politique et du fonctionnement de ses institutions l'enjeu d'un débat critique permanent. L'illusion démocratique tend à détruire l'illusion politique d'un pouvoir stable et soucieux d'un prétendu intérêt général et à se détruire elle-même en permanence. Elle est une fiction qui ne peut jamais se prendre ni trop au sérieux, ni trop longtemps. Comme la littérature par rapport à la vie en général et contrairement au mythe, elle tend un miroir critique, voire ironique, à la vie politique. Elle est l'illusion de la sortie de l'illusion politique, pour reprendre une formule que Marcel Gauchet applique à la religion chrétienne.
Mais cette ambivalence de la démocratie réelle, du même coup, la fragilise en permanence: la déception peut être telle, qu'elle provoque soit le refuge dans l'apolitisme égoïste ou purement moral, soit le retour, sous une forme catastrophique, du délire politico-religieux ou éthnico-nationaliste, s'incarnant dans la culte d'un sauveur suprême charismatique, voire de la pure violence purificatrice. A quelles conditions la démocratie, reconnue en tant que fiction utopique, et donc sans illusion, peut elle éviter, en démystifiant la politique, en déchirant l'illusion du bon pouvoir, sauvegarder la possibilité de la vie politique?
2-2-1 Le pouvoir démocratique est l'idéal de la vie politique, non en tant qu' il serait sans défauts graves, mais en tant qu'il est le plus mauvais des régimes politiques à l'exception de tous les autres. En effet, il confie aux citoyens le soin de décider des affaires communes, directement ou indirectement, et de choisir les dirigeants chargés d'en assurer la bonne marche ou d'éliminer et de chasser ceux qui ne conviennent pas aux citoyens ; le risque de la domination est ainsi théoriquement écarté; or tout pouvoir ne peut être reconnu comme légitime, que s'il n'apparaît pas comme dominateur. Mais cet idéal est paradoxal: la sens du pouvoir démocratique est de s'abolir en tant que pouvoir séparé des individus de base, et donc en tant qu'institution spécialisée dans l'exercice de l'autorité publique. Mais un pouvoir sans transcendance est-il encore un pouvoir? Est ce, pour chacun, le pouvoir de soi sur soi ou le pouvoir de tous sur chacun? Dans le premier cas tout pouvoir politique est aboli et probablement, dans une société complexe la sécurité et le liberté des individus, et, dans le second, on risque de promouvoir le despotisme majoritaire de masse aux dépens de la liberté individuelle. Comment, alors, le pouvoir démocratique peut-il se faire reconnaître et respecter, sans se transformer en pouvoir de domination de la majorité sur les minorités et les individus? La gestion de ce paradoxe dépend, selon nous, de l'usage que la démocratie fait des motivations individuelles:
- Soit, elle se contente d'en comptabiliser les effets: la majorité, par sondage d'opinion ou élection sans réel débat politique entre les citoyens eux-mêmes, a toujours raison, et en effet la dictature démagogique de masse s'impose, sous la férule et au bénéfice d'habiles rhéteurs;
- soit, elle organise le débat politique, pour que chacun puisse confronter ces désirs et ses motivations à ceux des autres, afin de décider raisonnablement, sinon du bien commun, du moins du moindre mal, compte tenu des oppositions légitimes d'intérêts et du droit de chacun à faire valoir son initiative propre.
Dans la premier cas, les désirs les plus égoïstes auront tôt fait de ruiner les aspirations éthiques, en rendant impossible leur prise de conscience et leur expression publique; la haine et l'insécurité, le développement de l'exclusion et de l'indifférence, engendrerons tel ou tel pouvoir tyrannique qui, au nom du peuple, organisera la domination, douce ou sanglante, des plus cyniques et des plus corrupteurs parmi les puissants.
Dans le second cas, cela suppose que l'école, la presse et surtout les médias audiovisuels jouent le rôle de diffuseur de culture et d'espace d'expression de l'argumentation politique, au lieu de flatter le goût du mal nommé public, à coup de scandales désinserrés de leur contexte problématique; scandales qui visent à faire le maximum d'argent et arrivent à dégoûter les individus de la vie publique, et à les détourner de leurs responsabilités politiques au grand bénéfice des démagogues.
Il est clair que le pouvoir
démocratique est fondé sur l'aspiration à l'auto-réalisation de
chacun, dans le cadre de véritables relations de réciprocité;
aspiration qui concilie nécessairement l'exigence éthique de la
générosité et la recherche du bonheur comme reconnaissance de sa
propre perfection. Le divorce entre le bonheur et l'éthique ruine
l'une et l'autre;
car comment être
généreux, sans être heureux et s'aimer soi-même? et comment être
heureux et s'aimer soi-même, sans aimer et respecter les autres?
Ainsi, s'il est utopique de penser que cette réconciliation entre l'économie et l'éthique puisse progresser sans la démocratie, il est illusoire de croire à l'existence de la démocratie sans cette réconciliation; c'est dire que tout pouvoir réel ne peut que tendre vers la légitimité démocratique (à ne pas confondre avec la légalité), et qu'il combine nécessairement des éléments favorables à la démocratie et des éléments contraires.
Conditions formelles : libertés fondamentales droits de l'homme et du citoyen, ou égalité en droit, pluralisme idéologique et politique, laïcité, séparation du privé et du public, séparation des pouvoirs. Refus de toute discrimination ethniques ou religieuses. Contre le populisme
Conditions réelles qui favorise la vie démocratique : culturelles : éducation à la liberté critique citoyenne, refus du communautarisme
Sociales : égalité des chances, réduction des inégalités sociales, droit de grève et droits sociaux, de manifester et de se constituer en syndicats pour négocier.
économiques : droits sociaux et réduction des écarts de revenus. Contre l'oligarchie des riches et la corruption. Smic et revenu universel.
Limites : la toute puissance des opinions passionnelles haineuses et /ou de mépris des autres parce que différents et des peurs collectives irrationnelles (racisme, sexisme, xénophobie, populisme)
Résister à la désillusion vis-à-vis de la démocratie représentative.
Pierre Rosanvallon dans son ouvrage, « la contre démocratie », prend la mesure de l'illusion de la démocratie , provoquée par l'écart entre la promesse illusoire d'une démocratie parfaite dans laquelle il n'y aurait aucune distance entre les électeurs et leurs représentants au pouvoir et la réalité, à savoir une certaine impuissance de ceux-ci à réaliser les promesses qui leur ont permis de conquérir les suffrages des citoyens. Cette désillusion procède de l'illusion que le pouvoir poltique national aurait tout pouvoir sur la société et en particulier de son économie dans un cadre national, ce qui est de plus en plus faux étant donné que l'économie capitaliste tend à prendre le pas sur la société tout entière, jusqu'à transformer la société toute entière, selon le mot de Lionel Jospin, en société de marché et que cette économie en particulier financière est devenue totalement transnationale et échappe dont au pouvoir socialement régulateur des états démocratiques, voire échappe aux dirigeants même de l'économie du fait que la quasi totalité des échange en actions et en valeurs est aujourd'hui commandée par des machines et logiciels numériques programmées qui vendent et achètent automatiquement en une fraction de seconde d'énormes flux financiers qui concernent l'économie mondiale et non pas l'économie dite nationale et que les entreprises les plus profitables sont transnationales et de ce fait échappent de plus en plus à l'impôt par lequel les états, mis en concurrence les uns aux autres sous la chantage de la délocalisation de tout ou partie des élements de ces entreprises transnationales, peuvent exercer un pouvoir régulateur et redistributeur et financer leur mission de service public. Ce pouvoir ces états tend donc à n'être plus qu'un pouvoir au service du capitalisme transnational sauvage, pour préserver les emplois, sans garantie du reste, et se dénonce comme démocratiquement impuissant à mettre en œuvre une politique sociale cohérente d'égalité des chances et donc des droits réels des individus, c'est à dire de réaliser leurs droits formels au travail, à l'éducation, aux soins médicaux et à une vie digne , à long terme. Une telle situation de désillusion et d'impuissance politique décrédibilise la démocratie représentative au yeux des citoyens , jusqu'à faire souhaiter chez un nombre de plus en plus important d'entre eux de mettre en cause plus ou moins radicalement cette dernière, sous la forme d'une dictature nationaliste anti-libérale, sinon anti-capitaliste élective. Or un tel souhait serait catastrophique dès lors que toute l'économie serait mise à terre faute de capitaux qui instantanément trouveraient refuge ailleurs. D'où la question : comment restaurer la confiance des électeurs-citoyens dans l'idéal démocratique sachant que celui-ci ne peut être qu'un idéal vers lequel doit rester leur seul espoirs à voir leur sort et celui de leurs enfants s'améliorer dans le respect de leurs droits et libertés. Comment faire que cette déception, logique vis-à-vis de la démocratie et de son impuissance à réguler et à réduire les inégalités sociales, ne se transforme pas en désir d'une tyrannie plus ou moins nouvelle. La thèse de pierre Rosanvallon, professeur au collège de France est de distinguer « anti-démocratie » et « contre-démocratie » afin de faire de cette dernière un rempart contre la tentation de la première. Examinons cette thèse.
Pierre Rosanvallon : Démocratie, contre-démocratie, anti-démocratie et populisme.
« La contre-démocratie n’est pas le contraire de la démocratie ; c’est plutôt la forme de démocratie qui contrarie l’autre, la démocratie des pouvoirs indirects disséminés dans le corps social, la démocratie de la défiance organisée face à la démocratie de la légitimité électorale »
Selon P. Rosanvallon, le phénomène ne laisse pas de poser problème. Car la distance entre société civile et institutions ne cesse de se creuser, et la menace est alors que cette contre-démocratie dégénère en « populisme destructeur ».
Le pouvoir contre-démocratique du peuple se manifeste également dans la souveraineté d’empêchement qui lui permet d’adresser son veto à des décisions ou des actions des gouvernants. Ici aussi, les figures sont multiples et, pour certaines, anciennes : depuis la puissance tribunicienne romaine et la doctrine médiévale du droit de résistance à l’oppression jusqu’à la grève générale ou encore le culte de l’engagement du rebelle, du résistant ou du dissident. Mais Rosanvallon relève un appauvrissement du sens de l’empêchement dès lors qu’il s’incarne dans un vote qui tend de plus en plus à exprimer un rejet des gouvernants en place plutôt qu’une adhésion positive à un programme politique et une confiance dans des êtres humains.
de tracer des « voies nouvelles [pour] la démocratie électorale- élective » en l’ouvrant davantage à la société grâce à des espaces de participation et de délibération accessibles au citoyen. Rosanvallon renvoie très rapidement aux théories délibératives de la démocratie. Pour cet auteur la contre-démocratie recouvre toutes les associations autonomes, à la base, vis-à-vis de l'état et des partis politiques institutionnels, pour faire avancer la solidarité et la mobilisation citoyenne : Syndicats, ONG, ligues droits de l'homme, comité d'expertises citoyens, groupes de réflexion politique concernant les biens communs , la justice, la santé, coopératives de consommateurs, entreprises solidaires, organisations écologiques, lanceurs d'alertes etc.. afin d'intervenir dans les processus d'informations et de décision. De tels organisations et mouvements citoyens, ont pour fonction de contester les décisions prises au nom du peuple pour rappeler les représentants à leurs devoirs concernant leur mission de service public et donc ne visent pas à affaiblir la démocratie représentative, mais au contraire cherchent à la conforter en réduisant l'écart entre les citoyens mobilisés et leurs représentants élus.
Ainsi faut-il, selon cet auteur, « consolider la contre-démocratie », non pas en cherchant à l’institutionnaliser dans le cadre de l'état- l’histoire montre que c’est voué à l’échec - mais en tentant plutôt de la socialiser. Il s’agirait de mettre en place des « modes de structuration intermédiaire [...] entre le pouvoir purement informel de l’opinion ou de l’intervention militante et le dispositif strictement constitutionnel » telles « des agences citoyennes de notation ou des observatoires citoyens », afin de « repolitiser la démocratie », ce qui passe par la « reconstitution de la vision d’un monde commun » et donc peut redonner « sens » à la vie politique pour tous les citoyens. A contrario, le vrai danger, selon Pierre Rosanvallon, est donc « l’impolitique » ou « le populisme » qui est l' expression destructrice la plus menaçante de la démocratie politique, dans la mise en route d'un processus qui vampirise tout projet démocratique par les effets destructeurs des institutions démocratiques de la part d'une contre-démocratie développant un discours démagogique, devenant de ce fait anti-démocratique, c'est à dire potentiellement tyrannique et anti-droits de l'homme, individuels et sociaux» La désaffiliation d’individus humiliés, peu éduqués et donc peu reconnus, devenus étrangers à la sphère publique, voire étrangers aux évolutions de la société et de son économie, déclassés, dés-insérés de toute dynamique sociale positive et donc devenus socialement improductifs, se repliant sur eux-mêmes, contre les étrangers rendus responsables de leur propre déchéance sociale, fait que nombre d' individus ne se sentent plus les acteurs ni même les spectateurs de la vie politique, bien qu’ils y demeurent électeurs, parfois pour le pire. ils deviennent alors la cause de l’impolitique et du populisme anti-démocratique qui est à nos portes, partout en Europe, y compris dans les pays les plus prospères. La question est donc d'éviter que la contre-démocratie ne bascule dans l'anti-démocratie et pour ce faire une des missions des organisations de la contre-démocratie est de contrer les discours qui visent à opposer la procédure électorale aux principes fondamentaux de la démocratie pour trand former celle-ci en « démocrature », à savoir en tyrannie anti-droits de l'homme d'une majorité de circonstance et de rappeler ces principes là même où sont violés par l'état et ses institutions au nom de la sécurité et de l'ordre public...Le plus grave danger pour le démocratie est aujourd'hui le collusion de fait entre les représentants et gouvernements élus et les grands intérêts capitalistes et financiers mondiaux qui cherchent à mettre en coupe réglée à leur service exclusif la vie politique apparemment démocratique. Cette collusion ou corruption de la démocratie transforme la démocratie en oligarchie. Il ne suffit pas pour assurer la nature républicaine d'un régime politique d'établir la séparation des pouvoir exécutif, législatif et judiciaire, souvent plus formelle que réelle, mais aussi et surtout aujourd'hui celle de la séparation entre le pouvoir des décideurs économiques et celui des décideurs politiques. La fusion des deux types de pouvoirs que l'on constate partout en effet interdit à la politique de jouer son rôle de régulateur et pacificateur de la vie sociale. Elle ouvre la voie, par contre coup, à la tentation totalitaire faisant de l'état un acteur économique majeur administrant directement et autoritairement la vie économique aux dépens de l'économie de marché et de la liberté d'entreprendre et donc menaçant les libertés individuelles dans leur ensemble.
Or fondamentalement, ce qui fait la faiblesse de la démocratie dite représentative et le succès de l'anti-démocratie sous la forme de la démocrature qui peut conduire insidieusement a fin catastrophique de nos démocratie dites représentatives dans ses fondements constitutionnels et ses principes ce sont 4 facteurs :
1) l'aggravation des inégalités sociales et économiques provoquée par le capitalisme mondialisé qui échappe à toute régulation politique
2) l'accélération de la compétition entre ceux qui bénéficient du savoir et de la maîtrise des techniques, y compris sur le plan économique et financier, et les exclus de la diffusion des savoirs dans un monde où la technologie de pointe est la source première de la compétitivité mondiale et du profit.
3) la dégradation de la démocratie en pseudo-démocratie d'opinion qui fait de la politique le champs clos de la manipulation de l'opinion à très court terme, reposant sur les scandales et les événements dramatisés, via les sondages à répétition et des médias, avides de scoop et de buzz, qui substituent à la vie citoyenne, celle de la compétition entre dirigeants de plus en plus dévalorisés car sans réel pouvoir pour réduire les inégalités et les jalousies qu'elle génèrent.
4) L'impossibilité politique mondiale de réduire les menaces écologiques qui s'annoncent en catastrophes susceptibles de mettre fin à la vie humaine pour le plus grand nombre, mais -c'est peut-être le plus grave nos sociétés dites démocratiques- celles-ci fonctionnent sur le court terme et non sur le long terme. Les citoyens sont pris par leurs problèmes et le satisfaction immédiate de leurs désirs, sans pouvoir penser, si tant qu'ils le voudraient réellement, aux problèmes à long terme sur le plan de l'écologie et de la réduction des inégalités dans le monde qui exigent une prise de responsabilité à long terme qui s'oppose à leurs intérêts ou désirs immédiats. Être responsable politiquement de sa vie et de celle de ses enfants et petits enfants ne va pas de soi d'autant que l'économie disqualifie le long terme au profit du très court terme. Aussi bien au niveau de la production du profit , soumis à la logique dominatrice de la relation capital/travail, qu'au niveau de la consommation qui est soumise à la logique dominatrice du crédit débiteur/créancier qui sont deux manières d'une extrême efficacité pour ligoter les individus au très court terme, contre les intérêts de l'humanité à long terme. C'est pourquoi un philosophe contemporain Jans Jonas a pu dire que la démocratie devait s'adjoindre, sinon être remplacée, par un pouvoir mondial des experts scientifiques seuls aptes à définir nos responsabilité écologiques à long terme...Quel monde allons nous laisser à nos enfants ? La démocratie peut-elle dans les conditions mondialisées d'un capitalisme spontanément anti-écologique et anti-social devenir un pouvoir mondial soucieux des intérêts de ceux qui nous suivrons sur la terre ? Poser cette question c'est mesurer l'enjeu politique de l'institution d'une démocratie mondiale responsable de l'humanité actuelle et future toute entière dont le conférence CAP 21 trace la perspective . Quelle place les scientifiques (retour à l'idée du philosophe-expert roi de Platon?) doivent-ils avoir dans cette gouvernance mondiale ? Quel rôle de l'ONU pour instituer celle-ci? En quoi peut-elle favoriser une démocratie mondiale régulatrice du capitalisme sauvage qui prolifère aujourd'hui ?
Nous savons, en effet, que si rien n'est fait pour instaurer une autorité régulatrice démocratique de la politique sur le plan mondial, tant sur le plan de la réduction des inégalités que sur celui du maintien équilibres écologiques, la démocratie va inexorablement tendre à la démagogie jusqu'à la tyrannie populiste électorale comme on commence à le voire dans certains pays de l'est et de centre de l'Europe, au profit de la guerre de tous contre tous, à l'heure de la prolifération des armes de destruction massive.. Ce que certains appellent déjà, non sans raison, la « démocrature », à savoir la procédure du vote démocratique contre les principes de la démocratie et la préservation de l'environnement, que certains autres appellent même de leurs vœux (tel Trump aux USA) ne peut conduire qu'à la catastrophe finale, à l'heure de la menace écologique et des armes de destruction massive: le fin de notre espèce, voire de toute vie sur terre.
La philosophie, comme le disait Hegel, n'a pas à produire des prophéties sur l'avenir. Elle n'a pas pour fonction de consoler et/ou de tranquilliser face aux menaces sur la démocratie dans le monde. Elles se doit de montrer les contradictions de cette dernière pour faire que chaque citoyen s'engage pour lutter contre l'anti-démocratie, au besoin par la contre-démocratie, en s'efforçant de dégager les perspectives et les moyens de lutte collectifs que ces contradictions rendent possibles et nécessaires.. Ce qui fait la supériorité de la démocratie est bien alors, selon le mot de Winston Churchill, du fait de sa capacité à la mobilisation citoyenne et le pouvoir de contester les décisions de ceux qui gouvernent qu'elle accordent à tous, le pire des régimes (le plus contradictoire), à l’exception de tous les autres..
Textes philosophiques :
Aristote :
« Il faut maintenant traiter du gouvernement constitutionnel. Sa nature, en effet, est plus manifeste une fois qu'a été déterminé ce qui concerne oligarchie et démocratie, car le gouvernement constitutionnel est, pour parler schématiquement, un mélange d'oligarchie et de démocratie.5(*) »
§ 5. Presque tous les anciens gouvernements avaient des lois excellentes pour rendre le peuple agriculteur. Ou elles limitaient, d'un façon absolue, la possession individuelle des terres à une certaine mesure qu'on ne pouvait dépasser; ou elles fixaient l'emplacement des propriétés, tant autour de la ville que dans les parties plus éloignées du territoire. Parfois même, à ces premières précautions, elles ajoutaient la défense de jamais vendre les lots primitifs. On cite aussi cette loi à peu près pareille, attribuée à Oxylus, et qui interdisait de prêter sur hypothèques immobilières.
§ 6. Si l'on voulait aujourd'hui réformer bien des abus (de la démocratie), on pourrait recourir à la loi des Aphytéens, qui serait d'une excellente application pour l'objet qui nous occupe. Quoique la population de leur État soit très nombreuse, et son territoire peu étendu, cependant tous les citoyens sans exception y cultivent un coin de terre. On a soin de ne soumettre à l'impôt qu'une portion des propriétés ; et les parts territoriales sont toujours assez fortes pour que le cens des plus pauvres dépasse la quotité légale.
§ 7. Après le peuple agriculteur, le peuple le plus propre à la démocratie, c'est le peuple pasteur et vivant de ses troupeaux. Ce genre d'existence se rapproche beaucoup de l'existence agricole; et les peuples pasteurs sont merveilleusement préparés aux travaux de la guerre, d'un tempérament robuste, et capables de supporter les fatigues du bivouac. Quant aux classes différentes de celles-là, et dont se composent presque toutes les autres espèces de démocraties, elles sont bien inférieures à ces deux premières; leur existence est dégradée; et la vertu n'a rien à faire avec les occupations habituelles des artisans, des marchands, des mercenaires. Toutefois il faut remarquer que, tourbillonnant sans cesse dans les marchés et les rues de la cité, cette masse se réunit sans peine, on peut dire, en assemblée publique. Les laboureurs, au contraire, disséminés dans les champs, se rencontrent rarement entre eux et ne sentent pas autant ce besoin de se réunir.
§ 8. Mais si le territoire
est distribué de telle sorte que les champs soient fort éloignés
de la ville, on peut établir aisément dans cette condition une
excellente démocratie et même une république. La majorité des
citoyens est forcée alors d'émigrer de la ville et d'aller vivre
dans les campagnes; et l'on sta¬tuerait que la tourbe des marchands
ne pourra se réunir jamais en assemblée générale, sans la
présence de la masse agricole.
Tels sont les principes sur
lesquels doit reposer l'institution de la première et de la
meilleure des démocraties. On peut sans peine en déduire
l'organisation de toutes les autres, dont les dégénérations se
succèdent selon les diverses classes du peuple, jusqu'à cette
classe dégradée qu'il faut toujours exclure.
§ 9. Quant à cette forme
dernière de la démagogie, où l'universalité des citoyens prend
part au gouvernement, tout État n'est pas fait pour la supporter; et
l'existence en est fort précaire, à moins que les moeurs et les
lois ne s'accordent à la maintenir. Nous avons indiqué plus haut la
plupart des causes qui ruinent cette forme politique et les autres
États républicains.
Pour établir ce genre de démocratie et
transférer tout le pouvoir au peuple, les meneurs tâchent
ordinairement d'inscrire aux rôles civiques le plus de gens qu'ils
peuvent ; ils n'hésitent point à comprendre au nombre des citoyens
non seulement ceux qui sont dignes de ce titre, mais aussi tous les
citoyens bâtards, et tous ceux qui ne le sont que d'un des deux
côtés : je veux dire soit du côté du père, soit du côté de la
mère. Tous ces éléments sont bons pour former le gouvernement que
ces hommes-là dirigent.
§ 10. Ce sont des moyens tout à fait à la portée des démagogues. Toutefois, qu'ils n'en fassent usage que jusqu'à ce que les classes inférieures l'emportent en nombre sur les hautes classes, et les classes moyennes; qu'ils se gardent bien d'aller au delà; car en dépassant cette limite, on se donne une foule indisciplinable, et l'on exaspère les classes élevées, qui supportent si difficilement l'empire de la démocratie. La révolution de Cyrène n'eut point d'autres causes. On ne remarque point le mal tant qu'il est léger; mais il s'accroît, et il frappe alors tous les yeux.
§ 11. On peut, dans l'intérêt de cette démocratie, employer les moyens dont Clisthène fit usage à Athènes pour fonder le pouvoir populaire, et qu'appliquèrent aussi les démocrates de Cyrène. Il faut créer en plus grand nombre de nouvelles tribus, de nouvelles phratries; il faut substituer aux sacrifices particuliers des fêtes religieuses, peu fréquentes mais publiques; il faut confondre autant que possible les relations des citoyens entre eux, en ayant soin de rompre toutes les associations antérieures.
§ 12. Toutes les ruses des tyrans peuvent même trouver place dans cette démocratie, par exemple, la désobéissance permise aux esclaves, chose peut-être utile jusqu'à certain point, la licence des femmes et des enfants. On accordera de plus à chacun la faculté de vivre comme bon lui semble. A cette condition, bien des gens ne demanderont pas mieux que de soutenir le gouvernement; car les hommes en général préfèrent une vie sans discipline à une vie sage et régulière.
§ 3. Les espèces les plus vicieuses de la démocratie existent en général dans des États fort populeux, où il est difficile de réunir des assemblées publiques sans payer ceux qui s'y rendent. Aussi, les hautes classes redoutent-elles cette nécessité quand l'État n'a pas de revenus propres; car il faut alors lui créer des ressources, soit par des contributions spéciales, soit par des confiscations, que prononcent des tribunaux corrompus. Or, ce sont là des causes de ruine pour bien des démocraties. Là donc oà l'État n'a pas de revenus, il faut que les assemblées publiques soient rares, et les membres des tribunaux fort nombreux, mais ne siégeant que quelques jours. Ce système a le double avantage, d'abord que les riches n'auront point à craindre de trop grandes dépenses, quoique ce ne soit pas à eux, mais aux pauvres qu'on donne le salaire judiciaire; et ensuite ceci fera que la justice sera beauoup mieux rendue, parce que les riches ne veulent jamais quitter leurs affaires pour plusieurs jours, et ne consentent à les laisser que pour quelques instants.
§ 4. Si l'État est opulent, il faut se garder d'imiter les démagogues d'aujourd'hui. Ils partagent au peuple tout l'excédant des recettes, et prennent part comme les autres à la répartition; mais les besoins restent toujours les mêmes; car donner de tels secours à la pauvreté, c'est vouloir emplir un tonneau sans fond. L'ami sincère du peuple tâchera de prévenir pour la foule l'excès de la misère, qui pervertit toujours la démocratie; et il mettra tous ses soins à rendre l'aisance permanente. Il est bon, dans l'intérêt même des riches, d'accumuler les excédants des recettes publiques, pour les répartir en une seule fois aux pauvres, surtout si les portions individuelles suffisent à l'achat d'un petit immeuble, ou du moins à l'établissement d'un commerce ou d'une exploitation agricole. Si l'on ne peut faire participer tout d'un coup la masse entière à ces distributions, qu'on procède par tribu ou suivant toute autre division successive. Les riches doivent certainement dans ce cas contribuer aux charges nécessaires de l'État; mais qu'on renonce à exiger d'eux des dépenses sans utilité.
Montesquieu : «Il y a trois espèces de gouvernements: le républicain, tous gouvernent, le monarchique, un seul gouverne dans le cadre des lois et le despotique, un seul gouverne selon son plaisir hors du cadre de la loi .Le principe de gouvernement despotique sont uniquement la force et la contrainte arbitraires, car en dehors du cadre de la loi, celui du gouvernement monarchique est l'honneur dans lequel le gouvernement soumet à des lois et selon qu'il est absolu ou constitutionnel est plus ou moins soumis lui-même à des lois et celui du gouvernement républicain où gouvernement par la loi où règne le principe de la vertu citoyenne. D'autre part il distingue les régimes despotiques et les régimes modérés. Cette double typologie est importante car elle permet à M de montrer que chaque régime peut être plus ou moins despotique ou modéré, sauf le despotisme qui est toujours un régime anti-libéral et donc, pour lui, totalement injuste. Que donc chaque régime peut être plus ou moins corrompu, en cela qu'il peut être plus ou moins contraire aux libertés et que la république démocratique n'est pas nécessairement un régime plus libéral que la monarchie ! Seul le despotisme est anti-libéral et donc illégitime de ce point de vue ! En cela la république dans sa version démocratique, dans son principe qu'est le vertu, peut être corrompue soit pas excès soit par défaut d'égalité. En principe la démocratie est le plus juste, car le plus libéral, des régimes ;, mais en pratique si la vertu qui est son principe est perdue, il devient despotique, comme l'affirme Platon, plus menacé par le despotisme que la monarchie. Le régime aristocratique est un mixte entre la monarchie et la république et doit lier selon des proportions diverses les trois principes : force, honneur et vertu...
« Le principe de la démocratie se corrompt, non-seulement lorsqu’on perd l’esprit d’égalité ; mais encore quand on prend l’esprit d’égalité extrême, et que chacun veut être égal à ceux qu’il choisit pour lui commander. Pour lors, le peuple, ne pouvant souffrir le pouvoir même qu’il confie, veut tout faire par lui-même, délibérer pour le sénat, exécuter pour les magistrats, et dépouiller tous les juges.
Il ne peut plus y avoir de vertu dans la république. Le peuple veut faire les fonctions des magistrats : on ne les respecte donc plus. Les délibérations du sénat n’ont plus de poids : on n’a donc plus d’égard pour les sénateurs, et par conséquent pour les vieillards. Que si l’on n’a pas du respect pour les vieillards, on n’en aura pas non plus pour les pères : les maris ne méritent pas plus de déférence, ni les maîtres plus de soumission. Tout le monde parviendra à aimer ce libertinage : la gêne du commandement fatiguera, comme celle de l’obéissance. Les femmes, les enfants, les esclaves n’auront de soumission pour personne. Il n’y aura plus de mœurs, plus d’amour de l’ordre, enfin plus de vertu.
On voit, dans le banquet de Xénophon, une peinture bien naïve d’une république où le peuple a abusé de l’égalité. Chaque convive donne, à son tour, la raison pourquoi il est content de lui. "Je suis content de moi, dit Chamides, à cause de ma pauvreté. Quand j’étais riche, j’étais obligé de faire ma cour aux calomniateurs, sachant bien que j’étais plus en état de recevoir du mal d’eux que de leur en faire : la république me demandait toujours quelque nouvelle somme : je ne pouvais m’absenter. Depuis que je suis pauvre, j’ai acquis de l’autorité : personne ne me menace, je menace les autres : je puis m’en aller, ou rester. Déjà les riches se lèvent de leurs places, et me cèdent le pas. Je suis un roi, j’étais esclave : je payais un tribut à la république, aujourd’hui elle me nourrit : je ne crains plus de perdre, j’espère d’acquérir."
Le peuple tombe dans ce malheur, lorsque ceux à qui il se confie, voulant cacher leur propre corruption, cherchent à le corrompre. Pour qu’il ne voie pas leur ambition, ils ne lui parlent que de sa grandeur ; pour qu’il n’aperçoive pas leur avarice, ils flattent sans cesse la sienne.
La corruption augmentera parmi les corrupteurs, et elle augmentera parmi ceux qui sont déjà corrompus. Le peuple se distribuera tous les deniers publics ; et, comme il aura joint à sa paresse la gestion des affaires, il voudra joindre à sa pauvreté les amusements du luxe. Mais, avec sa paresse et son luxe, il n’y aura que le trésor public qui puisse être un objet pour lui.
Il ne faudra pas s’étonner, si l’on voit les suffrages se donner pour de l’argent. On ne peut donner beaucoup au peuple, sans retirer encore plus de lui : mais, pour retirer de lui, il faut renverser l’état. Plus il paraîtra tirer d’avantage de sa liberté, plus il s’approchera du moment où il doit la perdre. Il se forme de petits tyrans, qui ont tous les vices d’un seul. Bientôt ce qui reste de liberté devient insupportable. Un seul tyran s’élève ; et le peuple perd tout, jusqu’aux avantages de sa corruption.
La démocratie a donc deux excès à éviter : l’esprit d’inégalité, qui la mène à l’aristocratie, ou au gouvernement d’un seul ; et l’esprit d’égalité extrême, qui la conduit au despotisme d’un seul, comme le despotisme d’un seul finit par la conquête.
«L’inconvénient n’est pas lorsque l’État passe d’un gouvernement modéré à un
gouvernement modéré, comme de la république à la monarchie, ou de la
monarchie à la république, mais lorsqu’il tombe et se précipite du gouvernement modéré au despotisme »
Hegel:
« Si on confond l’État avec la société civile et si on le destine à la sécurité et à la protection de la propriété et de la liberté personnelles, l’intérêt des individus en tant que tels est le but suprême en vue duquel ils sont rassemblés et il en résulte qu’il est facultatif d’être membre d’un État. Mais sa relation à l’individu est tout autre ; s’il est l’esprit objectif, alors l’individu lui-même n’a d’objectivité, de vérité et de moralité que s’il en est un membre. L’association en tant que telle est elle-même le vrai contenu et le vrai but, et ladestination des individus est de mener une vie collective ; et leur autre satisfaction, leurs activités et les modalités de leur conduite ont cet acte substantiel et universel comme point de départ et comme résultat. » Hegel, Principes de la philosophie du droit.
Peuple et multitude : la représentation politique revisitée
Le concept « proprement politique » de peuple mis en place par Hegel dans sa Philosophie du droit
consiste à affirmerle primat du « tout » (Ganze) que forme un peuple s’organisant et organisé en État sur le « tous » (alle) des membres individuels dont il est composé. Le peuple est souverain dans l’exacte mesure où il s’organise en une totalité qui est l’État.L’organisation étatique du peuple, le
populus politique, est en cela distincte de la multitude des volontés individuelles.
Hegel : « L’État est, par essence, une organisation de maillons tels qu’ils sont pour soi des cercles, et, en lui, aucun moment ne doit se montrer comme une multitude inorganique. Le grand nombre en tant que[somme d’]individus-singuliers, [qui est] ce que l’on entend volontiers par peuple, est bien un être-ensemble (ein Zusammen),mais seulement en tant que multitude, — une masse informe dont le mouvement et l’ouvrage ne seraient par là même qu’élémentaires, irrationnels, sauvages et épouvantables ...
..Lorsque les députés sont considérés comme des représentants, ceci n’a un sens organiquement rationnel que s’ils ne sont pas des représentants d’ individus-singuliers, d’une multitude, que s’ils sont, au contraire,
représentants de l’une des sphères essentielles de la société, des représentants de ses grands intérêts. En cela aussi, l’acte-de-représenter (das Repräsentieren) n’a plus la signification d’après laquelle quelqu’un est à
la place d’un autre, c’est au contraire l’intérêt lui-même qui est effectivement présent en son représentant »« ce n’est pas dans la forme inorganique d’individus singuliers en tant que tels (selon le mode démocratique de l’élection), mais en tant que des moments organiques, en tant que des états (Stände), qu’ils accèdent à cette participation dont il a été question … le membre de l’État est membre de tel état (Stand ) ; c’estseulement dans cette détermination objective qui est la sienne qu’il peut rentrer en ligne de compte (in Betracht) dans l’État ...
...C’est l’unique but de l’État, qu’un peuple ne vienne pas à exister, à exercer un pouvoir et à agir
comme un tel agrégat . Une telle situation (Zustand ) d’un peuple est une situation où se trouvent niées la justice, la vie éthique, la raison en général ; le peuple serait, dans cette situation, seulement en tant qu'une c’est l’unique but de l’État, qu’un peuple ne vienne pas à exister, à exercer un pouvoir et à agir
comme un tel agrégat . Une telle situation (Zustand ) d’un peuple est une situation où se trouvent niées la justice, la vie éthique, la raison en général ; le peuple serait, dans cette situation, seulement en tant qu'une puissance sans forme, sauvage, aveugle, comme celle, élémentaire de la mer agitée. …
Dès lors que de tels moments [la souveraineté de l’État,l’existence d’un gouvernement central, de tribunaux, d’états sociaux], qui sont en relation avec une organisation, avec la vie de l’État, émergent dans un peuple, il cesse d’être cet abstractum indéterminé qui, dans la simple représentation générale, s'appelle peuple » « Ce n’est pas la pauvreté elle-même qui engendre la populace, celle-ci implique une disposition d’esprit qui est liée à la pauvreté, c’est-à-dire un esprit de révolte contre les riches, contre la société, contre le gouvernement, (mais) il y a aussi une populace riche. Car la richesse est une puissance, et il est facile pour la puissance de la richesse d’être aussi la puissance sur (über) le droit …. La richesse accepte en elle-même une situation d’absence du droit, dans laquelle elle est la puissance..délivrée de toute obligation »